La lettre juridique n°691 du 16 mars 2017 : Durée du travail

[Jurisprudence] L'application immédiate de la subsidiarité des accords de branche

Réf. : Cass. soc., 1er mars 2017, n° 16-10.047, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3545TPY)

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par Sébastien Tournaux, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux

le 16 Mars 2017

Lorsque la loi n° 2004-391 du 4 mai 2004, relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social (N° Lexbase : L1877DY8), a instauré, par principe, la primauté de l'accord d'entreprise sur l'accord de branche, de nombreux obstacles se sont dressés contre cette nouvelle articulation restée en grande partie lettre morte. On se réfère volontiers à la faculté offerte aux négociateurs de branche d'insérer des clauses de verrouillage dans l'accord qui interdisaient aux accords d'entreprise de prévoir d'autres stipulations que celles établies au niveau supérieur. On évoque plus rarement les règles d'application de la loi dans le temps qui, pourtant, ont joué un rôle déterminant de préservation des accords de branche antérieurs. Cette logique disparaît toutefois avec les réformes ultérieures et, en particulier, avec la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ), et la détermination conventionnelle du contingent annuel d'heures supplémentaires, comme l'illustre un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 1er mars 2017. En jugeant que les dispositions issues de la loi du 20 août 2008 permettent de fixer par accord d'établissement un contingent différent de celui antérieurement prévu par la convention de branche (I), la Chambre sociale fait logiquement une application immédiate aux accords anciens de la loi, raisonnement dont on ne voit pas comment il ne pourrait pas à l'avenir être reproduit pour les nouvelles articulations résultant de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels (N° Lexbase : L8436K9C) (II).
Résumé

Les dispositions de l'article L. 3121-11, alinéa 1er, du Code du travail (N° Lexbase : L3752IBL), dans sa rédaction issue de la loi du 20 août 2008, permettent de fixer par voie d'accord d'entreprise ou d'établissement le contingent d'heures supplémentaires à un niveau différent de celui prévu par l'accord de branche, quelle que soit la date de conclusion de ce dernier.

Commentaire

I - L'application immédiate de la subsidiarité de l'accord de branche en matière de contingent d'heures supplémentaires

Développement de la subsidiarité de l'accord de branche à l'accord d'entreprise. Depuis l'adoption de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite loi "Travail", de nombreux auteurs ont décrit le changement de philosophie globale que subit le droit du travail par l'utilisation très fréquente des techniques de la supplétivité et de la subsidiarité d'une norme à l'autre (1).

Chaque chapitre du Code du travail relatif au temps de travail, aux temps de repos et de congés comporte, désormais, une section, une sous-section ou un paragraphe consacré aux dispositions légales supplétives de la volonté des partenaires sociaux. Ils comptent, également, une section, une sous-section ou un paragraphe consacré au champ ouvert à la négociation collective, où l'on trouve très fréquemment la formule selon laquelle "un accord d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche" peut fixer telle ou telle règle (2). Déjà la loi du 20 août 2008 employait cette formule lorsqu'il s'agissait d'articuler l'accord de branche et l'accord d'entreprise à propos de la détermination du contingent annuel d'heures supplémentaires applicables à l'entreprise. L'article L. 3121-11 du Code du travail disposait alors que "des heures supplémentaires peuvent être accomplies dans la limite d'un contingent annuel défini par une convention ou un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche".

L'organisation de la subsidiarité de l'accord de branche vis-à-vis de l'accord d'entreprise est, toutefois, plus ancienne (3). Elle avait, en effet, été instituée par principe par la loi n° 2004-391 du 4 mai 2004 qui a créé l'actuel article L. 2253-3, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L7221K9C) qui dispose que, "dans les autres matières, la convention ou l'accord d'entreprise ou d'établissement peut comporter des stipulations dérogeant en tout ou en partie à celles qui lui sont applicables en vertu d'une convention ou d'un accord couvrant un champ territorial ou professionnel plus large, sauf si cette convention ou cet accord en dispose autrement". Plus anciennement encore, le législateur avait, parfois, admis, s'agissant de la modulation du temps de travail ou du travail par cycle, que l'accord d'entreprise puisse prévoir des stipulations différentes et moins favorables que celles de l'accord de branche, à condition de respecter les conditions posées par la loi (4).

