La lettre juridique n°306 du 29 mai 2008 : Licenciement

[Jurisprudence] Transaction et sécurisation des procédures : l'équation est-elle vraiment parfaite ?

Réf. : Cass. soc., 15 mai 2008, 2 arrêts, n° 07-40.576, F-D (N° Lexbase : A5419D89) et n° 07-40.627, F-D (N° Lexbase : A5420D8A) ; Cass. soc., 14 mai 2008, n° 07-40.946, FS-P+B (N° Lexbase : A5424D8E)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 26 Janvier 2024

La transaction présente un vif intérêt théorique et pratique, dans la mesure où elle permet de régler, hors la présence du juge et de manière, en principe, définitive, un différend privé portant sur des droits disponibles. Mais la sécurité recherchée est-elle toujours au rendez-vous ? Parfois, mais pas toujours, serait-on tenté de répondre. C'est ce bilan en demi-teinte qu'illustrent trois arrêts rendus les 14 et 15 mai 2008 par la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui rappelle que les concessions consenties par les parties ne doivent pas être dérisoires (I), que la transaction conclue en des termes généraux à vocation à s'appliquer, interdisant ensuite à l'employeur de réclamer au salarié des sommes qu'il aurait "oubliées" (II) et que les tiers à une transaction peuvent l'invoquer à leur profit si elles leurs sont favorables (III).

Résumés

Pourvoi n° 07-40.576 : la cour d'appel, ayant examiné les indemnités dues en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse et celles dues en cas de licenciement pour cause réelle et sérieuse, a pu estimer, sans trancher le litige auquel la transaction devait mettre fin, que le montant stipulé dans la transaction, inférieur à deux mois de salaire, était dérisoire et ne constituait pas une véritable concession de la part de l'employeur.

Pourvoi n° 07-40.627 : doit recevoir application la transaction rédigée en des termes généraux par laquelle les parties se reconnaissaient quittes et libérées l'une envers l'autre, tous comptes se trouvant définitivement réglés et apurés entre elles pour toute cause que ce soit, et ce dans la mesure où rien ne restreignait la portée de ladite transaction.

Pourvois n° 07-40.946 à 07-41.061 : si l'effet relatif des contrats interdit aux tiers de se prévaloir de l'autorité d'une transaction à laquelle ils ne sont pas intervenus, ces mêmes tiers peuvent, néanmoins, invoquer la renonciation à un droit que renferme cette transaction. La cour d'appel ayant retenu que les salariés avaient entendu renoncer expressément, dans la transaction conclue avec la société Alstom, à toute demande indemnitaire relative à leur licenciement, le moyen pris de la violation des articles 1165 (N° Lexbase : L1267ABK) et 2049 à 2052 (N° Lexbase : L2294ABL) du Code civil est inopérant, dès lors que leur action, si elle a été déclarée à tort irrecevable, comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée, ne pouvait, cependant, aboutir, en présence de la renonciation à leurs droits, dont le liquidateur judiciaire de la société SIE était fondé à se prévaloir.

Commentaire

I - L'office du juge et le contrôle du caractère non dérisoire des concessions consenties

  • Application de la transaction en droit du travail

Jusqu'à sa réglementation par le droit du travail (1), les parties qui entendaient régler les éventuels différends pouvant naître à l'occasion de la rupture du contrat de travail avaient recours au reçu pour solde de tout compte, document par lequel le salarié attestait avoir reçu de son employeur certaines sommes et reconnaissait avoir été intégralement rempli dans ses droits. Le législateur est intervenu pour permettre au salarié de contester, dans les deux mois de la remise du reçu, sa signature, ce qui lui ouvrait, alors, la voie d'une contestation judiciaire. La loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 (loi n° 2002-73 N° Lexbase : L1304AW9) a supprimé le caractère libératoire du reçu pour solde de tout compte, mais, l'accord de modernisation du marché du travail, conclu par les partenaires sociaux le 11 janvier 2008, projette de lui restituer cet effet libératoire, tout en étendant à six mois la période de contestation (article 11).

