Lexbase Droit privé n°521 du 28 mars 2013 : Assurances

[Chronique] Chronique de droit des assurances - Mars 2013

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par Véronique Nicolas, Professeur, doyen de la Faculté de droit de l'Université de Nantes, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences et avocat au barreau de Paris, membres de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé)

le 28 Mars 2013

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur agrégé, doyen de la Faculté de droit de l'Université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", membre de l'Institut de recherche en droit privé (IRDP), en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, membre de l'IRDP, Avocat au barreau de Paris, Cabinet Hubert Bensoussan. Ont retenu l'attention des auteurs, deux arrêts rendus le 28 février 2013 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation : il ressort du premier que la faculté de renonciation à un contrat d'assurance vie ne peut être exercée que par lettre recommandée avec accusé de réception (Cass. civ. 2, 28 février 2013, n° 12-14.385, FS-P+B) ; dans le second, la deuxième chambre civile précise sa doctrine concernant la distinction entre faute intentionnelle et faute dolosive de l'assuré au sens de l'article L. 113-1 du Code des assurances (Cass. civ. 2, 28 février 2013, n° 12-12.813, FS-P+B).
  • Lettre recommandée obligatoire pour le souscripteur voulant renoncer à son contrat d'assurance vie (Cass. civ. 2, 28 février 2013, n° 12-14.385, FS-P+B N° Lexbase : A8926I84)

Les juristes ont connu, en droit civil, notamment celui de la responsabilité, ces cohortes d'arrêts, qui, à la virgule près parfois si l'on songe aux commettants du fait de leurs préposés, effectuent une analyse exégétique de l'article de loi la fondant. Le droit des assurances nous a moins habitués à une longue jurisprudence visant à circonscrire, avec précision, le sens ou le régime de telle ou telle disposition. Tout au moins, l'assertion fut-elle longtemps exacte en droit des assurances de dommages. En prenant leur envol dans la proportion que chacun sait, depuis les années mille neuf cent quatre-vingt, les assurances vie ont bouleversé la benoîte simplicité rencontrée dans l'application de ce droit pendant les dizaines d'années ayant suivi l'adoption de la loi fondatrice du 13 juillet 1930.

Et l'illustration la plus tangible de cette évolution, aux soubresauts incessants, s'entend peut-être de la mise en oeuvre de l'article L. 132-5-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L9839HE7). Le nombre de réformes dont il a été l'objet, en quelques années, a déjà été calculé : sept en trente ans, attestant ainsi de la rapidité de rédaction de ce texte. La jurisprudence n'est pas en reste. Cet arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, en date du 28 février 2013, l'atteste également. Certes, il ne s'agit pas d'un arrêt d'une portée révolutionnaire, juste un ajustement, une précision pour éviter toute ambiguïté. Encore que la levée des doutes peut avoir, comme dans le cas présent, pour effet de réajuster une approche globale du texte dans le sens d'une forme de rééquilibrage entre les protagonistes.

D'une sévérité dénoncée envers les assureurs, la Cour de cassation passe à un formalisme à la charge des assurés qui pourrait avoir pour conséquence de rendre moins fréquentes les hypothèses de sanctions effectives. Pour autant, les questions de preuve constituant toujours une source de difficultés considérables, nos magistrats veillent ainsi, dans ce cadre là également, à tenter d'établir des règles évitant des discussions infinies. Ainsi, après des hésitations relatives à la renonciation elle-même à un contrat d'assurance vie, puis celles concernant la computation exacte des délais, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation coupe court aux éventuels tentatives de contentieux sur la forme exacte de l'annonce, à l'assureur, par l'assuré, de son intention de renoncer à son contrat d'assurance.

Une épouse avait souscrit, auprès d'un assureur, un contrat d'assurance sur la vie lui ayant permis de procéder à un versement de plus de 175 000 euros. Plus tard, par lettre recommandée avec avis de réception, qui lui était revenue non réclamée, l'assureur lui avait fait parvenir une note d'information sur les conditions d'exercice de la faculté de renonciation. Cette femme ne devait pas être juriste, et encore moins spécialiste de la jurisprudence de l'article L. 132-5-1 du code des assurances car, elle avait reconnu avoir eu connaissance de cette note par son courtier. En dépit de cet aveu, elle avait écrit à l'assureur pour l'informer de sa volonté de renoncer au contrat. Or, profitant du constat que le délai de trente jours prévu par l'article L. 132-5-1 du Code des assurances n'avait pas été respecté, l'assureur avait cru pouvoir interpréter la requête de sa cliente, assurée, comme une demande de rachat du contrat.

