La lettre juridique n°164 du 21 avril 2005 : Bancaire

[Jurisprudence] La nature des créances inscrites à un compte courant

Réf. : Cass. civ. 1, 15 mars 2005, n° 03-20.016, Société coopérative de La Brie c/ M. Jean-Pierre Decressat, F-P+B (N° Lexbase : A3077DHG)

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par Marie-Elisabeth Mathieu, Jeantet Associés, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val d'Essonne

le 07 Octobre 2010

En principe, les créances appréhendées par un compte courant "disparaissent" comme si elles étaient payées dès leur entrée en compte. Elles conservent, toutefois, la valeur de l'obligation éteinte et sont inexigibles. Ainsi, les parties reportent à une date future le règlement des sommes dues (v. en ce sens, R. Desgorces, Relecture de la théorie du compte courant, RTDcom 1997, spéc. p. 388). A la clôture du compte, son solde aura la nature d'une créance exigible entre les parties. Le compte courant est donc assimilable à "un creuset dans lequel viennent se fondre les remises qui perdent totalement leur individualité et leur spécificité pour ne plus constituer qu'un élément indifférencié du solde" (v. en ce sens, Ch. Gavalda, J. Stoufflet, Droit bancaire, Litec, 5ème éd, n° 298). Le mécanisme du compte courant est induit de la nature des créances, entrées en compte. C'est ainsi que le solde du compte courant est indivisible : la créance est incorporée dans ce solde (v. en ce sens, Th. Bonneau, Droit bancaire, 5ème éd. Montchrestien, n° 337 ; v. aussi, M.-T. Calais-Auloy, L'idée d'indivisibilité et le compte courant, PA, 14 avril 2000, n° 75, p.13). Elle devient alors fongible. Dès lors, si la créance conserve son individualité, la notion de compte courant fait défaut. La première chambre civile nous le rappelle dans un arrêt du 15 mars 2001 : "si le compte litigieux avait fonctionné conformément à un compte courant [...] chaque créance remise aurait perdu de son individualité". Toutefois, en l'espèce, "chaque créance de la coopérative était parfaitement individualisée, ne perdant à aucun moment son caractère propre [...] et en dépit de la terminologie employée, l'intention des parties n'avait pas été de soumettre leurs relations financières aux règles du compte courant".

Le compte courant a donc un mécanisme qui lui est propre. La créance entrée en compte produit un effet extinctif. Et, cette extinction vaut paiement. Mais cette créance primitive devient un article du compte et participe, alors, à la formation du solde. Celui-ci deviendra disponible à la clôture du compte : à cette date, il devient une unique créance exigible.

Néanmoins, la qualification de la convention de compte dépend, d'abord, de la volonté des parties. En principe, si elles ont entendu conclure un compte courant, l'effet recherché est, alors, la réunion de créances réciproques soumises à un régime juridique uniforme. Elles donneront donc lieu, à la clôture du compte, à un règlement global (v. en ce sens, Ch. Gavalda, J. Stoufflet, Droit bancaire, 5ème éd. Litec, n° 291).

Le critère de l'intention exprimée, ou tacite, des parties est d'importance (Cass. com., 5 décembre 1995, n° 94-10.990, M. Géniteau, ès qualités d'administrateur de la société Le Vourc'h c/ Société Rallye Super et autre N° Lexbase : A1369ABC, Bull. IV, n° 284) : soit les parties ont manifesté leur intention "de soumettre leurs relations financières aux règles du compte courant", soit cette volonté est absente.

En revanche, si la volonté est exprimée et qu'elle ressort de l'intitulé de la convention de compte, elle doit être conforme à ses modalités de fonctionnement.

Dès lors, l'appréciation souveraine des juges du fond portera sur les conditions de fonctionnement du compte courant. Peu importe, alors, l'intitulé de la convention de compte. Parfois, et c'est le cas de la présente espèce, les juges vont rétablir la qualification exacte du compte, qualification conforme à ses modalités de fonctionnement.

Ce pouvoir judiciaire trouve sa source à l'article 12 du Nouveau Code de procédure civile : le juge "doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties auraient proposée" (N° Lexbase : L2043ADZ). C'est ce principe qui a permis au juge d'interpréter les écritures des parties et, plus spécifiquement, d'analyser le fonctionnement du compte courant.

La Haute juridiction note, ici, qu'un compte courant n'existe que si chaque créance remise perd son individualité pour se fondre dans une série homogène d'articles du compte. Quel est, alors, l'état de la créance depuis l'entrée et jusqu'à la clôture du compte ?

En principe, les créances perdent leur individualité. La théorie classique (v. en ce sens, Th. Bonneau, Droit bancaire, 5ème éd., Monchrestien) explique la transformation de la créance par la novation : la créance entrée en compte s'est éteinte et une nouvelle obligation lui est substituée, dépourvue des accessoires de l'ancienne créance.