Les parties contractantes disposent, également, de la faculté de conclure une transaction, selon les termes des articles 2044 et suivants du Code civil (N° Lexbase : L2289ABE). Quoique non prévue par le Code du travail, ce contrat de droit commun, auquel renvoie classiquement le Code du travail (2), a été déclaré recevable en droit du travail (3), même si la concurrence créée avec la réglementation du reçu a pu en faire valablement douter (4).

  • Exigence de concessions réciproques

Bien qu'elle ne figure pas expressément dans les dispositions du Code civil, l'existence de concessions réciproques constitue une condition de validité de la transaction. Elle participe, en effet, de sa nature même, qui est de mettre un terme à un différend en amenant chaque partie à renoncer à une partie de ses prétentions, en échange d'une renonciation correspondante de l'autre et ce, pour mettre fin à leur différend (5).

  • Contrôle induit par l'exigence de concessions réciproques

Pour qu'il puisse utilement contrôler l'existence de concessions réciproques, le juge doit nécessairement déterminer, préalablement à tout contrôle, l'étendue des droits des parties auxquels elles renoncent, en tout ou partie, dans le cadre de la transaction. Non seulement le juge doit s'assurer que les parties ont renoncé à certaines de leurs prétentions, mais il doit, également, s'assurer que cette renonciation n'est pas dérisoire, étant admis, en droit civil, que ce qui est dérisoire doit être traité comme inexistant et entraîner l'annulation de la transaction.

Ainsi, lorsque la transaction est intervenue après un licenciement (6), le juge doit vérifier l'existence des motifs invoqués par l'employeur, même s'il n'a pas à s'interroger sur l'existence d'une cause réelle et sérieuse justifiant le licenciement (7). Mais, si le juge n'a pas à s'interroger sur la qualification des faits visés dans la transaction au regard de l'exigence de justification du licenciement, il contrôle tout de même d'autres éléments de qualification, ce qui impose aux parties de motiver leur transaction pour favoriser ce contrôle (8). Le juge examinera, ainsi, si la procédure du licenciement a bien été respectée par l'employeur, singulièrement si la lettre de licenciement était suffisamment motivée (9). Le juge vérifiera, également, la qualification juridique apportée par les parties aux faits visés dans la transaction et ce, pour déterminer le régime indemnitaire auquel le salarié pouvait prétendre ; les parties ne pourront pas, ainsi, bâtir leur transaction sur une qualification erronée de faute disciplinaire (10).

Une fois ce travail de contrôle opéré sur le respect des procédures et la qualification juridique des faits visés par les parties, le juge se contentera de s'assurer que les concessions consenties par les parties et, singulièrement, par l'employeur, ne sont pas dérisoires.

  • L'affaire

C'est cette analyse qui avait conduit les magistrats de la cour d'appel de Versailles, dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt rendu le 15 mai 2008 (pourvoi n° 07-40.576), à annuler la transaction litigieuse.

Dans cette affaire, un salarié, licencié pour faute grave, avait obtenu une indemnité transactionnelle, au titre de l'indemnisation des conséquences de la rupture, d'un montant de 4 500 euros, correspondant à, environ, deux mois de salaire. La cour d'appel de Versailles avait considéré cette indemnité comme dérisoire et avait annulé la transaction, ce qui ouvrait toutes grandes les portes du réexamen de la situation des parties.

L'employeur, qui tentait d'obtenir la cassation de l'arrêt, faisait valoir, dans son pourvoi, le caractère non dérisoire des concessions et prétendait que le juge devait se déterminer de manière concrète, en comparant les prétentions respectives des parties au moment de la conclusion de la transaction ; or, licencié pour faute grave, le salarié n'avait droit à rien, ce qui suffisait à établir l'existence de concessions suffisantes consenties par l'employeur, qui avait accepté de lui verser l'indemnité litigieuse correspondant à environ deux mois de salaires.

L'argumentation n'a pas convaincu la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui rejette le pourvoi, après avoir considéré que "la cour d'appel, ayant examiné les indemnités dues en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse et celles dues en cas de licenciement pour cause réelle et sérieuse, a pu estimer, sans trancher le litige auquel la transaction devait mettre fin, que le montant stipulé dans la transaction, inférieur à deux mois de salaire, était dérisoire et ne constituait pas une véritable concession de la part de l'employeur".

