La lettre juridique n°814 du 27 février 2020 : Licenciement

[Jurisprudence] Licenciement nul et indemnisation de la période couverte par la nullité

Réf. : Cass. soc., 29 janvier 2020, n° 18-21.862, FS-P+B (N° Lexbase : A89793CK)

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par Bernard Gauriau, Professeur à l’Université d’Angers

le 26 Février 2020


Faits et procédure : un conseil de prud’hommes prononce la nullité du licenciement d’une salariée enceinte et ordonne sa réintégration dans le même jugement, lequel est exécuté. Elle se voit toutefois condamnée à restituer à l'employeur les revenus de remplacement perçus durant la période d'éviction.  Ce qu’elle conteste en appel.

La cour d’appel (CA Paris, Pôle 6, 11ème ch., 5 juin 2018, n° 15/10871 N° Lexbase : A2950XQC) confirme le prononcé de la nullité du licenciement pour discrimination liée à l'état de grossesse de la salariée, et ordonne que soit déduit du rappel de salaires dû entre la date du licenciement et la date effective de réintégration de la salariée dans l'entreprise, les sommes perçues à titre de revenus de remplacement. Elle condamne en conséquence la salariée à restituer à son employeur les dites sommes.


Solution : sous le visa de  l'alinéa 3 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (N° Lexbase : L6821BH4) et les articles L. 1132-1 (N° Lexbase : L4958LU8) et L. 1132-4 (N° Lexbase : L0680H93) du Code du travail, la Chambre sociale casse l’arrêt rendu par la cour d’appel à raison de ce qu’en  application de ces dispositions, tout licenciement prononcé à l'égard d'une salariée en raison de son état de grossesse est nul ; que, dès lors qu'un tel licenciement caractérise une atteinte au principe d'égalité de droits entre l'homme et la femme, garanti par l'alinéa 3 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, (alors que la cour d’appel s’était située sur le terrain de la discrimination)  la salariée qui demande sa réintégration a droit au paiement d'une indemnité égale au montant de la rémunération qu'elle aurait dû percevoir entre son éviction de l'entreprise et sa réintégration, sans déduction des éventuels revenus de remplacement dont elle a pu bénéficier pendant cette période.

La cassation est donc prononcée seulement en ce que le seconds juges ont dit qu'il convenait de retrancher les sommes en question et ont condamné la salariée à restituer celles-ci à son employeur.


 

Observations

Historique. Que de chemin parcouru depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 66-1044 du 30 décembre 1966, relative « à la garantie de l’emploi en cas de maternité » !  Le premier cas de nullité textuelle du licenciement a donné lieu à une jurisprudence assez prudente dans les premiers temps. Le licenciement nul d’une femme enceinte fut, pendant longtemps, par suspension-report de ses effets à l’issue de la période couverte par la nullité, assimilé à un licenciement sans cause réelle et sérieuse [1]. Il fallut attendre quelques arrêts rendus après l’intervention de la formation des référés [2] pour sentir poindre un frémissement d’évolution. Le point culminant fut sans conteste l’arrêt « Velmon » [3] affirmant de façon générale que lorsque le licenciement est nul, le salarié a droit à réintégration, et faisant application de ce principe à la nullité du licenciement d’une salariée enceinte.

Restait la difficile question de l’indemnisation à laquelle le salarié illégalement licencié peut prétendre pendant l’intervalle qui court du licenciement à sa réintégration. La présente décision s’inscrit de ce point de vue dans une longue série d’arrêts rendus par la Chambre sociale sur la question.

Illustrations. Selon les cas de nullités du licenciement, les réponses varient. Schématiquement, deux solutions sont adoptées : soit le salarié reçoit une indemnité égale au montant de la rémunération qu'il aurait dû percevoir entre son éviction de l'entreprise et sa réintégration, peu important qu'il ait ou non reçu des salaires ou un revenu de remplacement pendant cette période, soit sont déduits de cette même indemnité les revenus qu'il a pu percevoir d’un tiers au cours de cette période.

Au titre de la première solution, la Cour de cassation a d’abord rangé le droit de grève : « les salariés avaient droit au paiement d'une indemnité égale au montant de la rémunération qu'ils auraient dû percevoir entre leur éviction de l'entreprise et leur réintégration, peu important qu'ils aient ou non reçu des salaires ou un revenu de remplacement pendant cette période » [4].

Même solution s’agissant du licenciement d'un salarié protégé, prononcé sans autorisation administrative ou malgré un refus d'autorisation administrative : son licenciement est évidemment nul et ouvre droit, pour le salarié qui demande sa réintégration pendant la période de protection, au versement d'une indemnité égale au montant de la rémunération qu'il aurait perçue entre son licenciement et sa réintégration ; il n'y a pas lieu de déduire de cette indemnité les revenus qu'il a pu percevoir de tiers au cours de cette période [5].

S’agissant d’un licenciement économique nul pour insuffisance du PSE, en revanche, le salarié qui demande sa réintégration a droit au paiement d'une somme correspondant à la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration, dans la limite du montant des salaires dont il a été privé [6].

Retour à la solution première s’agissant d’un licenciement discriminatoire en raison de l'activité syndicale [7], ou en raison de l'état de santé [8] voire d’un licenciement prononcé à l’encontre d’un salarié ayant refusé de subir une mesure  de rétorsion à la suite de sa participation à une grève [9].

Depuis les lois « Auroux » (le législateur d’alors avait « trempé sa plume dans les encriers du droit public » disait-on), il est devenu banal de rappeler combien les droits et libertés fondamentaux se sont immiscés dans la relation de travail.

Or, il apparaît clairement que la protection des droits et libertés fondamentaux garantis par la Constitution justifie la solution ici reprise dans notre arrêt, à propos de la protection de la femme enceinte.  Le visa de l'alinéa 3 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (« la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme ») est très éclairant de ce point de vue.

Pourtant, la Cour avait adopté la position contraire il y a 10 ans et affirmé que la salariée dont le licenciement est nul et qui demande sa réintégration a droit au paiement d'une somme correspondant à la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration, dans la limite du montant des salaires dont elle avait été privée [10]. La chose était d’autant plus étonnante que la loi n° 66-1044 du 30 décembre 1966, ayant organisé toute la protection de la femme enceinte contre le licenciement, était précisément relative « à la garantie de l’emploi en cas de maternité ». Le droit à l’emploi figurant dans l’alinéa 5 du Préambule de 1946 suffisait à justifier une indemnisation forfaitaire. Mais notre époque est à l’égalité de traitement et c’est sur ce fondement désormais que la Cour de cassation a statué. Il y a donc eu revirement sur ce point.

La situation du licenciement économique nul, illustre ce qui est habituellement présenté comme la solution de principe, face à laquelle les autres situations marquées du sceau des libertés fondamentales tiennent lieu d’exceptions.

Principe et exceptions. Le droit au paiement d'une somme correspondant à la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période qui va du licenciement à la réintégration, dans la limite du montant des salaires dont le salarié a été privé. Lorsque la protection des libertés fondamentales n’exerce pas son empire, les seuls mécanismes associés à la nullité d’un acte juridique opèrent alors. Le salarié étant réintégré, le licenciement nul est véritablement inefficace, raison pour laquelle le salarié n'a pas droit à l'indemnité de licenciement et à l'indemnité compensatrice de préavis [11].

Quant à l’indemnisation compensant la période d’éviction du salarié, elle doit tenir compte des sommes que le salarié a pu percevoir dans l’intervalle. Le contrat n’ayant jamais cessé d’être exécuté, il faut en quelque sorte neutraliser les situations qui n’ont eu d’existence que parce que le salarié s’est trouvé illégalement évincé de l’entreprise : rémunérations d’un autre employeur, allocations chômage.

Les exceptions relatives à la protection des droits et libertés fondamentales occupent une bonne partie des situations rencontrées, ce qui n’est guère surprenant tant les licenciements nuls sanctionnent le plus souvent les atteintes aux droits et libertés fondamentaux.  Dans ces conditions, l’indemnisation s’apparente à un forfait et il ne saurait être question d’y retrancher les revenus tirés d'une autre activité professionnelle [12] ou les ressources servies par un organisme social [13].

Il est donc crucial pour le salarié licencié de démontrer une atteinte à une liberté fondamentale ou à un droit garanti par la Constitution. Ce n’est pas le cas lorsqu’il fait face à un licenciement discriminatoire en raison de l’âge dans la mesure où le principe de non-discrimination en raison de l'âge ne constitue pas une liberté fondamentale consacrée par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ni par la Constitution du 4 octobre 1958 [14]. Idem en cas de licenciement nul d'un salarié pour avoir relaté des agissements répétés de harcèlement moral [15]. Idem enfin, et de façon énigmatique au regard de l’arrêt du 11 juillet 2002 précité, pour un licenciement prononcé à l’encontre d’un salarié dont le contrat est suspendu en raison d’un accident du travail, en violation des articles L. 1226-9 (N° Lexbase : L1024H9S) et L. 1226-13 (N° Lexbase : L1031H93) du Code du travail, et malgré l’invocation par le pourvoi du droit à la protection de la santé, garanti par l'alinéa 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel renvoie celui de la Constitution du 4 octobre 1958 [16].

Nature juridique des sommes allouées. Reste une dernière question essentielle en pratique, relative à la nature juridique des sommes ainsi allouées. L’administration [17] s’est appuyée sur cette distinction jurisprudentielle pour en déduire que lorsque la somme allouée au salarié devait être amputée des revenus perçus par ailleurs, c’est qu’elle réparait un préjudice et n’avait pas la nature juridique d’un salaire. Position qui renvoie à celle de la Cour de cassation, laquelle a jugé que la nullité du licenciement ne privait pas le salarié du droit à l’allocation d’assurance servie par Pôle emploi pendant l’intervalle [18].

Dans le cas contraire, lorsque l’employeur est condamné à verser à son ancien salarié l’intégralité des salaires sans déduction d’aucune sorte, c’est que la nature salariale des sommes versées s’impose alors. En conséquence de quoi le revenu de remplacement est constitutif d’un indu [19] et doit être restitué ; les sommes que l’employeur est condamné à verser sont soumises au paiement des cotisations sociales et, notamment des contributions d’assurance chômage. Il convient donc de prendre en compte la période afférente au versement de ces sommes dans le calcul de l’affiliation.

Toutefois, un récent arrêt de la Cour de cassation donne un nouvel éclairage sur la question [20], s’agissant d’une somme qui, selon la distinction précitée, ne devait a priori pas avoir une nature salariale.

Une cour d’appel a, dans un premier temps, rejeté la demande de régularisation des cotisations sociales afférentes aux sommes versées (et de remise des bulletins de salaire correspondants), à raison de ce que les sommes allouées au salarié présentaient un caractère indemnitaire et ne constituaient pas des salaires.  

Par un arrêt de cassation, et sous le visa de l'article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L4986LR4),  la Chambre sociale a jugé que la somme allouée au salarié dont le licenciement a été annulé, correspondant à la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration, dans la limite du montant des salaires dont il a été privé, est versée à l'occasion du travail et entre dans l'assiette des cotisations sociales. La régularisation des cotisations sociales afférentes aux sommes versées doit être effectuée et la remise des bulletins de salaire afférents opérée.

Cette décision neutralise totalement la distinction jusqu’alors opérée par l’administration. Le salarié est regardé comme n’ayant jamais cessé d’occuper son emploi, raison pour laquelle la somme allouée est considérée comme étant versée à l’occasion du travail. Elle s’attache à la seule nullité du licenciement sans distinguer selon que des droits et libertés fondamentaux sont ou non en cause. Le droit civil (la théorie des nullités) reprend l’avantage sur le droit public (les libertés fondamentales) dans cette tentative de conciliation permanente. Et les entreprises vont devoir en tirer de sérieuses conséquences.


[1] Cass. soc., 12 mars 1991, n° 88-40806, publié (N° Lexbase : A4404ABQ), RJS, 1991, p. 236 ; Cass. soc., 4 avril 1991, n° 89-42.406 (N° Lexbase : A6768AAW), Bull.civ. V, n° 167.

[2] Cass. soc., 16 juillet 1997, RJS 10/97, n° 1084 ; Cass. soc., 19 novembre 1997, n° 94-42.540 (N° Lexbase : A1617ACU), Bull. civ. V, n° 382.

[3] Cass. soc., 30 avril 2003, n° 00-44.811, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A7501BSM), nos obs., Dr. soc. 2003, pp. 827 et s..

[4] Cass. soc., 2 février 2006, n° 03-47.481, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6225DMI), qui résulte du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958.

[5] Cass. soc., 10 octobre 2006, n° 04-47.623, FS-P+B (N° Lexbase : A7719DRC).

[6] Cass. soc., 12 février 2008, n° 07-40.413, F-P+B (N° Lexbase : A9335D4I).

[7] Cass. soc., 2 juin 2010, n° 08-43.277, FP-D (N° Lexbase : A2119EY7) ; Cass. soc., 9 juillet 2014, n° 13-16.434, FS-P+B (N° Lexbase : A4264MUH) : visa de l'article 6 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958.

[8] Cass. soc., 11 juillet 2012, n° 10-15.905, FS-P+B (N° Lexbase : A8095IQU) : droit à la protection de la santé, garanti par l'article 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958.

[9] Cass. soc., 25 novembre 2015, n° 14-20.527, FS-P+B (N° Lexbase : A0867NYR) : visa de l'alinéa 7 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

[10] Cass. soc., 30 septembre 2010, n° 08-44340, FP-D (N° Lexbase : A7546GAQ).

[11] Cass. soc., 6 janvier 2011, n° 09-41.363, F-D (N° Lexbase : A7446GN4).

[12] Cass. soc., 3 juillet 2003, n° 01-44.522, publié (N° Lexbase : A0223C97).

[13] Cass. soc., 29 septembre 2014, n° 13-15.733, FS-P+B (N° Lexbase : A7845MXT) : pour une pension d’invalidité en cas d’annulation d’une autorisation administrative de licenciement, assimilée à tort, selon nous, à un licenciement nul.

[14] Cass. soc., 15 novembre 2017, n° 16-14.281, FS-P+B (N° Lexbase : A7050WZ7).

[15] Cass. soc., 14 décembre 2016, n° 14-21.325, FS-P+B (N° Lexbase : A2172SXQ) :  la référence à l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales étant ici insuffisante.

[16] Cass. soc., 16 octobre 2019, n° 17-31.624, FS-P+B (N° Lexbase : A9474ZRC).

[17] Instr. Pôle emploi n° 2012-144, 10 octobre 2012 (N° Lexbase : L9632I4I), BO Pôle emploi, n° 2012-109, 29 octobre 2012.

[18] Cass. soc., 11 mars 2009, n° 07-43.335, inédit.

[19] V. instructions PE_CSP_2010_28 du 15 février 2010 et PE_CSP_2010_115 du 6 juillet 2010.

[20] Cass. soc., 16 octobre 2019, n° 17-31.624, préc..

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