La lettre juridique n°483 du 3 mai 2012 : Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Chronique] Chronique de TVA - Mai 2012

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par Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne

le 03 Mai 2012

L'actualité jurisprudentielle en matière de TVA est animée, autant au plan communautaire qu'au niveau national. Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne, revient sur quatre arrêts portant sur des aspects très différents de cette taxe. Ainsi, la CJUE vient rappeler la nécessité de préserver de la manière la plus large possible le droit à déduction, en vue de garantir le principe de neutralité de la TVA, objectif essentiel des textes communautaires applicables (CJUE, 29 mars 2012, aff. C-414/10). Par ailleurs, le Conseil d'Etat est venu étoffer et compléter sa jurisprudence concernant les modalités de preuve en matière de livraisons communautaires, dans deux décisions similaires. En effet, la Haute juridiction considère que la société française qui a des relations de longue date avec des clients luxembourgeois ne peut ignorer l'absence d'activité réelle de ses clients, et se rend donc complice de fraude (CE 3° et 8° s-s-r., 9 mars 2012, deux arrêts, n° 330760, mentionné au recueil Lebon et n° 330761, inédit au recueil Lebon). Enfin, le juge suprême s'est intéressé à une question de droit assez rarement évoquée dans sa jurisprudence, à propos de la distinction entre mandataire et commissionnaire dans le cadre de l'application des règles de territorialité applicables aux prestations de services intracommunautaires (CE 10° et 9° s-s-r., 28 mars 2012, n° 323375, mentionné aux tables du recueil Lebon). I - La TVA à l'importation doit pouvoir être déduite par son redevable, indépendamment du fait qu'il l'ait effectivement acquittée ou non (CJUE, 29 mars 2012, aff. C-414/10 N° Lexbase : A8580IGU)

La décision commentée vient confirmer la position de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) en matière de droit à déduction, tout en répondant à une question de droit qui, à notre connaissance, n'avait encore jamais été abordée par le juge communautaire.

Les faits examinés se sont déroulés sous l'empire de la 6ème Directive-TVA (Directive 77/388/CEE du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de TVA : assiette uniforme N° Lexbase : L9279AU9), car ils sont antérieurs au 31 décembre 2006, date de suppression de cette Directive et de la mise en oeuvre de la Directive du 28 novembre 2006 (Directive 2006/112/CE, relative au système commun de TVA N° Lexbase : L7664HTZ). Néanmoins, on doit noter que la Directive de 2006 a repris les termes de la Directive antérieure aux articles 167 et 168. Ainsi la solution dégagée par le juge communautaire est toujours d'actualité.

Cette affaire est relative à une opération d'importation. Une société anonyme a importé des vélos pendant la période 1992-1995 en déclarant qu'ils provenaient du Viêtnam. Cependant, selon l'administration française des douanes, ces vélos provenaient de Chine et non du Viêtnam. Elle a donc dressé un procès-verbal pour fausse déclaration d'origine et soumis l'entreprise au paiement des droits de douane et des droits antidumping afférents à cette fausse déclaration. Ces droits étaient assujettis à la TVA pour un montant de 735 437 euros.

L'entreprise n'a pas réglé la TVA due. De ce fait, elle était débitrice de cette somme auprès de l'administration fiscale. Une procédure de redressement judiciaire a été mise en oeuvre à son encontre. Par ordonnance du 12 février 1999, le juge-commissaire a constaté la forclusion de la créance de l'administration fiscale car elle n'avait pas fait l'objet d'une déclaration à titre définitif dans les douze mois suivant la publication du redressement judiciaire. Cette décision a été confirmée par la Cour de cassation (Cass. com., 8 juillet 2003, n° 00-14.457, F-D N° Lexbase : A0817C97).

La forclusion de la créance de TVA a permis à l'entreprise de demander le remboursement du montant du crédit de TVA déductible, au titre du redressement de TVA sur les droits éludés. L'administration a rejeté cette demande en se fondant sur le fait que le droit à déduction était subordonné au paiement effectif préalable. La position de l'administration a été confirmée par les juges du fond, puis d'appel. L'entreprise s'est pourvue en cassation devant le Conseil d'Etat, qui a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la CJUE, objet de la décision commentée.

