La lettre juridique n°483 du 3 mai 2012 : Sociétés

[Le point sur...] L'intervention d'un commissaire aux comptes pour la réalisation de certaines opérations dans les SAS non tenues d'en désigner un : le concept ou la grammaire ?

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par Guy de Foresta, avocat au barreau de Lyon, Spécialiste en Droit des sociétés, Cabinet De Foresta Avocats

le 04 Mai 2012

Plusieurs dispositions du Code de commerce prévoyant l'intervention d'un commissaire aux comptes pour la réalisation de certaines opérations sociales, caractéristiques le plus souvent d'opérations sur capital, la question s'est posée de savoir si une telle intervention était véritablement requise dans les SAS que la loi de modernisation de l'économie (loi n° 2008-776 du 4 août 2008 dite "LME" N° Lexbase : L7358IAR) a dispensé de désigner un commissaire aux comptes de manière permanente.
A cette question, le Comité juridique de l'ANSA, (Association nationale des sociétés par actions) puis le Comité national des commissaires aux comptes (CNCC) ont, à un an d'intervalle, apporté des réponses théoriques différentes qui se traduisent néanmoins par des solutions pratiques identiques, sauf pour deux types d'opérations particulières. I - Les approches différentes

A - L'ANSA

Quelque temps après l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-779 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie, ayant modifié le régime des SAS, notamment en ce qui concerne l'obligation de désigner un commissaire aux comptes, le Comité juridique de l'ANSA tenait, le 3 décembre 2008, une réunion prenant position sur certains points.

Réfléchissant sur les opérations pour lesquelles le Code de commerce prévoit l'intervention d'un commissaire aux comptes, le Comité tenait le raisonnement suivant :

Se fondant sur une approche explicitement "littérale" des textes applicables, le Comité, sur la base des dispositions de l'article L. 227-1, alinéa 3, du Code de commerce (N° Lexbase : L2477IBD), rappelait que pour que les dispositions relatives aux SA soient applicables aux SAS, en particulier relativement à l'intervention du commissaire aux comptes lors de la réalisation de certaines opérations, il convenait non seulement qu'elles ne soient pas explicitement exclues par l'alinéa 3 de l'article précité, mais encore qu'elles soient compatibles avec les dispositions particulières applicables aux SAS.

Dès lors que, conformément à ces dispositions particulières amendées par la "LME", certaines SAS n'étaient pas tenues de désigner un commissaire aux comptes, ces dernières n'avaient donc pas à faire intervenir un commissaire aux comptes pour la réalisation d'opérations où leur présence s'impose en SA.

Interprétant cette notion de compatibilité visée par ledit article L. 227-1, l'ANSA considérait que les SAS dispensées de désigner un commissaire aux comptes étaient libérées "mécaniquement" des obligations leur incombant en SA.

Très logiquement, elle considérait, en revanche, que s'agissant des dispositions non spécifiques aux SA, c'est-à-dire applicables à l'ensemble des sociétés commerciales si ce n'est par actions, et prévoyant l'intervention d'un commissaire aux comptes pour la réalisation de certaines opérations, la SAS non tenue de désigner un commissaire aux comptes ne pourrait alors se passer d'en faire intervenir un.

En d'autres termes, là où la notion de compatibilité jouait comme un frein à l'application des dispositions spécifiques (et non exclues) aux SA, cet obstacle disparait nécessairement pour l'application de dispositions générales applicables à toutes sociétés.

B - Le CNCC

Prenant position un an après sur cette question, la Commission nationale des commissaires aux comptes (CNCC), faisant preuve d'une réelle indépendance d'esprit, adoptait une position différente en son principe, mais fondée elle aussi -quoique implicitement seulement- sur une interprétation littérale -voire grammaticale- des dispositions du code de commerce (cf. Bulletin CNCC, n° 156, décembre 2009, p. 700).

C'est ainsi que le Comité considérait que les SAS non tenues de désigner un commissaire aux comptes ont néanmoins l'obligation d'en nommer un pour la réalisation d'opérations pour lesquelles le texte de référence du Code de commerce prévoit l'intervention "d'un commissaire aux comptes".

En revanche, lorsque ces textes de référence ne prévoient que l'intervention "du ou des" commissaires aux comptes, ou bien vise "le" commissaire aux comptes de l'entité considérée, une telle intervention n'est pas requise dans ces SAS, par hypothèse dépourvues de tels commissaires.

Ainsi, le genre de l'article retenu dans la rédaction du texte commanderait la solution :

- défini tel que "du ou "des" ou "le", le texte ne renverrait qu'au seul commissaire aux comptes déjà en fonction dans la société, libérant de l'obligation celles qui n'en sont pas dotées ;

- indéfini tel que "un" ou "de", il imposerait l'intervention d'un commissaire aux comptes, que celui-ci soit déjà désigné dans la société ou bien qu'il soit précisément à désigner pour la réalisation de l'opération considérée.

