La lettre juridique n°822 du 30 avril 2020 : Procédure administrative

[Le point sur...] Le point sur les contentieux sociaux devant le juge administratif

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Lorraine et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Procédure administrative"

le 30 Avril 2020

contentieux sociaux - juge administratif

La réforme des contentieux sociaux a longtemps été considérée comme « impossible » [1], ou comme un véritable « serpent de mer » [2]. Les enjeux posés par les contentieux sociaux sont pourtant énormes. Il suffit de comptabiliser, chaque année, par exemple, le nombre d’accidents de travail, de maladies professionnelles ou encore le nombre de bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) ou encore les personnes percevant l’allocation aux adultes handicapés. Les appels à l’unification des contentieux et les propositions de réforme existent, pourtant, depuis longtemps [3]. Mais il n’y a jamais eu de suite faisant, au final, de ces contentieux, les « parents pauvres d’une justice pauvre » [4] et ne laissant, au final, que les plus faibles et les plus démunis dans l’embarras. C’est un ensemble complètement hétérogène et méconnu qui s’est formé au gré de l’attribution de tel contentieux à tel ordre juridictionnel (judiciaire ou administratif) ou à telle juridiction (de droit commun ou spécialisée) et au gré de l’enchevêtrement des compétences. Le tout au détriment de la justiciabilité de nombreux droits sociaux et d’une lisibilité très peu évidente pour les justiciables. Les contentieux concernant des prestations de même nature, poursuivant un même but ou une même population, pouvaient ainsi être attribués à des juges ou ordres différents sans que cela ne corresponde à une quelconque logique rationnelle, une véritable « schizophrénie judiciaire » [5].

La répartition du contentieux se faisait de la façon suivante avant la réforme. Le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) traitait du contentieux général (CSS, art. L. 142-1 N° Lexbase : L7777LPQ et L. 142-2 N° Lexbase : L8303LQL) [6]. Le contentieux technique de la Sécurité sociale relevait en première instance des tribunaux du contentieux de l’incapacité (TCI) [7]. En ce qui concerne le contentieux de l’aide sociale, certains différends (RMI, aide sociale aux personnes âgées, APA, aide sociale aux personnes handicapées, attribution en urgence de la prestation de compensation handicap (PCH), recours sur succession après octroi d’aides sociales, AME, CMU-C, aide au paiement de complémentarité santé (ACS)) relevaient des juridictions de l’aide sociale (commissions départementales d’aide sociale et commission centrale d’aide sociale) qui étaient des juridictions spécialisées de l’ordre administratif. Le juge administratif de droit commun était, lui, compétent pour les litiges liés à l’APL, à l’ASE, au DALO, au RSA ou encore à l’insertion professionnelle et sociale des adultes handicapés. Enfin, le juge judiciaire de droit commun jouissait, de son côté, d’une compétence résiduelle principalement pour les litiges en matière d’aide sociale à l’enfance mettant en cause l’état des personnes et pour fixer les sommes à la charge de chacun des obligés alimentaires.

Au regard du contexte et de l’extrême précarité de certains justiciables, l’urgence d’une réforme devenait évidente. Dans le but de faciliter l’accès à la justice sociale, la loi de modernisation de la justice du XXIème siècle [8] et ses textes d’application [9] ont remanié toute l’organisation juridictionnelle du traitement des contentieux concernés en supprimant les juridictions du contentieux général de la Sécurité sociale et de l’aide sociale et du contentieux de l’incapacité et de l’aide sociale à la date du 1er janvier 2019. Leurs contentieux ont été redistribués entre les deux ordres juridictionnels et transférés ainsi vers les tribunaux judiciaires spécialement désignés ou devant les tribunaux administratifs (TA) pour une partie des contentieux portés devant les commissions départementales d’aide sociale (CDAS). Les tribunaux des affaires de sécurité sociale (TASS), tribunaux du contentieux de l’incapacité (TCI) et des commissions départementales d’aide sociale (CDAS) ont ainsi rendu leurs dernières décisions le 31 décembre 2018.

