La lettre juridique n°509 du 13 décembre 2012 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] L'obligation de consulter le comité d'entreprise en cas d'application d'un accord collectif étendu.

Réf. : Cass. soc., 21 novembre 2012, n° 11-10.625, FS-P+B (N° Lexbase : A5026IXG)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 12 Janvier 2013

Dans le domaine économique, le comité d'entreprise a fondamentalement pour rôle de veiller à ce que les intérêts des salariés soient pris en compte lorsque l'employeur envisage de prendre une mesure susceptible de les affecter. A cette fin, la loi impose à ce dernier de solliciter l'avis du comité d'entreprise avant d'arrêter une décision entrant dans le champ de ses attributions consultatives. Si l'obligation de consultation pesant sur l'employeur concerne, au premier chef, ses décisions unilatérales, on se souvient que, par un retentissant arrêt rendu en 1998, la Cour de cassation l'a étendue aux décisions prenant la forme de la négociation d'un accord collectif d'entreprise. L'arrêt en date du 21 novembre 2012 conduit la Cour de cassation à franchir un pas supplémentaire. Elle considère, en effet, que le comité doit être informé et consulté sur les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail, les conditions d'emploi, de travail et de formation professionnelle, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que la mise en oeuvre de ces mesures résulte d'une décision unilatérale de l'employeur ou lui soit imposée par un accord collectif étendu !
Résumé

En vertu de l'article L. 2323-6 du Code du travail (N° Lexbase : L2734H97), le comité d'entreprise est informé et consulté sur les questions intéressant l'organisation et la marche générale de l'entreprise et, notamment, sur les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail, les conditions d'emploi, de travail et de formation professionnelle, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que la mise en oeuvre de ces mesures résulte d'une décision unilatérale de l'employeur ou lui soit imposée par un accord collectif étendu.

Observations

I - La source des mesures soumises au comité d'entreprise

La consultation et la décision de l'employeur. L'article L. 2323-1 du Code du travail (N° Lexbase : L2720H9M) définit la mission générale d'information et de consultation du comité d'entreprise, en affirmant qu'il "a pour objet d'assurer une expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l'évolution économique et financière de l'entreprise, à l'organisation du travail professionnelle et aux techniques de production". L'article L. 2323-2 du Code du travail (N° Lexbase : L2722H9P) précise, quant à lui, que "les décisions de l'employeur sont précédées de la consultation du comité d'entreprise [...]".

A la lecture de ces deux textes, on pouvait légitimement penser que les attributions consultatives du comité d'entreprise n'avaient vocation à jouer que lorsqu'étaient en cause des décisions unilatérales de l'employeur. On sait, toutefois que, dans un important arrêt rendu le 5 mai 1998, la Cour de cassation a donné une portée plus large aux attributions précitées, en décidant que "la décision du chef d'entreprise doit être précédée par la consultation du comité d'entreprise quand elle porte sur l'une des questions ou mesures visées par [la loi], sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que la décision en cause est une décision unilatérale ou prend la forme de la négociation d'un accord collectif d'entreprise portant sur l'un des objets soumis légalement à l'avis du comité d'entreprise" (1). Cette solution procède, à l'évidence, d'une interprétation extensive des textes, étant simplement observé qu'il est difficile d'admettre qu'un accord collectif puisse être assimilé à une décision du chef d'entreprise. Il n'en reste pas moins compréhensible que le comité d'entreprise, qui aurait eu son mot à dire si une mesure s'était traduite par une décision unilatérale de l'employeur, ne soit pas dépossédé de ses attributions lorsque cette même mesure procède d'un accord collectif d'entreprise (2).

L'arrêt, rendu le 21 novembre 2012, conduit la Cour de cassation à franchir un pas supplémentaire puisque le respect des attributions consultatives du comité d'entreprise sont assurées en l'absence de toute décision de l'employeur ; ce qui ne manque pas de surprendre, au moins dans un premier temps.