  • Précisions apportées sur la méthode d'évaluation du caractère suffisant des concessions réciproques

L'arrêt nous livre donc un enseignement dont les employeurs, et leurs conseils, devront tenir compte. La détermination du caractère dérisoire peut, en effet, se réaliser abstraitement, sans qu'il soit utile de s'intéresser ni aux données de l'espèce, qui sont protégées par l'existence de l'accord transactionnel, ni aux prétentions respectives des parties dans la négociation de l'accord. Le juge pourra, ainsi, simplement considérer en soi le montant de l'indemnité transactionnelle, en la comparant aux droits du salarié. Or, il apparaît que l'indemnité transactionnelle était, dans cette affaire, très proche, dans son montant, du total des différentes indemnités auxquelles le salarié pouvait prétendre, même en admettant qu'il ait commis une faute grave (11), et très éloignée de ce qu'il aurait pu prétendre percevoir s'il avait établi l'absence de faute grave (12). Dans ces conditions, il apparaissait que le salarié avait renoncé de manière importante, en comparaison des sommes qu'il aurait pu revendiquer en faisant établir judiciaire l'absence de faute grave, mais pas l'employeur qui n'avait consenti aucune concession sérieuse en versant au salarié une indemnité très proche de ses prétentions initiales.

  • La confirmation d'un courant jurisprudentiel sévère pour les employeurs

La jurisprudence livre de nombreux exemples de concessions admises comme suffisantes, ou non. Ainsi, a été jugée suffisante la transaction dans laquelle "la salariée, ayant trouvé un nouvel emploi, demandait à quitter l'entreprise" à une date donnée, car "les parties avaient consenti des concessions réciproques, dès lors que l'employeur autorisait la salariée à quitter l'entreprise sans effectuer son préavis et la libérait de sa clause de non-concurrence et que celle-ci renonçait à percevoir le montant de l'indemnité compensatrice de congés payés, correspondant à un mois de salaire en contrepartie de l'inexécution de son préavis" (13).

En revanche, a été jugée dérisoire l'indemnité transactionnelle d'un montant faiblement supérieur à celui de l'indemnité conventionnelle de licenciement (14), ou d'un montant de 2 100 francs (environ 320 euros) (15), 3 000 francs environ (environ 457 euros) (16), 5 000 francs (environ 762 euros) (17), ou, encore, 6 000 francs (environ 914 euros) versée à un salarié, en contrepartie de la signature d'une clause de non-concurrence d'une période de deux ans (18). En revanche, un somme de 9 760 francs (environ 1 487 euros) a été jugée suffisante pour un salarié ayant, par ailleurs, perçu une indemnité conventionnelle de licenciement, alors qu'il avait une ancienneté de plus de trente ans et un salaire mensuel de plus de 20 000 francs (environ 3 048 euros) (19).

Cette décision s'inscrit donc dans cette lignée. Certaines sommes semblent intrinsèquement dérisoires, qui plus est lorsque le salarié pouvait, compte tenu des droits qu'ils tiraient possiblement de sa situation, espérer beaucoup plus. Même si le montant non dérisoire n'a pas à être déterminé en référence à la moyenne des prétentions respectives des parties, on peut considérer que l'indemnité transactionnelle, qui s'éloignerait trop de cet entre-deux, risque d'être facilement qualifiée de dérisoire, et d'entraîner l'annulation de la transaction.

II - L'office du juge et la portée de la transaction conclue en des termes généraux

  • Portée d'une transaction rédigée en des termes très généraux

L'article 2052 du Code civil (N° Lexbase : L2297ABP) reconnaît à la transaction, "entre les parties, l'autorité de la chose jugée en dernier ressort".