Dans l’ordre administratif, les tribunaux administratifs, statuant en juge unique en premier et dernier ressort, sont, désormais, les seules juridictions administratives appelées à connaître des contentieux sociaux, c'est-à-dire les contentieux qui, selon le Code de justice administrative, portent sur les « requêtes relatives aux prestations, allocations ou droits attribués au titre de l'aide ou de l'action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d'emploi [...] » (CJA, art. R. 772-5 N° Lexbase : L0819IYY, étant précisé que, le contentieux du droit au logement opposable, dévolu aussi au juge administratif, est géré à travers les règles particulières de l’article L. 441-2-3-1 du Code de la construction et de l’habitation N° Lexbase : L7687LCP). Dans le volet judiciaire, seuls les pôles sociaux des tribunaux judiciaires sont compétents pour connaître des autres contentieux de l'aide sociale (litiges relatifs à la CMU-C, à l'assurance complémentaire santé, à la prestation de compensation du handicap ainsi que les recours en récupération et les recours sur les obligés alimentaires).

Concernant les tribunaux administratifs, les règles de procédure applicables ont été unifiées [10]. Ce mouvement d'unification ne s’est néanmoins pas accompagné d'une harmonisation des contours de l'office du juge administratif statuant en matière sociale. De plus, dans le but de réguler ce contentieux de masse, le législateur a obligé les justiciables à effectuer, au préalable de leur saisine contentieuse, de nombreux recours administratifs gracieux (RAPO) [11] voire, au surplus de ces recours, des médiations préalables additionnelles [12]. Outre la maladresse de la formule [13], ces médiations constituent un préalable supplémentaire à la saisine du juge si on les ajoute au RAPO, « c'est une vraie course d'obstacles que se verraient imposer des justiciables fragiles avant d'atteindre le juge » [14]. Si cela contrebalance la volonté initiale de favoriser l’accès au juge, il faut néanmoins relever une évolution notable de la jurisprudence. Le Conseil d’Etat fait aujourd’hui preuve de souplesse dans les exigences procédurales et met en avant une approche faisant primer davantage la personne du justiciable sur la légalité de l’acte en généralisant, notamment, devant le juge administratif, le plein contentieux en matière d’aide et d’action sociale (I). Mais la simplification apparait, en définitive, assez « relative » dans la mesure où les conséquences qu'il convient d'en tirer sur les contours de l'office du juge varient selon la nature de la décision contestée. Il y a beaucoup de nuances en fonction de l’objet de la demande et l’office du juge n’est pas identique selon l’objet de la prestation (II).  

I - Une volonté générale visant à faire primer la personne du justiciable sur la légalité de l’acte

Cette volonté visant à faire primer la personne du justiciable sur la légalité de l’acte a toujours existé dans les contentieux présents devant le juge administratif, avant la réforme, puisque le plein contentieux concernait déjà la plupart des contentieux sociaux devant le juge administratif (A). Mais, dans un mouvement assez libéral visant à unifier le contentieux et à rendre plus concret les droits des justiciables, le juge administratif a décidé de généraliser le plein contentieux à tous les contentieux sociaux (B).

A - Un plein contentieux déjà bien présent

C’est d’abord le contentieux des décisions de récupération d'indu, c'est-à-dire celles par lesquelles l'administration remet en cause des paiements déjà effectués, qui a relevé du plein contentieux. Il en a été ainsi à propos des aides personnalisées au logement [15] comme des sanctions infligées en matière sociale [16]. Par la suite, c’est le contentieux de l’allocation RSA qui a été confié, par le législateur, au juge administratif de droit commun alors qu’il avait, jusqu’alors, été exclu de son champ d’intervention traditionnel [17]. Alors que certains tribunaux administratifs avaient appréhendé ces recours en tant que juge de l’excès de pouvoir, le Conseil d’Etat a clarifié la situation en sens inverse. Inspirée par son avis contentieux « Douwens-Prats » [18], il a précisé que l’office du juge, par la nature même du contentieux social qui lui est soumis, implique que ce dernier dispose de pouvoirs larges et étendus, excédant ceux d’un juge de l’annulation.