Ce faisant, le CNCC marquant son désaccord avec l'ANSA, substituait au distinguo SA/autres sociétés retenu par cette dernière sur la base de la notion de compatibilité, celui d'article défini/indéfini sur la base de la rédaction grammaticale.

II - Les incidences pratiques

Indépendamment de la problématique théorique de ces approches, force est de reconnaître qu'elles conduisent toutes deux à des solutions pratiques identiques, sauf pour la réalisation de deux types biens spécifiques d'opérations.

A - L'identité des solutions

Que ce soit par exclusion des dispositions non compatibles spécifiques aux SA (ANSA) ou de celles visant l'intervention "du" ou "des" commissaires aux comptes (CNCC), il faut considérer que les opérations suivantes peuvent être réalisées sans commissaire aux comptes dans les SAS non tenues d'en désigner :
- les augmentations de capital avec suppression du droit préférentiel de souscription (C. com., art. L. 225-135 N° Lexbase : L3103IQY et R. 225-114 N° Lexbase : L0249HZA) ;
- les transformations (C. com., art. L. 225-244 N° Lexbase : L6115AIC) ;
- les réductions de capital (C. com. art. L. 225-204 N° Lexbase : L6009ISD) ;
- les augmentations de capital libérées par compensation de créances (C. com., art. L. 225-146 N° Lexbase : L6017AIP et R. 225-134 N° Lexbase : L0269HZY) ;
- les options de souscription ou d'achat d'actions (C. com., art. L. 225-177 N° Lexbase : L2678HW4) ;
- les attributions d'actions gratuites (C. com., art. L. 228-12 N° Lexbase : L8369GQZ et R. 228-19 N° Lexbase : L5095HZQ).

Pour ces opérations, les deux approches se superposent :

  • qu'il s'agisse de textes applicables spécifiquement aux SA ou bien utilisant des articles définis.

Dans un tel cas, et selon M. P.-L. Perrin (Journal spécial des sociétés - avril 2009), "[o]n lit alors les articles de loi (spécialement les articles L. 225-127 à L. 227-270 du code de commerce en ne tenant simplement pas compte des références faites aux Commissaires aux comptes".

  • Inversement, il est une opération visée pour tous les types de sociétés commerciales dans les dispositions communes du Titre III du Code de commerce qui renvoient par ailleurs à l'intervention "d'un" commissaire aux comptes : la distribution d'un acompte sur un dividende (cf. C. com., art. L. 232-12 N° Lexbase : L6292AIU).

Dans un tel cas, son intervention s'impose.

B - La divergence des solutions

Il existe, en revanche, deux types d'opération où les textes de référence visent chacun l'intervention "du" ou "des" commissaires aux comptes, sans être pour autant spécifiques aux SA :
- les opérations sur actions de préférence (C. com., art. L. 228-12 et L. 228-19 N° Lexbase : L8376GQB) ;
- les émissions de valeurs mobilières (C. com., art. L. 228-92 N° Lexbase : L8337GQT).

Pour le CNCC, ces opérations sont exclues de l'obligation d'intervention, tandis que pour le Comité juridique de l'ANSA, et même si sa formulation est moins assertive car visant un exemple, la désignation ponctuelle d'un commissaire aux comptes semble s'imposer.

C - La pertinence des critères

L'application pratique des solutions respectives de l'ANSA et du CNCC relatives aux deux opérations susvisées, amène à formuler les observations suivantes :

D'abord, dans le texte même de sa communication du 3 décembre 2008, le Comité juridique de l'ANSA préconise l'intervention d'un commissaire aux comptes "pour les dispositions qui ne sont pas spécifiques aux SA et qui prévoient l'intervention d'un Commissaire aux comptes".

Autrement dit, sa solution repose sur le cumul des deux éléments caractéristiques des dispositions applicables :
- absence de spécificité aux SA ;
- stipulation de l'intervention "d'un" commissaire aux comptes.

S'attachant au choix de l'article indéfini -différencié à bon droit de l'article défini par le CNCC- l'ANSA ne recourt-elle pas finalement au distinguo opéré par ce dernier ?

Par ailleurs, si les dispositions légales relatives à la création d'actions de préférence (C. com., art. L. 228-12 et L. 228-19) et à l'émission de valeurs mobilières (C. com., art. L. 228-92) ne sont en effet pas spécifiques aux SA puisqu'elles font partie du Chapitre VIII "Des valeurs mobilières émises par les sociétés par actions" du Titre II du Code de commerce relatif aux "Dispositions particulières aux diverses sociétés commerciales", il convient en revanche de souligner que ces dispositions renvoient toutes, pour leur mise en oeuvre, à des dispositions légales et réglementaires spécifiques aux SA, à savoir, les articles L. 225-10 (N° Lexbase : L5881AIN) et L. 225-122 (N° Lexbase : L5993AIS) à L. 225-125 et R. 225-132 (N° Lexbase : L0267HZW) pour les actions de préférence, et les articles L. 225-129 (N° Lexbase : L2677HW3) à L. 225-129-6 et R. 225-117 (N° Lexbase : L0252HZD) pour l'émission de valeurs mobilières...