Subsidiarité et application de la loi dans le temps. La construction progressive de la subsidiarité de l'accord de branche avait, toutefois, rencontré une difficulté majeure liée à l'application de la loi dans le temps. La question était la suivante : un accord d'entreprise conclu après la loi du 4 mai 2004 pouvait-il s'appliquer par préférence à l'accord de branche conclu avant la loi ? Accepter cela revenait à faire application immédiate de la loi nouvelle aux anciens accords et à nier une partie de leur force obligatoire puisqu'ils avaient été conclus en un temps où l'accord d'entreprise ne pouvait y déroger que dans un sens plus favorable au salarié.

Quoique jugé d'interprétation délicate, l'article 45 de la loi du 4 mai 2004 semblait exclure toute rétroactivité lorsqu'il disposait que "la valeur hiérarchique accordée par leurs signataires aux conventions et accords conclus avant l'entrée en vigueur de la présente loi demeure opposable aux accords de niveaux inférieurs" (5). C'est tout du moins l'interprétation qu'en avait retenue la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu en 2011, par lequel elle jugeait "qu'un accord collectif d'entreprise, même conclu postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 4 mai 2004, ne peut déroger par des clauses moins favorables à une Convention collective de niveau supérieur conclue antérieurement à cette date, à moins que les signataires de cette convention n'en aient disposé autrement" (6). La même interprétation devait-elle être retenue de l'application de formule employée par la loi du 20 août 2008 à propos du contingent annuel d'heures supplémentaires ?

L'affaire. Un employeur, dont l'entreprise entrait dans le champ d'application de la Convention collective nationale des industries chimiques du 8 février 1999 (N° Lexbase : X0653AEW), avait conclu avec la délégation unique du personnel un accord d'entreprise le 19 avril 2011 portant sur le contingent annuel d'heures supplémentaires et fixant celui-ci à 220 heures par an, soit un volume supérieur à celui établi à 130 heures par la convention de branche. La Fédération nationale CGT des industries chimiques fit assigner l'employeur et la délégation unique du personnel devant le tribunal de grande instance en annulation de l'accord d'entreprise.

La cour d'appel de Versailles, saisie de l'affaire, fit droit à la demande du syndicat sur la base de trois arguments. D'abord, les juges d'appel s'appuient sur la décision du Conseil constitutionnel rendue sur contrôle a priori de la loi du 20 août 2008, et considèrent que, si celui-ci acceptait la conclusion d'accords d'entreprise prévoyant un contingent différent de celui prévu par la branche, c'était à la condition que les conventions de branche antérieures aient été dénoncées, ce qui n'était pas le cas de la Convention collective nationale des industries chimiques. Ensuite, la convention de branche avait été conclue avant la loi du 4 mai 2004 ayant rendu les accords de branche subsidiaires des accords d'entreprise par principe et ne comportait aucune disposition permettant expressément aux entreprises d'y déroger. Enfin, les juges d'appel énoncent qu'il n'est pas possible de conclure un accord d'entreprise déterminant un contingent d'heures supplémentaires supérieur à celui prévu par l'accord de branche.

Par un arrêt rendu le 1er mars 2017 et paré du plus haut degré de publicité, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse cette décision au visa de l'article L. 3121-11, alinéa 1er, dans sa rédaction issue de l'article 18 de la loi du 20 août 2008. Aux termes de ce texte, des heures supplémentaires peuvent être accomplies dans la limite du contingent annuel défini par une convention ou un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche. Aux yeux de la Chambre sociale, "ces dispositions sont d'application immédiate et permettent de fixer par voie d'accord d'entreprise ou d'établissement le contingent d'heures supplémentaires à un niveau différent de celui prévu par l'accord de branche, quelle que soit la date de conclusion de ce dernier".

La Chambre sociale prend donc une position opposée à celle adoptée en 2011 à propos de l'articulation résultant de la loi du 4 mai 2004. La justification de ce changement est clairement apportée par la note explicative jointe à l'arrêt sur le site de la Cour de cassation (7).

II - Vers une application immédiate généralisée de la subsidiarité de l'accord de branche

La reprise de l'argumentation du Conseil constitutionnel. Comme la loi de 2004, la loi de 2008 comportait, à l'origine, des dispositions intéressant le sort des accords de branche antérieurs. La Cour de cassation rappelle, toutefois, que l'article 18, IV du texte initial de la loi du 4 mai 2004, qui disposait que "les clauses des conventions et accords conclus sur le fondement des articles L. 3121-11 à L. 3121-13 et L. 3121-17 du Code du travail (N° Lexbase : L6896K9B) [...] dans leur rédaction antérieure à la publication de la présente loi restent en vigueur au plus tard jusqu'au 31 décembre 2009" (8), a été censuré par le Conseil constitutionnel au motif que "le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 (N° Lexbase : L1368A9K) et 16 (N° Lexbase : L1363A9D) de la DDHC" (9).

A première vue, les accords de branche antérieurs auraient donc dû perdurer et le principe d'articulation, établi en 2011 par la Chambre sociale, être reconduit. La note explicative fait d'ailleurs curieusement référence à "l'esprit" du texte censuré que le Conseil constitutionnel aurait préservé... Faut-il se référer à l'esprit, si tant est déjà que l'on puisse clairement l'identifier d'un texte censuré ?

Le Conseil constitutionnel avait, en effet, très fortement atténué les effets de sa censure en jugeant "qu'en l'absence de la première phrase de ce IV, les dispositions de son I s'appliquent immédiatement et permettent la négociation d'accords d'entreprise nonobstant l'existence éventuelle de clauses contraires dans des accords de branche". Dit autrement, si la loi ne pouvait mettre fin aux accords antérieurs, elle pouvait, en revanche, permettre la mise en oeuvre de la nouvelle articulation entre accords de branche antérieurs et accords d'entreprise nouveaux. C'est donc en parfaite conformité avec cette interprétation du juge constitutionnel qu'est rendue la décision sous examen (10).

Un argument valable pour les nouvelles articulations issues de la loi "Travail" ? Assez spontanément, on imagine que cette interprétation du juge constitutionnel et de la Chambre sociale sera également adoptée s'agissant des nombreux nouveaux domaines dans lesquels l'accord de branche devient supplétif de l'accord d'entreprise depuis la loi du 8 août 2016. La note explicative de la Chambre sociale s'achève par un paragraphe où les magistrats notent que "les règles de fixation du contingent d'heures supplémentaires relèvent du champ de la négociation collective et que le nouvel article L. 3121-33 du Code du travail (N° Lexbase : L6880K9P) maintient le principe de la subsidiarité de l'accord de branche par rapport à l'accord d'entreprise ou d'établissement".

La formule employée nous semble ménager à la Chambre sociale des marges de manoeuvres. D'abord, parce qu'elle n'évoque pas formellement l'application immédiate de la loi du 8 août 2016 mais se contente de rappeler que le mécanisme de subsidiarité est à nouveau employé par la loi. Ensuite, parce que la note ne se focalise que sur le nouvel article L. 3121-33 du Code du travail, relatif au contingent d'heures supplémentaires, thématique sur laquelle portait la censure du Conseil constitutionnel en 2008.

Parmi les vingt-trois autres domaines dans lesquels l'accord de branche est désormais supplétif de l'accord d'entreprise, faudra-t-il toujours appliquer la loi nouvelle de manière immédiate ? Cela nous semble, à vrai dire, assez probable. En effet, la formule utilisée par le juge constitutionnel pour justifier l'application immédiate de la loi du 20 août 2008, quoique toujours focalisée sur le contingent d'heures supplémentaires, posait une règle d'application de la loi dans le temps assise sur la rédaction du texte de l'ancien article L. 3121-11, qui disposait que le contingent est "défini par une convention ou un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche". Or, c'est très exactement la formule reprise par de nombreux textes issus de la loi "Travail".

On pourrait bien avancer l'argument selon lequel l'accord collectif est, en partie, un contrat, et que c'est habituellement le principe de la survie de la loi ancienne qui prévaut, que l'application immédiate est exceptionnelle et, à ce titre, doit être interprétée strictement et réservée au cas du contingent d'heures supplémentaires. On voit mal, toutefois, pourquoi cet argument aurait plus de poids en matière de durée maximale de travail, de jours fériés ou de conventions de forfait qu'il n'en eu en matière de contingent d'heures supplémentaires.

Il est vrai, enfin, que, quoique l'on pense de la nouvelle articulation entre accords de branche et d'entreprise, l'application immédiate de la subsidiarité est nécessaire à l'effectivité de la loi "Travail". Il aurait, en effet, été très simple de paralyser la nouvelle articulation en refusant de réviser les accords de branche antérieurs.


(1) V. en particulier F. Canut, L'ordonnancement des normes étatiques et des normes conventionnelles - à propos du projet de loi "Travail", Dr. soc., 2016, p. 519.
(2) La formule est employée à vingt-quatre reprises par les nouvelles dispositions issues de la loi "Travail".
(3) G. Auzero, Lexbase, éd. soc., n° 120, 2004 (N° Lexbase : N1536ABI) ; M.-A. Souriac, L'articulation des niveaux de négociation, Dr. soc., 2004, p. 579.
(4) V., par ex., l'ancien article L. 212-10 du Code du travail (N° Lexbase : L3774DCR), dans sa rédaction résultant de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000, relative à la réduction négociée du temps de travail (N° Lexbase : L0988AH3).
(5) V. M.-A Souriac, préc..
(6) Cass. soc., 9 mars 2011, n° 09-69.647, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2495G9B). Sur ce type d'articulation dans le temps, v. également Cass. soc., 15 avril 2015, n° 13-18.032, FS-P+B (N° Lexbase : A9234NG4) et les obs. de Ch. Radé, Lexbase, éd. soc., n° 612, 2015 (N° Lexbase : N7281BU9).
(7) Cass. soc., 1er mars 2017, n° 16-10.047, FS-P+B+R+I et la note explicative.
(8) Le procédé avait déjà été employé à propos des stipulations conventionnelles de branche relatives aux durées des périodes d'essai, à ce propos, Cass. soc., 31 mars 2016, n° 14-29.184, FS-P+B (N° Lexbase : A1579RB4), et nos obs., Lexbase, éd. soc., n° 652, 2016 (N° Lexbase : N2348BWU).
(9) Cons. const., décision n° 2008-568 DC du 7 août 2008 (N° Lexbase : A8775D9U).
(10) V. également en ce sens Circ. DGT, n° 2008/20, du 13 novembre 2008, relative à la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L8532IBM) : "La volonté du Gouvernement et du législateur est de revenir à des dispositions plus lisibles basées sur une hiérarchie plus claire : principes et encadrement de l'organisation du temps de travail par la loi et le règlement, fixation des modalités de mise en oeuvre par accord d'entreprise, ou à défaut d'accord d'entreprise par accord de branche, lesquels ne peuvent plus être bloquants' si l'entreprise négocie à son niveau".

Décision

Cass. soc., 1er mars 2017, n° 16-10.047, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3545TPY)

Cassation partielle (CA Versailles, 3 novembre 2015, n° 14/03276 N° Lexbase : A6275NUX)

Texte visé : C. trav., art. L. 3121-11, al. 1er (N° Lexbase : L3752IBL), dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 (N° Lexbase : L7392IAZ).

Mots-clés : heures supplémentaires ; contingent annuel ; convention de branche ; accord d'entreprise ; subsidiarité.

Lien base : (N° Lexbase : E0344ETW).

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