La lettre juridique n°394 du 13 mai 2010 : Licenciement

[Le point sur...] La jurisprudence de la Cour de cassation rendue en 2009 à la lumière du Rapport de la Cour de cassation : licenciement

Réf. : Rapport 2009 de la Cour de cassation

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N0776BPG

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[Le point sur...] La jurisprudence de la Cour de cassation rendue en 2009 à la lumière du Rapport de la Cour de cassation : licenciement. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3210835-le-point-sur-la-jurisprudence-de-la-cour-de-cassation-rendue-en-2009-a-la-lumiere-du-rapport-de-la-c
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le 07 Octobre 2010

Remis officiellement au Garde des Sceaux le 29 mars 2010, la Cour de cassation rendait public, le 15 avril, son traditionnel Rapport annuel. Outre les non moins classiques suggestions de modifications législatives ou réglementaires, l'analyse des principaux arrêts et avis rendus au cours de l'année écoulée dans toutes les branches du droit, le Rapport des juges du Quai de l'Horloge met, cette année, l'accent sur les personnes vulnérables (droits de l'enfant, majeurs protégés, maintien en rétention des étrangers, protection des particuliers surendettés, accès à la justice des personnes aux ressources insuffisantes...), autour d'une étude réalisée par des magistrats de la Cour de cassation sur le thème, oeuvre collective orchestrée par le Professeur Xavier Lagarde. Concernant plus spécifiquement le droit du travail, le Rapport s'intéresse ainsi à l'accès à l'emploi des personnes vulnérables en raison de l'âge ou de l'état de santé et au maintien dans l'emploi des salariés âgés et malades, inaptes ou handicapés, avant de s'attarder sur les régimes juridiques du contrat de travail intégrant à des degrés divers des facteurs de précarité et ceux qui comportent des éléments qui atténuent ou neutralisent ces facteurs de précarité ; pour terminer, enfin, sur les salariés protégés (vulnérabilité des salariés qui demandent la mise en place d'élections professionnelles et des salariés candidats à des fonctions représentatives ; vulnérabilité des salariés qui exercent un mandat représentatif) et sur les contours de la vulnérabilité du stagiaire en entreprise. Le Rapport présente également, pour l'année 2009, l'activité de la Cour de cassation et des juridictions et commissions instituées auprès d'elle.
A la suite de cette récente diffusion, Lexbase Hebdo - édition sociale vous propose, cette semaine, un numéro spécial consacré au Rapport 2009 des juges du Quai de l'Horloge et vous invite à retrouver les commentaires des éclairages apportés par la Haute juridiction sur les arrêts ayant marqué le droit social l'année dernière. Une série de plusieurs articles vous est donc proposée, rédigés par notre collège d'auteurs, Christophe Radé, Christophe Willmann, Gilles Auzero et Sébastien Tournaux, balayant la jurisprudence sociale, tant en matière de relations individuelles de travail, qu'en matière de relations collectives de travail ou, encore, de Sécurité sociale.
  • Salariés protégés

- Cass. soc., 13 janvier 2009, n° 06-46.364, M. Jean-Pierre Ottaviani, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3379EC7)

En cas d'annulation d'une décision autorisant le licenciement d'un délégué du personnel ou d'un membre du comité d'entreprise, celui-ci est réintégré dans son mandat si l'institution n'a pas été renouvelée ; dans le cas contraire, il bénéficie, pendant une durée de six mois à compter du jour où il retrouve sa place dans l'entreprise, de la procédure prévue aux articles L. 425-1, alinéa 2, phrase 1 (N° Lexbase : L0054HDD), et L. 436-1, alinéa 2, phrase 1 (N° Lexbase : L0044HDY) du Code du travail, recodifiés sous les articles L. 2411-5 (N° Lexbase : L0150H9G) et L. 2411-8 (N° Lexbase : L0153H9K) du même code. Cette protection doit, également, bénéficier au salarié protégé dont l'autorisation de transfert a été annulée.