Cette autorité est, toutefois, relative, comme le précise, d'ailleurs, l'article 2048 du Code civil (N° Lexbase : L2293ABK), aux termes duquel "les transactions se renferment dans leur objet ; la renonciation qui y est faite à tous droits, actions et prétentions, ne s'entend que de ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu". L'article 2049 du Code civil ajoute, d'ailleurs, pour renforcer la relativité de l'autorité s'attachant à la transaction, que "les transactions ne règlent que les différends qui s'y trouvent compris, soit que les parties aient manifesté leur intention par des expressions spéciales ou générales, soit que l'on reconnaisse cette intention par une suite nécessaire de ce qui est exprimé". (20)

La question de la portée des transactions rédigées en des termes très généraux a divisé la jurisprudence et conduit la Chambre sociale de la Cour de cassation à résister, discrètement mais sûrement, à l'arbitrage de l'Assemblée plénière. Cette dernière a, en effet, décidé, en 1997, et s'agissant du sort d'une prime d'intéressement dont le quantum avait été fixé postérieurement à la conclusion d'une transaction, que la transaction libellée en des termes généraux interdisait toute contestation ultérieure entre les parties (21).

Or, dans les mois qui ont suivi, la Chambre sociale de la Cour de cassation a adopté, s'agissant des primes d'intéressement, une analyse moins stricte et a admis que le salarié pouvait, encore, saisir le juge prud'homal, après avoir relevé "qu'aucune disposition de la transaction n'excluait le droit du salarié à un intéressement et à une participation aux résultats de l'entreprise [...] et que, lors de la transaction, son montant n'était ni déterminé ni déterminable pour l'exercice en cours, ce dont il résultait que ce droit ne pouvait être compris dans l'objet de la transaction" (22).

Pour la Chambre sociale de la Cour de cassation, en effet, la transaction conclue au moment du licenciement ne peut concerner que les droits qui naissent de la rupture du contrat de travail, et seulement ceux-ci ; le salarié protégé, qui transige avec son employeur, ne pourra donc plus réclamer ultérieurement sa réintégration, car celle-ci a été conclue "en vue de réparer tant les conséquences du licenciement lui-même que celles de son irrégularité" (23). En revanche, les créances, qui pourraient naître postérieurement et indépendamment de la rupture du contrat de travail, n'entrent pas dans le champ d'une transaction formulée en des termes très généraux et conclue à l'occasion du licenciement du salarié ; seule une mention particulière désignant ces créances futures sera de nature à empêcher le salarié de les réclamer en justice (24). Une même solution explique que, à défaut de clauses particulières, la clause de non-concurrence n'est pas affectée par la transaction conclue pour régler les conséquences indemnitaires d'un licenciement (25).

La conclusion d'une transaction rédigée en des termes très généraux ne s'oppose donc pas, non plus, à l'exercice d'une priorité de réembauchage ; ce droit n'est, en effet, qu'éventuel à la date de signature de la transaction, puisque le salarié peut ne pas demander à en bénéficier, et elle ne "répare pas" les conséquences du licenciement, dans la mesure où elle s'exerce indépendamment du caractère justifié, ou non, du licenciement pour motif économique (26). Dans le même sens, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a, également, considéré que la transaction conclue entre un bailleur et le locataire portant sur les droits et obligations de ce dernier ne concernait pas le sort du droit de préemption, car cette "situation [...] n'existait pas encore" au moment de sa conclusion (27).

  • Solution en l'espèce

En l'espèce (pourvoi n° 07-40.627), une transaction avait été conclue après un licenciement et stipulait que les parties se reconnaissaient quittes et libérées l'une envers l'autre pour toute cause que ce soit. Or, l'employeur avait réclamé ultérieurement à son ancien salarié le paiement d'une somme correspondant au prêt qu'elle lui avait consenti et aux intérêts. La cour d'appel avait condamné le salarié, considérant que l'employeur n'avait pas expressément renoncé, dans la transaction, au remboursement des prêts qu'elle avait consentis au salarié, et qu'il convenait d'interpréter la formule contractuelle comme ne devant s'appliquer qu'à "leurs droits et obligations réciproques nés du contrat de travail". Cet arrêt est cassé, la Chambre sociale de la Cour de cassation considérant, au contraire, que "les prêts antérieurement consentis [...] étaient nécessairement inclus dans la transaction dont l'article 7 stipulait que les parties se reconnaissaient quittes et libérées l'une envers l'autre, tous comptes se trouvant définitivement réglés et apurés entre elles pour toute cause que ce soit et que rien ne restreignait la portée de ladite transaction".

