La lettre juridique n°831 du 9 juillet 2020 : Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] Précisions sur la constitution de partie civile d’un débiteur en liquidation judiciaire

Réf. : Cass. crim., 24 juin 2020, n° 18-85.540, FS-P+B+I (N° Lexbase : A21113PU)

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université Côte d'Azur, Directeur du Master 2 Administration et liquidation des entreprises en difficulté de la Faculté de droit de Nice, Membre CERDP (EA 1201)

le 08 Juillet 2020

Un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation mérite une attention particulière par les éclaircissements et enseignements qu’il apporte sur la question de la constitution de partie civile d’un débiteur en liquidation judiciaire, laquelle a fait naître des discussions, sous l’empire de la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT).

En l’espèce, la responsabilité pénale d’une personne, expert-comptable, qui avait délivré des attestations aux termes desquelles des apports en compte courant avaient été faits à des sociétés ayant pour objet la promotion immobilière, a été recherchée. En effet, ces attestations se sont révélées inexactes et des sociétés civiles immobilières, qui avaient commandé des travaux, en ont subi un préjudice, à tel point qu’elles se sont retrouvées en liquidation judiciaire.

Une enquête préliminaire, puis une information judiciaire ont été ouvertes, contre l’expert-comptable, qui a été renvoyé devant le tribunal correctionnel.

Un mandataire ad hoc a été désigné à charge de se constituer partie civile au nom des sociétés civiles immobilières, en sollicitant la condamnation à des dommages et intérêts. Les premiers juges sont entrés en voie de condamnation et la Chambre criminelle de la Cour de cassation va les censurer pour deux motifs tout aussi intéressants, et qui sont de nature à éclairer grandement la question de la constitution de partie civile par un débiteur en liquidation judiciaire.

La Chambre criminelle va juger, au visa de l’article L. 641-9, I du Code de commerce (N° Lexbase : L7329IZH), que le débiteur ne peut se constituer partie civile que dans le but de déclencher ou de soutenir l’action publique, le liquidateur disposant seul de la faculté d’exercer l’action civile afin d’assurer la défense des intérêts patrimoniaux de ce dernier. Elle prend le soin de préciser que ce principe s’applique lorsque sont en cause les seuls intérêts civils, mais encore lorsque la constitution de partie civile est associée à l’action publique.

Elle va également estimer que ni le représentant statutaire de la personne morale mise en liquidation judiciaire, ni son mandataire désigné en lieu et place des dirigeants sociaux, n’est recevable à solliciter la réparation du préjudice subi par le débiteur.

Nous allons successivement examiner ces deux questions.

I. La demande de réparation refusée au débiteur

Selon l’article L 641-9, I du Code de commerce, « le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens même de ceux qu'il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n'est pas clôturée. Les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur ».

L’alinéa 2 ajoute que « toutefois, le débiteur peut se constituer partie civile dans le but d'établir la culpabilité de l'auteur d'un crime ou d'un délit dont il serait victime ».

Cette solution est parfaitement logique puisqu’une telle faculté est constitutive d’un droit attaché à la personne du débiteur.

L’article L. 641-9, I alinéa 2, du Code, dans la rédaction que lui donne la loi de sauvegarde des entreprises, a supprimé la réserve contenue dans la loi de 1985 (loi n° 85-98 N° Lexbase : L7852AGW) selon laquelle le débiteur devait limiter son action à la poursuite de l’action publique sans solliciter de réparation civile. En effet, cette réserve était apparue « peu justifiée » [1]. En conséquence, il semblait que non seulement le débiteur pouvait se constituer partie civile, mais, en outre, qu’il pouvait demander une indemnisation.