Les recours en matière de RSA doivent donc être analysés comme des recours de plein contentieux objectif [19]. A cet égard, l’avis du Conseil d’Etat « Lavie » [20] précise qu’il appartient au juge non seulement d’apprécier la légalité de la décision relative au RSA mais aussi de se prononcer sur les droits effectifs du demandeur à l’allocation jusqu’à la date à laquelle il statue. Le Conseil d’État a ainsi confirmé l’office qu’il avait en la matière, office qui s’étend également aux demandes de remise de dette, résultant de trop perçus par les allocataires comme l’a précisé, par la suite, un second avis « Popin » [21]. Les tribunaux administratifs ont été, ensuite, amenés à prendre position sur des questions que soulève traditionnellement l’office du juge de plein contentieux, à commencer par le caractère opérant, ou non, des moyens de forme et de procédure [22]. Si certains juges du fond ont considéré que ces moyens étaient opérants et qu’ils pouvaient conduire juste à l’annulation sèche de la décision, d’autres ont jugé que de tels moyens étaient opérants sans que cette solution ne les conduise toutefois à simplement annuler et se sont déterminés autant sur la légalité des décisions litigieuses, que sur les droits du demandeur.

Le Conseil d’Etat a fini par trancher la question en 2012 par une décision de section « Mme Labachiche » [23] qui précise la portée des moyens articulés par les requérants dans le cadre des recours de plein contentieux relatifs au RSA [24]. La section du contentieux a, plus récemment, redéfini l’office du juge en faisant en sorte que celui-ci apprécie non pas tant la décision attaquée mais la situation du requérant [25]. Au final, les contentieux qui ressortissaient auparavant de la compétence des juridictions administratives spécialisées ont, ainsi, par la suite, relevé du plein contentieux mais les contentieux qui avaient toujours été jugés par les juridictions administratives de droit commun continuaient d'être jugés en excès de pouvoir que ce soit les recours contre les décisions en matière d'aide sociale à l'enfance [26], les recours contre le refus d'inscription sur la liste des demandeurs d'emploi [27], les recours contre les refus d'attribution de la carte de stationnement pour personne handicapée [28] ou encore les recours contre un refus de remise gracieuse en matière d'APL [29].

B - Un plein contentieux désormais généralisé

Quatre décisions de section rendues le 3 juin 2019 harmonisent l'office du juge administratif appelé à connaître des contentieux sociaux en faisant basculer, dans le plein contentieux, les recours contre l'ensemble des décisions déterminant les droits et des décisions de remise gracieuse en matière sociale. Il appartient désormais au juge, dans tous les contentieux sociaux définis à l'article R. 772-5 du Code de justice administrative, à l'exception du contentieux du DALO, de se prononcer sur le bénéfice de la prestation sollicitée [30] ou d'examiner si la remise gracieuse sollicitée est susceptible d'être accordée [31].

Dans les deux premières décisions, « Vainqueur » et « Ziani », le Conseil d’Etat confirme les caractéristiques de son office pour l’étendre à d’autres domaines du contentieux social : celui portant sur la détermination des droits au revenu de remplacement des travailleurs privés d’emploi (en l’espèce l’allocation de solidarité spécifique, ASS) et celui portant sur la délivrance de cartes de stationnement pour personnes handicapées. Il appartient, dans ce champ et désormais, au juge administratif « […] non de se prononcer sur les éventuels vices propres de la décision attaquée, mais d’examiner les droits des intéressés […] » et « […] d’annuler ou de réformer, s’il y a lieu, cette décision, en fixant alors lui-même tout ou partie des droits de l’intéressé et en le renvoyant, au besoin, devant l’administration afin qu’elle procède à cette fixation pour le surplus […] ».