Par application de l'article L. 2414-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3906IBB), le transfert d'un salarié investi d'un mandat de représentant du personnel, compris dans un transfert partiel d'entreprise ou d'établissement, ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail. Curieusement, le Code du travail n'organise pas les conséquences de l'annulation d'une décision administrative autorisant le transfert d'un salarié protégé.

Dans l'affaire ayant conduit à l'arrêt rapporté, un salarié, dont le transfert avait été autorisé par une décision du ministre du Travail, ensuite annulée par le tribunal administratif, avait été réintégré dans son entreprise d'origine puis licencié un mois après sans autorisation préalable de l'inspecteur du travail. Les institutions ayant été renouvelées avant sa réintégration, l'intéressé avait perdu l'ensemble de ses mandats électifs. La cour d'appel avait refusé de lui appliquer la protection spéciale de six mois prévue en cas d'annulation d'une autorisation administrative de licenciement au motif qu'aucun texte n'institue une telle mesure.

Cette décision a été censurée par la Chambre sociale de la Cour de cassation qui, après avoir rappelé qu'en cas d'annulation d'une décision autorisant le licenciement d'un délégué du personnel ou d'un membre du comité d'entreprise, celui-ci est réintégré dans son mandat si l'institution n'a pas été renouvelée et que, dans le cas contraire, il bénéficie pendant une durée de six mois, à compter du jour où il retrouve sa place dans l'entreprise du statut protecteur, a décidé que cette protection doit également bénéficier au salarié protégé dont l'autorisation de transfert a été annulée.

Appelé à combler un regrettable vide législatif, la Cour de cassation a, à juste titre, fait application d'un texte qui, pour concerner une autre situation, n'en est pas moins fort proche de celle qui était en cause dans l'affaire considérée.

Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

- Cass. soc., 2 décembre 2009, 2 arrêts, n° 08-42.037, Société Federal express corporation c/ M. Karim Benmabrouk, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3493EP3) et n° 08-43.466, Société Mory Team c/ M. Daniel Chevereau, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3515EPU) (1)

Pourvoi n° 08-42.037 : les dispositions relatives au licenciement des salariés investis de fonctions représentatives instituent au profit de ces salariés, et dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, une protection exceptionnelle et exorbitante du droit commun qui interdit à l'employeur de rompre le contrat de travail sans respecter le dispositif destiné à garantir cette protection. Il en résulte qu'en cas de retrait de l'habilitation administrative nécessaire à l'exercice de ses fonctions, l'employeur est tenu non seulement de conserver le salarié dans l'entreprise, mais encore de le rémunérer jusqu'à l'obtention de l'autorisation de licenciement délivrée par l'inspecteur du travail.

Pourvoi n° 08-43.466 : les dispositions relatives au licenciement des salariés investis de fonctions représentatives instituent au profit de ces salariés, et dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, une protection exceptionnelle et exorbitante du droit commun qui interdit à l'employeur de rompre le contrat de travail sans respecter le dispositif destiné à garantir cette protection. Il en résulte qu'en cas de suspension du permis de conduire nécessaire à l'exercice de ses fonctions, l'employeur est tenu, non seulement de conserver le salarié dans l'entreprise, mais aussi de le rémunérer jusqu'à l'obtention de l'autorisation de licenciement délivrée par l'inspecteur du travail.

Chacun sait, depuis les fameux arrêts "Perrier" de 1974 (2), que les salariés investis de fonctions représentatives bénéficient, dans leur intérêt et dans celui de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle et exorbitante du droit commun qui interdit à l'employeur de rompre le contrat de travail sans respecter le dispositif destiné à garantir cette protection. Dans les deux arrêts rapportés la Cour de cassation a tiré, une nouvelle fois, les conséquences de cette solution de principe, considérant qu'en cas de retrait de l'habilitation administrative ou de suspension du permis de conduire nécessaire à l'exercice de ses fonctions, l'employeur est tenu, non seulement de conserver le salarié dans l'entreprise, mais aussi de le rémunérer jusqu'à l'obtention de l'autorisation de licenciement délivrée par l'inspecteur du travail.

Ainsi que le confirme le Rapport, la Cour de cassation a ainsi fait le choix de faire prévaloir le statut du salarié protégé, qui est investi d'une mission qu'il exerce dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs : "tant que le contrat de travail de ce salarié n'a pas été rompu selon le dispositif mis en place pour garantir la protection de son statut, l'employeur doit le conserver dans l'entreprise et continuer à lui payer son salaire, car l'en priver porterait atteinte à l'exercice même de son mandat".

On admettra qu'une telle solution n'est pas de nature à satisfaire les employeurs tenus de rémunérer un salarié qui ne peut plus exécuter ses obligations contractuelles. Sans doute peut-on penser que, pour la Cour de cassation, le retrait de l'autorisation administrative ou la suspension du permis de conduire nécessaire à l'exercice des fonctions constitue un motif légitime de licenciement et que la situation en cause ne peut qu'être provisoire, dans l'attente de la décision de l'inspecteur du travail. Mais, il reste à savoir quelle sera la position adoptée par le Conseil d'Etat dans une telle hypothèse.

Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

  • Formalités de licenciement

- Cass. soc., 21 janvier 2009, n° 07-41.788, M. Christophe Cuignet, FS-P+B+R sur le premier moyen (N° Lexbase : A6458EC8)

L'avis au délégué du personnel ou au président de la commission nationale de conciliation, mis à la charge de l'employeur par l'article 9.3 de la Convention collective nationale des personnels de formation de l'enseignement agricole privé , constitue une garantie de fond dont la méconnaissance prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.

Quelle est la portée des formalités prévues par une convention collective ou un règlement intérieur avant tout licenciement disciplinaire ? Quelles sanctions sont encourues en cas de violation, par l'employeur, de son l'obligation de respecter ces formalités ?

L'avis au délégué du personnel ou au président de la commission nationale de conciliation, mis à la charge de l'employeur par l'article 9.3 de la Convention collective nationale des personnels de formation de l'enseignement agricole privé, en cas de faute grave ou lourde susceptible d'entraîner le licenciement, constitue pour le salarié une garantie de fond dont la méconnaissance prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.

En l'espèce, un salarié a été engagé le 2 septembre 1999 en qualité d'enseignant par une association. Il a fait l'objet d'un avertissement le 23 juillet 2003, puis a été licencié pour faute grave le 8 septembre 2003. Contestant, notamment, le bien fondé de son licenciement, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes. Par un arrêt rendu le 13 février 2007, la cour d'appel d'Amiens a estimé que le licenciement était bien fondé sur une faute grave, car le non-respect des dispositions conventionnelles (article 9.3 de la Convention collective nationale des personnels de formation de l'enseignement agricole privé du 4 novembre 1993 (3)) n'est pas de nature à affecter la légitimité de la rupture, mais justifie que soit allouée au salarié une indemnité pour irrégularité de la procédure (CA Amiens, 5ème ch., sect. A, 13 février 2007, n° 06/01782, Monsieur Christophe-Jean-Claude Cuignet N° Lexbase : A6198EIE). Au contraire, pour la Cour de cassation (arrêt rapporté), l'avis au délégué du personnel ou au président de la commission nationale de conciliation, mis à la charge de l'employeur par l'article 9.3 de la convention collective, constitue une garantie de fond dont la méconnaissance prive le licenciement de cause réelle et sérieuse. Cette solution est conforme à la jurisprudence déjà adoptée par la Cour de cassation (4).

Dans une espèce soumise à la Cour de cassation en 2005 (Cass. soc., 29 juin 2005, n° 03-44.376, FS-P+B N° Lexbase : A8543DIA), la question portait sur l'article 66 de la Convention collective nationale de l'inspection d'assurances, selon lequel, en cas de licenciement pour faute ou insuffisance professionnelle d'un inspecteur confirmé dans ses fonctions qui a demandé la réunion du conseil, un représentant de l'employeur doit établir un procès-verbal qui relate, notamment, les faits reprochés à l'inspecteur et consigne l'avis de chacun des membres ayant participé à la réunion du conseil, ledit procès-verbal devant être transmis au salarié.

