La lettre juridique n°394 du 13 mai 2010 : Rel. collectives de travail

[Le point sur...] La jurisprudence de la Cour de cassation rendue en 2009 à la lumière du Rapport de la Cour de cassation : relations collectives de travail

Réf. : Rapport 2009 de la Cour de cassation

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N0778BPI

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[Le point sur...] La jurisprudence de la Cour de cassation rendue en 2009 à la lumière du Rapport de la Cour de cassation : relations collectives de travail. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3210841-le-point-sur-la-jurisprudence-de-la-cour-de-cassation-rendue-en-2009-a-la-lumiere-du-rapport-de-la-c
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le 07 Octobre 2010

Remis officiellement au Garde des Sceaux le 29 mars 2010, la Cour de cassation rendait public, le 15 avril, son traditionnel Rapport annuel. Outre les non moins classiques suggestions de modifications législatives ou réglementaires, l'analyse des principaux arrêts et avis rendus au cours de l'année écoulée dans toutes les branches du droit, le Rapport des juges du Quai de l'Horloge met, cette année, l'accent sur les personnes vulnérables (droits de l'enfant, majeurs protégés, maintien en rétention des étrangers, protection des particuliers surendettés, accès à la justice des personnes aux ressources insuffisantes...), autour d'une étude réalisée par des magistrats de la Cour de cassation sur le thème, oeuvre collective orchestrée par le Professeur Xavier Lagarde. Concernant plus spécifiquement le droit du travail, le Rapport s'intéresse ainsi à l'accès à l'emploi des personnes vulnérables en raison de l'âge ou de l'état de santé et au maintien dans l'emploi des salariés âgés et malades, inaptes ou handicapés, avant de s'attarder sur les régimes juridiques du contrat de travail intégrant à des degrés divers des facteurs de précarité et ceux qui comportent des éléments qui atténuent ou neutralisent ces facteurs de précarité ; pour terminer, enfin, sur les salariés protégés (vulnérabilité des salariés qui demandent la mise en place d'élections professionnelles et des salariés candidats à des fonctions représentatives ; vulnérabilité des salariés qui exercent un mandat représentatif) et sur les contours de la vulnérabilité du stagiaire en entreprise. Le Rapport présente également, pour l'année 2009, l'activité de la Cour de cassation et des juridictions et commissions instituées auprès d'elle.
A la suite de cette récente diffusion, Lexbase Hebdo - édition sociale vous propose, cette semaine, un numéro spécial consacré au Rapport 2009 et vous invite à retrouver les commentaires des éclairages apportés par la Haute juridiction sur les arrêts ayant marqué le droit social l'année dernière. Une série de plusieurs articles vous est donc proposée, rédigés par notre collège d'auteurs, Christophe Radé, Christophe Willmann, Gilles Auzero et Sébastien Tournaux, balayant la jurisprudence sociale, tant en matière de relations individuelles de travail, qu'en matière de relations collectives de travail ou, encore, de Sécurité sociale.
  • Représentation du personnel

- Cass. soc., 13 janvier 2009, n° 07-17.692, Syndicat des producteurs du miel de France (SPMF), FS-P+B+R (N° Lexbase : A3401ECX) (1)

Selon l'article 2 de la Convention n° 87 de l'OIT, ratifiée par la France, et relative à la liberté syndicale et à la protection du droit syndical, les travailleurs et les employeurs, sans distinction d'aucune sorte, ont le droit de constituer des organisations de leur choix. Selon l'article 5 du même texte, ces organisations ont le droit de former d'autres groupements.

C'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que l'article L. 411-2 (N° Lexbase : L6304ACH), devenu l'article L. 2131-2 (N° Lexbase : L2110H9Z) du Code du travail, qui suppose l'existence d'activités rémunérées à l'exclusion des activités désintéressées ou philanthropiques, ne distingue pas selon que ces activités sont exercées à titre exclusif, accessoire ou occasionnel, ni selon que les revenus qui en sont tirés constituent un revenu principal ou accessoire, de sorte que peuvent constituer un syndicat les producteurs de miel et que doit être considéré comme tel tout apiculteur qui commercialise ses produits.

Il était demandé à la Cour de cassation, dans cette affaire, de se prononcer sur les personnes susceptibles de constituer entre elles un syndicat. Cela peut évidemment surprendre plus de cent ans après l'adoption de la loi "Waldeck-Rousseau". Cela se comprend, toutefois, mieux si l'on a égard au fait que n'étaient pas en cause en l'espèce des salariés, mais des apiculteurs qui entendaient constituer entre eux un syndicat des producteurs de miel. Pour la Chambre sociale de la Cour de cassation, si l'article L. 2131-2 du Code du travail suppose l'existence d'activités rémunérées à l'exclusion des activités désintéressées ou philanthropiques, il ne distingue pas selon que ces activités sont exercées à titre exclusif, accessoire ou occasionnel, ni selon que les revenus qui en sont tirés constituent un revenu principal ou accessoire, de sorte que peuvent constituer un syndicat les producteurs de miel et que doit être considéré comme tel tout apiculteur qui commercialise ses produits.

Ainsi qu'il est relevé dans le Rapport, cet arrêt définit, pour la première fois, les titulaires de la liberté syndicale. On s'accordera avec ce même Rapport pour considérer que "la solution présente un intérêt relatif pour les organisations d'employeurs car le Code du travail ne lie pas leurs prérogatives à la qualité de syndicat. En pratique, ces organisations sont d'ailleurs, dans leur grande majorité, constituées sous forme d'associations". On s'étonnera, en revanche, plus de l'affirmation selon laquelle, "l'intérêt de cette solution est beaucoup plus grand pour les organisations de travailleurs salariés, puisque le Code du travail réserve les droits qu'il instaure à leur profit aux seuls groupements qui revêtent la forme de syndicats ou d'organisations syndicales". On n'avait jamais douté que des salariés puissent constituer des syndicats, dès lors que, par définition, leur activité n'est pas désintéressée ou philanthropique. En réalité, la solution est surtout importante pour les personnes qui, sans être employeurs ou salariés, souhaitent constituer un syndicat.

Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

- Cass. soc., 21 janvier 2009, n° 08-60.452, Société Logidis comptoirs modernes, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6533ECX)

Le périmètre de désignation des délégués syndicaux précédemment reconnu par une décision de justice ne peut être remis en cause qu'au vu d'éléments nouveaux.

La question à laquelle la Cour de cassation devait répondre dans cette affaire était de savoir si, lorsqu'un tribunal a statué sur la définition du périmètre de mise en place des institutions représentatives du personnel dans le cadre d'un litige opposant l'employeur à un syndicat, il doit être tenu compte de cette décision dans des litiges pouvant survenir ultérieurement avec d'autres syndicats.

La Chambre sociale a répondu par l'affirmative, en affirmant que "le périmètre de désignation des délégués syndicaux précédemment reconnu par une décision de justice ne peut être remis en cause qu'au vu d'éléments nouveaux". Pour le dire autrement et en reprenant les termes du Rapport, "en présence d'une décision judiciaire ayant fixé le périmètre de désignation d'une institution représentative du personnel dans une entreprise, une autre décision judiciaire ne peut fixer un périmètre différent, pour la même institution représentative, que si des évolutions intervenues depuis la dernière décision justifient une modification du périmètre".

Ce même Rapport souligne que le fait que des litiges ultérieurs puissent concerner un autre syndicat que celui qui avait été à l'origine de la précédente décision n'a aucune importance. En effet, s'agissant de la définition du périmètre de représentation, les autres syndicats représentatifs sont parties intéressées puisque la désignation critiquée par l'employeur leur est opposable à compter de son affichage. Ils peuvent donc la contester. S'ils n'ont pas été convoqués à la première instance, ils ont la possibilité de se prévaloir de cette omission devant la Cour de cassation pour voir annuler la décision.

On approuvera sans réserves cette solution qui, comme il est dit à juste titre dans le Rapport, vise à éviter que les conditions de la représentation du personnel dans l'entreprise puisse varier constamment au gré des saisines judiciaires et d'appréciations éventuellement différentes portées sur une même institution. Cette dernière précision est importante puisqu'elle circonscrit la solution au fait que soient en cause des institutions identiques.

Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

- Cass. soc., 30 septembre 2009, n° 07-20.525, Comité central d'entreprise de la Serca, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5779ELM) (2)

La régularité de la consultation du comité d'entreprise sur un projet de licenciement économique n'est pas subordonnée au respect préalable, par l'employeur, de l'obligation de consulter le comité d'entreprise sur l'évolution annuelle des emplois et des qualifications, prévue par l'article L. 2323-56 du Code du travail (N° Lexbase : L1881IEE), ni de celle d'engager, tous les trois ans, une négociation portant sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, imposée par l'article L. 2242-15 du même code (N° Lexbase : L2393H9I).
Aucun
quorum n'étant fixé pour l'adoption d'une résolution, d'une décision ou d'un avis du comité d'entreprise, la délibération prise par un seul des membres du comité à la suite du départ des autres membres est régulière.

Cet arrêt a apporté deux réponses importantes à des questions relatives à la consultation du comité d'entreprise sur un projet de licenciement économique.

La première de ces réponses était pour le moins attendue. Il s'agissait de savoir si la régularité de la procédure de consultation du comité d'entreprise sur un projet de licenciement économique est subordonnée au respect préalable de l'obligation triennale de négocier sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences prévue par l'article L. 2242-15 du Code du travail, ainsi que de l'obligation de consulter tous les ans le comité d'entreprise sur l'évolution annuelle des emplois et des qualifications prévues par l'article L. 2323-56 du même code. L'arrêt rapporté précise que ces obligations ne sont pas le préalable nécessaire de l'engagement de la procédure de consultation du comité d'entreprise sur un projet de licenciement économique. On ne peut qu'approuver cette solution que nous avions, avec d'autres, appelée de nos voeux (3).

Ainsi que le précise le Rapport de la Cour de cassation, "la solution se fonde sur la périodicité de ces obligations, mais surtout sur leur objet propre. La gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences a pour objet la projection à moyen et long terme des évolutions souhaitées ou prévisibles de l'emploi dans l'entreprise et la mise en oeuvre des mesures nécessaires pour accompagner cette évolution. Elles portent donc sur des prévisions. Le licenciement économique, pour sa part, repose sur une décision de l'employeur dans un contexte donné qui peut résulter de modification du marché ou d'évènements imprévus. Les mesures de reclassement destinées à limiter le nombre des licenciements ont aussi leur propre finalité, limiter le nombre des licenciements, même si les mesures de gestion prévisionnelle de emplois et d'adaptation des salariés à l'évolution de leurs emplois sont de nature à les faciliter".

Cela étant, le Rapport laisse dans l'ombre une interrogation. Ainsi que cela y est précisé, l'arrêt en cause était relatif à une procédure de licenciement pour motif économique engagée avant l'expiration de la période triennale prescrite par la loi du 15 janvier 2005 (N° Lexbase : L6384G49) pour négocier sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. On peut par suite se demander si la solution sera identique lorsque, postérieurement à cette période, un comité d'entreprise est saisi d'un projet de licenciement économique alors qu'aucune négociation de cette sorte n'est intervenue. On peut le penser car on persiste à considérer que ce fait ne peut avoir de conséquence sur la validité de la procédure d'information/consultation du comité. En revanche, il y a sans doute là un élément important de discussion quant à la validité des licenciements pour motif économique.

La seconde réponse apportée par l'arrêt à trait à la régularité de la délibération du comité d'entreprise lorsqu'un seul membre du comité est présent au moment de l'adoption d'un avis après le départ, en cours de réunion, des autres membres du comité. L'article L. 2325-18 (N° Lexbase : L9824H8D) dispose que les résolutions des membres du comité sont prises à la majorité des membres présents. Dans la mesure où la loi ne prévoit aucun quorum pour que le comité puisse délibérer valablement, l'arrêt décide que la majorité s'entend de la majorité des membres présents en séance, ce dont il résulte que la délibération prise par un seul membre est régulière. La Cour de cassation prend soin d'affirmer cette règle, tant à propos des résolutions du comité que de ses décisions ou avis.

Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

- Cass. soc., 18 novembre 2009, n° 08-16.260, Société Carrefour hypermarchés, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7446EN4) (4)

Les comités d'établissement ont les mêmes attributions que les comités d'entreprise dans la limite des pouvoirs confiés au chef d'établissement. La mise en place d'un comité d'établissement suppose que cet établissement dispose d'une autonomie suffisante en matière de gestion du personnel et de conduite de l'activité économique de l'établissement. Par conséquent, le droit du comité central d'entreprise de se faire assister d'un expert-comptable ne prive pas le comité d'établissement d'être lui aussi assisté pour l'analyse des documents comptables.

Alors que d'âpres divergences doctrinales et jurisprudentielles rendaient bien délicate la détermination des pouvoirs du comité d'établissement au sujet de leurs attributions économiques, l'arrêt du 18 novembre 2009 sous examen avait stabilisé la délimitation de ces pouvoirs.

En effet, par cet arrêt, la Chambre sociale avait précisé "qu'aux termes de l'article L. 2327-15 du Code du travail (N° Lexbase : L9909H8I), les comités d'établissement ont les mêmes attributions que les comités d'entreprise dans la limite des pouvoirs confiés au chef d'établissement ; que la mise en place d'un tel comité suppose que cet établissement dispose d'une autonomie suffisante en matière de gestion du personnel et de conduite de l'activité économique de l'établissement". Il découlait de ces affirmations que le comité d'établissement pouvait avoir recours à un expert comptable pour l'aider à l'expertise de ces comptes annuels.

Le Rapport annuel identifie deux apports essentiels de cette jurisprudence.

D'abord, l'arrêt mettrait un terme aux hésitations quant aux pouvoirs du comité d'établissement. Partant du principe que l'identification d'un établissement distinct implique, au regard de la jurisprudence du Conseil d'Etat (5), la présence à la tête de cet établissement d'un dirigeant disposant d'une autonomie suffisante, la Cour de cassation en déduit que le comité d'établissement a nécessairement la faculté d'examiner les comptes annuels et de se faire assister d'un expert comptable, à l'exception du cas où la délégation de pouvoir du chef d'établissement exclurait formellement une telle autonomie.

Cette appréciation paraît entièrement conforme à la position habituellement adoptée par le juge judiciaire lorsqu'est en cause une décision administrative voire, si celle-ci a fait l'objet d'un recours, d'une décision du juge administratif. En effet, dans cette situation, le juge judiciaire s'abstient, au nom du principe de séparation des ordres judiciaire et administratif, d'interférer avec les solutions adoptées par l'Administration (6). La solution a, cependant, comme nous le remarquions à l'occasion du commentaire de l'arrêt, de ne pouvoir masquer certaines situations fictives dans lesquelles la présomption d'autonomie attachée à la reconnaissance d'un établissement distinct est totalement factice.

Ensuite, l'arrêt apporterait pour le rapport une nouvelle précision quant aux pouvoirs de l'expert comptable mandaté pour analyser les comptes de l'établissement. En l'espèce le comité d'établissement avait confié pour mission à l'expert non seulement l'examen des éléments comptables de l'établissement, mais également l'analyse de la situation économique de l'établissement par rapport à l'ensemble de l'entreprise et aux autres établissements de l'entreprise, mission validée par la chambre sociale. Cependant, comme cela est d'ailleurs remarqué par le rapport (7), il ne s'agit là en aucun cas d'une innovation puisque la chambre sociale avait déjà, par le passé, soigneusement délimité le rôle de l'expert comptable en la matière (8).

Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

  • Elections professionnelles

- Cass. soc., 17 juin 2009, n° 08-60.438, Société Cegelec Nord et Est, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3155EIP)

Sauf accord collectif, un même CHSCT ne peut regrouper des salariés dépendant de plusieurs établissements dotés chacun d'un comité d'établissement, en sorte que seuls les salariés de l'établissement concerné peuvent être désignés au sein du CHSCT de cet établissement et que le collège désignatif ne peut être constitué que des membres élus de ce même établissement.

Cet arrêt est l'occasion, pour la Chambre sociale, de clarifier la question du périmètre d'implantation de comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).

En application de l'article L. 4611-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1720H9L), un CHSCT "est constitué dans tout établissement de cinquante salariés et plus". Ainsi qu'il est rappelé dans le Rapport, afin de tenir compte de la spécificité des attributions de cet institution représentative du personnel et de la nécessité que cet organe de représentation puisse être directement en lien avec les catégories d'activité pour lesquelles son intervention serait utile, la Chambre sociale a admis qu'un CHSCT puisse ne couvrir qu'un secteur d'activité au sein de l'établissement (Cass. soc., 30 mai 2001, n° 99-60.474, Société Sita Ile-de-France c/ Syndicat Force ouvrière Sita Ile-de-France N° Lexbase : A5670AT8, Bull. civ. V, n° 192). Il en résulte que plusieurs CHSCT peuvent coexister au sein d'un même établissement. Bien que le rapport n'en fasse pas état, cela ne paraît légalement envisageable que dans les établissements (ou entreprises unitaires) occupant au moins 500 salariés (C. trav., art. L. 4613-4 N° Lexbase : L1786H9Z).

La Chambre sociale a, par la suite, précisé la solution de principe précitée, soulignant, notamment, que la mise en place de plusieurs CHSCT, par secteurs d'activité, pouvait intervenir soit à l'intérieur des établissements dotés d'un comité d'établissement, soit, à défaut, à l'intérieur de l'entreprise (Cass. soc., 29 janv. 2003, n° 01-60.802, Société Macdonald's France Restaurants c/ Comité d'entreprise de la SARL Mac Donald's N° Lexbase : A8237A4T).

Dans l'espèce ayant conduit à l'arrêt rapporté, des salariés rattachés à deux établissements différents suite à une décision administrative, exerçaient leur activité sur un même site géographique. La question posée à la Cour de cassation était de savoir si l'existence d'un secteur d'activité recouvrant plusieurs établissements, ou même l'existence d'un lieu de travail commun, pouvait justifier la mise en place d'un CHSCT pour l'ensemble des salariés travaillant sur le site. Les juges du fond avaient considéré que tel était le cas, jugeant que le site géographique était un établissement distinct au sens du CHSCT.

Cette décision est censurée par la Cour de cassation, qui décide que le CHSCT "est institué en application de l'article L. 4611-1 du Code du travail dans le cadre d'établissement et le cas échéant par secteurs d'activité au sein de l'établissement". La solution doit être pleinement approuvée, ne serait-ce qu'au regard des dispositions de l'article L. 4611-1, qui trace de manière précise le périmètre de mise en place du CHSCT en le délimitant à l'établissement et à lui seul. En outre, le jugement du tribunal d'instance ne pouvait être admis dans la mesure où il revenait à contredire la décision de l'autorité administrative qui, conformément à la loi, avait déterminé les établissements distincts. Celle-ci était peut être contestable, mais il aurait fallu pour cela en saisir la juridiction administrative.

Au final, et cela est expressément affirmé dans le Rapport, un même CHSCT ne peut regrouper des salariés dépendant de plusieurs établissements dotés chacun d'un comité d'établissement. Cela étant, et ainsi qu'il était déjà souligné dans l'arrêt en cause, il pourra en aller différemment si un accord collectif le prévoit.

Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

  • Loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ)/Interprétation

- Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 08-60.599, Société Véolia transport Bordeaux, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7068EIM) (9) et Cass. soc., 4 novembre 2009, n° 09-60.075, Hôpital européen La Roseraie, FS-P+B+R (N° Lexbase : A8197EMK)

Pourvoi n° 08-60.599 : la régularité de la désignation d'un représentant de section syndicale ne nécessite pas que le syndicat à l'origine de la désignation remplisse les critères fixés par les articles L. 2121-1 (N° Lexbase : L3727IBN) et L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9) du Code du travail relatifs à la représentativité. Il suffit qu'il réunisse, à la date de la désignation, les conditions fixées par les articles L. 2142-1 (N° Lexbase : L3761IBW) et L. 2142-1-1 (N° Lexbase : L3765IB3) dudit code.

L'article L. 2142-1 du Code du travail exige, pour la constitution de la section syndicale, la présence d'au moins deux adhérents dans l'entreprise.

Pourvoi n° 09-60.075 : l'article L. 2142-1 du Code du travail, qui autorise la constitution d'une section syndicale par des syndicats, qu'ils soient représentatifs ou non, n'exige, pour cette constitution, que la présence d'au moins deux adhérents dans l'entreprise, peu important les effectifs de celle-ci.

Le 8 juillet 2009, la Cour de cassation a rendu quatre arrêts relatifs à certaines difficultés d'interprétation nées de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008. Au même titre que les autres, l'arrêt rendu sous le pourvoi n° 08-60.599 a apporté plusieurs précisions fondamentales.

Il ressort, tout d'abord, de cette décision que, si une personne entend contester le respect par un syndicat du nouveau critère de respect des valeurs républicaines, il lui appartient de démontrer en quoi l'organisation syndicale ne remplit pas ce critère. Ainsi qu'il est relevé dans le rapport, "à défaut, ou si aucune contestation particulière n'est élevée sur ce point par une partie, le juge n'a pas à vérifier que l'organisation syndicale répond à cette condition, qui est intrinsèque à son existence même". Au regard de cette affirmation, le même régime probatoire doit être appliqué lorsqu'est en cause l'indépendance du syndicat. Il n'en demeure pas moins que, pour le reste, c'est au syndicat dont la représentativité est contestée qu'il appartient de l'établir.

Il faut, ensuite, rappeler que, consécutivement à la réforme apportée par la loi du 20 août 2008, la désignation d'un délégué syndical ou d'un représentant de la section syndicale n'est possible que si le syndicat mandant a constitué une section syndicale. De même, la loi exige désormais, pour la constitution d'une section syndicale, la présence de "plusieurs" adhérents dans l'entreprise ou l'établissement. La Cour de cassation précise, dans l'arrêt rapporté, que cette pluralité d'adhérents doit s'entendre de "deux adhérents au moins" et que la condition d'existence d'une section syndicale doit être remplie au jour de la désignation du représentant ou du délégué. Ainsi que le rappelle le rapport, "comme avant l'entrée en vigueur de la loi du 20 août 2008, la création de la section syndicale peut donc être concomitante à cette désignation". Bien que cela ne soit pas rappelé dans le rapport, la Cour de cassation a dû souligner dans cette même décision, et ce malgré la clarté des textes sur ce point, que la régularité de la désignation d'un représentant de section syndicale ne nécessite pas que le syndicat à l'origine de la désignation remplisse les critères fixés par les articles L. 2121-1 et L. 2122-1 du Code du travail relatifs à la représentativité. On ajoutera que la loi ne laisse pas de place au doute : seul un syndicat qui n'est pas représentatif est en droit de désigner un représentant de la section syndicale.

Dans un arrêt postérieur, rendu le 4 novembre 2009, la Chambre sociale est venue compléter la solution qu'elle avait retenue dans la décision évoquée précédemment, en affirmant que "l'article L. 2142-1 du Code du travail, qui autorise la constitution d'une section syndicale par des syndicats, qu'ils soient représentatifs ou non, n'exige, pour cette constitution, que la présence d'au moins deux adhérents dans l'entreprise, peu important les effectifs de celle-ci". Le fondement de cette solution nous est donné par le rapport en ces termes : "la nécessité d'avoir au moins deux adhérents pour constituer une section syndicale est une condition qui permet de s'assurer, comme la condition de spécialité, que le syndicat a vocation à venir s'implanter dans l'entreprise. Mais elle est sans rapport avec la représentativité du syndicat dans l'entreprise, puisque la constitution d'une section syndicale est justement ouverte expressément aux syndicats qui ne le sont pas. Par conséquent, il ne saurait être prétendu que le nombre d'adhérents nécessaire à la création de la section syndicale doit être proportionnel au nombre de salariés employés par l'entreprise : le rapport entre les effectifs et les adhésions n'entre en compte que dans la question de la représentativité syndicale".

Cette solution, qui doit être pleinement approuvée, pouvait aisément s'inférer de la loi et de l'interprétation qu'en avait donnée la Cour de cassation dans l'arrêt précité du 8 juillet 2009. Le fait que la Chambre sociale ait tout de même dû prendre position témoigne, à notre sens, du fait que la loi du 20 août 2008 a démultiplié les hypothèses de contentieux en matière de représentation du personnel.

Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

  • Droit syndical

- Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 09-60.015, Syndicat Solidaires G4S, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7070EIP) (10)

Les nouvelles dispositions de l'article L. 2324-2 du Code du travail (N° Lexbase : L3724IBK), applicables à compter du 22 août 2008, donnent le droit à chaque organisation syndicale ayant des élus, sans autre condition, de désigner un représentant syndical au comité d'entreprise ou d'établissement.

Rendu avec une salve d'arrêts faisant tous application de la loi du 20 août 2008 (11), l'arrêt "Syndicat Solidaires" sous examen venait trancher la question des conditions nouvelles de désignation d'un représentant syndical au comité d'entreprise.

Le syndicat Solidaires avait notifié à quatre sociétés, constitutives d'une unité économique et sociale, la désignation d'un représentant syndical dans un comité d'établissement. Contestant cette désignation, les sociétés saisirent le juge d'instance qui l'annula au motif que le syndicat Solidaires n'était pas représentatif au sein de l'établissement concerné au sens des critères fixés par l'article L. 2121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3727IBN). Cependant, depuis la loi du 20 août 2008, la représentativité ne figure plus au nombre des critères exigés pour la désignation d'un représentant syndical au comité d'entreprise. Le nouvel article L. 2324-2 du même code exige seulement, désormais, que le syndicat dispose d'élus au comité d'entreprise pour pouvoir y désigner un représentant syndical.

La Chambre sociale jugeait donc, dans cette affaire, que "les nouvelles dispositions de l'article L. 2324-2 du Code du travail [...] donnent le droit à chaque organisation syndicale ayant des élus, sans autre condition, de désigner un représentant syndical au comité d'entreprise ou d'établissement".

Le Rapport de la Cour de cassation apporte une analyse extrêmement intéressante sur cette affaire en ce qu'elle met en plein jour le raisonnement adopté par la Chambre sociale pour parvenir à ce résultat. Le Rapport s'interroge, d'abord, sur la disparition de la condition de représentativité : "la condition de représentativité en effet ne figure pas dans le texte adopté le 20 août 2008, alors qu'il apparaissait dans le projet de loi. Oubli du législateur ? Volonté délibérée de ce dernier ? Condition nécessairement sous-entendue ?".

Face à cette lacune, la Chambre sociale part à la recherche des intentions du législateur. confrontée au silence des travaux parlementaires comme du compte rendu de la commission mixte paritaire intervenue dans le débat, la Chambre sociale se range à une interprétation littérale du texte et en conclut que la condition de représentativité a disparu.

Si, répétons-le, la présentation de ce cheminement de pensée est extrêmement précieux pour mieux comprendre le fonctionnement de notre Haute juridiction, qu'il nous soit néanmoins permis de formuler deux observations.

D'abord, s'il est tout à l'honneur de la Chambre sociale de faire ressurgir des principes d'interprétation de la loi parfois un peu considérés comme obsolètes et désuets, tels que la recherche de l'intention du législateur, on peut cependant lui reprocher de ne pas avoir fait application des règles d'interprétation non moins classiques tirées des adages Interpretatio cessat in claris ou Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus. En effet, la lettre de l'article L. 2324-2 du Code du travail étant tout à fait limpide, était-il nécessaire de rechercher dans l'esprit du texte pour découvrir l'interprétation qu'il convenait d'en donner ?