Il lui avait donc adressé un chèque d'un montant inférieur de près d'un tiers à la somme précédemment versée, au nom de règles relatives aux rachats selon lesquelles notamment seule une partie du capital peut faire l'objet d'une telle opération aussi rapide. Sans surprise, l'assurée, mécontente, avait assigné son assureur en remboursement de l'intégralité de la somme versée initialement sur le contrat d'assurance. La cour d'appel avait considéré que l'assureur ne pouvait se prévaloir du fait que le courrier de renonciation de l'assurée n'avait pas été envoyé en recommandé, car celle-ci ne pouvait fournir l'avis de réception (CA Douai, 8 décembre 2011, n° 10/07506 N° Lexbase : A2804ID9). En effet, il convient également d'indiquer que, pour une fois les parties ne semblaient guère de mauvaise foi, et l'assureur admettait lui avoir reçu la lettre. Pour ces magistrats, l'envoi en recommandé n'avait pour objectif que de permettre de dater l'envoi pour calculer le délai de 30 jours courant à compter de la réception de la note d'information il n'était donc pas prévu à peine de nullité de la renonciation. Or, la Cour de cassation ne l'entend pas ainsi : elle estime cette formalité substantielle.

Sans doute était-il connu, notamment depuis un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, en date du 13 novembre 2008, que le souscripteur d'un contrat d'assurance vie, doit adresser à l'assureur un courrier de renonciation en recommandé avec avis de réception. Le même jour, la même formation de notre Haute juridiction avait également décidé qu'une action en justice à fins d'obtention du même résultat ne remplaçait pas cette exigence textuelle (Cass. civ. 2, 13 novembre 2008, n° 07-18.566, F-D N° Lexbase : A2352EBQ). Néanmoins, il était permis de se demander si, d'autres circonstances, n'autoriseraient pas à se dispenser de cette démarche. La réponse est désormais connue et généralisée. Et nos Hauts magistrats ne manquent pas de commencer par préciser que "toute personne physique qui a signé une proposition d'assurance [...]", renforçant là l'analyse de cette décision en tant qu'arrêt de principe.

Messieurs les avocats : attention. Car, la jurisprudence suivante ne peut sans doute prendre que deux orientations. Ou bien, il est imposé aux assureurs, dans les contrats d'assurance vie de souligner, en caractères très apparents, que la renonciation doit s'effectuer par lettre recommandé avec avis de réception au risque de ne pas produire les effets escomptés. Ou bien, les assurés auront intérêt à solliciter l'aide d'avocats dans ce type de circonstances pour tenter de leur reprocher de ne pas leur avoir indiqué cette règle.

Véronique Nicolas, Professeur agrégé, doyen de la Faculté de droit de l'Université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", membre de l'IRDP

  • Distinction entre faute intentionnelle et faute dolosive de l'assuré au sens de l'article L. 113-1 du Code des assurances : la deuxième chambre civile de la Cour de cassation précise sa doctrine (Cass. civ. 2, 28 février 2013, n° 12-12.813, FS-P+B N° Lexbase : A8759I8W)

Aux termes de l'article L. 113-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L0060AAH), "l'assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré".

Les lecteurs de cette chronique ont déjà été invités à s'interroger sur l'unité ou la dualité des notions de faute intentionnelle et de faute dolosive.

En dernier lieu, commentant un arrêt de la troisième chambre civile (Cass. civ. 3, 11 juillet 2012, n° 10-28.535, FS-P+B N° Lexbase : A8316IQ3), nous avions alors (cf. nos obs. in Chronique de droit des assurances - Septembre 2012, Lexbase Hebdo n° 497 du 12 septembre 2012 N° Lexbase : N3447BTT) rappelé les termes du débat et appelé la deuxième chambre civile a faire oeuvre de clarté en ce domaine.