Cette question concerne l'article 17, paragraphe 2, sous b) de la 6ème Directive-TVA, à savoir si cette disposition "permet à un Etat membre de subordonner le droit à déduction de la TVA à l'importation au paiement effectif préalable de ladite taxe par le redevable lorsque ce dernier est également titulaire du droit à déduction" (1). Pour répondre à cette question, la CJUE développe plusieurs séries d'arguments.

Dans un premier temps, elle se livre à une analyse exégétique de cette disposition, aux termes de laquelle l'assujetti est autorisé à déduire la TVA "due ou acquittée" pour les biens importés dans l'Etat membre. Les termes "due ou acquittée" n'impliquent pas que la TVA ait été effectivement payée. La TVA doit être exigible, mais elle peut, ou non, être acquittée. Le contribuable doit avoir l'obligation de payer la TVA afin de pouvoir exercer son droit à déduction, en revanche ce dernier n'est pas pour autant subordonné à l'effectivité du paiement. L'expression "due ou acquittée" n'emporte pas un choix pour les Etats membres en les autorisant à exiger que la TVA déductible ait été effectivement acquittée. Ainsi dans une décision du 28 juillet 2011 (2), s'agissant de termes identiques utilisés à l'article 17, paragraphe 2, sous a), la CJUE avait déjà indiqué que le principe est que la naissance et l'exercice du droit à déduction sont indépendants du fait que la contrepartie due a été ou non déjà acquittée (3).

Ce premier élément en faveur de l'interprétation, au terme de laquelle il n'est pas nécessaire que la TVA soit acquittée pour que le contribuable puisse exercer son droit à déduction, est renforcé par l'analyse de l'article 18, paragraphe 1, sous b) de la 6ème Directive-TVA. Selon cette disposition, dans le cadre d'importations, la seule obligation faite à l'assujetti est "de détenir un document constatant l'importation qui le désigne comme destinataire ou importateur et mentionne ou permet de calculer le montant de la taxe due" (4). A contrario, cela implique qu'il n'existe pas une obligation selon laquelle le droit à déduction serait subordonné au paiement effectif de la TVA due au titre de l'importation. On peut d'ailleurs citer une décision du Conseil d'Etat développant une application inverse de ce principe : dans cette affaire en date du 16 février 2001 (5), il a été jugé qu'une entreprise ne pouvait pas déduire la TVA afférente à l'importation de biens dès lors qu'elle n'était pas en possession de la déclaration d'importation (ou de tout autre document en faisant office) ; alors même qu'elle avait à établir qu'elle avait effectivement payé au commissionnaire la somme correspondant à la TVA due au titre de cette importation.

Dans un second temps, la CJUE développe des arguments d'ordre téléologique au regard des objectifs dévolus à la 6ème Directive-TVA et toujours d'actualité dans le cadre de la nouvelle Directive, venue remplacer celle de 1977. Il s'agit, d'une part, de garantir le respect du principe de neutralité fiscale et, d'autre part, de lutter contre la fraude et l'évasion fiscale, ainsi que les éventuels abus.

Ainsi, la CJUE souligne que le mécanisme du droit à déduction est essentiel quant à la mise en oeuvre de ce principe de la neutralité fiscale. Elle reprend à l'identique une argumentation développée depuis au moins 1985, aux termes de laquelle elle énonce que "le régime des déductions vise à soulager entièrement l'entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques. Le système commun de TVA garantit, par conséquent, la parfaite neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que ces activités soient elles-mêmes soumises à la TVA" (6).

Le droit à déduction fait partie intégrante du système commun de TVA. Il a pour objectif que les opérateurs économiques soient soulagés de la TVA. Dans une perspective de neutralité fiscale, toutes les limites nationales à ce droit sont autant de remises en cause de cette neutralité. En effet, s'il existe des règles différentes entre les Etats membres, la charge fiscale en sera modifiée en conséquence et pourra varier d'un pays à l'autre. Ainsi, les limitations ne peuvent être prévues que de manière expresse.