Dans ces décisions qui déterminent le droit de l'intéressé à la prestation qu'il sollicite, la généralisation du plein contentieux permet au requérant, plutôt que d'obtenir une simple annulation de la décision attaquée, de se voir reconnaître par le juge lui-même, le cas échéant, le droit à la prestation. Il permet aussi une meilleure prise en compte de la réalité de la situation de l'intéressé, sur l'ensemble des périodes concernées par une prestation. Des éléments factuels postérieurs à la date de la décision contestée peuvent être pris en compte ce qui est important dans les contentieux sociaux, où les facteurs d'éligibilité sont susceptibles d'évoluer dans le temps [32]. Dans l’arrêt Vainqueur, le juge a annulé la décision de refus de l’ASS en renvoyant à Pôle emploi le soin de déterminer les droits du requérant pour la période en cause tandis que, dans l’arrêt « Ziani », il a enjoint au président du conseil départemental de délivrer la carte de stationnement illégalement refusée.

Dans les deux autres espèces, le Conseil d’Etat a mis en cohérence son office en l’adaptant à deux autres contentieux sociaux plus spécifiques où l’administration compétente exerce un large pouvoir d’appréciation. Le premier contentieux concerné, celui de l’arrêt « Charbonnel », est celui qui concerne les recours dirigés contre les décisions refusant ou ne faisant que partiellement droit à une demande de remise gracieuse d’un indu d’une prestation ou d’une allocution versée au titre de l’aide ou de l’action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d’emploi. C’est là que le passage au plein contentieux est le plus discutable dans la mesure où le juge administratif n’a, normalement, pas le pouvoir de reconnaitre lui-même une remise gracieuse. Mais il a préféré une certaine unité en la matière dans la mesure où, concernant des indus au titre du RSA, la décision « Mme Handoura » avait déjà fait la bascule dans le plein contentieux [33]. L’idée étant de ne pas différencier l’office du juge pour les indus au titre d'une autre prestation sociale.

Le second contentieux, celui de l’arrêt « Département de l’Oise », que le juge administratif fait rentrer dans le plein contentieux, concerne la prise en charge, au titre de l’aide sociale à l’enfance (ASE), des mineurs de moins de vingt-et-un ans éprouvant des difficultés d’insertion sociale faute de ressources ou d’un soutien familial suffisant. Le Conseil d’Etat exerçait précédemment un contrôle restreint en la matière eu égard à la marge d’appréciation laissée au président du Conseil départemental pour accorder ou maintenir la prise en charge [34].       

II - Une volonté générale qui demeure néanmoins marquée par une certaine hétérogénéité dans l’office du juge

Malgré la généralisation du plein contentieux à tous les contentieux sociaux devant le juge administratif, l'hétérogénéité continue à prévaloir dans la mesure où les contours de l'office du juge de l'aide sociale peuvent différer encore selon l’objet de la prestation au cœur du différend (A). Des jurisprudences plus récentes amènent toujours, de même, à limiter, par certains points, l’accès au contentieux pour les justiciables (B).   

A - Un office qui continue à varier selon l’objet de la prestation au cœur du différend

Dans l’espèce « Département de l’Oise » sur la question de l’attribution de l’ASE par le biais d’un contrat jeune majeur, on a pu relever que l’administration disposait, en la matière, d’un large pouvoir d’appréciation ce qui heurtait directement la mise en place d’une logique de plein contentieux dans l’office du juge. Ce dernier doit en effet concilier le contrôle restreint avec le caractère inopérant des vices propres de la décision attaquée et le principe selon lequel le juge de plein contentieux statue au regard des circonstances de fait existant à la date de sa décision [35]. Dans l’arrêt en question, le juge s’autolimite dans les pouvoirs qui lui permettent notamment d’admettre l’intéressé au bénéfice de la prestation. Seule une erreur manifeste d’appréciation au regard du dossier qui lui est communiqué peut conduire le juge à réformer la décision prise [36]. Si la notion ne figure pas dans l’arrêt, il est clairement rappelé que le juge doit faire preuve de retenue en la matière et ne pas se transformer en juge administrateur [37] et [38].