Le salarié a été engagé le 1er avril 1994 et licencié le 30 avril 1999 pour insuffisance de résultats et insuffisance de recrutement. Pour débouter le salarié de ses demandes, la cour d'appel a constaté que le salarié n'a pas reçu le procès-verbal de la réunion du conseil établi conformément à la convention collective nationale de l'inspection d'assurances. Les juges du fond ont, néanmoins, estimé que les droits de la défense n'ont pas été méconnus et que le salarié ne pouvait faire état d'aucun préjudice lié à cette irrégularité. Au contraire, la Cour de cassation relève que le procès-verbal de réunion du conseil n'a pas été établi conformément au texte précité ce dont il résultait que l'avis de chacun des membres du conseil n'a pas été porté à sa connaissance. Or, la consultation de l'organisme chargé en vertu d'une convention collective de donner son avis sur un licenciement envisagé par l'employeur constitue une garantie de fond. Le licenciement prononcé sans que le conseil ait été consulté et ait rendu son avis selon une procédure conforme à cette convention n'a pas de cause réelle et sérieuse.

Cette jurisprudence est cohérente avec des solutions retenues dans des domaines voisins, notamment en matière de licenciement pour motif économique. La Cour de cassation a décidé, dans l'affaire "Moulinex", que la méconnaissance par l'employeur de dispositions conventionnelles qui étendent le périmètre de reclassement et prévoient une procédure destinée à favoriser un reclassement à l'extérieur de l'entreprise, avant tout licenciement, constitue un manquement à l'obligation de reclassement préalable au licenciement et prive celui ci de cause réelle et sérieuse (5). En conséquence, doit être sanctionné l'employeur n'ayant pas saisi les commissions territoriales de l'emploi ou les organisations professionnelles préalablement au licenciement des salariés, conformément aux dispositions de l'accord national du 12 juin 1987 sur les problèmes généraux de l'emploi dans la métallurgie. L'employeur est tenu de respecter cet accord national sur l'emploi dans la métallurgie, dont l'article 28 lui impose, lorsqu'il envisage de prononcer des licenciements pour motif économique, de rechercher les possibilités de reclassement à l'extérieur de l'entreprise, en faisant appel à la commission territoriale de l'emploi.

Christophe Willmann, Professeur à l'université de Rouen et Directeur scientifique de l’Ouvrage "Droit de la Sécurité sociale"

  • Licenciement pour motif économique/Reclassement

- Cass. soc., 4 mars 2009, n° 07-42.381, Société PB et M, venant aux droits de la société Pinault Bois et Matériaux, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6328EDQ) (6)

La cour d'appel qui a constaté que les éléments produits par l'employeur, limités aux entreprises situées sur le territoire français, ne permettaient pas de déterminer l'étendue du secteur d'activité du groupe dont relevait la société, a pu en déduire que la réalité des difficultés économiques invoquées n'était pas établie.

L'employeur, se bornant à solliciter de ses salariés qu'ils précisent, dans un questionnaire renseigné avant toute recherche et sans qu'ils aient été préalablement instruits des possibilités de reclassement susceptibles de leur être proposées, leurs voeux de mobilité géographique en fonction desquels il avait, ensuite, limité ses recherches et propositions de reclassement, ne satisfait pas à son obligation de reclassement.

Pour la Cour de cassation, si les éléments produits par un employeur sont limités aux entreprises situées sur le territoire français, le juge n'est pas en position de déterminer l'étendue du secteur d'activité du groupe dont relevait un employeur. Dès lors, la réalité des difficultés économiques invoquées n'était pas établie. De plus, ne satisfait pas à son obligation de reclassement l'employeur qui se borne à solliciter de ses salariés qu'ils précisent, dans un questionnaire renseigné avant toute recherche et sans qu'ils aient été préalablement instruits des possibilités de reclassement susceptibles de leur être proposées, leurs voeux de mobilité géographique en fonction desquels il avait ensuite limité ses recherches et propositions de reclassement.

