La lettre juridique n°146 du 9 décembre 2004 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Démission et transaction : des précisions utiles

Réf. : Cass. soc., 1er décembre 2004, n° 02-46.341, F-P+B (N° Lexbase : A1259DED)

Lecture: 11 min

N3851ABA

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Démission et transaction : des précisions utiles. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3207053-jurisprudencedemissionettransactiondesprecisionsutiles
Copier

par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 19 Janvier 2024

Lorsque le contrat de travail a été valablement rompu, les parties peuvent décider de conclure une transaction pour solder définitivement leurs relations. La jurisprudence a souvent à connaître de litiges qui concernent des transactions conclues après un licenciement, plus rarement après une démission. Un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation, le 1er décembre 2004, apporte des précisions utiles et montre toute l'attention que les juges portent à cet acte, potentiellement dangereux pour le salarié. Ainsi, la transaction ne peut être conclue que postérieurement à la remise, par le salarié, de sa lettre de démission (1), et doit comporter, mais on s'en doutait, des concessions réciproques, qui seront examinées minutieusement par le juge (2).

Décision

Cass. soc., 1er décembre 2004, n° 02-46.341, F-P+B (N° Lexbase : A1259DED)

Rejet (CA Orléans, chambre sociale, 5 septembre 2002)

Textes visés : articles L. 122-5 du Code du travail (N° Lexbase : L5555ACQ) ; article 2044 du Code civil (N° Lexbase : L2289ABE)

Mots clef : démission ; transaction ; moment de la conclusion ; existence de concessions réciproques.

Lien base :

Faits

1. Une salariée, engagée le 1er septembre 1994 en qualité d'attachée commerciale par une société, a donné sa démission le 8 avril 1998, par lettre remise en main propre.

Une transaction a été conclue le jour même prévoyant, d'une part, que la salariée était autorisée à ne pas effectuer le préavis et, qu'en contrepartie, elle renonçait au paiement de ses congés payés et, d'autre part, que la salariée était dispensée de l'exécution de la clause de non-concurrence.

2. Le 6 mars 2001, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes pour faire annuler la transaction et obtenir des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle a été déboutée de ses demandes.

Problèmes juridiques

A quel moment doit être conclue la transaction faite à la suite d'une démission ? Quelle sanction infliger à une transaction conclue en violation des règles contractuelles relatives à la démission ? Quelles doivent être les concessions réciproques consenties par les parties ?

Solution

1. "Aucune disposition légale n'exige que la lettre de démission soit notifiée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ; [...] les dispositions du contrat de travail prévoyant une telle notification n'instituent qu'une règle de forme qui ne peut être sanctionnée par la nullité de la transaction ; [...] c'est dans l'exercice de leur pouvoir souverain que les juges du fond ont estimé que la transaction avait été conclue postérieurement à la remise de la lettre de démission".

2. "La cour d'appel, qui a relevé que la salariée, ayant trouvé un nouvel emploi, demandait à quitter l'entreprise dès le 9 avril 1998, a caractérisé le fait que les parties avaient consenti des concessions réciproques dès lors que l'employeur autorisait la salariée à quitter l'entreprise sans effectuer son préavis et la libérait de sa clause de non-concurrence et que celle-ci renonçait à percevoir le montant de l'indemnité compensatrice de congés payés, correspondant à un mois de salaire en contrepartie de l'inexécution de son préavis".

3. Rejet

Commentaire

1. La validité de la transaction conclue après une démission

  • Rappel des conditions de validité de la démission

Contrairement au licenciement qui est un acte formaliste, la démission n'est légalement entourée d'aucune formalité particulière. La démission peut, par conséquent, n'être que verbale ou adressée par mail (CA Paris, 18e, E, 16 novembre 2001, n° 00/39167 N° Lexbase : A7239AYR).

La démission doit seulement traduire la volonté claire et non-équivoque du salarié, peu important la manière dont se manifeste cette volonté. La jurisprudence accepte, d'ailleurs, une démission sans volonté réelle lorsque le salarié quitte l'entreprise sans démissionner et prétend imputer la rupture du contrat à son employeur, mais ne parvient pas à prouver les prétendues fautes de son employeur (Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-42.679, FP+P+B+R+I N° Lexbase : A8977C8Y ; Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-42.335, F-P P+B+R+I N° Lexbase : A8976C8X ; Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-43.578, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A8978C8Z ; Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-41.150, FPP+B+R+I N° Lexbase : A8975C8W ; Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-40.235, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A8974C8U, Autolicenciement : enfin le retour à la raison ! Lexbase Hebdo n° 78 du 3 juillet 2003 - édition sociale N° Lexbase : N9951AAS).

