La lettre juridique n°698 du 11 mai 2017 : Contrôle fiscal

[Jurisprudence] Visites domiciliaires : vers une meilleure protection du contribuable

Réf. : Cass. com., 29 mars 2017, n° 15-25.619, F-P+B (N° Lexbase : A0836UT7)

Lecture: 9 min

N8135BW9

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Visites domiciliaires : vers une meilleure protection du contribuable. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/40624062-jurisprudence-visites-domiciliaires-vers-une-meilleure-protection-du-contribuable
Copier

par Thierry Lamulle, Maître de conférences HDR en droit public à l'Université de Caen-Normandie et Membre de l'Institut Demolombe (EA 967)

le 11 Mai 2017

Le contentieux des visites domiciliaires devient de plus en plus abondant. Après la remise en cause de cette technique particulière de recherche des infractions fiscales par la Cour européenne des droits de l'Homme et un contrôle très formel de la Chambre commerciale de la Cour de cassation (voir le contrôle bienveillant des ordonnances pré rédigées), le juge judiciaire, avec ce nouvel arrêt, semble concilier au sein d'une nouvelle harmonie la nécessité de la lutte contre la fraude fiscale avec la protection des droits fondamentaux du contribuable (Cass. com., 29 mars 2017, n° 15-25.619, F-P+B). Les faits : une ordonnance avait été rendue le 25 novembre 2014 par un juge des libertés et de la détention sur le fondement de l'article L.16 B du LPF (N° Lexbase : L3180LCR) afin d'autoriser l'administration fiscale à perquisitionner les locaux de la société requérante dans le but de rapporter la preuve de fraudes commises par cette société en matière d'impôt sur les bénéfices et de taxes sur le chiffre d'affaires.

Le premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, par une ordonnance rendue le 10 septembre 2015, a annulé l'ordonnance rendue par la juge des libertés et de la détention au motif qu'il n'existait pas de présomption de fraude fiscale à l'égard de cette société et a déclaré nulles les opérations de visites et de saisies la concernant (CA Aix-en-Provence, 10 septembre 2015, n° 14/23271 N° Lexbase : A8260NNA). C'est la décision attaquée par le directeur général des Finances publiques par le biais d'un pourvoi en cassation.

Ce dernier rappelle que deux voies de droit existent pour remettre en cause le bien-fondé des visites domiciliaires. La première voie réside dans l'appel permettant à la partie intéressée de faire annuler l'autorisation de visites. L'autre conduit à la remise en cause des opérations de visites.

Le directeur des Finances publiques reproche à l'ordonnance du premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence d'avoir annulé l'autorisation de visites et les opérations de visites en découlant. En visant les opérations de visites alors que le juge n'avait été saisi que de l'autorisation de visites, le premier président de la cour d'appel a violé les dispositions de l'article L. 16 B du LPF.

La Cour de cassation rejette le pourvoi du directeur général des Finances publiques. L'annulation de l'autorisation de visites entraîne de facto l'annulation des actes de visites et de saisies fondées sur cette autorisation.

Après avoir rappelé le régime juridique des ordonnances autorisant les visites domiciliaires (I), nous aborderons le défaut de présomption de fraude fiscale (II) et les conséquences de cette nouvelle jurisprudence (III).

I - Le régime juridique des visites domiciliaires

Les visites domiciliaires ont été consacrées par l'article 94 de la loi n° 84-1208 du 29 décembre 1984, de finances pour 1985 (N° Lexbase : L4513K7B), et font l'objet d'un contentieux abondant. Elles ont été créées afin de conserver des éléments de preuve avant l'engagement éventuel d'une vérification de comptabilité ou d'un examen contradictoire d'une situation fiscale personnelle.

L'ordonnance de l'article L. 16 B du LPF s'inscrit dans le cadre d'une procédure administrative qui serait contrôlée par le juge judiciaire. Le juge compétent en la matière est le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance.

L'engagement des poursuites est seulement éventuel ; le procès-verbal est établi par les agents du fisc et non par l'officier de police judiciaire. La condition de fond qui justifie l'emploi d'une telle procédure réside dans l'existence de présomptions d'infractions consistant en la soustraction du contribuable à l'établissement ou au paiement de l'impôt sur le revenu, l'impôt sur les sociétés, ou la TVA.

Les moyens sont :

- les achats et ventes sans facture ;

- l'utilisation ou la délivrance de factures ou de documents ne se rapportant pas à des opérations réelles ;

- le fait d'omettre sciemment, de passer ou de faire passer des écritures inexactes ou fictives dans les documents comptables.

Le juge doit se référer aux éléments d'information fournis par l'administration des impôts. Il les analyse, puis relève les faits qui laissent supposer qu'il existe effectivement des présomptions portant sur des agissements visés par la loi. Le contribuable a la faculté de se faire assister par le conseil de son choix.

La Cour européenne des droits de l'Homme a remis en cause le dispositif des visites domiciliaires dans un arrêt "Ravon" du 21 février 2008 (CEDH, 21 février 2008, Req. 18497/03 N° Lexbase : A9979D4D, Droit fiscal, 2008, no 12, comm. 227, note Delphine Ravon et Christian Louit), ce qui a conduit à un aménagement du régime des visites domiciliaires.

Les investigations des agents des impôts sont limitées par l'ordonnance autorisant la visite. Ils peuvent auditionner des personnes concernées par la visite qui ont donné leur consentement à cet interrogatoire. Un compte-rendu d'audition est établi et transmis avec le procès-verbal de visite au juge. Des contrôles de l'identité et de l'adresse de l'occupant des lieux ou du contribuable peuvent être effectués par les agents des impôts.

A l'issue de la visite domiciliaire, l'administration adresse une mise en demeure au contribuable pour la restitution des pièces et documents saisis. En cas de non-récupération desdits documents, l'administration des impôts pourra les utiliser lors d'une procédure de contrôle mais devra indiquer au contribuable la teneur et l'origine des informations.

La loi de finances rectificative pour 2016 (n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 N° Lexbase : L0859LCS) a modifié les dispositions de l'article L. 16 B du LPF afin de faciliter les visites domiciliaires. Lorsque les lieux de visite sont situés dans le ressort de plusieurs juridictions, une ordonnance unique peut être délivrée par l'un des juges des libertés et de la détention territorialement compétents.

De même, si à l'occasion de la visite, les agents habilités découvrent des éléments révélant l'existence en d'autres lieux de pièces et de documents, ils peuvent en cas d'urgence, sur autorisation délivrée par tout moyen par le juge qui a pris l'ordonnance, procéder immédiatement à la visite de ces lieux aux fins de saisie de ces pièces et documents.

Le recours contre l'ordonnance autorisant la visite s'exerce devant le premier président de la cour d'appel (il s'agit d'un contrôle en droit et en fait) dans les quinze jours qui suivent sa signification, sa remise ou sa réception (LPF, art. L. 16 B, II).

Ce recours est ouvert aussi pour apprécier le déroulement des opérations de visite ou de saisie, même si aucune opération de contrôle n'est engagée ultérieurement. L'ordonnance du premier président de la cour d'appel est susceptible d'un pourvoi en cassation dans les quinze jours qui suivent sa notification. La procédure de visite et de saisie prévue à l'article L. 16 B du LPF est compatible avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4798AQR).

La poursuite de la protection du bien-être économique du pays et la prévention des infractions pénales constituent des "buts légitimes" au sens de l'article précité.

"Eu égard au cadre strict dans lequel les autorisations de visite domiciliaires sont enfermées et au fait que la visite litigieuse s'est déroulée dans ce cadre, l'ingérence dans le droit du requérant au respect de la vie privée et de son domicile était proportionnée aux buts légitimes poursuivis et donc nécessaire dans une société démocratique" (CEDH, 8 janvier 2002, Req. 51578/99 N° Lexbase : A9798DDA, RJF, 5/02, no 597).

II - la présomption de fraude

Dans la présente espèce, était visé le fait d'omettre sciemment, de passer ou de faire passer des écritures inexactes ou fictives dans les documents comptables. Le fisc mettait en avant que la société requérante, de droit luxembourgeois, exerçait une activité commerciale en France à travers sa succursale française. Cette activité n'avait pas fait l'objet d'une déclaration de bénéfices auprès de l'administration des impôts.

La requérante soulevait afin d'infirmer les argumentations de l'administration fiscale que son centre décisionnel n'était pas installé en France mais au Luxembourg.

Elle invoquait l'établissement du siège social de la société au Luxembourg. Ce siège n'est pas une simple boite aux lettres car la société y dispose d'un local comprenant notamment trois bureaux, une salle de réunion et une ligne téléphonique active. L'activité de la société réside dans la prise de participations sous quelque forme que ce soit dans d'autres sociétés. Elle contrôle ainsi à 100 % une vingtaine de filiales et partiellement neuf autres sociétés. L'activité visée se déploie à l'international par le biais de ses filiales qui exploitent des navires affectés au transport de marchandises. Son établissement secondaire, domicilié rue du Louvre à Paris, dépose des comptes ainsi que des déclarations fiscales en France. Le développement de l'activité à travers le monde s'opérant par le biais de ses filiales, les bureaux du siège social au Luxembourg suffisent au fonctionnement de la société. La présence d'administrateurs de la société domiciliés en France ne saurait suffire pour démontrer l'existence d'un centre décisionnel en France. Le fait que la société intéressée soit titulaire de plusieurs comptes bancaires en France est lié à l'activité de son établissement secondaire.

L'administration des impôts, pour démontrer la présence d'un centre décisionnel en France, met en parallèle le chiffre d'affaires de la succursale française (en 2012, 575 777 euros, et en 2013, 488 099 euros) avec les comptes annuels déposés au Luxembourg (6 355 293 euros en 2012 et 25 468 444 euros en 2013). L'écart entre l'activité déclarée en France et au Luxembourg laisse présumer que la société n'a pas déclaré l'ensemble de ses recettes réalisées en France. Il semble que l'écart entre l'activité déclarée en France et l'activité déclarée au Luxembourg provienne des revenus réalisés par les autres activités internationales.

Cependant, l'ordonnance rendue par le premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence retient que l'existence d'un centre décisionnel en France n'était pas rapportée par l'administration fiscale. Faute d'éléments plus précis sur les écritures émises par la société luxembourgeoise concernant son activité commerciale en France, la présomption d'une fraude fiscale en France par la société luxembourgeoise requérante n'est pas établie (pour des exemples a contrario : les sociétés en question avaient leur centre décisionnel en France, au cabinet de l'avocat où elles disposaient de moyens matériels et humains. Elles n'avaient pas souscrit de déclarations fiscales en France, Cass. com., 3 mars 2015, n° 13-27.605, F-D N° Lexbase : A8885NC3, RJF, 6/15, n° 501 ; la société qui ne disposait d'aucun moyen matériel à Guernesey était en fait dirigée depuis la France où elle exerçait tout ou partie de son activité sans remplir ses obligations comptables et fiscales, Cass. com., 7 juin 2016, n° 15-14.564, FS-D N° Lexbase : A6992RSR, RJF, 10/2016, n° 980).

L'infirmation de l'autorisation de visite entraîne l'annulation des actes de visite et de saisies fondés sur cette autorisation.

III - Les conséquences de l'annulation de l'autorisation de la visite domiciliaire

L'annulation de la visite domiciliaire entache de nullité la procédure d'imposition et les poursuites engagées pour fraude fiscale.

L'avis rendu par le Conseil d'Etat le 1er mars 1996 (CE Avis, Sect., 1er mars 1996, n° 174245, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8500AN7, Droit fiscal, 1996, comm. 1153, concl. Loloum) interdit à l'administration des impôts d'opposer au contribuable les informations recueillies lors d'une visite domiciliaire annulée.

La procédure d'imposition est viciée, si elle exploite de telles informations. Et cela, même si le contribuable est en situation de taxation ou d'évaluation d'office. La Chambre criminelle, lors d'un arrêt rendu le 28 mai 1998 (Cass. crim., 28 mai 1998, n° 97-80.756, publié au Bulletin N° Lexbase : A5176ACP, Droit fiscal, 1998, com. 1012), a estimé quant à elle que les poursuites pénales engagées au vu des documents saisis sont affectées par l'annulation des ordonnances autorisant les visites domiciliaires.

Dans la présente espèce, l'administration des impôts soutenait que l'infirmation de l'autorisation de la visite était sans conséquences vis-à-vis des opérations de visite et de saisies qui font l'objet d'une autre voie de recours. La position soutenue par l'administration des impôts était paradoxale. Si l'autorisation de visite à l'égard de la société requérante était illégale faute pour l'administration d'apporter la preuve de présomption de fraude fiscale, la logique conduisait à annuler les opérations de visite et de saisies qui faisaient l'objet d'un vice originel : l'autorisation de visite n'avait pas lieu d'être.

Nous ne pouvons qu'approuver cet arrêt de la Chambre commerciale qui clarifie l'utilisation des deux voies de recours et leurs interactions. Cette décision renforce aussi les droits de la défense (la protection des droits fondamentaux du contribuable) qui sont souvent sacrifiés au principe de réalité de la lutte contre la fraude fiscale.

newsid:458135

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.