L’autre question amenant à un manque d’hétérogénéité dans l’office du juge concerne les contentieux de la récupération des prestations d’aide et d’action sociales. Cela concerne, plus précisément, les recours dirigés contre des décisions déterminant les droits d'une personne ou contre des décisions refusant ou ne faisant que partiellement droit à une demande de remise gracieuse en matière d'aide ou d'action sociale. Pour ces deux catégories de décisions, les décisions du 3 juin 2019 amènent à ce que les moyens tirés des vices propres de la décision attaquée, notamment tout ce qui touche à la légalité externe, sont inopérants dans la mesure où ils ne présentent pas d’intérêt pour le justiciable. Dans ce cadre, le juge statue directement sur les droits du requérant.

Cette solution n’a cependant pas été étendue au contentieux de l’indu qui, relevant du plein contentieux objectif, voit les moyens tirés d’un vice propre être toujours opérants. Cela implique que le juge de l’indu doit apprécier à la fois la régularité et le bien-fondé de la décision de récupération. La règle est la même concernant les recours dirigés contre les sanctions en matière d'aide sociale pour lesquelles la régularité et le bien-fondé de la décision peuvent également être utilement invoqués par le requérant. S’il y a, dans les deux cas, un intérêt pour le requérant, cette distinction de l’office du juge dans ces contentieux est néanmoins source d’une « certaine complexité » pour certains [39]

B - Des jurisprudences qui continuent à limiter encore l’accès des justiciables au prétoire

Outre la généralisation du plein contentieux dans l’ensemble des contentieux sociaux, il y a tout un ensemble de décisions qui ont été prises par le juge administratif apportant des garanties de forme et de procédure au profit des justiciables dans les contentieux sociaux. C’est le cas notamment pour les bénéficiaires du RSA où, dans deux décisions rendues le 8 juillet 2019, le Conseil d’État a rappelé l’obligation faite aux agents de contrôle d’être assermentés et agréés [40] tout en soumettant la décision de récupération d’indu à l’obligation de motivation et en conditionnant la légalité des amendes au respect du principe du contradictoire [41].

Le Conseil d’Etat, au fil de ses décisions, a aussi assoupli, pour les contentieux sociaux, certaines contraintes de la procédure classique. Ainsi, il a considéré, en revenant sur les règles particulières applicables à l’instruction et au jugement des requêtes en matière de contentieux social (CJA, art. R. 772-5 à R. 772-10), que le juge ne pouvait pas rejeter une requête comme irrecevable sans instruction ni audience avant d’avoir informé le requérant de la nécessité de lui soumettre une argumentation propre à appuyer sa demande et les pièces utiles [42]. Il fait ainsi reposer sur le juge la charge relative à l’exigence de production de certaines pièces déterminantes.

De même, dans un avis du 14 octobre 2019 [43], il met en avant le fait que si la présentation de la requête par voie électronique implique qu’elle soit accompagnée d’un inventaire détaillé des pièces qui y sont jointes (CJA, art. R. 772-5 à R. 772-10), cette exigence ne s'impose pas, dans les contentieux sociaux, au défendeur tenu de communiquer les pièces en sa possession. Le défenseur, dans le cadre de ces contentieux, n’est pas tenu de communiquer l’inventaire détaillé des pièces lorsqu’elles sont envoyées par Télérecours.

Pour autant, dans certaines décisions, le juge administratif se livre, à l’inverse, à une véritable « action d’apurement des contentieux sociaux » [44]. Il avait déjà considérablement minimisé la portée d'une délibération du conseil départemental du Haut-Rhin approuvant « le principe de l’instauration d’un dispositif de service individuel bénévole que pourraient effectuer les bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) et qui conditionnerait le versement de cette allocation ». Il avait estimé qu'elle n'obligeait pas les bénéficiaires du RSA à mener une action sociale bénévole. Le versement du RSA peut être suspendu si le bénéficiaire ne respecte pas le contrat d'insertion qu'il a conclu avec le département. En revanche, le fait que le bénéficiaire n'aurait pas accompli des démarches non requises dans le contrat d'insertion n'est pas un motif de suspension. Les engagements que peut prévoir le contrat d'insertion portent sur des actions d'insertion professionnelle, et non d'insertion sociale ou professionnelle.