  • Une solution justifiée par le caractère déterminable, au moment de la conclusion de la transaction, des créances concernées

Cette solution est parfaitement justifiée et conforme à l'autorité qui s'attache aux transactions. Il serait, d'ailleurs, simpliste de considérer que la Haute juridiction sait se montrer sévère lorsque ce sont les employeurs qui tentent d'éluder une transaction, alors qu'elle se montre permissive dans l'hypothèse où ces mêmes demandes émanent de salariés. Dans les affaires concernant des demandes émanant de salariés, il s'agit toujours de droits futurs arrivant à échéance après conclusion de la transaction et, souvent, de créances complexes dont les salariés ignorent, parfois, l'existence ou le montant exact, au moment où ils sont licenciés ; les exclure de la transaction semble donc nécessaire pour éviter l'arbitraire. Mais, s'agissant de la renonciation de l'employeur à percevoir le solde du remboursement d'un prêt consenti au salarié, on ne voit pas quel argument pourrait justifier pareille demande, présentée en marge d'une transaction conclue en des termes très généraux, dès lors que le plan de remboursement est établi dès le départ et bien connu des parties.

III - Office du juge et invocabilité par les tiers des transactions qui leur sont favorables

  • Position des tiers

L'effet relatif de la transaction, même à l'égard de tiers relatifs, résulte des termes de l'article 2051 du Code civil : "La transaction faite par l'un des intéressés ne lie point les autres intéressés et ne peut être opposée par eux".

La transaction n'oblige donc pas les tiers. Ainsi, la transaction conclue par l'employeur et le salarié ne lie pas l'Assedic, qui peut demander le remboursement des allocations de chômage, dès lors que le licenciement apparaît comme dépourvu de cause réelle et sérieuse, comme le prévoit l'article L. 1235-4 du Code du travail (28) ; pour les mêmes raisons, la transaction conclue par la victime et le responsable ne saurait conduire à aggraver la dette de l'assureur de responsabilité (29).

La transaction ne peut davantage leur profiter directement ; ainsi, une Caisse régionale de Sécurité sociale ne saurait se prévaloir de la transaction conclue par une caisse primaire (30).

En revanche, la transaction peut profiter indirectement aux tiers qui peuvent se prévaloir de la situation juridique qu'elle a créée. Il en ira de même lorsqu'un différend commercial a été éteint (31) ou que l'extinction de la dette s'étend par ricochet à celle du débiteur solidaire ou de l'assureur (32).

Les contrats valablement formés créent, toutefois, une situation juridique nouvelle qui est, en tant que telle, opposable aux tiers. A ce titre, ces derniers ne doivent rien faire pour aider l'une des parties à se soustraire à ses propres obligations. Ce principe vaut logiquement pour la transaction (33), dès lors qu'elle a été valablement exécutée (34) et les tiers ne pourront prétendre justifier leurs propres manquements en se fondant sur une transaction à laquelle ils n'ont pas été partie (35).

  • L'affaire

Dans cette affaire (pourvois n° 07-40.946 à 07-41.061), cent seize salariés avaient été licenciés peu de temps après le transfert de leur entreprise. Leur nouvel employeur ayant été mis en liquidation judiciaire, ils avaient assigné, dans le cadre de deux procédures distinctes, à la fois leur ancien employeur, en contestant les conditions du transfert de leur établissement au regard des exigences posées pour l'application de l'ancien article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L5562ACY, art. L. 1224-1, recod. N° Lexbase : L9765HWL), et leur employeur actuel, pour obtenir sa condamnation, ainsi que l'AGS, en paiement de dommages et intérêts pour défaut de cause réelle et sérieuse.

Le différend les opposant au cédant avait été réglé par une transaction dans laquelle les salariés renonçaient à toute nouvelle action portant sur les conséquences de leur licenciement. Les salariés avaient, toutefois, poursuivi leur action contre le cessionnaire de l'entreprise, c'est-à-dire leur employeur, pour obtenir réparation des préjudices causés par leurs licenciements. Ce dernier leur opposait les termes mêmes de la transaction, conclue avec le cédant, pour tenter de faire déclarer leurs demandes irrecevables.