C'est tout l'intérêt de l'arrêt du 28 février 2013, qui nous semble apporter une contribution importante à cette question.

Rappelons que les partisans d'une lecture plus stricte à l'égard de l'assuré fautif, et moins engageante pour les assureurs, lisent la faute dolosive comme distincte et retiennent l'exclusion légale dès lors qu'en raison de son activité ou de ses connaissances, la situation qu'il a créé ne pouvait que nécessairement conduire à un dommage dont il est réputé avoir nécessairement pleine conscience, sans que l'on doive, in concreto, démontrer qu'il l'a voulu tel qu'il s'est réalisé.

La doctrine a relevé qu'en matière d'activité professionnelle, certaines décisions retiennent que des manquements délibérés constituent une faute dolosive ayant pour effet de retirer aux contrats d'assurance leur caractère aléatoire (cf., notamment, Cass. civ. 2, 16 octobre 2008, n° 07-14.373 N° Lexbase : A8012EAY, RGDA, 2008, 912, 2ème esp., note J. Kullmann). Sont particulièrement visés les comportements de professionnels, notamment de la construction, hautement critiquables au regard des règles de l'art, qui les conduisent à une inexécution consciente et volontaire.

David Noguero a suggéré trois pistes pour délimiter le périmètre des notions de faute intentionnelle et de faute dolosive :

- dans une première approche, maximaliste, la faute dolosive en assurance correspondrait à une faute délibérée, sans la recherche du dommage. Il n'y aurait pas lieu d'établir la volonté de réaliser le dommage ; il suffirait de caractériser le caractère délibéré de la faute ;
- dans une deuxième approche, l'autonomie de la faute dolosive serait déniée et il serait toujours nécessaire d'exiger l'intention de l'assuré d'une recherche de la production du dommage, tel qu'il est survenu ;
- dans une troisième approche, la faute dolosive reposerait sur une faute volontaire conduisant à un dommage inéluctable, notion qui serait plus large que celle du "dommage tel que survenu".

La jurisprudence a donné des gages d'une volonté de s'engager dans cette dernière voie, de nature à donner une assise à la notion de faute dolosive distincte de celle de faute intentionnelle.

Un arrêt du 22 septembre 2005 (Cass. civ. 2, 22 septembre 2005, n° 04-17.232 N° Lexbase : A5241DKC, RCA, 2005, n° 370, 1ère esp., note H. Groutel ; D., 2006, Somm. 1785, obs. H. Groutel ; JCP éd. G, 2006, I, 135, n° 1, obs. J. Kullmann) a ainsi été remarqué car il s'appuie sur la qualité de professionnel de la société assurée pour retenir qu'elle avait "eu nécessairement conscience de l'illégalité encourue", qu'elle avait "délibérément violé les règles" de sorte qu'elle "avait non seulement pris le risque de créer un dommage à la société Q., mais en avait effectivement créé un, ce dont elle ne pouvait pas ne pas être consciente", détruisant par là même tout aléa.

A l'analyse de l'arrêt précité de la troisième chambre civile du 11 juillet 2012, nous avions relevé que les juges du fond s'étaient inscrits dans le mouvement d'autonomisation de la faute dolosive en relevant dans cette espèce "que M. Z [l'architecte] a délibérément violé une règle d'urbanisme dont il avait parfaite connaissance et qu'il a non seulement pris le risque de créer un dommage à la victime mais en a effectivement créé un dont il ne pouvait pas ne pas avoir conscience et qu'il a ainsi fait perdre tout caractère incertain à la survenance du dommage devenu inéluctable".

C'était déceler une faute dolosive chez un professionnel qui, ayant conscience de causer un dommage inéluctable dont l'intéressé est apte à mesurer les conséquences a, par sa faute dolosive, détruit l'aléa.

La troisième chambre civile n'avait pas été convaincue, puisqu'elle avait censuré cette cour d'appel aux motifs "qu'en statuant ainsi sans constater que M. Z avait eu la volonté de créer le dommage tel qu'il est survenu, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

Nous l'avions alors interprété comme une réticence de la troisième chambre civile à s'écarter de la lecture "classique" de la faute intentionnelle, donc à ouvrir la porte à une lecture autonome de la faute dolosive.