A l'appui d'une interprétation permettant de venir limiter le droit à déduction à l'hypothèse dans laquelle la TVA n'était pas seulement due mais avait été effectivement acquittée, certains Etats membres avançaient qu'en l'absence de ce paiement effectif, le risque de fraude et/ou d'abus à la TVA serait bien plus conséquent. A cet argument, le juge communautaire répond par la négative, l'importation ne pouvant être comprise comme une opération comportant un risque de fraude accru au point qu'il faille de manière obligatoire subordonner le droit à déduction au paiement préalable de la TVA. Il existe des conditions afin de pouvoir exercer ce droit à déduction et, dès lors qu'elles sont remplies, la déduction est de droit. Il est du ressort du juge national de refuser le bénéfice de ce droit dans l'hypothèse où il a été invoqué de manière frauduleuse. Ainsi, la lutte contre la fraude fiscale en matière de TVA n'autorise pas à remettre en cause le droit à déduction de façon systématique.

Cette décision quant au droit à déduction dans le cadre d'opérations d'importation permet à la CJUE d'affirmer la totale déconnexion entre le droit à déduction et le paiement effectif de la TVA due. Si cette solution est nouvelle quant à ce type d'opérations, en revanche, elle s'inscrit parfaitement dans la perspective jurisprudentielle du juge communautaire, pour lequel le principe de neutralité fiscale est prépondérant. En l'espèce, l'argument de la lutte contre la fraude fiscale ne peut autoriser une telle limite au droit à déduction, d'autant plus que les Etats membres ont à leur disposition d'autres moyens de lutte.

II - Fraude : la société française qui a des relations de longue date avec des clients luxembourgeois ne peut ignorer l'absence d'activité réelle de ses clients (CE 3° et 8° s-s-r., 9 mars 2012, deux arrêts, n° 330760, mentionné au recueil Lebon N° Lexbase : A3335IEA et n° 330761, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3336IEB)

Ces deux affaires seront étudiées sans les distinguer car elles présentent des faits identiques et posent la même question de droit. Enfin, les termes des deux décisions commentées sont tout à fait similaires.

Les faits sont simples et ont été révélés à l'occasion d'une vérification de comptabilité sur la période du 1er janvier 1999 au 31 décembre 2000 pour la première société et du 1er janvier 1999 au 31 décembre 2001 pour la seconde. Ces deux sociétés ont la même activité : le négoce de voitures d'occasion. A la suite de ces vérifications, l'administration fiscale a considéré que les véhicules vendus par les deux entreprises françaises à des sociétés luxembourgeoises n'ont pas été réellement livrés. En conséquence, l'administration française a remis en cause le régime d'exonération de TVA applicable aux livraisons intracommunautaires de biens meubles corporels. Outre les rappels de TVA consécutifs à ces redressements, l'administration fiscale a infligé aux sociétés des pénalités pour manoeuvres frauduleuses.

Dans les deux affaires, le tribunal administratif de Strasbourg (7) a rejeté la demande de l'une et l'autre société tendant à la décharge des droits supplémentaires de TVA et des pénalités y afférentes. Ensuite, la cour administrative d'appel de Nancy a confirmé la décision des juges du fond pour les deux affaires (8).

Les requérants ont développé différents moyens à l'appui de leur pourvoi en cassation. Les deux premiers d'entre eux sont purement d'ordre processuel et présentent un intérêt relativement mineur. Il est reproché aux juges d'appel ne pas avoir mentionné qu'il serait fait usage de la faculté d'expérimentation permettant d'inverser l'ordre de prise de parole entre les parties et le rapporteur public (9). De même, les requérants ont avancé que les arrêts rendus par la cour administrative d'appel de Nancy seraient entachés de mentions contradictoires qui auraient eu pour effet de ne pas permettre l'identification de la présidence et ainsi de ne pouvoir savoir si la cour était régulièrement composée. Le Conseil d'Etat a considéré que ces éléments n'avaient pas d'incidence sur la régularité des décisions.

En revanche, la décision de la Haute juridiction administrative, en ce qu'elle concerne le bien-fondé des rappels de TVA, présente un intérêt certain. Aux termes du I de l'article 262 ter du CGI (N° Lexbase : L5503HWQ), l'exonération de TVA dont bénéficient les opérateurs économiques qui effectuent des livraisons de biens intracommunautaires est soumise à certaines conditions. D'une part, l'acquéreur des biens doit être assujetti à la TVA. D'autre part, le bien doit avoir été expédié ou transporté hors de France à destination d'un autre Etat membre. Cette procédure a été mise en oeuvre au 1er janvier 1993, lors de l'instauration du régime de TVA "transitoire". Or, depuis 1993, la fraude à la TVA, dite fraude "carrousel" (10) n'a cessé de croître et a pour "origine directe" (11) ce régime transitoire. L'abondance de la jurisprudence aussi bien communautaire que nationale ne permet que d'envisager la partie émergée de l'iceberg que représente ce type de fraude...