C'est ce que vient rappeler cet arrêt : "aucune disposition légale n'exige que la lettre de démission soit notifiée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception".

  • Le sort de la transaction conclue après une démission irrégulière

Il arrive, parfois, que les conventions collectives ou le contrat de travail imposent au salarié une formalité particulière lors de la démission. On pourrait, en premier lieu, s'interroger sur la validité de telles dispositions, hormis l'hypothèse dans laquelle le contrat détermine la durée du préavis, puisque cette hypothèse précise est prévue par l'article L. 122-5 du Code du travail (N° Lexbase : L5555ACQ). En dehors de l'existence et de la durée du préavis, la loi ne comporte aucune obligation particulière ; dans ces conditions, toute obligation formaliste visant, notamment, à exiger une notification écrite à l'employeur serait moins favorable et donc nulle, puisqu'elle dérogerait in peius à une disposition d'ordre public.

La jurisprudence semble pourtant les admettre, comme le confirme implicitement cet arrêt, mais ne les sanctionne que modérément, puisqu'elle n'en tire aucune conséquence quant à la validité des actes qui pourraient être conclus postérieurement à une démission irrégulière.

C'est également ce que confirme cette décision qui refuse d'annuler la transaction conclue en violation des dispositions présentes dans le contrat de travail.

Cette solution semble bienvenue et correspond, d'ailleurs, à la jurisprudence relative aux formalités conventionnelles ou contractuelles en matière de licenciement, puisque les tribunaux refusent de sanctionner leur violation par l'annulation du licenciement, se contentant d'attribuer au salarié des dommages-intérêts pour réparer le préjudice subi (ainsi, pour l'obligation de consulter une commission de discipline : Cass. soc., 23 mars 1999, n° 97-40.412 N° Lexbase : A3552AU4, Dr. soc. 1999, p. 634, obs. J. Savatier).

Il était donc prévisible que la Cour de cassation refuse d'annuler la transaction, même conclue à l'issue d'une démission prononcée en violation des règles imposée par le contrat de travail : "les dispositions du contrat de travail prévoyant une telle notification n'instituent qu'une règle de forme qui ne peut être sanctionnée par la nullité de la transaction". Seuls des dommages-intérêts pourraient donc être attribués.

  • Rappel des conditions de validité de la transaction

La transaction ne rompt pas le contrat de travail mais permet aux parties de régler de manière extrajudiciaire les conséquences de la rupture.

Le Code du travail n'a rien prévu concernant cette possibilité et la jurisprudence a dû dégager des principes protecteurs des intérêts en présence. L'un d'entre eux impose aux parties d'attendre la rupture effective du contrat de travail, censée libérer le salarié de l'emprise de son employeur, pour transiger. Lorsqu'elle ponctue une procédure de licenciement, la transaction ne peut ainsi être conclue qu'après la notification au salarié (Cass. soc., 29 mai 1996, n° 92-45.115, publié N° Lexbase : A3966AA7, Dr. soc. 1996, p. 684, note J. Savatier ; RJS 1996, chron. p. 407, par D. Corrignan-Carsin ; D. 1997, Jurispr., p. 49, note J.-P. Chazal).

A notre connaissance, la Cour de cassation n'avait pas eu l'occasion de prendre position sur le moment où les parties peuvent conclure une transaction après une démission. Il faut dire que le contentieux est rare et qu'il porte, généralement, sur l'existence d'une volonté claire et non-équivoque de démissionner, rarement sur la question du moment où les parties transigent.

Sans énoncer formellement de règle, la Chambre sociale de la Cour de cassation reconnaît ici, implicitement, que les parties ne peuvent valablement transiger qu'une fois la lettre de démission délivrée par le salarié : "c'est dans l'exercice de leur pouvoir souverain que les juges du fond ont estimé que la transaction avait été conclue postérieurement à la remise de la lettre de démission".

