Le Quotidien du 24 janvier 2020 : Droit pénal général

[Brèves] Complicité d’abus de biens sociaux par un salarié : du travail illicite au détournement par aide ou assistance

Réf. : Cass. crim., 7 janvier 2020, n° 18-86.352, F-D (N° Lexbase : A47483A4)

Lecture: 9 min

N1986BY9

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Brèves] Complicité d’abus de biens sociaux par un salarié : du travail illicite au détournement par aide ou assistance. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/56165370-breves-complicite-drabus-de-biens-sociaux-par-un-salarie-du-travail-illicite-au-detournement-par-ai
Copier

par La Rédaction

le 23 Janvier 2020

► Est complice d’abus de biens sociaux le salarié responsable des démarches nécessaires à l'embauche et rédacteur des contrats de travail qui, s’apercevant d'irrégularités des salariés employés, ceux-ci travaillant notamment depuis plusieurs mois sans déclaration préalable ni contrat de travail ou sous une fausse identité, a persisté à donner une apparence de légalité à ces embauches.

C’est en renvoyant à l’appréciation souveraine des juges du fond que la Chambre criminelle rejette le pourvoi d’un prévenu par un arrêt rendu le 7 janvier 2020 (Cass. crim., 7 janvier 2020, n° 18-86.352, F-D N° Lexbase : A47483A4).

Résumé des faits. En l’espèce, les investigations avaient mis en évidence le recours, par une société de sécurité privée, à des étrangers en situation irrégulière, dépourvus de titre de travail et de carte professionnelle dans le domaine de la surveillance. Le prévenu, employé réalisant les démarches juridiques relatives à l’embauche, s’était aperçu des irrégularités mais avait persévéré à donner une apparence de légalité à ces embauches. Au terme de l’instruction préparatoire, il fut renvoyé devant le tribunal correctionnel des chefs d'emploi d'étranger sans titre de travail en bande organisée, travail dissimulé, travail dissimulé en bande organisée, aide au séjour irrégulier en bande organisée, emploi de salariés non titulaires d'une carte professionnelle ainsi que pour complicité d'abus de biens sociaux. Le tribunal correctionnel est entré en voie de condamnation pour tous ces chefs tout en requalifiant les faits de travail dissimulé et emploi de salariés non titulaires d'une carte professionnelle en complicité de ces infractions et a condamné le prévenu.

En cause d’appel. Les condamnations ont été confirmées. Les juges d’appel ont relevé que l’établissement de bulletins de salaire correspondant à des emplois fictifs avait permis l'emploi des fonds de la société à des fins contraires à l'intérêt social. Étant salarié de la société, il ne pouvait être considéré comme l'employeur des salariés. La cour d’appel a toutefois estimé qu’il s’était rendu sciemment complice par aide ou assistance des infractions poursuivies, en assurant, grâce à ses compétences, la logistique et la matérialité des opérations relatives à l'embauche et au contrat de travail desdits salariés, ainsi qu'aux paiements associés.

Surtout, la juridiction du second degré a observé que les fondateurs de cette société avaient « conçu cette structure pour employer des étrangers, soit sous de fausses identités, soit avec des pièces administratives fausses ou sans titre de séjour les autorisant à travailler, les maintenant ainsi dans une situation de vulnérabilité, et ce afin de se procurer une main d'œuvre disponible, silencieuse et docile ». Ils constataient enfin l’emploi de « comptes taxis », dont celui du demandeur au pourvoi, à une reprise, afin d'assurer le versement de commissions à des intermédiaires et de dissimuler ces embauches illégales.

Un pourvoi a été formé par le prévenu.

A hauteur de cassation. De nombreux moyens étaient soulevés par le prévenu. Il reprochait notamment aux juridictions du fond d’avoir requalifié d'office les faits poursuivis en complicité d'emploi en bande organisée d'étrangers non munis d'une autorisation de travail, sans l’inviter à se défendre sur cette nouvelle qualification ; d’avoir caractérisé la bande organisée sans démontrer la préméditation des infractions et une organisation structurée de ses membres ; et d’avoir retenu la complicité d’abus de biens sociaux sans mentionner le mode de complicité retenu à l'encontre de l'intéressé et sans caractériser tous ses éléments constitutifs.

La décision. Les moyens sont intégralement repoussés par la Chambre criminelle.

En premier lieu, les changements de qualifications critiqués étaient intervenus concernant les faits de travail dissimulé et d'emploi de salariés non titulaires d'une carte professionnelle, en bande organisée, au stade de la juridiction de jugement du premier degré. S'agissant d'une modalité de participation identique pour les faits de recours au service d'une personne exerçant un travail dissimulé en bande organisée, et découlant de son statut de salarié, le prévenu a nécessairement été mis en mesure de s'en expliquer et n'a pas été privé du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense sur les nouvelles qualifications retenues.

En second lieu, la cour, qui a répondu comme elle le devait aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, a caractérisé, par des motifs suffisants relevant de son appréciation souveraine, les infractions en tous leurs éléments ainsi que la circonstance aggravante de bande organisée en établissant l'existence d'une entente, qui suppose la préméditation, et d'une organisation structurée entre ses membres.

