La lettre juridique n°509 du 13 décembre 2012 : Avocats/Déontologie

[Jurisprudence] Défense personnalisée des mineurs en matière pénale : convention, mode d'emploi

Réf. : CA Besançon, 31 octobre 2012, n° 12/01872 (N° Lexbase : A2369IWN)

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 12 Janvier 2013

L'enfer est pavé de bonnes intentions : une association appelée à regrouper des avocats spécialisés dans la défense des mineurs doit être dissoute ou son mode d'organisation réformé pour autant qu'elle porte atteinte aux principes fondamentaux de libre concurrence entre avocats, du libre choix de l'avocat, d'égalité entre les avocats et d'indépendance de ceux-ci. Telle est la sentence d'un arrêt de la cour d'appel de Besançon rendu le 31 octobre 2012. Cette décision mérite attention, d'abord, en ce qu'elle est, bien entendu, des plus singulières -peu voire aucun arrêt n'a été rendu sur le sujet-, ensuite, parce qu'elle pose, si besoin était, à nouveau, les jalons de la profession d'avocat, évoquant son indépendance, son caractère libéral et sa méfiance envers les monopoles institutionnellement organisés, lorsqu'ils ne sont pas institués dans l'intérêt des justiciables.
L'affaire.
Un avocat soutenait que la délibération du conseil de l'Ordre au tableau duquel il est inscrit devait
être annulée, en ce qu'elle avait cru devoir entériner l'existence d'un "Collectif Mineur", alors que celui-ci n'avait pas d'existence légale, dés lors que la convention initiale le créant était devenue depuis fort longtemps caduque et que la nouvelle convention n'avait pas fait l'objet d'un agrément, comme l'imposerait l'article 91 du décret du 19 décembre 1991 (N° Lexbase : L0627ATE). Il soutenait, ensuite, que cette convention d'association ne respectait pas les principes fondamentaux de la profession, notamment la libre concurrence entre avocats, le libre choix de l'avocat, l'égalité entre les avocats et l'indépendance de ceux-ci.

Sur "l'agrément" de la convention d'association. Rapidement, aux termes de la disposition évoquée, les rétributions allouées pour les missions d'aide juridictionnelle en matière pénale peuvent être majorées dans une proportion maximum de 20 % au bénéfice des barreaux ayant souscrit des engagements d'objectifs assortis de procédures d'évaluation visant à assurer une meilleure organisation de la défense pénale. Ces engagements sont l'objet d'un protocole passé avec le tribunal de grande instance près lequel le barreau est établi. Les protocoles sont "homologués" par un arrêté du Garde des sceaux, ministre de la Justice, qui fixe le montant de la majoration appliquée lors de la liquidation de la dotation annuelle. Or, la cour d'appel de Besançon fait remarquer que ce texte n'a vocation à s'appliquer que lorsque la convention signée entre le barreau et le tribunal de grande instance prévoit une majoration de la rétribution allouée au titre de l'aide juridictionnelle ; et qu'au cas particulier, aucune des pièces produites devant elle ne permettait de retenir qu'il ait été envisagé une quelconque majoration de la rétribution des avocats intervenants dans le défense pénale des mineurs. Dès lors, la convention créant ou renouvelant le "Collectif Mineurs" n'avait nul besoin d'être revêtue d'un "agrément" ministériel, dés lors qu'elle ne comportait pas une majoration de la rétribution à la charge de l'Etat.

Sur l'atteinte portée aux principes fondamentaux. Le collectif en cause regroupait des avocats spécialisés dans la défense des mineurs. L'arrêt prend soin de rappeler qu'en soi ce type d'association professionnelle ne peut qu'être approuvé et répond aux attentes tant du ministère de la Justice que du Conseil national des barreaux. En effet, le ministère de tutelle et le CNB ont signé, le 8 juillet 2011, une convention ayant pour objectif de développer la défense personnalisée des mineurs en matière pénale. Cette convention encourage les barreaux et les chefs de juridictions à définir localement les modalités d'interventions des avocats. Au niveau national, les deux signataires s'engagent à proposer des actions de formation communes, notamment sur les dispositifs de prise en charge éducative et la défense pénale des mineurs. Au niveau local, les barreaux et les tribunaux pour enfants doivent s'accorder et réfléchir à une organisation favorisant la défense personnalisée des mineurs en matière pénale. Ainsi, la désignation du même avocat pour le même mineur dans toutes les procédures pénales qui le concernent, permet d'améliorer l'assistance. L'avocat connaît mieux le mineur et son parcours. En retour, le mineur ne se trouve pas confronté à chaque fois qu'il comparait en justice, à un avocat différent auprès de qui il doit répéter sans cesse son histoire personnelle. La continuité de l'intervention d'un avocat auprès d'un même mineur contribue ainsi à l'amélioration de la qualité de la défense pénale et de la décision judiciaire, en assurant une connaissance également partagée, entre la juridiction et le défenseur, de la personnalité du mineur et des actions menées auprès de lui, tant en matière civile que pénale.

Voilà pour le communiqué de presse ! Mais dans les faits, la mise en oeuvre d'une telle organisation n'est pas chose aisée. Elle peut se heurter, assez facilement convenons-en, aux principes fondamentaux régissant l'exercice de la profession d'avocat. L'espèce rapportée en est un exemple caractérisé.

En effet, pour faire partie du "Collectif Mineurs" en cause, dont les membres bénéficiaient d'un monopole de désignation au titre des commissions d'office, il était imposé à l'avocat, qui souhaitait s'investir dans un tel domaine d'intervention de rédiger une "lettre de motivation" destinée à la Présidente du Collectif, puis de se soumettre à un entretien individuel avec celle-ci avant que la demande d'inscription à ce collectif ne soit examinée par le conseil de l'Ordre. Pour la cour, "à l'évidence", l'exigence d'une lettre de motivation et la soumission à un entretien, dont la finalité était mal définie et qui pourrait s'analyser en une forme de cooptation, portaient atteinte au principe fondamental de la liberté d'exercice de la profession. Ce faisant, et en filigrane, la cour d'appel rappelle le principe évoqué à la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) aux termes duquel la profession d'avocat est une profession libérale et indépendante quel que soit son mode d'exercice.

Pour autant, si tout avocat de par sa formation et le serment qu'il a prêté devant la cour d'appel peut exercer la plénitude des attributions attachées par la loi à la profession d'avocat, on peut s'étonner que le juge rejette les conditions d'adhésion des avocats à ce collectif de défense des mineurs. En effet, compte tenu de la sensibilité des justiciables en cause, compte tenu de la technicité et de la disponibilité requise pour mener à bien la défense des mineurs, le fait de demander à un candidat à l'adhésion à une telle organisation ses motivations et le fait de s'entretenir avec lui pour déterminer s'il adhère véritablement au projet et aux ambitions du collectif, ne semblent pas "à l'évidence" des plus incongrus. Quant au risque de cooptation, s'il n'est pas plus élevé que dans toute organisation professionnelle créée au sein des Ordres ou dans tous les cabinets d'avocats eux-mêmes, rappelons que c'est le conseil de l'Ordre qui avait le dernier mot ; et qu'il lui appartenait, dès lors, de rappeler à l'ordre le collectif en cause, si les candidats soumis à son approbation ne correspondaient pas aux ambitions d'une telle organisation dans l'intérêt de la défense pénale des mineurs.

La cour constate, ensuite, qu'en raison des règles adoptées quant à l'attribution de l'aide juridictionnelle à la suite d'un accord entre le barreau et le tribunal, les parents d'un mineur délinquant se voyaient proposer une alternative qui restreignait "à l'évidence" -encore une fois- leur possibilité de libre choix. Ainsi, ils pouvaient faire appel (ou il leur était proposé de faire appel) à un avocat du "Collectif Mineurs" et bénéficier, quelles que soient leurs ressources, de l'aide juridictionnelle et ne pas avoir à rémunérer le conseil qui défendrait leur enfant. Pour les juges bisontins, les justiciables pouvaient certes faire confiance à l'avocat de leur choix ; mais, dans une telle hypothèse, ils étaient soumis aux règles habituelles d'attribution de l'aide juridictionnelle, en particulier quant à la justification de leurs ressources. Aussi, il ne pouvait pas être sérieusement contesté que cette situation créait une limite forte au libre choix du défendeur pour les parents dont un enfant est concerné en tant qu'auteur dans une procédure pénale. Or, la liberté de choix du conseil est un principe essentiel de la profession et la convention incriminée y porte dès lors atteinte, selon les juges.

A la lecture de l'arrêt, nos yeux s'écarquillent "à l'évidence" -nous aussi-, puisque c'est finalement le principe même du collectif qui serait remis en cause, autant que son organisation. D'abord, évoquer la liberté de choix du conseil en pareille circonstance est des plus singuliers, la jurisprudence se référant à ce principe, le plus souvent, en faveur du client qui souhaite changer de conseil en cours d'instance (cf. Cass. civ. 2, 28 avril 2011, n° 10-17.405, FS-D N° Lexbase : A5412HP7). Ensuite, si c'est bien une "organisation favorisant la défense personnalisée des mineurs" et "la désignation du même avocat pour le même mineur dans toutes les procédures pénales" qui sont promues par la convention du 8 juillet 2011, on s'étonnera que le juge brandisse, en la matière, l'oripeaux de la liberté de choix du conseil. Une organisation ente le barreau et le tribunal ne nécessite-t-elle pas un encadrement et un fonctionnement que seule une structure déterminée (association, collectif ou autre) est à même d'assurer ? C'est bien "l'éparpillement" de l'offre de conseil au mépris des intérêts des mineurs justiciables que l'accord du 8 juillet 2011 condamne. L'arrêt de la cour d'appel de Besançon semble donc aller à contre-courant des ambitions de la Chancellerie et du barreau en cause. Nous disons "semble", car en fait c'est l'attribution automatique de l'aide juridictionnelle et la gratuité des services de l'avocat du collectif qui sont, ici, remis en cause.

En effet, pour les juges bisontins, toute l'organisation de la profession d'avocat doit mettre en oeuvre le principe de l'égalité de tous les membres d'un même barreau. Le principe est acquis, il a souvent été invoqué en matière de fixation des cotisations ordinales (cf. Cass. civ. 1, 14 novembre 2001, n° 99-12.735, inédit N° Lexbase : A0935AXW). Mais, l'attribution automatique de l'aide juridictionnelle, en dehors des cas limitativement fixés par la loi aux seuls membres du "Collectif Mineurs" créait, "à l'évidence" -décidément-, une disparité entre les membres du barreau, alors qu'ils supportaient les mêmes charges et contraintes. Dès lors, le principe énoncé était bafoué par les pratiques en vigueur, même s'il résultait d'un accord entre le barreau et la juridiction. C'est oublier, peut-être, que l'égalité ne prévaut que pour autant que les situations soient elles-mêmes équivalentes. Or, faire partie du "Collectif Mineurs", au-delà de pouvoir assurer la défense des jeunes justiciables devant les juridictions pénales, oblige certainement ses adhérents à une certaine disponibilité, à une formation régulière, à un investissement extraprofessionnel, voire personnel, qui n'est pas égalitairement partagé dans la profession. La rationalisation de l'organisation de la défense pénale des mineurs par le truchement d'une association conventionnée souffrait, sans doute, que l'aide juridique, bras armé de l'Etat pour sa politique d'accès à la Justice, serve d'abord et avant tout, les ambitions que le ministère fixe ; quitte à faire une entorse à "la libre concurrence entre avocats", principe jamais invoqué à notre connaissance, dans le cadre de l'exercice de la profession d'avocat, sauf à évoquer la libre concurrence entre les avocats et d'autres professions dans l'exercice du droit.

Enfin, "encore plus fondamentalement", tout avocat doit pouvoir dans l'exercice de sa mission de défense des intérêts de son client disposer de tous les moyens que lui donne la loi. Or, la convention créant ou renouvelant le "Collectif Mineurs" imposait à tout avocat intervenant en son nom de ne pas solliciter la délivrance de la copie du dossier pénal, sauf cas exceptionnels. Il s'agit là, pour le juge, d'une restriction inadmissible à l'effectivité et à l'efficacité des droits de la défense. Le choix d'une telle obligation pourrait-elle avoir un lien avec son caractère payant, au-delà du premier exemplaire délivré (C. proc. pénal, art. R. 165 N° Lexbase : L0076H39) ?

Par conséquent, les conditions de fonctionnement du "Collectif Mineurs" devaient être réformées pour prendre en compte tant les préconisations de la convention du 8 juillet 2011 (sic), ne serait ce que sur la formation devant être délivrée aux avocats volontaires pour participer à de telles structures -prescriptions auxquelles le collectif ne satisfaisait pas a priori-, que les observations de l'arrêt rapporté, sauf à envisager qu'une nouvelle convention soit établie et soumise à la signature des chefs de la juridiction.

Finalement, l'arrêt est bien plus parcimonieux qu'il ne le laisse transparaître. Ce n'est ni l'institution d'un tel collectif, ni l'instauration d'une telle convention d'organisation de la justice pénale des mineurs que les juges bisontins remettent en cause. C'est assurément le fait de confier l'organisation fonctionnelle de l'association à ses représentants selon des critères d'adhésion contestables ; une telle association devant limiter ses ambitions à la coordination des actions de défense des mineurs, plus qu'à l'organisation de l'offre de conseil, la liberté de choix du conseil devant prévaloir avant tout. Or, pour ce faire, l'égalité d'accès à la Justice, par l'intermédiaire ou non du collectif, doit être effective. C'est le monopole de représentation par les avocats des justiciables devant les tribunaux qui est, ici, réaffirmé : ce monopole est acquis à la profession d'avocat et à tous les avocats de la profession.

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