Le Quotidien du 3 juin 2021 : Actualité judiciaire

[A la une] L’expertise psychiatrique qui pourrait faire basculer l’affaire de viols visant Tariq Ramadan

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[A la une] L’expertise psychiatrique qui pourrait faire basculer l’affaire de viols visant Tariq Ramadan. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/68738502-a-la-une-l-expertise-psychiatrique-qui-pourrait-faire-basculer-l-affaire-de-viols-visant-tariq-rama
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par Vincent Vantighem, Grand Reporter à 20 Minutes

le 23 Juin 2021

Édit, le 17 juin 2021 à 13 heures 30 : le 17 juin 2021 la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris a prononcé la nullité du rapport d'expertise rédigé par Daniel Zagury. La juridiction d'instruction a estimé que l'expert avait outrepassé les limites de sa mission en procédant à l'examen des plaignantes quand l'ordonnance de commission d'expertises prescrivait la réalisation d'expertises dites « d'examen sur pièces ». L'affaire a été renvoyée au juge d'instruction.

On y parle de « système d’approche et d’installation d’une relation addictive », de « procédés de manipulation », « d’inscription dans un registre de soumission ». « D’emprise », aussi. Et même de « viol moral ». Autant d’expressions que Tariq Ramadan voudrait bien logiquement voir disparaître de la procédure dont il fait l’objet depuis le 20 octobre 2017.

Désormais mis en examen pour des viols sur cinq femmes, l’islamologue suisse va demander à la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, jeudi 3 juin, l’annulation de l’expertise psychiatrique aujourd’hui au cœur de son dossier d’instruction. Conduite par le psychiatre Daniel Zagury, cette expertise – que Lexbase a pu consulter – conclut au fait que les  accusatrices du théologien étaient au moins en partie « sous [son] emprise » quand elles ont eu des relations avec lui… Un document susceptible d’affaiblir sa défense s’il venait à être jugé devant une cour d’assises pour des faits de « viols ».

Peut-être plus que dans les autres dossiers pénaux, les affaires de mœurs confèrent en effet une importance considérable aux expertises psychiatriques. Sans doute parce qu’ils opposent souvent frontalement la parole des uns (accusés) à celles des autres (victimes). Et qu’il est rare, pour les enquêteurs, de disposer d’autres éléments de preuves leur permettant de se forger une opinion claire.

Deux versions irréconciliables

Dans le dossier constitué autour de la personnalité de Tariq Ramadan, il y a des éléments. Des échanges de SMS. Des photos d’époque. Et même une robe sur laquelle les experts ont isolé « une trace de fluide ». Mais le cœur de l’instruction repose essentiellement sur l’incompatibilité des deux versions. Après avoir longtemps nié avoir un jour rencontré ou simplement côtoyé les femmes qui l’accusent, Tariq Ramadan a fini par avouer avoir entretenu avec elles des « relations consenties ». À l’inverse, celles-ci assurent avoir été abusées et violentées. Elles expliquent avoir cédé devant l’aura du théologien et surtout à cause de l’emprise qu’il était parvenu à tisser autour d’elles.

Les conclusions du Docteur Zagury vont donc plutôt dans le sens des jeunes femmes. Dans son rapport, il avait décrit en quatre étapes la relation instaurée par Tariq Ramadan avec ces femmes : une « vénération » pour « l’intellectuel brillant » rencontré sur les réseaux sociaux, puis des échanges « de plus en plus érotisés avec une coloration sadomasochiste de domination / soumission », suivis d’une rencontre physique « décrite comme un enchaînement soudain et brutal » vers des pratiques sexuelles pas toujours consenties. Avant une quatrième phase de sentiments mêlés : rancœur, culpabilisation, vengeance, admiration…

L’appartenance de Daniel Zagury à l’association Schibboleth

Pour éviter que cette analyse ne vienne nourrir la réflexion de jurés populaires au cours d’un éventuel procès d’assises, les avocats de Tariq Ramadan ont donc décidé d’attaquer ce rapport. Et par tous les moyens possibles. D’abord, c’est la méthode qu’ils ont décidé de réduire en miettes. Dans leurs conclusions, les avocats estiment que le rapport du Docteur Zagury est illégal dans la mesure où il a décidé d’entendre les plaignantes au lieu de se baser uniquement sur le dossier, comme le lui avaient demandé les trois juges chargées de l’instruction du dossier. Au surplus, toujours selon eux, le psychiatre se serait également « substitué » aux juges en se prononçant sur le « consentement » et en ne se limitant pas à « l’emprise » exercée. De cette manière, « cet expert exerce une emprise sur cette instruction qui n’a pas lieu d’être et qu’il convient d’annuler », lâche Philippe Ohayon, l’un de ses avocats.

Mais c’est aussi et surtout la personne même de Daniel Zagury que les avocats ont décidé d’attaquer bille en tête. Dans leurs conclusions, ils avancent ainsi que le psychiatre est membre du conseil scientifique de l’association Schibboleth qui a pris des positions contre Tariq Ramadan. Autrement dit qu’il est de parti pris et qu’il ne peut pas réaliser d’expertises dans ce dossier.

D’après ses statuts, Schibboleth est une « association internationale et interuniversitaire qui propose des éléments pour penser notre époque et trouver comment y agir ». Les avocats de Tariq Ramadan ont donc fourni la liste des prises de position des membres de l’association contre leur client. Daniel Zagury, lui, a refusé de réagir à la polémique. Mais il a fait savoir qu’il n’avait participé aux travaux de cette association qu’à deux reprises. Lors d’une conférence sur les néonaticides après un déni de grossesse et une autre sur la « banalité psychique du mal ». C’était en 2014 et 2016. Soit bien avant que Tariq Ramadan ne soit visé par la première plainte…

Peu importe pour son équipe de défense qui sait bien que c’est sans doute la première étape du possible procès à venir qui se joue ici. Et qu’il faut tout faire pour que ce rapport ne figure pas aux débats et qu’une contre-expertise soit ordonnée. « Après chaque échéance judiciaire, Tariq Ramadan et ses avocats multiplient les recours pour faire durer cette instruction qui touche pourtant à sa fin », déplore ainsi Eric Morain, avocat de plusieurs plaignantes. La chambre de l’instruction devrait prendre le temps d’examiner leur demande. Sa décision devrait ensuite être mise en délibéré.

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