Le Conseil d’Etat a, ensuite, considéré que la mise en demeure de payer l’indu de RSA constitue un acte préparatoire insusceptible de recours dans la mesure où elle intervient entre la décision de récupération et la décision de contrainte si le remboursement n’a pas eu lieu dans le délai imparti et que ces deux décisions sont toutes les deux susceptibles de recours [45]. Après la mise en demeure de payer un trop-perçu de RSA, c’est le contrat d’insertion, qui fixe les obligations du bénéficiaire et conditionne le versement des droits, qui a été qualifié d’acte insusceptible de recours devant le juge administratif [46]. Le document dénommé « contrat librement débattu » (prévu aux articles L. 262-35 N° Lexbase : L6627I7L et L. 262-36 N° Lexbase : L6628I7M du Code de l’action sociale et des familles) ne place pas le bénéficiaire du RSA dans une situation contractuelle vis-à-vis du département qui lui verse ce revenu et n'est pas un acte faisant grief. Il n'est ni un contrat de droit public, ni même un contrat tout court mais un simple « document intitulé contrat d'engagement ».

Si la qualification d’actes administratifs non susceptibles de recours est logique sur le fond dans la mesure où ces actes se bornent à formuler des recommandations dépourvues d’effet juridique ou qu’ils n’emportent aucune obligation mais la solution, qui concerne un contrat qui fixe des obligations d’insertion professionnelle dont le manquement peut être sanctionné par la suspension du versement de droits sociaux, reste plus que discutable [47].  

Comme peut le noter Virginie Donier, on peut relever, en définitive, que « la généralisation du plein contentieux n’est finalement pas synonyme d’une stricte unification de l’office du juge dans le champ des contentieux sociaux : mais la question est à présent de savoir comment les juges du fond vont se saisir de ces pouvoirs plus étendus et avec quelle objectivité ils vont apprécier les différentes situations de fait qui leur sont soumises, la précarité sociale étant parfois difficilement quantifiable » [48].

 

[1] Cf. A. Supiot, L’impossible réforme des juridictions sociales, RDAS, 1993, n° 1, p. 97 et suiv.

[2] Y. Bernand, Approche de la réforme des juridictions sociales du point de vue du pôle social de Roanne, GP, 2019, 5 février, n° 5, p. 13 et suiv.

[3] Voir, déjà en 1954, P. Laroque, Contentieux social et juridictions sociales, Droit social, 1954, p. 271 et suiv.

[4] Y. Bernand, Approche de la réforme des juridictions sociales du point de vue du pôle social de Roanne, op.cit.

[5] M. Borghetto, Les juridictions sociales en question, Regards 2015/1, n° 47, p. 26 et suiv.

[6] Qui pouvait ensuite être porté devant les cours d’appel et la Cour de cassation.

[7] Ce contentieux technique relevait en appel de la Cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail (CNITAAT), à l’exception du contentieux de la tarification qui était appréhendé par la CNITAAT statuant en premier et dernier ressort (CSS, art. L. 143-1 N° Lexbase : L8682LCK à L. 143-4). Un pourvoi pouvait ensuite être formé devant la Cour de cassation.

[8] Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, de modernisation de la justice du XXIème siècle (N° Lexbase : L1605LB3), JO, 19 novembre 2016, texte n° 1.

[9] Décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018, relatif au contentieux de la Sécurité sociale et de l'aide sociale (N° Lexbase : L6292LMY) (JO, 30 octobre 2018, texte n° 11) et ordonnance n° 2018-358 du 16 mai 2018, relative au traitement juridictionnel du contentieux de la Sécurité sociale et de l'aide sociale (N° Lexbase : L3753LK9) (JO, 17 mai 2018, texte n°6).