Dans les deux affaires similaires commentées, la question de droit porte plus précisément sur les modalités de preuve des livraisons intracommunautaires. Dans ces deux espèces, les conditions du I de l'article 262 ter du CGI paraissent avoir été remplies. En effet, les deux sociétés françaises pouvaient justifier de l'expédition des biens dans un autre Etat membre et du numéro de TVA intracommunautaire des entreprises qui avaient acquis les biens. Pour autant, le fait de remplir ces conditions ne constitue qu'une présomption simple. Ainsi, il est loisible à l'administration de venir rapporter la preuve que ces livraisons, en dépit des conditions apparemment remplies, n'ont pas eu lieu, et qu'en conséquence l'exonération de TVA ne peut trouver à s'appliquer.

S'agissant de la preuve pouvant être rapportée par l'administration afin de remettre en cause la présomption simple, le Conseil d'Etat applique un régime de preuve objective ; le juge se détermine au vu de l'instruction. En effet, dans les deux arrêts rendus par la cour administrative d'appel de Nancy, il est fait mention que les différents éléments pris en considération résultent de l'instruction.

En l'espèce, il est appliqué la méthode du faisceau d'indices. Ainsi la Haute juridiction administrative relève au moins deux indices qui permettent de penser que les livraisons de biens n'ont pas eu réellement lieu. D'une part, il s'agit du "défaut d'activité réelle" des destinataires des biens au Luxembourg. Ce défaut d'activité réelle est déduit de différents éléments dont l'absence de moyens matériels, de lieu de stockage des biens livrés ou encore celle de boîte aux lettres au siège social ... C'est un indice qui avait déjà trouvé à s'appliquer dans une décision du 27 juillet 2005 (12), et plus récemment dans un arrêt en date du 16 décembre 2011 (13). D'autre part, le Conseil d'Etat mentionne que les entreprises françaises entretenaient "une relation commerciale suffisamment longue pour ne pas ignorer que les véhicules ne leur avaient pas été réellement livrés". Ce deuxième élément paraît nouveau, du moins à notre connaissance. Ainsi, il n'en est pas fait mention par Madame le Professeur Sérandour dans la liste des indices pris en compte par la jurisprudence (14).

De l'ensemble de ces éléments, le Conseil d'Etat en déduit que les entreprises françaises n'avaient pas pris "toute mesure raisonnable" en leur pouvoir en vue de s'assurer que les livraisons réalisées ne les conduisaient pas à participer à une fraude à la TVA. La notion de "toute mesure raisonnable" ouvre un champ particulièrement large quant aux mesures que doivent exercer les opérateurs économiques effectuant des livraisons intracommunautaires en vue de s'assurer de leur non participation à une fraude à la TVA. L'indice relatif à la qualité de la relation commerciale "suffisamment longue" en fournit un exemple.

Enfin, le Conseil d'Etat s'est prononcé sur le bien-fondé des pénalités infligées aux entreprises requérantes. Les deux décisions rendues en des termes identiques n'apportent pas d'éléments nouveaux quant à l'application de l'article 1729 du CGI (N° Lexbase : L4733ICB) dans sa rédaction applicable aux faits examinés. Pour appliquer la majoration de 80 %, dans l'hypothèse où le contribuable s'est rendu coupable de manoeuvres frauduleuses, l'administration doit rechercher s'il a eu recours à des procédés destinés à l'égarer ou à amoindrir son pouvoir de contrôle. En l'espèce, la Haute juridiction administrative vient infirmer la décision des juges d'appel. En effet, elle a considéré que l'administration n'avait pas établi l'existence de tels procédés. En conséquence, elle a substitué d'office à la majoration de 80 % celle de 40 % applicable en cas de mauvaise foi du contribuable.

III - Est redevable de la TVA en France, la société qui n'agit pas en tant que l'intermédiaire d'une société néerlandaise, n'ayant pas été mandatée par elle et ne recevant pas de directives guidant ses actions (CE 10° et 9° s-s-r., 28 mars 2012, n° 323375, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0172IHT)

La question de droit posée par cette affaire est relative à la territorialité en matière de TVA, elle concerne les articles 259 (N° Lexbase : L2727IG4), 259 A (N° Lexbase : L3082IGA) et 259 B (N° Lexbase : L1676IPR) du CGI dans leur rédaction antérieure à la loi de finances pour 2010 (15). Pour rappel, cette loi a transposé en droit français les dispositions des Directives 2008/8/CE (Directive 2008/8/CE du Conseil du 12 février 2008, modifiant la Directive 2006/112/CE en ce qui concerne le lieu des prestations de services N° Lexbase : L8139H3T) et 2008/117/CE (Directive 2008/117/CE du Conseil du 16 décembre 2008, modifiant la Directive 2006/112/CE relative au système commun de TVA, afin de lutter contre la fraude fiscale liée aux opérations intracommunautaires N° Lexbase : L6898ICH), qui ont modernisé et simplifié les règles de territorialité des prestations de services dans le cadre d'opérations intracommunautaires. Plus précisément, il s'agit des conséquences en matière de territorialité de la qualité de l'intermédiaire dans le cadre de prestations de services.

Une société française, aux droits de laquelle vient une autre société, a commercialisé elle-même de petits étendards. Ces derniers avaient été fabriqués par une société néerlandaise. Par la suite, l'entreprise française a mis en relation la société néerlandaise avec un acheteur suisse desdits produits. A ce titre, la société française a reçu une commission "proportionnelle au nombre de produits vendus". Cette société a fait l'objet d'une vérification de comptabilité en matière de TVA pour la période du 1er janvier 1998 au 31 décembre 1999. Au terme de cette procédure, et par application de l'article 259 du CGI, l'administration a estimé que les prestations de services exécutées en France par cette entreprise devaient être taxées en France. Au contraire, la société demanderesse demandait à être déchargée des compléments de TVA et des intérêts de retard afférents réclamés pour cette période. Le tribunal administratif d'Orléans, par un jugement en date du 19 juin 2007, a répondu négativement à cette demande. Cette solution a été confirmée en appel par la cour administrative d'appel de Douai (16), dans un arrêt du 6 novembre 2008.

Les dispositions en cause dans cette affaire concernent la territorialité des prestations de services intracommunautaires. L'article 259 du CGI énonçait le principe selon lequel "les prestations de services sont imposables en France lorsque le prestataire a en France le siège de son activité". Néanmoins, ce principe trouvait très peu à s'appliquer car les articles 259 A, 259 B et 259 C du CGI mettaient en oeuvre un grand nombre d'exceptions. Au final, le principe de l'article 259 du CGI avait un caractère résiduel et ne s'appliquait qu'aux cas qui n'étaient pas inclus dans les trois articles suivants (17).

Dans cette affaire, la question était de savoir quel rôle avait eu exactement la société française lors de la mise en relation qu'elle avait effectuée entre la société néerlandaise et la société suisse. Compris de manière relativement large, elle avait eu un rôle "d'intermédiaire", c'est-à-dire qu'elle avait mis en contact un vendeur et un acheteur en vue que ceux-ci commercent ensemble. Mais en matière de TVA, il est nécessaire de distinguer de manière plus fine le rôle de cet intermédiaire. En effet, si l'intermédiaire intervient toujours pour un donneur d'ordre, la relation peut être différente. S'il agit pour le compte et au nom d'autrui, il est alors qualifié de "mandataire", ou encore d'intermédiaire "transparent". Dans cette hypothèse, il n'agit pas de sa propre initiative mais dans les limites qui lui sont conférées par le mandat. S'il agit en son nom propre mais pour le compte d'autrui et que le tiers ne sera pas informé de la personnalité du donneur d'ordre, il est alors qualifié d'intermédiaire "opaque", ou "commissionnaire".

En matière de TVA, cette distinction est essentielle. L'intermédiaire agissant au nom et pour le compte d'autrui est considéré comme un prestataire de services qui n'est imposable qu'au titre de sa seule rémunération. En revanche, l'activité de l'intermédiaire "opaque" s'analyse comme étant à la fois acheteur et revendeur et sera taxable sur le montant total de la transaction.