L'affaire. Etait en cause, en l'espèce, l'unité économique et sociale (UES) reconnue entre les sociétés du groupe (sic !) M., par un accord signé en 2000, avec mise en place d'un comité central d'entreprise. Par un arrêté du 16 décembre 2008 ([LXB=??]), le ministre du Travail a étendu à l'ensemble des employeurs et salariés compris dans le champ d'application de la convention collective nationale des grands magasins et magasins populaires du 30 juin 2000 (N° Lexbase : X0636AEB) l'annexe du 31 mars 2008 relative à la classification des différents emplois de la profession. A la suite de la mise en oeuvre dans l'UES de la nouvelle classification, le comité central d'entreprise a saisi la juridiction des référés afin qu'il soit ordonné aux sociétés composant l'UES de procéder à la consultation du comité central d'entreprise.

Les sociétés composant l'UES reprochait à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le défaut de consultation du comité central d'entreprise sur la mise en oeuvre de la nouvelle classification constitue un trouble manifestement illicite et d'ordonner la transmission d'un certain nombre de pièces au comité sous astreinte. La partie demanderesse arguait notamment, à l'appui de son pourvoi, que l'obligation pour l'employeur d'informer et de consulter le comité d'entreprise en application des articles L. 2323-6 et L. 2323-27 (N° Lexbase : L2796H9G) du Code du travail ne concerne que les décisions, projets ou manifestations de volonté de l'employeur. En ayant décidé que la mise en place de la nouvelle classification professionnelle, prévue par l'annexe du 31 mars 2008 à la Convention collective nationale des grands magasins et magasins populaires, ayant fait l'objet d'un arrêté d'extension du ministre du Travail, obligatoire pour les entreprises rentrant dans son champ d'application, devait faire l'objet de l'information et de la consultation du comité d'entreprise et que leur absence caractérisait un trouble manifestement illicite, la cour d'appel a violé les textes précités (3).

La Cour de cassation n'a pas retenu ces arguments, pourtant non dénués de pertinence pour décider "qu'en vertu de l'article L. 2323-6 du Code du travail, le comité d'entreprise est informé et consulté sur les questions intéressant l'organisation et la marche générale de l'entreprise et, notamment, sur les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail, les conditions d'emploi, de travail et de formation professionnelle, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que la mise en oeuvre de ces mesures résulte d'une décision unilatérale de l'employeur ou lui soit imposée par un accord collectif étendu".

La consultation en l'absence de toute décision de l'employeur. La solution retenue peut être diversement appréciée. Il est possible de la trouver franchement critiquable, en ce sens qu'elle déconnecte complètement les attributions du comité d'entreprise de toute décision de l'employeur. A la différence de l'arrêt de principe de 1998, n'était pas en cause en l'espèce un accord d'entreprise, dont on peut à la limite admettre qu'il est une forme de décision de l'employeur, mais un accord de branche étendu. En d'autres termes, il ne pouvait être en l'occurrence question, ni de près, ni de loin, d'une quelconque "décision de l'employeur", dont il faut rappeler qu'il n'a d'autre choix que d'appliquer la norme conventionnelle en cause. Partant, la solution n'apparaît pas conforme aux articles L. 2323-1 et L. 2323-2 du Code du travail dont il a été fait état plus haut.

Il faut toutefois relever que la Cour de cassation n'évoque nullement ces textes, préférant fonder sa solution sur l'article L. 2323-6 du Code du travail. Or, cette dernière disposition ne vise à aucun moment une quelconque décision, et encore moins celle de l'employeur. Elle se contente de prévoir l'intervention du comité d'entreprise sur les questions intéressant la marche générale de l'entreprise et, notamment, sur certaines mesures qu'elle énumère. A s'en tenir à ce texte, la solution semble alors pouvoir échapper à la critique.

Mais il faut précisément se demander si ce texte peut être lu seul, en laissant de côté ceux qui le précèdent et, notamment, les articles L. 2323-1 et L. 2323-2. Tandis que ces derniers précisent la source des mesures susceptibles d'être soumises au comité d'entreprise, l'article L. 2323-6 précise, quant à lui, l'objet de ces mesures. Il aurait, par suite, pu être retenu que les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail, les conditions d'emploi, de travail et de formation professionnelle doivent être soumises au comité d'entreprise que dans la mesure elles procèdent d'une "décision de l'employeur", au sens où l'entend la Cour de cassation depuis 1998.

La Chambre sociale a souhaité faire prévaloir une application autonome de l'article L. 2323-6 du Code du travail. Il reste à savoir si la portée de cette solution pourra être maîtrisée. En effet, on ne voit pas pourquoi, ni d'ailleurs comment, elle devrait être limitée aux seuls accords collectifs étendus. Tout accord de branche, tout accord interprofessionnel pourrait être concerné. Mais il y a plus, la loi et le règlement peuvent-ils échapper à l'exigence posée par la Cour de cassation dans le présent arrêt ? On peut, là encore, en douter, dès lors qu'ils portent sur une question intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise.

Cette condition, qui concerne non plus la source de la mesure, mais son objet, doit désormais être examinée. Cela s'avère d'autant plus nécessaire qu'elle est, d'une part, au coeur de l'arrêt et qu'elle peut, d'autre part, éventuellement convaincre du bien-fondé de la solution énoncée par ailleurs.

II - L'objet des mesures soumises au comité d'entreprise

La compétence générale du comité d'entreprise. La consultation du comité d'entreprise n'est obligatoire que si la mesure que l'employeur envisage d'arrêter ou, désormais, celle qui lui est imposée par un accord collectif entre dans le domaine de ses attributions consultatives, tel qu'il a été fixé par le législateur.

Ce dernier a, à cet égard, procédé de deux manières. Tandis que certaines dispositions du Code du travail prévoient la consultation du comité d'entreprise dans des cas déterminés et relativement délimités (4), d'autres lui donnent une compétence générale. Il en va précisément ainsi de l'article L. 2323-6 dont il faut rappeler qu'il commence par prévoir l'information et la consultation du comité d'entreprise "sur les questions intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise", pour ensuite donner quelques exemples des mesures devant être soumises au comité d'entreprise, introduits par l'adverbe "notamment" (5).

Si cette disposition a l'avantage de donner un large champ d'intervention au comité d'entreprise, elle présente, par là-même, l'inconvénient d'être pour le moins imprécise, le risque étant que l'employeur soit tenu de soumettre au comité toutes sortes de mesures, même les plus insignifiantes, paralysant la gestion de l'entreprise.

Soucieuse d'éviter cela, la Cour de cassation s'est, par le passé, efforcée de circonscrire quelque peu l'intervention du comité d'entreprise dans le domaine de l'organisation et de la marche générale de l'entreprise. Elle a notamment jugé à plusieurs reprises que, dans le domaine précité, le comité ne devait être consulté qu'au sujet des décisions revêtant une certaine importance (6) et ne revêtant pas un caractère ponctuel, temporaire ou individuel (7). La décision sous examen trouve certainement sa place dans cette jurisprudence.

L'application au cas d'espèce. A l'appui de leur pourvoi, les sociétés composant l'UES arguait également qu'en n'ayant pas caractérisé en quoi la mise en place d'une nouvelle classification professionnelle en application de l'annexe du 31 mars 2008 à la Convention collective nationale des grands magasins et magasins populaires, dont il était expressément constaté qu'elle ne pouvait avoir pour effet une diminution des appointements nets mensuels d'un salarié ni un déclassement, intéressait l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise et, notamment, constituait une mesure de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail, les conditions d'emploi, de travail et de formation professionnelle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 2323-6 du Code du travail.

Pas plus que l'argument relatif à la source de la mesure, celui relatif à son objet n'aura pas été entendu par la Cour de cassation qui rejette le pourvoi. Ainsi que l'affirme la Chambre sociale, "ayant constaté que l'accord étendu du 30 mars 2008 avait pour objet l'évaluation et le positionnement des différents emplois de la profession selon des règles communes, la nouvelle classification devenant le support des appointements minimaux, qu'au sein du groupe M., le nombre des intitulés d'emplois avait été réduit des deux tiers tant pour le siège que pour les magasins et que le regroupement de certains emplois sous un même intitulé tel celui d'électricien hautement qualifié devenant agent de maintenance, était susceptible d'avoir une incidence sur les tâches exercées par les salariés, ce dont il se déduisait que les mesures en cause intéressaient la marche générale de l'entreprise et notamment étaient susceptibles d'affecter la structure des effectifs, la cour d'appel a pu décider, que le défaut de consultation du comité central d'entreprise constituait un trouble manifestement illicite".

Outre qu'il précise ce que recouvre la "structure des effectifs" visée par la loi, le motif énoncé par la Cour de cassation, dont on relèvera le caractère inhabituellement long et précis, révèle l'importance de la mesure qui était en cause en l'espèce, à savoir la nouvelle classification. On ne doutait, en effet, pas qu'un tel dispositif intéresse la "marche générale" de l'entreprise. Au-delà, son impact profond sur la situation des salariés peut convaincre de la nécessité qu'il y avait à soumettre cette mesure au comité d'entreprise, alors même qu'elle est imposée à l'employeur par un accord de branche étendu.

On peut, par suite, légitimement penser, qu'à l'avenir, les mesures comprises dans un accord de branche étendu et, peut-être, dans tout accord de branche, voire dans une loi et un règlement n'auront à être soumises au comité d'entreprise que si elles sont de nature à avoir des conséquences importantes sur la situation de l'ensemble des salariés de l'entreprise. C'est, pourrait-on dire, le minimum, dans la mesure où ces dispositions ne sont pas le fait de l'employeur.


(1) Cass. soc., 5 mai 1998, n° 96-13.498, publié (N° Lexbase : A2677AC7), Bull. civ. V, n° 219 ; Dr. soc., 1998, p. 579, rapp. J.-Y. Frouin ; D., 1998, jsp. p. 608, avec nos obs..
(2) On pourrait toutefois avancer que, ce qui compte avant tout, c'est que les intérêts des salariés soient pris en compte. Or, tel est évidemment le cas lors d'une négociation collective, même si c'est alors, et en règle générale, les syndicats qui assurent l'expression collective des salariés.
(3) Nous verrons, en seconde partie, que les sociétés composant l'UES soutenaient également que la mise en place d'une nouvelle classification professionnelle n'entrait pas dans les prévisions de ces textes et n'avait donc pas à être soumise au comité central d'entreprise.
(4) V. par ex., l'article L. 2323-12, alinéa 1er du Code du travail (N° Lexbase : L2751H9R), qui dispose que, "chaque année, le comité d'entreprise est consulté sur la politique de recherche et de développement de l'entreprise".
(5) L'article L. 2323-27 du Code du travail donne également une compétence générale au comité d'entreprise dans le domaine des conditions de travail.
(6) V. par ex., Cass. soc., 29 mars 1994, n° 93-80.962, inédit (N° Lexbase : A9293C4X), RJS, août-septembre, 1994, p. 594 ; Cass. crim., 3 mai 1994, n° 93-80.911, publié (N° Lexbase : A8741CEH), Bull. crim., n° 375.
(7) V. par ex., Cass. crim. 9 février 1988, n° 87-82.061, publié (N° Lexbase : A7216AAI), Bull. crim., n° 67 ; Cass. crim., 7 mars 2000, n° 99-83.398, inédit (N° Lexbase : A0265CPI), RJS, juillet-août, 2000, n° 821.

Décision

Cass. soc., 21 novembre 2012, n° 11-10.625, FS-P+B (N° Lexbase : A5026IXG)

Rejet, CA Paris, 17 novembre 2012 (référé)

Texte concerné : C. trav., art. L. 2323-6 (N° Lexbase : L2734H97)

Mots-clés : consultation du comité d'entreprise ; accord collectif étendu

Lien base :

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