La cour d'appel avait donné raison à l'employeur et elle avait déclaré les demandes formulées par les salariés irrecevables, en se fondant sur l'autorité de la chose jugée qui s'attache à la transaction conclue avec leur ancien employeur.

Dans leurs pourvois, les cent seize demandeurs se fondaient précisément sur l'effet relatif de la transaction pour empêcher leur nouvel employeur d'en invoquer les termes, car il était bien entendu demeuré étranger à l'accord qui avait été signé avec l'entreprise cédante dans le cadre de l'autre procédure.

Or, ces pourvois sont rejetés. Après avoir rappelé le principe selon lequel "l'effet relatif des contrats interdit aux tiers de se prévaloir de l'autorité d'une transaction à laquelle ils ne sont pas intervenus", la Chambre sociale de la Cour de cassation affirme que "ces mêmes tiers peuvent, néanmoins, invoquer la renonciation à un droit que renferme cette transaction", après avoir écarté l'argument erroné tiré de l'autorité de la chose jugée qui ne vaut qu'entre les parties à la transaction.

  • Une solution classique

Cette affirmation nous semble conforme aux principes qui gouvernent les rapports des tiers aux actes auxquels ils ne sont pas partie, singulièrement en matière de transaction. Le principe de l'effet relatif protège, en effet, les tiers en s'opposant à ce que des obligations mises à leur charge puissent naître d'un acte auquel ils n'ont pas participé. En revanche, ils peuvent valablement invoquer à leur profit ce même acte, dès lors que le respect de la transaction, qui leur est favorable, conduit à imposer à l'une des parties le respect de ses propres obligations. C'est pour cette raison que la jurisprudence affirme, classiquement, que la transaction conclue entre un codébiteur et le créancier peut valablement être invoquée à son profit par un autre codébiteur (36).

  • Une solution de bon sens

La cour d'appel avait, dans cette affaire, parfaitement mesuré les enjeux de l'action engagée contre le cessionnaire de l'entreprise, qui avait procédé au licenciement des salariés. Certes, la transaction destinée à régler le différend né des licenciements prononcés par le cessionnaire avait été conclue avec le cédant, et non le cessionnaire. Mais, en réalité, il s'agissait bien du même différend réglé, en quelque sorte, pour le compte d'un tiers. Dès lors, il semblait logique que la renonciation à agir, stipulée dans la transaction, profite au tiers.


(1) Loi du 8 octobre 1946, modifiée par la loi du 31 décembre 1953.
(2) C. trav., art. L. 1234-20 . La localisation du renvoi au droit commun dans le nouveau plan du Code du travail pourrait, d'ailleurs, relancer le débat sur la licéité du recours à la transaction, car le nouvel article L. 1221-1 du Code du travail se trouve placé dans une division du code consacrée à la formation du contrat de travail, et non plus dans un chapitre consacré à des dispositions générales.
(3) Cass. soc., 18 mai 1953, Dr. soc., 1953, p. 602.
(4) Pour Brun et Galland, d'ailleurs, le recours à la transaction est plus favorable que le reçu, qui ne constate qu'une renonciation unilatérale de la part du salarié, alors que, dans la transaction, la renonciation est bilatérale (Droit du travail, tome 1, Les rapports individuels de travail, Sirey, 2ème éd., 1978, n° 626, p. 794).
(5) Cass. soc., 13 novembre 1959, JCP éd. G, 1960, II, 11450, note G.H. Camerlynck.
(6) On sait qu'elle doit impérativement intervenir après la notification de celui-ci (Cass. soc., 29 mai 1996, n° 92-45.115 N° Lexbase : A3966AA7, Dr. soc., 1996, p. 684, note J. Savatier ; D., 1997, p. 49, note J.-P. Chazal).
(7) Cass. soc., 27 février 1996, n° 92-44.997 (N° Lexbase : A2470AGL), RJS, 1996, n° 405 ; Cass. soc., 14 juin 2000, n° 97-45.065 (N° Lexbase : A3557AUB), Dr. soc., 2001, p. 27, chron. G. Couturier : "le juge ne peut, sans heurter l'autorité de la chose jugée attachée à la transaction, trancher le litige que cette dernière avait pour objet de clore en se livrant à un examen des éléments de faits et de preuve pour déterminer le bien-fondé du motif du licenciement économique du salarié" ; Cass. soc., 23 janvier 2001, n° 98-41.992 (N° Lexbase : A2287AIK), Dr. soc., 2001, p. 320, obs. G. Couturier ; Cass. soc., 29 novembre 2006, n° 05-43.414, F-D (N° Lexbase : A7898DSC) ; Cass. soc., 26 avril 2007, n° 06-40.718, F-P (N° Lexbase : A0696DWP) (salarié inapte licencié pour un motif économique), et les obs. de S. Martin-Cuenot, Transaction sur licenciement nul est également annulée, Lexbase Hebdo n° 260 du 16 mai 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N0740BBZ).
(8) Cass. soc., 23 janvier 2001, n° 98-41.992, préc..
(9) Cass. soc., 12 juillet 2006, n° 03-46.446, F-D (N° Lexbase : A4257DQQ).
(10) Cass. soc., 6 avril 1999, n° 96-43.467 N° Lexbase : A4610AGT), Dr. soc., 1999, p. 641, obs. B. Gauriau : "le juge peut, sans heurter l'autorité de la chose jugée attachée à la transaction, restituer aux faits énoncés dans la lettre de licenciement leur véritable qualification" (transaction visant des faits comme étant susceptibles de justifier un licenciement pour faute grave, alors qu'il ne s'agissait que d'insuffisance professionnelle, qui n'est jamais constitutive d'une faute) ; Cass. soc., 18 décembre 2001, n° 99-40.649, FS-P (N° Lexbase : A7222AXR), Dr. soc., 2002, p. 360, obs. B. Gauriau ("faits susceptibles de recevoir la qualification de faute grave") ; Cass. civ. 1, 25 mai 2005, n° 02-15.938, F-D (N° Lexbase : A4137DI3) : "Mais attendu, d'abord, que les juges du fond qui, non tenus de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, devaient rechercher le caractère réel ou non des concessions contenues dans la transaction au moment de sa signature, ont relevé que le préjudice des consorts Y... résultait du dol commis par les époux X... et n'équivalait pas à la différence entre le stock réel et celui faussement indiqué lors de la vente ; qu'ils n'ont ainsi fait que restituer aux faits énoncés leur véritable qualification, sans heurter l'autorité de chose jugée attachée à la transaction".
(11) Compensation de la perte des congés payés, rappels de salaires ou de primes, compensation des repos compensateurs non pris, etc..
(12) Indemnité de préavis, de licenciement, pour absence de cause réelle et sérieuse.
(13) Cass. soc., 1er décembre 2004, n° 02-46.341, F-P+B (N° Lexbase : A1259DED), Bull. civ. V, n° 317.