Nous avions alors appelé de nos voeux une clarification de la deuxième chambre civile.

L'arrêt rapporté comble cette attente. Il convient de relever que la Haute juridiction ne pouvait pas se dérober puisque l'assureur, demandeur au pourvoi, plaidait l'existence d'une faute dolosive (et non d'une faute intentionnelle), en ces termes : "la faute dolosive s'analyse en un manquement conscient de l'assuré à une obligation à laquelle il était tenu, dont il résulte la suppression de l'aléa inhérent au contrat d'assurance, même sans intention de rechercher le dommage".

C'est s'inspirer de la thèse "maximaliste" selon laquelle la faute délibérée destructrice d'aléa suffit, sans qu'il soit besoin de s'interroger sur l'intention de provoquer le dommage et encore moins de démontrer que ce dernier est survenu tel que l'assuré l'avait voulu.

En l'espèce, l'assureur défendait que la faute dolosive de l'assuré était caractérisée par son refus délibéré et réitéré de se conformer aux solutions techniques de modification de la conception des transformateurs préconisées par l'expert judiciaire. En un sens, l'assuré qui s'abstiendrait de remédier aux défauts du produit va, pour les ventes ultérieures, ôter tout aléa puisque le vice ou défaut de la chose vendu sera le fruit de son inaction.

La Cour de cassation déboute l'assureur par des motifs qui, et c'est tout l'intérêt de l'arrêt, distinguent la faute intentionnelle d'avec la faute intentionnelle et répond sur les deux fondements :

- pour le premier, elle énonce que "la faute intentionnelle qui exclut la garantie de l'assureur est celle qui suppose la volonté de causer le dommage et pas seulement d'en créer le risque" -elle aurait dû préciser "de causer le dommage tel qu'il est survenu"-, pour relever en l'espèce l'absence de démonstration d'une telle volonté de l'assuré ;
- pour le second, la Cour relève que si l'assureur "invoque également l'absence ou la disparition de tout aléa", il "n'est pas établi que l'aléa aurait disparu au cours de la vie du contrat d'assurance du seul fait de la volonté de l'assuré ; que l'appréciation inexacte faite par la société J. de la cause des claquages répétés et l'absence de remèdes appropriés apportés à ces claquages successifs, malgré les recommandations de l'expert, ne font pas dépendre la survenance des dommages de la seule volonté de l'assuré et de son fait exclusif".

La Cour en conclut : "la cour d'appel a pu déduire que l'assureur ne caractérisait ni une faute intentionnelle ni une faute dolosive au sens de l'article L. 113-1 du Code des assurances".

L'autonomie de la faute dolosive est consacrée (par l'emploi du "ni") et la notion est éclairée comme la faute par laquelle l'assuré "fait disparaître tout aléa du seul fait de [sa] volonté".

La faute dolosive est celle qui détruit l'aléa et rend inéluctable le dommage, sans qu'il faille s'interroger sur le point de savoir si ce dommage est survenu tel qu'il a été voulu par l'assuré.

On notera que la Cour de cassation n'a pas repris la définition proposée par l'assureur qui détachait la faute dolosive de toute intention de créer le dommage. Au contraire, elle indique qu'il n'y aurait eu disparition de l'aléa (en l'espèce au cours du contrat) que si la survenance des dommages avait procédé "de la seule volonté de l'assuré et de son fait exclusif".

S'il n'est pas question d'examiner la teneur du dommage comme dans le faute intentionnelle (vérifier si le dommage réalisé est celui qui a été voulu comme tel), il reste à établir cette volonté de faire disparaître l'aléa, donc de précipiter la survenance du dommage, et à prouver la causalité entre la faute dolosive et le dommage.

Enfin, on notera que, par l'emploi de la formule "la cour d'appel a pu décider que", la Cour de cassation traduit sa position de contrôle léger sur l'aléa.

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de Droit de Nantes, IRDP, Avocat au barreau de Paris, Cabinet Hubert Bensoussan

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