Telle n’a pas été la solution retenue par la Chambre criminelle de la Cour de cassation. Par un premier arrêt du 9 mars 2016 [2], elle a jugé que « le débiteur en liquidation judiciaire ne peut se constituer partie civile que dans le but d'établir la culpabilité de l'auteur du crime ou du délit dont il serait victime, ses droits et actions de nature patrimoniale étant exercés, pendant toute la durée de la liquidation judiciaire, par le liquidateur ; par conséquent, est irrecevable le pourvoi formé, sans le concours du liquidateur, par la partie civile placée en liquidation judiciaire lorsque ne sont plus en cause que les intérêts civils ».

C’est la solution qu’elle réaffirme dans l’arrêt du 24 juin 2020. L’action du débiteur doit se limiter à soutenir ou déclencher l’action publique. Il ne peut solliciter des dommages et intérêts. Le droit personnel du débiteur échappe au dessaisissement. Or constitue un tel droit celui de se constituer partie civile pour déclencher ou soutenir l’action publique afin d’établir la culpabilité d’un prévenu.

En revanche, l’indemnisation du préjudice est quant à elle de nature strictement patrimoniale. Par conséquent, il s’agit d’une action soumise comme telle au dessaisissement, lequel désigne, selon un auteur ayant consacré sa thèse à la question [3], « la mesure de garantie de l’intérêt collectif des créanciers tendant à la protection et à la reconstitution du gage commun » [4]. Le dessaisissement présente donc un lien direct avec le gage commun, dont le liquidateur a la charge de la conservation et à la reconstitution. Par conséquent, dès lors que l’action met en jeu le gage commun des créanciers, seul le liquidateur judiciaire peut agir. Par voie de conséquence, cela entraîne l’irrecevabilité de l’action du débiteur et, s’il est une personne morale, de son représentant statutaire.

II.  L’irrecevabilité de la demande de réparation émanant du mandataire ad hoc

Dans l’affaire soumise à la Chambre criminelle de la Cour de cassation, un mandataire ad hoc avait été désigné pour exercer l’action civile et il entendait obtenir l’indemnisation du préjudice des sociétés dont il avait été nommé mandataire ad hoc. Ce droit lui avait été reconnu par les juges du fond.

La présence de cet organe apparaissait pourtant insolite. En effet, la liquidation judiciaire n’était pas clôturée. Alors pourquoi avoir nommé ce mandataire ad hoc ?

Les textes applicables aux faits de l’espèce sont ceux issus de la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005, non ceux de la loi du 25 janvier 1985.

L’article L. 641-9, II, alinéa 1er, du Code de commerce indique que « lorsque le dirigeant est une personne morale, les dirigeants sociaux en fonction lors du prononcé du jugement de liquidation judiciaire le demeurent, sauf disposition contraire des statuts ou décision de l’assemblée générale. En cas de nécessité, un mandataire peut être désigné en leur lieu et place par ordonnance du président du tribunal sur requête de tout intéressé, du liquidateur ou du ministère public ».

Un rappel historique est nécessaire pour comprendre ce qui a pu, en l’espèce, expliquer qu’un mandataire ad hoc soit désigné.

En droit des procédures collectives, sous l’empire de la législation du 25 janvier 1985, une difficulté se présentait. En effet, l’article 1844-7, 7° du Code civil (N° Lexbase : L2027ABP), tel qu’il résulte de la rédaction que lui a donnée la loi n° 88-15 du 5 janvier 1988, prévoit que « la société prend fin […] 7° par l’effet du jugement ordonnant la liquidation judiciaire ou la cession totale des actifs de la société ».

Pour sa part, l’article 1844-8 du Code civil (N° Lexbase : L2028ABQ), dans la rédaction de la loi du 5 janvier 1988, disposait, en son alinéa 1er, que « la dissolution de la société entraîne sa liquidation ». L’alinéa 2 prévoit la désignation d’un liquidateur. Il s’agit là d’un liquidateur, au sens du droit des sociétés.

Par conséquent, la combinaison des articles 1844-7, 7° et 1844-8 du Code civil conduisait à désigner un liquidateur au sens du droit des sociétés ou un mandataire ad hoc pour l’exercice des droits propres d’une société dissoute par l’effet du prononcé de la liquidation judiciaire.