La novation est, en effet, un mécanisme d'extinction des obligations (C. civ., art. 1271 N° Lexbase : L1381ABR). Elle est une opération juridique par laquelle une obligation nouvelle est substituée à une obligation ancienne. Ses éléments caractéristiques sont, donc, la création de l'obligation nouvelle et l'extinction de l'obligation ancienne. Il s'agit, alors, de qualifier les actes qui relèvent ou non de la novation.

Le remplacement d'une créance par un article de compte projette en droit bancaire le mécanisme de la novation. La question a, d'ailleurs, été souvent discutée (V. en ce sens Vasseur et Marin, Les comptes en banque, Sirey 1966, n° 247 s. ; Th. Bonneau, Droit bancaire, 5ème éd, Montchrestien, n° 337 et s. ; Ch. Gavalda, J. Stoufflet, Droit bancaire, Litec, 5ème éd, n° 293 et s. ; V. aussi Esmein, Essai sur la théorie juridique du compte courant, RTD civ. 1920, 79). Certains auteurs considèrent, néanmoins, que le "mécanisme du compte courant est un mécanisme financier autonome au regard des règles du Code civil qui emporte une extinction des créances passées en compte différente de celle provoquée par la novation" (v. en ce sens, Ripert et Roblot, par Ph. Delebecque et Germain, Traité de droit commercial, t. 2, 16ème éd. 2000, LGDJ, n° 2330).

Dès lors, le mécanisme de la novation, tel qu'issu du droit civil, s'applique-t-il ou non aux créances inscrites à un compte courant, l'inscription entraînant la perte de l'individualité des créances et le débiteur n'étant tenu qu'au paiement du solde du compte ?

A cette question, il est parfois répondu que la créance initiale n'est pas immédiatement remplacée par une créance nouvelle -mécanisme de la novation- : la substitution se réalise lorsque le solde du compte est exigible. Elle est donc reportée à la clôture de ce dernier.

Au surplus, l'article de crédit, qui naît en substitution de la créance, n'ouvre au créancier aucune action immédiate contre le débiteur ; ce qui devrait être le cas en présence d'une novation.

Mais, la jurisprudence de la Cour de cassation n'a pas de position nette sur ce point. Lorsque la Haute juridiction rejette la novation, c'est avant tout parce qu'il n'existe pas de véritable compte courant entre les parties (V. en ce sens, Cass. soc., 6 juillet 1976, n° 75-40209, Société Selva-Tella c/ Caratella N° Lexbase : A3405CG9, Bull. V, n° 419 ; Cass. soc., 9 avril 1987, n° 84-16.674, Association pour la gestion du régime d''assurances des créances c/ M. Deloof et autre N° Lexbase : A7366AA3, Bull. V, n° 214) ou, ce qui est le cas dans l'arrêt du 15 mars 2005 en raison de la nature même des créances, celles-ci ayant conservé un caractère autonome.

Dans l'arrêt rapporté, les créances en cause étaient assorties de taux d'intérêt variés et ne pouvaient se fondre dans une série homogène d'articles du compte. Chaque créance était donc dotée d'un taux d'intérêt propre. Les parties n'avaient, ainsi, pas entendu réduire toutes les créances à une seule et encore moins les faire entrer directement dans le solde du compte.

Ainsi, le mécanisme du compte courant faisait défaut, puisque les parties n'ont pas relégué au néant ce qui distingue les créances entre elles (v. en ce sens, I. Trouche-Doerflinger, La distinction entre compte de dépôt et compte courant, PA, 1998, n° 70, p. 4 ; J. Belot, Compte de dépôt et compte courant en matière bancaire, RJC 1985, p. 41). Les créances en cause ne sont pas devenues des articles du compte : les actions, les sûretés et leurs accessoires ont perduré, ainsi que l'action en paiement du créancier.

Dès lors et en toute logique, l'individualité de ces créances devait être relevée par la Haute juridiction.

En revanche, en présence d'une convention de compte courant, la parfaite fongibilité des articles du compte les aurait empêchés de coexister de manière autonome (v. en ce sens, Fr. Grua, Les contrats de base de la pratique bancaire, éd. Litec, 2000, n° 118).

Les créances auraient, néanmoins, conservé leur contenu. Le droit à une certaine quantité d'argent survit dans le solde définitif (v. en ce sens, Fr. Grua, op.cit). D'ailleurs, et à la lecture de l'article 1234 du Code civil (N° Lexbase : L0970ABK), le critère de la perte d'individualité d'une créance n'est pas une cause d'extinction des créances.

Pour conclure, le critère de l'individualité des créances retenu par la Haute juridiction correspond au mécanisme du compte courant : l'entrée d'une créance en compte participe à la formation du solde et la perte de son individualité entraîne sa fongibilité. Par conséquent, l'on assiste à une véritable fusion des créances : elles se transforment en des articles de compte et, ainsi réduites, sont mélangées les unes aux autres.

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