Est-il légitime d'écarter des dispositions spécifiques aux SA des articles de loi relatifs à des opérations sur capital dont la mise en oeuvre et la réalisation concrète sont pourtant régies par des dispositions légales et réglementaires applicables aux SA ?

Enfin, et sur un plan plus théorique, l'on peut également se demander si l'interprétation stricte que retient le Comité juridique de l'ANSA sur la notion de comptabilité, doit prévaloir en toutes hypothèses.

Si l'incompatibilité s'impose entre les dispositions générales applicables aux SA dotées d'un commissaire aux comptes et les dispositions particulières applicables aux SAS non dotées d'un tel commissaire, cette incompatibilité est-elle pour autant "mécanique" lorsqu'il s'agit de l'intervention ponctuelle d'un commissaire aux comptes pour la réalisation d'une opération spécifique ?

Sur la présence permanente d'un commissaire aux comptes auprès de la société, il y a bien une incompatibilité manifeste mais pas nécessairement sur son intervention ponctuelle. La "LME", dans un souci de simplification de règlements, dispense certaines SAS de désigner un commissaire aux comptes pour la durée légale de six exercices, mais elle n'interdit pas pour autant à des commissaires aux comptes, intervenant alors en qualité de commissaires "ad hoc", de réaliser certaines missions pour des opérations spécifiques.

La véritable question est de savoir si ces dispositions ont ou non un caractère obligatoire. Et la présomption d'incompatibilité avancée par l'ANSA pourrait être renversée.

En ce sens, le critère retenu par les CNCC, après une année d'expérience sur cette question, a l'avantage de la clarté et de la simplicité.

C'est bien du reste cette dernière solution qui est retenue pour la création d'actions de préférence par les auteur du Memento Francis Lefebvre (millésime 2012 n° 67 814) qui exclut expressément l'intervention d'un commissaire aux comptes pour les SAS qui n'en sont pas dotées.

***

Conclusion

De ce débat théorique, le praticien amené à réaliser des opérations pour lesquelles le Code de commerce prévoit l'intervention d'un commissaire aux comptes dans des SAS qui n'en sont pas dotées, doit retenir les solutions suivantes :

  • La nomination ponctuelle d'un commissaire aux comptes ne sera pas requise pour les opérations listées au paragraphe II-A. ci-avant.

Comme le souligne l'ANSA, la contrepartie sera "une responsabilité accrue des dirigeants quant à la qualité de l'information qu'ils délivrent aux associés sur des aspects qui donnent lieu, dans une société anonyme, à une appréciation des commissaires aux comptes : vérification des conditions de prix, effet dilutif, caractéristiques des actions [...]".

  • Inversement, la SAS devra nécessairement en faire désigner un par voie d'ordonnance sur requête du Président du tribunal de commerce lorsqu'elle entendra procéder à la distribution d'un acompte sur dividendes.

Pour des opérations d'émission de valeurs mobilières comme celles de création d'actions de préférence, les dirigeants de la SAS devront être particulièrement circonspects.

Certes, la nomination ponctuelle d'un commissaire aux comptes effectuée comme en matière d'acompte sur dividendes, ne pourra que sécuriser l'opération en y apportant une transparence et une incompatibilité de nature à justifier le coût supplémentaire de cette intervention.

Dans le cas des actions de préférence où des droits particuliers sont créés, la société devra en toute hypothèse recourir à la désignation d'un commissaire aux apports chargé d'apprécier les avantages particuliers (cf. C. com., art. L. 225-8 N° Lexbase : L5748ISP, L. 225-14 N° Lexbase : L5885AIS, L. 225-147 N° Lexbase : L5749ISQ et L. 225-148 N° Lexbase : L8401GQ9 sur renvoi de l'article L. 228-15, alinéa 1er N° Lexbase : L2544IBT), sauf s'agissant d'une catégorie d'actions déjà créée, auquel cas un rapport spécial du commissaire aux comptes suffit (cf. art. L. 228-12, al. 1er et L. 228-15, al. 3).

A défaut de nullité expresse prévue par les textes, l'on voit mal comment une annulation pour défaut de rapport de commissaire aux comptes pourrait intervenir dans ces conditions, alors que l'obligation de son intervention est ainsi discutée en doctrine.

La question sera plus aiguë pour l'émission de valeurs mobilières donnant accès au capital (cf. C. com., art. L. 228-92 N° Lexbase : L8337GQT) dans la mesure où une nullité expresse est prévue par les dispositions de l'article L. 228-93, alinéa 2 (N° Lexbase : L8338GQU).

Si tant est que le cas de figure puisse véritablement se présenter, il appartiendra alors au juge de se prononcer sur le caractère véritablement obligatoire ou non de l'intervention d'un commissaire aux comptes pour la réalisation d'une telle opération.

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