Si le débiteur, qui était une société, voulait se constituer partie civile, la désignation d’un mandataire ad hoc s’imposait.

C’est la solution qui a été suivie en l’espèce. Avant la loi de sauvegarde des entreprises, il avait en effet été jugé que le dirigeant social n’était plus maintenu en fonction en cas de liquidation judiciaire, du fait de la dissolution de la société qu’elle entraînait. Il en résultait l’obligation de faire nommer un mandataire ad hoc pour représenter la société débitrice poursuivie au pénal [5].

Cependant, si la solution a été justifiée sous l’empire de la loi du 25 janvier 1985, et que la force de l’habitude a pu conduire à poursuivre au-delà son application, elle n’était plus d’actualité, sous l’empire de la loi du 26 juillet 2005.

La loi de sauvegarde a en effet écarté l’application mécanique de l’article 1844-8 du Code civil en décidant que, par principe, le dirigeant social en fonction le demeurait pendant le cours de la liquidation judiciaire.

Par conséquent, il n’y avait pas ici matière à désigner un mandataire ad hoc.

En outre, ce mandataire ad hoc ne pouvait avoir d’autres fonctions que de représenter le débiteur au titre de ses droits propres ou de ses droits personnels. En revanche, il ne pouvait représenter le débiteur au titre de ses droits patrimoniaux, du fait du dessaisissement. Ce pouvoir n’appartient qu’au seul liquidateur.

La conclusion s’impose dès lors : ce mandataire ad hoc désigné alors que la liquidation judiciaire des sociétés recherchant une indemnisation n’est pas clôturée, est irrecevable à demander l’indemnisation au nom des sociétés qu’il représente, car il ne défend que leur intérêt personnel et leur intérêt propre, non leur intérêt patrimonial, la défense de ce dernier n’appartenant qu’à l’organe de défense de l’intérêt collectif des créanciers, encore en fonction, à savoir le liquidateur.

 

[1] Rapport Xavier de Roux, n° 2095, p. 637 [en ligne].

[2] Cass crim., 9 mars 2016, n° 14-86.631, FS-P+B (N° Lexbase : A1670Q7Y),  Gaz. Pal., 12 avril 2016, n° 14, p. 66, note D. Voinot ; D., 2016, 1606, n° 6, note Pichon.

[3] B. Ferrari, Le dessaisissement du débiteur en liquidation judiciaire – contribution à l’étude de la situation du débiteur sous procédure collective, P.-M. Le Corre (dir.), thèse, Nice 2019, n° 739.

[4] Sur la définition de l’action tendant à la défense de l’intérêt collectif des créanciers, Cass. com., 2 juin 2015, n° 13-24.714, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8367NIQ) ; D., 2015, actu 1205, note A. Lienhard ; D., 2015, pan. 1974, note P.-M. Le Corre et 1977, note F.-X. Lucas ; D., 2015, études, 2207, note Tréard ; Gaz. Pal., 21 juillet 2015, n° 200, p. 28, note Ch. Gailhbaud ; Gaz. Pal. entrep. en diff., 20 octobre 2015, n° 291, p. 29, note I. Rohart-Messager ; Act. proc. coll., 2015/12, comm. 184, note F.-X. Lucas ; JCP E 2015, chron. 1422, n° 7, note Ph. Pétel ; JCP E, 2015, 1522, note S. Le Gac-Pech ; Gaz. Pal., 2015, 3143, note J. Théron ; Rev. proc. coll., 2016, comm. 73, note Jacotot ; P.-M. Le Corre, in chron., Lexbase Affaires, juillet 2015, n° 432  (N° Lexbase : N8395BUH).

[5] Cass. crim., 10 février 2010, n° 08-87.357, FS-P+F (N° Lexbase : A4470ESD).

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