La solution est logique et parfaitement symétrique de celle dégagée dans le cadre du licenciement, et pour des raisons identiques. Le salarié qui a remis sa lettre de démission est, en effet, censé s'être libéré de l'emprise de son employeur et se trouve placé sur un pied d'égalité pour négocier (pour la remise en cause de cette conception, notre chronique, L'ordre public social et la renonciation du salarié, Dr. soc. 2002, p. 931 s.). On peut donc penser que la transaction qui serait conclue avant l'expression par le salarié de sa volonté de démissionner serait nulle.

2. L'existence de concessions réciproques

  • L'exigence de concessions réciproques

Il est de l'essence même de la transaction de contenir des concessions réciproques. A défaut, le contrat conclu ne saurait être qualifié de transaction. C'est généralement sur cette question que porte traditionnellement le contentieux en matière de droit du travail. La Cour de cassation impose donc aux parties d'abandonner "chacune à l'égard de l'autre, de(s) griefs propres à entraîner condamnation, à son profit" (Cass. soc., 13 octobre 1988, n° 85-45.309, publié N° Lexbase : A8559AAA).

L'employeur peut, ainsi, proposer un avantage positif au salarié ou renoncer à lui réclamer une créance, le salarié renonçant généralement à une partie de ses indemnités (notamment les indemnités de préavis : Cass. soc., 8 février 1989, n° 86-11.022, publié N° Lexbase : A8596AAM) ainsi qu'à toute action judiciaire contre l'employeur. Après avoir, un temps, abandonné l'appréciation des concessions réciproques au pouvoir souverain des juges du fond, la Cour de cassation a renforcé son contrôle (Cass. soc., 18 octobre 1989, n° 86-44145, publié N° Lexbase : A0466CI4).

  • L'étude des concessions réciproques en l'espèce

Cet arrêt nous fournit une parfaite illustration de ce que doit être une transaction équilibrée.

Dans cette affaire, la salariée souhaitait être dispensée de son préavis parce qu'elle avait trouvé un nouvel emploi. Le Code du travail permet à l'employeur de le lui accorder mais, bien entendu, il peut refuser. L'employeur avait, également, libéré la salariée de son obligation de non-concurrence, sans doute parce que le nouvel emploi ne contredisait pas directement la clause ou parce que celle-ci n'avait plus d'utilité. En échange, la salariée renonçait à son indemnité compensatrice de congés payés, correspondant à un mois de salaire.

L'accord était parfaitement équilibré, puisque l'employeur subissait un préjudice en renonçant au préavis, préjudice compensé par l'abandon de l'indemnité de congés payés. La salariée ne perdait donc pas au change et n'aurait pas pu obtenir mieux en justice, la transaction ayant procédé à une sorte de compensation entre les parties, éteignant leurs obligations respectives.

L'employeur avait, également, intérêt à libérer la salariée de son obligation de non-concurrence, puisqu'il se trouvait, par la même, dispensé de lui verser l'indemnité compensatrice qui, même lorsqu'elle n'a pas été stipulée par les parties, doit impérativement être accordée (Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 00-45.135, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A1225AZE, La Cour de cassation prise en flagrant délit de violation du principe de la prohibition des arrêts de règlement, Lexbase Hebdo n° 33 du 25 juillet 2002 - édition sociale N° Lexbase : N3574AAM).

Dans ces conditions, la transaction était parfaitement équilibrée et il était évident que l'accord n'était pas défavorable à la salariée.

L'attention portée dans l'arrêt à l'examen des concessions réciproques suggère, d'ailleurs, que ce contrôle pourrait conduire les juges à vérifier que l'accord conclu est conforme au principe de faveur. Certes, les juges se contentent de vérifier l'existence de concessions réciproques sans les soupeser, mais nous pensons que la transaction, comme tout contrat conclu par le salarié, devrait être soumise au principe de faveur. Cette décision, sans l'avouer franchement, pourrait bien suggérer un rapprochement souhaitable entre l'examen des concessions réciproques et l'analyse du caractère plus ou moins favorable de l'accord au regard des droits auxquels le salarié aurait pu légalement prétendre. C'est, en tous cas, en ce sens que la jurisprudence devrait s'orienter.

newsid:13851

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus