La lettre juridique n°509 du 13 décembre 2012 : Éditorial

De la sexualité des handicapés mentaux : nouvelle controverse de Valladolid

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N4923BTI

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014

Ouf ! La France vient d'échapper à un examen de conscience des plus pénibles grâce à la sagacité calendaire des magistrats strasbourgeois. En plein débat sur le "mariage pour tous", qui renvoie inévitablement à la libre orientation sexuelle, il n'aurait pas été de bon ton que l'Etat et les Français dans leur ensemble envisageassent l'insoupçonnable sexualité des personnes handicapées et, plus particulièrement, des personnes handicapées mentales. En effet, celle-ci "fait peur, non pas qu'elle revête des formes différentes, mais parce que penser la sexualité des autres, surtout quand il s'agit de personnes différentes, renvoie à son propre regard sur la sexualité", estime un rapport sur les problèmes posés par les pratiques de stérilisation des personnes handicapées, datant de mars 1998. Aussi, est-ce sans doute soulagé que l'Etat français accueille cet arrêt rendu, de manière plutôt discrète, par la Cour européenne des droits de l'Homme, le 23 octobre 2012, et qui rejette le recours formé par cinq handicapées mentales se déclarant victimes d'une stérilisation à leur insu, dans les années 1990. La requête de ces cinq femmes a été déclarée irrecevable en raison d'un délai de recours non respecté. Voilà comment, "à raison", le juge européen évacue la question de l'eugénisme et du traitement des jeunes femmes handicapées en Europe et plus singulièrement en France où malgré l'illicéité de l'acte, la pratique fut avérée au point d'avoir été reconnue par l'inspection générale des affaires sociales, dans le rapport public évoqué ci-dessus et publié à la Documentation française.

Les plaignantes, salariées d'un centre d'aide par le travail (CAT) (désormais ESAT), avaient subi à leur insu, entre 1995 et 1998, des opérations chirurgicales de ligature des trompes dans un but contraceptif. En 2007, la cour d'appel de Paris a estimé que la "preuve d'une politique eugéniste concertée au sein du CAT" n'avait pas été apportée et que les stérilisations n'étaient pas irréversibles. Par conséquent, l'atteinte aux articles 214-1 et 214-3 du Code pénal n'était pas caractérisée ; fermez le ban. La Cour de cassation ne dira pas mieux et il ne restait guère que la CEDH pour protéger les "intérêts familiaux" de ces femmes, au regard de l'obligation qui est imposée à l'Etat de contrôler ces centres de travail et au regard de l'incontournable droit au procès équitable -il faut dire que la seule plaignante entendue par la juge l'a été sans avocat et en présence de personnels impliqués dans les stérilisations...-.

Toujours est-il que le couperet est tombé et que la crainte de Marie-Laure Lagardère, Hélène Strohl et Bernard Even, auteurs du fameux rapport, ne se réalisera pas. En effet, bien que la stérilisation contrainte fut pratiquée en France, même sur des personnes handicapées, en nombre peu élevé, bien que cet acte fut illicite, l'affirmation de l'illégalité de ces stérilisations aurait un fort impact et susciterait le trouble. Mais, les auteurs du rapport estimaient, toutefois, que le risque contentieux était faible ; l'argument de l'illégalité n'ayant pas été invoqué devant un tribunal depuis 1937.

Pour ainsi dire, il faut remonter aux heures sombres de l'Histoire pour retrouver la trace des programmes officiels de stérilisations contraintes. Point besoin de se cantonner aux programmes eugéniques nazis, le Japon et les Etats-Unis avaient ouvert le bal auparavant, stérilisant les handicapés mentaux et les personnes sujettes à des troubles psychiques, quand ce n'étaient pas les sourds, les aveugles et les épileptiques, au début du XXème siècle.

Au sein de l'Union européenne, l'eugénisme est désormais clairement prohibé par Charte des droits fondamentaux et la France, bien entendu, réprime sévèrement ce "crime contre l'espèce humaine".

Pour autant, même si l'on peut considérer que "la stérilisation des handicapés est une négation de leur dignité", rien ne prouve que le centre d'aide par le travail avait mis en application une politique eugénique, comme le soulignaient les juges parisiens. En effet, le texte pénal ne prend en considération qu'une seule acceptation de l'eugénisme, celle qui s'inscrit dans le cadre d'une "organisation de la sélection des personnes" : pour qu'il y ait eugénisme, il faut qu'il y ait une politique délibérée. Or, ne peut-on pas considérer que l'eugénisme puisse être, également, le résultat collectif d'une somme de décisions individuelles convergentes ? Une acceptation que l'Etat ne peut envisager, d'abord et avant tout, parce qu'elle ferme la voie à l'avortement après diagnostique prénatal d'un handicap. Ensuite, il est probable que, bien que conscient de ses défaillances en la matière vis-à-vis des femmes ainsi stérilisées, l'Etat n'a nulle envie de se justifier sur un sujet aussi sensible. Car, si ce n'est pas le scandale de la stérilisation comme atteinte à l'intégrité physique des jeunes femmes handicapées qui l'éclabousse, ce serait celui de ces centres de travail où les conditions de travail de ces mêmes personnes sont des plus singulières -les dispositions du Code du travail ne s'appliquant pas aux travailleurs handicapés des ESAT, sauf celles concernant la sécurité, l'hygiène et la médecine du travail et ces travailleurs pouvant être rémunérés à hauteur de 55 % du Smic horaire-.

Désormais, la question de l'eugénisme par le biais de la stérilisation contrainte est remisée pour un temps, mais celle du droit à l'eugénisme pourrait bien ressurgir à l'occasion d'une affaire "Kruzmane c/ Lettonie" sur laquelle doit prochainement se pencher la Cour de Strasbourg. Selon les observations en tierce intervention, il sera, alors, demandé à la "conscience de l'Europe" de se prononcer sur la question suivante : "La Convention garantit-elle aux parents un droit à l'eugénisme, et en particulier à la procédure de dépistage-élimination prénatale des foetus malades ou handicapés ? Si oui, l'Etat a-t-il une obligation positive à cet égard ?".

Le pavé est dans la marre ; les Etats et l'Europe dans son ensemble vont-ils continuer à esquiver la question fondamentale qui leur est ainsi posée, sans pour autant contrarier le droit à l'avortement reconnu dans la majorité des Etats parties à la Convention ?

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