En l'espèce, la société française soutenait qu'elle avait agi dans le cadre d'un mandat tacite de la société néerlandaise. A cette fin, elle estimait qu'un courrier de la société néerlandaise au terme duquel les sommes versées étaient considérées comme des commissions sur les ventes permettait de démontrer l'existence de ce mandat tacite. Cet argument n'a pas été accueilli par les juges d'appel. Ensuite, la cour administrative d'appel a recherché d'autres indices afin de déterminer si ce mandat existait ou non. Les éléments pris en considération sont, d'une part, que la mise en relation entre la société néerlandaise et la société suisse est de l'initiative de la société française. En conséquence, elle n'a pas agi en fonction d'un mandat mais en tant qu'intermédiaire "opaque". Cet élément marque l'indépendance du commissionnaire à l'égard du donneur d'ordre et donc qu'il n'a pas agi en son nom et pour son compte. D'autre part, elle n'a pas rendu de comptes à la société néerlandaise ; cette reddition de comptes doit permettre, dans le cadre d'un mandat, au mandant de connaître le montant des dépenses payées en son nom et pour son compte.

Cette affaire est intéressante du fait que les décisions en la matière sont très rares. Depuis l'entrée en vigueur des nouvelles règles de territorialité pour les prestations de services, le lieu des prestations de services fournies à des assujettis est en principe le lieu où le preneur est établi. Néanmoins la notion de "prestations réalisées par des intermédiaires qui agissent au nom et pour le compte d'autrui" est toujours inscrite dans la loi (CGI, art. 259 A, 7°).

En effet, comme l'indique la Haute juridiction administrative, les dispositions du 6° de l'article 259 A ont été prises en vue de transposer l'article 28 ter E, paragraphe 3, de la 6ème Directive-TVA. Ces mesures ont été reprises à l'article 44 de la Directive du 28 novembre 2006.


(1) Point 17.
(2) CJUE, 28 juillet 2011, aff. C-274/10 (N° Lexbase : A8888HW4 ; lire N° Lexbase : N7388BSG).
(3) Points 42 et 43, op. cit.. Il faut aussi noter que dans cette affaire, les transactions étaient intérieures.
(4) Point 26.
(5) CE 8° et 3° s-s-r., 16 février 2001, n° 195718, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1527ATQ).
(6) Pour ex. : CJUE, aff. C-268/83, 14 février 1985, point 19 (N° Lexbase : A8121AUC) ; CJUE, 15 février 1998, aff. C-37/95, point 15 (N° Lexbase : A9657AU9) ; CJUE, 8 juin 2000, aff. C-98/98, point 19 (N° Lexbase : A2016AII) ; CJUE, 26 mai 2005, aff. C-465/03, point 34 (N° Lexbase : A3969DIT).
(7) TA Strasbourg, 11 mars 2008, n° 0500588 et 5 février 2008, n° 0500586.
(8) CAA Nancy, 2ème ch., 3 juin 2009, deux arrêts, n° 08NC00678 (N° Lexbase : A3258EII) et n° 08NC00679 (N° Lexbase : A3259EIK), inédits au recueil Lebon.
(9) CJA, art. R. 711-2 (N° Lexbase : L4862IRI).
(10) Pour comprendre le mécanisme de cette fraude, on peut consulter notamment les explications de l'administration fiscale - Instruction du 30 novembre 2007 (BOI 3 A-7-07 N° Lexbase : X9964ADE), DF, 2007, n° 46, 13801.
(11) Jean-Claude Bouchard et Odile Courjon, TVA : vers un passeport fiscal intracommunautaire ?, DF, 2007, n° 38, pp. 3.
(12) CE 3° et 8° s-s-r., 27 juillet 2005, n° 273619 et n° 273620 (N° Lexbase : A1510DK7), mentionné aux tables du recueil Lebon, DF, 2006, n° 12, comm. 268, concl. L. Olléon.
(13) CE 9° s-s., 16 décembre 2010, n° 308586, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6633GNY), RJF, 6/11, n° 690.
(14) La fraude à la TVA sur les livraisons intracommunautaires, DF, 2011, n° 36, étude 491, pp. 8-15, p. 14.
(15) Loi n° 2009-1673 du 30décembre 2009, de finances pour 2010 (N° Lexbase : L1816IGD).
(16) CAA Douai, 3ème ch., 6 novembre 2008, n° 07DA01358, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A5019EBI).
(17) Maurice Cozian, Florence Deboissy, Précis de fiscalité des entreprises 2009/2010, 33ème édition, Litec Fiscal, § 1221.

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