(14) Cass. soc., 10 juillet 2001, n° 99-43.376 (N° Lexbase : A1798AU7).
(15) Cass. soc., 14 juin 2000, n° 98-42.304, inédit (N° Lexbase : A2160CT8).
(16) Cass. soc., 20 novembre 2001, n° 99-44.817, F-D (N° Lexbase : A2265AX8).
(17) Cass. soc., 28 novembre 2000, n° 98-43.635 (N° Lexbase : A9446AHC), Bull. civ. V, n° 399.
(18) Cass. soc., 18 mai 1999, n° 96-44.628 (N° Lexbase : A4655AGI), Bull. civ. V, n° 223.
(19) Cass. soc., 18 mars 2003, n° 01-41.501, F-D (N° Lexbase : A5292A77).
(20) Sur l'effet de transaction, voir notre étude, Les effets de la transaction, dans La transaction dans toutes ses dimensions, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2006, p. 87 s..
(21) Ass. plén., 4 juillet 1997, n° 93-43375 (N° Lexbase : A0745CAT), Dr. soc., 1997, p. 978, obs. G. Couturier ; JCP éd. G,1997, II, 22952, note D. Corrignan-Carsin.
(22) Cass. soc., 9 mars 1999, n° 96-43602, publié (N° Lexbase : A7437CGK), Bull. civ. V, n° 107.
(23) Cass. crim., 3 mai 1994, n° 91-86.047 (N° Lexbase : A0229AZI), RJS, 1994, n° 1010.
(24) Cass. soc., 12 octobre 1999, n° 96-43.020 (N° Lexbase : A4619AG8), Dr. soc., 1999, p. 1108, obs. J. Mouly ; JCP éd. G, 2000, II, 10383, note C. Puigelier : "les clauses contractuelles destinées à trouver application postérieurement à la rupture du contrat de travail ne sont pas, sauf dispositions expresses contraires, affectées par la transaction intervenue entre les parties pour régler les conséquences d'un licenciement". Dans le même sens, Cass. soc., 1er mars 2000, n° 97-43.471 (N° Lexbase : A0415AZE).
(25) Cass. soc., 27 février 2007, n° 05-43.600, F-D (N° Lexbase : A4164DUR).
(26) Cass. soc., 14 mai 1997, n° 94-44.690, inédit (N° Lexbase : A1299CTB), RJS, 1997, n° 1091.
(27) Cass. civ. 3, 29 mars 2000, n° 98-17036, publié (N° Lexbase : A4219CKH), Bull. civ. III, n° 70.
(28) Cass. soc., 4 octobre 1995, n° 93-16.370 (N° Lexbase : A3973AAE), Bull. civ. I, n° 262 ; Cass. soc., 9 avril 2008, n° 06-43.537, F-D (N° Lexbase : A8753D7C).
(29) Cass. civ. 1, 27 octobre 1969, Bull. civ. I, n° 314.
(30) Cass. soc., 26 mai 1981, Bull. civ. V, n° 473.
(31) Cass. civ. 1, 25 février 2003, n° 01-00.890, FS-P (N° Lexbase : A3052A78), Bull. civ. V, n° 60.
(32) Cass. civ.1, 23 juin 1988, D., 1999, somm. 227, obs. H. Groutel.
(33) Cass. civ. 1, 7 juillet 1981, n° 80-14.533, publié (N° Lexbase : A4876CGP), Bull. civ. I, n° 250.
(34) Cass. civ. 1, 7 novembre 1995, n° 92-21.406 (N° Lexbase : A7417ABC), Bull. civ. I, n° 400.
(35) Cass. com., 14 février 1989, n° 86-13.876 (N° Lexbase : A7433AAK), Bull. civ. I, n° 67.
(36) Cass. civ. 1, 27 octobre 1969, D., 1970, p. 12 ; Cass. com., 28 mars 2006, n° 04-12.197, FS-P+B+R (N° Lexbase : A8547DNU), D., 2006, p. 2381, note Thomat-Raynaud ; RDC, 2006, p. 808, obs. X. Lagarde : "un codébiteur solidaire peut invoquer la transaction intervenue entre le créancier commun et l'un de ses coobligés, dès lors qu'il en résulte pour ce dernier un avantage dont il peut lui-même bénéficier".

Décisions

1° Cass. soc., 15 mai 2008, n° 07-40.576, F-D (N° Lexbase : A5419D89)

(CA Versailles, 15ème ch., 30 novembre 2006)

Textes concernés : C. civ., art. 2044 s. (N° Lexbase : L2289ABE)

Mots clef : transaction ; validité ; concessions réciproques ; caractère non dérisoire.

Lien base :

2° Cass. soc., 15 mai 2008, n° 07-40.627, F-D (N° Lexbase : A5420D8A)

Cassation (CA Versailles,15ème ch., 7 décembre 2006)

Textes visés : C. civ., art. 2044 (N° Lexbase : L2289ABE), 2048 (N° Lexbase : L2293ABK) et 2049 (N° Lexbase : L2294ABL)

Mots clef : transaction ; portée ; termes généraux.

Lien base :

3° Cass. soc., 14 mai 2008, n° 07-40.946, FS-P+B (N° Lexbase : A5424D8E)

Rejet (CA Douai, ch. soc., 22 décembre 2006)

Textes concernés : C. civ., art. 2044 et s. (N° Lexbase : L2289ABE)

Mots clef : transaction ; tiers ; effet relatif ; limites ; invocabilité ; accord favorable.

Lien base :

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