En l'espèce, des salariés ont été licenciés pour motif économique en janvier 2004 et mars 2004. La cour d'appel de Bourges a décidé que les licenciements de certains de salariés étaient sans cause réelle et sérieuse (CA Bourges, 16 mars 2007, n° 06/00607 N° Lexbase : A2132EK8). La société n'a pas donné de cause réelle et sérieuse aux licenciements économiques qu'elle a prononcés parce qu'elle n'a pas fourni d'information permettant d'apprécier le périmètre du secteur d'activité du groupe et la situation économique et financière de ce secteur, interdisant au juge de pouvoir valablement apprécier le motif économique du licenciement. L'employeur invoquait que le secteur d'activité du groupe servant de cadre d'appréciation des difficultés économiques ne regroupe que les entreprises du groupe qui ont la même activité dominante et interviennent sur le même marché. L'activité de "sciage de bois de chêne" constitue un secteur d'activité différent de celui du "négoce de bois et matériaux de construction". Mais pour la Cour de cassation, les éléments produits par l'employeur, limités aux entreprises situées sur le territoire français, ne permettaient pas de déterminer l'étendue du secteur d'activité du groupe dont relevait la société. La réalité des difficultés économiques invoquées n'était pas établie.

Bref, pour apprécier la réalité des difficultés économiques d'une entreprise, dans l'hypothèse très précise des entreprises appartenant à un groupe international, le juge prend en compte le secteur d'activité de l'établissement/entreprise appartenant à une entreprise/groupe, de manière à comparer des éléments comparables ; le cadre d'appréciation se fait non pas au seul plan national, mais intègre la situation des autres entreprises du groupe relevant du même secteur d'activité, y compris implantées à l'étranger. En l'espèce, le juge ne peut limiter l'appréciation des difficultés économique de l'entreprise dont les établissements sont implantés en France, dès lors que le secteur négoce et matériaux de construction connaissait une progression, avec d'importantes filiales aux Etats-Unis et en Angleterre.

De plus, la cour d'appel a constaté qu'une salariée avait ajouté aux quatre limites géographiques de mobilité professionnelle la mention "Cher uniquement" (département du Cher). La recherche de reclassement de celle ci n'a pas été loyalement menée par l'employeur parce qu'il ne l'a pas invitée à modifier ses souhaits géographiques au fur et à mesure des recherches de reclassement. Le pourvoi formé par l'employeur est rejeté par la Cour de cassation. L'employeur est tenu, avant tout licenciement économique, de rechercher toutes les possibilités de reclassement existant dans le groupe dont il relève, parmi les entreprises dont l'activité, l'organisation ou le lieu d'exploitation permettant d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel, et de proposer ensuite aux salariés dont le licenciement est envisagé tous les emplois disponibles de la même catégorie ou, à défaut, d'une catégorie inférieure. L'employeur ne peut limiter ses recherches de reclassement et ses offres en fonction de la volonté de ses salariés, exprimés à sa demande et par avance, en dehors de toute proposition concrète.

Christophe Willmann, Professeur à l'université de Rouen et Directeur scientifique de l’Ouvrage "Droit de la Sécurité sociale"

  • Harcèlement

- Cass. soc., 10 mars 2009, n° 07-44.092, M. Bennasser Boulmane, FP-P+B+R (N° Lexbase : A7131EDH) (7)

Le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis.

La loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations (N° Lexbase : L8986H39) (8), a institué, sous prescription du droit communautaire, une disposition protégeant le salarié amené à dénoncer des faits de discrimination. En revanche, aucune mesure similaire n'avait été adoptée s'agissant du salarié dénonçant des faits de harcèlement moral.

Par le biais d'un moyen relevé d'office par les juges, la Chambre sociale déduit des articles L. 1152-2 (N° Lexbase : L0726H9R) et L. 1152-3 (N° Lexbase : L0728H9T) du Code du travail que le licenciement d'un salarié qui a relaté des faits de harcèlement moral doit être annulé, "sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis". Elle en conclue que "le grief tiré de la relation des agissements de harcèlement moral par le salarié, dont la mauvaise foi n'était pas alléguée, emporte, à lui seul, la nullité de plein droit du licenciement".

Le Rapport annuel reprend cette décision en la replaçant dans le contexte du droit communautaire comme du droit interne dont la tendance générale est à la protection du "droit d'expression des salariés, lorsque celui-ci est exercé aux dépens d'autres salariés ou de supérieurs hiérarchiques, mais pour la défense d'un intérêt public" (9).