[10] Par exemple, l’obligation pour l'administration de transmettre l’ensemble du dossier constitué pour l'instruction de la demande, l’obligation pour le juge d'inviter à régulariser une requête qui ne serait pas motivée, la possibilité de clore l'instruction après les observations orales des parties, voire même après l'audience et la dispense du ministère d'avocat.

[11] C’est le cas, par exemple, en matière de RSA (CASF, art. L. 262-47 N° Lexbase : L6636I7W) ou de contentieux de l’aide sociale (CASF, art. L. 134-1 N° Lexbase : L2449LBC et L. 134-2 CASF).

Pour contester un refus d’une prestation sociale relevant du contentieux administratif, un recours administratif préalable obligatoire (RAPO) doit avoir été effectuée auprès de la personne ayant pris la décision de refus (caisse de sécurité sociale (commission de recours amiable), conseil départemental, CDAPH de la MDPH, Etat ou autre organisme par délégation) dans le délai de 2 mois à compter de la décision explicite ou implicite contestée.

[12] Les modalités de mise en œuvre sont définies par le décret n° 2018-101 du 16 février 2018 précité.

[13] La médiation est obligatoire alors que le propre d'une médiation est, à l'évidence, d'être acceptée par les parties en litige.

[14] J.-M. Belorgey, 2 RAPO pour le prix d’un, AJDA, 2016, p. 2185 et suiv.

[15] CE, 22 mars 1991, n° 110215 (N° Lexbase : A0220ARL).

[16] Depuis CE, Ass., 16 février. 2009, n° 274000 (N° Lexbase : A2581EDX), AJDA, 2009, p. 583, chron. S.-J. Lieber et D. Botteghi, RFDA, 2012, p. 257, étude J. Martinez-Mehlinger ; voir, pour une application récente, CE, 24 février 2016, n° 378257 (N° Lexbase : A1614QD7).

[17] La loi n° 2008-1249 du 1er décembre 2008, généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d'insertion (N° Lexbase : L9715IBG) (JO, 3 décembre 2008, p. 18424), entrée en vigueur le 1er juin 2009.

[18] CE, Avis, 6 avril 2007, n° 93238 (N° Lexbase : A3770AQP), Rec. CE, p. 153, AJDA, 2007, p. 2049, note H. Rihal, RDSS, 2007, p. 1116, obs. A. Boujeka (avis relatif au plein contentieux des refus d’orientation ou de formation opposés par l’administration aux travailleurs handicapés).

[19] Compte tenu des contestations formées par les allocataires ou les potentiels demandeurs, il est tout autant important de savoir si la décision prise les concernant est ou non entachée d’illégalité que de connaître leurs droits à l’allocation.

[20] CE, 7 juillet 2010, n° 337411 (N° Lexbase : A1400E4M).

[21] CE, avis, 23 mai 2011, n° 344970 (N° Lexbase : A5853HSL), AJDA, 2011, p. 1642, concl. C. Landais.

[22] Même si cette interrogation n’a jamais reçu de réponse homogène en plein contentieux et encore moins en contentieux social (Cf. D. Botteghi et A. Lallet, Le plein contentieux et ses faux-semblants, AJDA 2011, p. 156).

[23] CE Sect., 27 juillet 2012, n° 347114 (N° Lexbase : A0743IRX), Rec. CE, p. 299, concl. Landais, AJDA, 2012, p. 1845, chron. X. Domino et A. Bretonneau, RFDA, 2012, p. 922, concl. C. Landais.

[24] Il juge en effet, à la différence des décisions déterminant les droits de l’allocataire, « qu’en revanche, lorsque le recours est dirigé contre une décision qui, remettant en cause des paiements déjà effectués, ordonne la récupération de montants d’allocation de revenu minimum d’insertion que l’administration estime avoir été indument versés, il appartient au juge d’examiner d’abord les moyens tirés, le cas échéant, des vices propres de cette décision pour en prononcer, s’il y a lieu, l’annulation […]».

[25] CE Sect., 16 décembre 2016, n° 389642 (N° Lexbase : A2383SXK).