Analyse : requalification. Une lecture rapide de l’argumentation quant à la requalification pourrait surprendre au regard de la position antérieurement adoptée par la Cour. Dans un arrêt récent en date du 10 janvier 2018, la Chambre criminelle était confrontée à une décision dans laquelle une cour d’appel avait requalifié une importation et une acquisition de stupéfiants en complicité de tentative d'importation de cannabis et de complicité de tentative d'acquisition, détention et transport de cannabis (Cass. crim., 10 janvier 2018, n° 16-85.755, F-D N° Lexbase : A1900XAM). Après avoir rappelé que « s'il appartient aux juges répressifs de restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification, c'est à la condition que le prévenu ait été mis en mesure de se défendre sur la nouvelle qualification envisagée », la Cour de cassation affirmait : « qu'en statuant ainsi, alors qu'il ne résulte ni des mentions de l'arrêt ni des pièces de procédure que le prévenu ait été invité à se défendre sur la nouvelle qualification qu'elle estimait pouvoir être seule retenue, la cour d'appel a méconnu » l'article 388 du Code de procédure pénale, ensemble l'article 6 § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme v. Lexbase Pénal, février 2018, obs. J.-B. Thierry N° Lexbase : N2796BXT).

La Cour européenne elle-même fut confrontée à une requalification de banqueroute en complicité de banqueroute dans sa célèbre décision « Pélissier et Sassi c/ France » (CEDH, 25 mars 1999, Req. 25444/94 N° Lexbase : A7531AWT). On peut lire au § 59 que  « la Cour ne peut […] suivre le Gouvernement lorsqu'il soutient que la complicité ne constitue qu'un simple degré de participation à l'infraction principale ». Et la Cour d’ajouter : « Compte tenu de ce qui précède, la Cour considère également que la complicité ne constituait pas un élément intrinsèque de l'accusation initiale que les intéressés auraient connu depuis le début de la procédure » (§ 61). 62. La Cour estime dès lors que « la cour d'appel d'Aix-en-Provence devait, faisant usage de son droit incontesté de requalifier les faits dont elle était régulièrement saisie, donner la possibilité aux requérants d'exercer leurs droits de défense sur ce point d'une manière concrète et effective, et notamment en temps utile ». Faute de quoi « il y a eu violation du paragraphe 3 a) et b) de l'article 6 de la Convention, combiné avec le paragraphe 1 du même article, qui prescrit une procédure équitable » (§ 63).

La position adoptée par la Cour de cassation le 7 janvier 2020 ne rentre pas nécessairement en collision avec ces précédents puisque la Chambre criminelle prend le soin d’observer que la requalification avait eu lieu dès la première instance. Le prévenu pouvait donc selon elle préparer sa défense en appel à l’aune de ce simple changement quant au mode de participation. 

Analyse : complicité d’ABS. Sur le plan substantiel, le recours à la complicité pour retenir dans les liens de la prévention le salarié au titre de l’abus de biens sociaux se comprend pareillement à l’échelle des précédents. On sait que l’abus de biens sociaux, incriminé aux articles L. 241-3 (pour les SARL N° Lexbase : L9516IY4), L. 242-6 (N° Lexbase : L9515IY3) et L. 242-30 (N° Lexbase : L5773ISM) du Code de commerce (pour les SA), constitue une infraction attitrée : le délit ne peut être reproché, selon les textes, qu’aux dirigeants de la société. Les textes ajoutent au demeurent que la poursuite peut être étendue à toute personne qui, directement ou par personne interposée, aura en fait exercé la direction, l'administration ou la gestion de la société sous le couvert et au lieu et place de ses représentants légaux (C. com., art. L. 241-9 N° Lexbase : L6414AIE, pour les dirigeants de fait des sociétés à responsabilité limitée. - C. com., art. L. 246-2 N° Lexbase : L4007HBZ, pour les dirigeants de fait des sociétés par actions - V. Cass. crim., 5 juin 2013, n° 12-83.056 F-D N° Lexbase : A5617KIU). Le dirigeant de fait peut ainsi, tel le dirigeant de droit, être poursuivi au titre de l’abus de biens sociaux. En ce que les textes ne visent que des personnes ayant une qualité spécifique, est-il possible de poursuivre un individu ne bénéficiant pas de cette qualité ? La réponse est naturellement négative si la question demeure posée en termes « d’auteur ». Posée en termes de complicité, la question appelle une réponse opposée. Bien que l’article 121-6 du Code pénal (N° Lexbase : L2282AMH) dispose que « le complice est puni comme auteur de l'infraction », la jurisprudence considère depuis fort longtemps que peut être condamné au titre de la complicité d’abus de biens sociaux celui n’ayant pas la qualité requise par la loi pour commettre ce délit en tant qu’auteur (v. ainsi Cass.  crim. 21 septembre 2005, 04-87.682). Cette position a d’ailleurs été avalisée quant à un expert-comptable (Cass. crim., 19 mai 2010, n° 09-86.225, F-D N° Lexbase : A1202E3W) et à l’endroit d’un salarié comptable : « un comptable, fût-il salarié, peut être déclaré complice du délit d'abus de biens sociaux » (Cass. crim., 17 février 2015, n° 13-87.948, F-D N° Lexbase : A0024NCU).

Le rejet du pourvoi par la Chambre criminelle est donc logique.

newsid:471986

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.