Le Rapport relève également que "l'immunité ainsi accordée au salarié constitue un élément important dans la lutte contre le harcèlement moral au travail, puisqu'il facilite sa prise en compte dans les meilleurs délais, permet à l'employeur informé de vérifier si les faits portés à sa connaissance constituent ou non un harcèlement moral, ou, s'ils ne sont pas fondés, s'ils traduisent ou non un élément de souffrance du salarié tel que, par exemple, le stress" (10). L'attention de la Chambre sociale à l'égard de la prévention du harcèlement moral ne s'est depuis lors pas démentie comme en témoignent certaines décisions pour le moins radicales à ce sujet (11).

Si le Rapport appuie sur le fait que l'immunité accordée au salarié ne lui bénéficie qu'à la condition qu'il soit de bonne foi, laquelle est de principe présumée (12), il demeure silencieux sur la justification de la sanction qui réside dans la nullité du licenciement. En effet, "sur un terrain purement juridique, l'interprétation faite par la Cour de cassation des dispositions de l'article L. 1152-2 du Code du travail ne convainc pas. La nullité du licenciement suppose, en effet, que le salarié ait bien relaté ou dénoncé des faits de harcèlement. Or, dès lors que ces faits ne sont pas avérés, une condition d'application du texte ferait défaut et la nullité ne saurait être encourue" (13). D'utiles explications auraient pu être apportées à ce sujet.

Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

  • Modification dans la situation juridique de l'employeur/Reprise par une personne publique dans le cadre d'un service public administratif

- Cass. soc., 30 septembre 2009, n° 08-40.846, Mme Valérie Biasotto, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5963ELG) (14)

La cause particulière de rupture du contrat de travail prévue par l'article L. 1224-3 du Code du travail (N° Lexbase : L6255IEE) ne relève pas des dispositions de ce code applicables aux licenciements pour motif économique.

Si le licenciement d'un salarié qui refuse un contrat de droit public doit être prononcé dans les conditions prévues par le Code du travail, le refus de changer de statut opposé par le salarié repris constitue à lui seul une cause de licenciement.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation considère que le licenciement consécutif au refus opposé par un salarié dont le contrat est repris par une personne publique dans le cadre de l'application de l'article L. 1224-1 du Code du travail repose sur un motif autonome qui écarte l'application du régime du licenciement pour motif économique.

La Cour de cassation justifie dans le Rapport la mise à l'écart de la qualification de "motif économique", non sans suggérer que pareille qualification aurait pu être envisagée. Selon elle, "le nouvel article L. 1233-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1100H9M) paraît l'exclure, puisqu'il ne déclare les dispositions du chapitre sur les licenciements économiques applicables qu'aux seules entreprises publiques et aux établissements publics industriels et commerciaux. Mais les textes en vigueur avant la recodification ne revêtaient pas une portée aussi générale et si l'établissement d'un plan de sauvegarde de l'emploi était écartée (L. 321-2 N° Lexbase : L0048HD7 et L. 321-4-1 N° Lexbase : L8926G7Q), il n'était pas évident que le motif de rupture, non inhérent à la personne du salarié, échappe à la qualification de motif économique et au régime qui en découle".

Selon le Rapport, la solution finalement retenue se justifie par le fait qu'"il ne parait, en effet, pas raisonnable de subordonner le licenciement d'un salarié qui refuse de changer de statut à une recherche de reclassement que ce refus rend impossible, alors que la loi impose en ce cas à l'employeur de mettre fin au contrat de travail en cours, créant ainsi une véritable obligation de licencier à la charge de la personne publique".

Nous avions reproché, à l'époque, à la décision de ne pas indiquer si le licenciement du salarié serait par ailleurs justifié par une cause réelle et sérieuse. Le rapport ne revient pas sur la question, ce qui est logique puisque tel n'était pas l'objet de l'arrêt ; on se souviendra, toutefois, que l'affirmation du caractère justifié de ce licenciement interviendra quelques semaines plus tard (Cass. soc., 2 déc. 2009, n° 07-45.304, FS-P+B N° Lexbase : A3387EP7).

Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale


(1) Lire nos obs., Salariés investis de fonctions représentatives : le statut protecteur prime sur le contrat !, Lexbase Hebdo n° 376 du 17 décembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N7058BMD).
(2) Cass. soc., 2 juillet 1974, n° 73-11.263, Syndicat CFDT c/ Société Perrier SA (N° Lexbase : A7656CEB) ; Cass. mixte, 21 juin 1974, n° 71-91.225, Castagne, Clavel, Daumas, Delon, Dame Grasset, Martinez, Dame Maurin c/ Epry (N° Lexbase : A6851AGT), Dr. soc., 1974, p. 454, avec les concl. de Touffait.
(3) Selon lequel, "en cas de faute grave ou lourde susceptible d'entraîner le licenciement, l'employeur en avise le délégué du personnel dans les délais les plus brefs. A défaut, il avise le président en exercice de la commission nationale de conciliation prévu à l'article 32. Le salarié concerné peut saisir sous huitaine cette commission qui se réunit à la diligence du président. Celui-ci peut faire procéder à une enquête par un ou plusieurs membres de la commission nationale de conciliation".
(4) Cass. soc., 29 juin 2005, n° 03-44.376, M. Michel Berthelot c/ société Gan Prévoyance, FS-P+B (N° Lexbase : A8543DIA), Bull. civ. V, n° 221 ; Cass. soc., 16 septembre 2008, n° 07-41.532, Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Guadeloupe (CRCAMG), FS-P+B (N° Lexbase : A4076EA9).
(5) Cass. soc., 28 mai 2008, n° 06-46.009, FS-P+B (N° Lexbase : A7828D8G) et lire nos obs., La Cour de cassation renforce l'obligation de reclassement externe, même conventionnelle, Lexbase Hebdo n° 309 du 19 juin 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N3636BGR).
(6) Lire nos obs., Le licenciement pour motif économique, sous haute surveillance judiciaire, Lexbase Hebdo n° 343 du 27 mars 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9911BIW).
(7) Lire les obs. de Ch. Radé, Nullité du licenciement du salarié qui se trompe de bonne foi en dénonçant des faits non avérés de harcèlement, Lexbase Hebdo n° 343 du 27 mars 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9827BIS).
(8) Lire les obs. de Ch. Radé, La nouvelle approche des discriminations en droit du travail, Lexbase Hebdo n° 309 du 19 juin 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N3609BGR).
(9) Reprenant en cela une analyse du Professeur J. Savatier, Dr. soc., 2008, p. 125.
(10) Accord national interprofessionnel sur le stress au travail du 2 juillet 2008, JCP éd. S, 2008, 1515. L'Ani sur le stress au travail a été étendu par arrêté du 23 avril 2009 (N° Lexbase : L1970IEP), publié au Journal officiel du 6 mai 2009.
(11) Cass. soc., 3 février 2010, 2 arrêts, n° 08-40.144, Mme Valérie Vigoureux, dite Collette, FP-P+B+R (N° Lexbase : A6060ERU) et n° 08-44.019, Mme Christine Margotin, FP-P+B+R (N° Lexbase : A6087ERU) et nos obs., La vigueur retrouvée de l'obligation de sécurité de résultat, Lexbase Hebdo n° 383 du 19 février 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N2358BNN).
(12) V., déjà, Cass. soc., 30 mai 2007, n° 05-18.755, Mme Martine Dechaux, F-D (N° Lexbase : A5100DWS) ; Cass. soc., 2 avril 2008, n° 06-42.714, Société Azur autos, F-D (N° Lexbase : A7668D77).
(13) Lire les obs. de Ch. Radé, Nullité du licenciement du salarié qui se trompe de bonne foi en dénonçant des faits non avérés de harcèlement, Lexbase Hebdo n° 343 du 27 mars 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9827BIS).
(14) Lire nos obs., Transfert d'une entreprise au profit d'une personne publique et licenciement des salariés, Lexbase Hebdo n° 367 du 15 octobre 2009 - édition sociale ([LXB=N0887B]).

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