[26] CE, 23 janvier 1981, n° 13978 (N° Lexbase : A6987AKY).

[27] CE, 23 juin 2004, n° 259412 (N° Lexbase : A7831DCZ).

[28] CE, 30 décembre 1998, n° 155849 (N° Lexbase : A8571ASA).

[29] CE, 7 mars 2012, n° 353395 (N° Lexbase : A9489IE8), AJDA, 2012, p. 966, concl. J.-P. Thiellay.

[30] CE, 3 juin 2019, n° 423001 (N° Lexbase : A1483ZDB) ; CE, 3 juin 2019, n° 422873 (N° Lexbase : A1482ZDA) ; CE, 3 juin 2019, n° 419903 (N° Lexbase : A1480ZD8).

[31] CE, 3 juin 2019, n° 415040 (N° Lexbase : A1474ZDX).

[32] Voir, en ce sens, pour les deux arguments développés : C. Malverti et C. Beaufils, Le plein contentieux social, AJDA, 2019, p. 1568 et suiv.

[33] CE, 9 mars 2016, n° 381272 (N° Lexbase : A5422QYH).

[34] CE, 21 décembre 2018, n° 421323 (N° Lexbase : A8422YRD), JCP éd. A, 2019, n° 2077, chron. O. Le Bot.

[35] Voir, en ce sens, : C. Malverti et C. Beaufils, Le plein contentieux social, op. cit.

[36] En ce sens, V. Donier, La généralisation du plein contentieux en matière d’aide et d’action sociales : une simplification relative, RDSS, 2019, p. 1093 et suiv.

[37] En ce sens, V. Donier, La généralisation du plein contentieux en matière d’aide et d’action sociales : une simplification relative, op. cit.

[38] La décision précise que le juge est tenu « d'annuler, s'il y a lieu, cette décision en accueillant lui-même la demande de l'intéressé s'il apparaît, à la date à laquelle il statue, eu égard à la marge d'appréciation dont dispose le président du conseil départemental dans leur mise en œuvre, qu'un défaut de prise en charge conduirait à une méconnaissance des dispositions du code de l'action sociale et des familles relatives à la protection de l'enfance [...] ».

[39] Voir, en ce sens, C. Malverti et C. Beaufils, Le plein contentieux social, op. cit., qui évoquent certains cas où le juge peut être amené à statuer deux fois sur la même question et les difficultés d’inscription d’opérance des moyens tirés des vices propres dans les contours de l’office du juge de plein contentieux.

[40] CE, 8 juillet 2019, n° 422162 (N° Lexbase : A8422YRD).

[41] CE, 8 juillet 2019, n° 420732 (N° Lexbase : A4046ZIP).

[42] CE, 4 décembre 2019, n° 420655 (N° Lexbase : A9650Z48). 

[43] CE, avis, 14 octobre 2019, n° 432543 (N° Lexbase : A0709ZRP).

[44] H. Rihal, La fermeture du recours contentieux à l'encontre du contrat d'insertion du RSA, RDSS 2020, p. 177 et suiv.

[45] CE, 10 juillet 2019, n° 415427 (N° Lexbase : A7322ZKE), RDSS 2019, p. 951, obs. Y. Dagorne-Labbe où le Conseil d’Etat a précisé que la mise en demeure de payer adressée à l’allocataire du RSA, de l’aide exceptionnelle de fin d’année ou de l’APL dans le cadre d’une procédure de récupération d’indu ne constitue pas un acte susceptible de recours.

[46] CE 4 décembre 2019, n° 418975 (N° Lexbase : A9647Z43), Dalloz actualités, 11 décembre 2019, note T. Bigot.

[47] En ce sens, T. Bigot, Le Conseil d’Etat ferme à nouveau une voie de recours aux bénéficiaires du RSA, Dalloz actualités, 11 décembre 2019.

[48] V. Donier, La généralisation du plein contentieux en matière d’aide et d’action sociales : une simplification relative, op. cit.

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