Ensuite, on peut remarquer que, si la Chambre sociale s'attache à l'esprit du texte en recherchant la volonté du législateur, elle aurait pu, faute de volonté clairement exprimée, utiliser d'autres méthodes d'interprétation telles que, notamment, l'interprétation téléologique. En effet, chaque loi doit être interprétée par rapport à sa fonction sociale du moment, être interprétée par référence aux finalités de la règle invoquée. Or, il est permis de penser que l'attribution de pouvoirs supplémentaires aux syndicats représentatifs (section syndicale, représentant de la section syndicale, possibilité de désigner des représentants au comité d'entreprise, etc.) constitue une contrepartie à la plus grande difficulté que ces syndicats rencontreront pour démontrer leur représentativité. L'esprit du texte, alors, aurait permis d'en rejoindre la lettre.

Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV


(1) Lire nos obs., Qu'est-ce qu'un syndicat professionnel ?, Lexbase Hebdo n° 335 du 29 janvier 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N3659BID).
(2) Lire nos obs., La régularité de la consultation du comité d'entreprise sur un projet de licenciement économique n'est pas subordonnée au respect préalable de l'employeur de ses obligations en matière de GPEC, Lexbase Hebdo n° 367 du 15 octobre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N0835BMU).
(3) Lire nos obs., GPEC et licenciement économique : la position de la cour d'appel de Paris, Lexbase Hebdo n° 255 du 5 avril 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N6192BAL). V. aussi, P.-H. Antonmattéi, GPEC et licenciement pour motif économique : le temps des confusions judiciaires, Dr. soc., 2007, p. 289.
(4) Lire nos obs., Le comité d'établissement peut avoir recours à un expert-comptable pour l'analyse des comptes, Lexbase Hebdo n° 374 du 4 décembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N5820BMI).
(5) CE, 21 novembre 1986, n° 51807, Syndicat national CGC des établissements de l'association pour la formation professionnelle des adultes, publié (N° Lexbase : A4835AMZ).
(6) V., par exemple, en matière d'autorisation administrative de licenciement ou de transfert conventionnel d'un salarié protégé Cass. soc., 3 mars 2010, n° 08-42.526, M. François Brucelle, FS-P+B (N° Lexbase : A6514ES3) et les obs. de Ch. Willmann, Contestation du licenciement d'un salarié adhérent d'une convention AS-FNE, Lexbase Hebdo n° 387 du 19 mars 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N6015BN4) ; Cass. soc., 3 mars 2010, 2 arrêts, n° 08-41.600, Société Collectes valorisation énergie déchets (Coved), FS-P+B+R (N° Lexbase : A6512ESY) et n° 08-40.895, M. Thierry Fortune, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6509ESU) et nos obs., Le rôle de l'inspection du travail redéfini en matière de transfert conventionnel du contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 387 du 19 mars 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N5911BNA).
(7) De manière un peu contradictoire, le rapport énonce que "l'arrêt rapporté retient ici une solution classique fondée sur l'article L. 2325-36 du Code du travail".
(8) Cass. soc., 29 septembre 2009, 2 arrêts, n° 08-15.035, Société Snecma services, F-P+B (N° Lexbase : A5831ELK) et n° 08-17.023, Société Forclum Ile-de-France, F-P+B (N° Lexbase : A5853ELD) et nos obs., La mission des experts désignés par les comités en cas de restructuration, Lexbase Hebdo n° 367 du 15 octobre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N0849BME) ; Cass. soc., 5 mars 2008, n° 07-12.754, Société Impress métal packaging Imp, FS-P (N° Lexbase : A3342D7W) et nos obs., L'expert-comptable du comité d'entreprise détermine seul les documents nécessaires à l'exercice de sa mission, Lexbase Hebdo n° 297 du 20 mars 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N4433BEW).
(9) Lire nos obs., Les conditions de désignation du représentant de la section syndicale, Lexbase Hebdo n° 360 du 23 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N1139BLR).
(10) Lire nos obs., La désignation d'un représentant syndical au comité d'entreprise par des organisations non représentatives, Lexbase Hebdo n° 360 du 24 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N1145BLY).
(11) Loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ) et voir notre numéro spécial, Lexbase Hebdo n° 317 du 10 septembre 2008 - édition sociale.

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