Le Quotidien du 14 octobre 2022

Le Quotidien

Droit pénal spécial

[Brèves] Action militante d’une Femen dans l’église de la Madeleine : la France est condamnée pour violation de l’article 10 de la CEDH

Réf. : CEDH, 13 octobre 2022, Req. 22636/19, Bouton c/ France

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N2951BZC

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par Adélaïde Léon

Le 19 Octobre 2022

► À la suite d’une performance réalisée seins nus dans une église par une militante féministe, les juridictions nationales françaises, qui ont sanctionné l’intéressée d’une peine d’emprisonnement avec sursis en répression du délit d’exhibition sexuelle, ne peuvent, pour justifier la nature et la lourdeur de cette peine, procéder à la mise en balance entre la liberté d’expression revendiquée par la requérante et le droit à la liberté de conscience et de religion.

En outre, ne procèdent pas à la mise en balance entre les intérêts en présence de manière adéquate et conformément aux critères dégagés par la jurisprudence de la CEDH les juridictions internes qui se bornent à examiner la question de la nudité d’une poitrine dans un lieu de culte, sans prendre en considération le sens donné à la performance litigieuse.

L’ingérence dans la liberté d’expression constituée par ladite peine d’emprisonnement n’est donc pas « nécessaire dans une société démocratique » et constitue une violation de l’article 10 de la CESDH.

Rappel des faits et de la procédure. Le 20 décembre 2013, dans le cadre d’une action militante, une membre du mouvement des « Femen » (organisation internationale de défense des droits des femmes créée en 2008) s’était présentée en dehors de tout office devant l’autel de l’église de la Madeleine. La poitrine dénudée, elle avait mimé, à l’aide de deux morceaux de foie de boeuf, un avortement. Son torse et son dos étaient couverts des slogans « 344e salope » et « Christmas is canceled ». À la demande du maître de chapelle, elle avait quitté l’église en silence.

Le tribunal correctionnel de Paris a condamné l’intéressée, pour exhibition sexuelle, à un mois d’emprisonnement assorti d’un sursis simple et, sur les intérêts civils, à payer au représentant de la paroisse un montant de  2 000 euros au titre du préjudice moral.

Ce jugement fut confirmé en tout point, y compris sur la peine, par la cour d’appel.

Les juges de première instance et les juges d’appel avaient pareillement considéré que la prétendue violation de la liberté d’expression de la militante ne pouvait être retenue car ses droits trouvaient « leur limite d’exercice au besoin social impérieux de protéger autrui de la vue dans un lieu de culte, d’une action exécutée dénudée que d’aucuns peuvent considérer comme choquante ».

En cassation, la Chambre criminelle avait rejeté son pourvoi estimant que la cour d’appel s’était déterminée par des motifs qui caractérisaient en tous ses éléments constitutifs le délit d’exhibition sexuelle et n’avait pas porté d’atteinte excessive à la liberté d’expression de l’intéressée « laquelle doit se concilier avec le droit pour autrui de ne pas être troublé dans la pratique de sa religion » (Cass. crim., 9 janvier 2019, n° 17-81.618, FS-P+B N° Lexbase : A9843YSD).

Requête. La militante invoquait devant la CEDH une violation de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme N° Lexbase : L4743AQQ, sa condamnation pénale pour des faits d’exhibition sexuelle à l’occasion d’une action menée en tant que membre des Femen ayant, selon elle, porté atteinte à sa liberté d’expression.

La requérante soutenait que, faute de clarté et de prévisibilité, l’ingérence dans sa liberté d’expression n’était pas « prévue par la loi » au sens du paragraphe 2 de l’article 10. Elle estimait par ailleurs que compte tenu de la dimension politique de son acte militant, cette ingérence ne pouvait être considérée comme « nécessaire dans une société démocratique » et proportionnée au but légitime poursuivi. Elle avançait en effet que son action n’était pas gratuitement offensante, mais s’inscrivait dans un débat public sur la place des femmes dans la société et visait plus spécifiquement à aborder la question de la position de l’Église catholique concernant l’avortement. Elle rappelait également que la protection de l’article 10 de la CESDH s’étend aux idées qui peuvent heurter ou choquer une partie de la population. Elle dénonçait enfin l’absence de proportionnalité dans la détermination de sa peine.

Position du Gouvernement. Tout en ne contestant pas l’ingérence dans le droit à la liberté d’expression de la requérante, le Gouvernement considérait toutefois que les conditions du respect de sa liberté d’expression étaient réunies. Il estimait que la condamnation de la requérante résultait de la loi et d’une interprétation jurisprudentielle accessible et prévisible. L’ingérence en cause était donc « prévue par la loi ». Quant au « but légitime » poursuivi, le Gouvernement soulignait qu’il s’agissait de la nécessité de protéger la morale, l’ordre public et les droits d’autrui.

Décision. La CEDH souligne dans un premier temps qu’elle a déjà admis que les « performances » consistant en un mélange d’expressions verbales et comportementales s’analysant en une forme d’expression artistique et politique peuvent relever du champ de la liberté d’expression protégée par l’article 10 (CEDH, 17 juillet 2018, Req. 38004/12, Mariya Alekhina et autres c/ Russie [en anglais], concernant le groupe punk Pussy Riot). Elle rappelle qu’elle a elle-même considéré que la nudité en public puisse être considérée comme une forme de liberté d’expression (CEDH, 28 octobre 2014, Req. 49327/11, Gough c/ Royaume-Uni [en anglais]). La CEDH  souligne toutefois que selon la nature et la fonction du lieu choisi, la tenue d’une performance ou d’un discours politique dans un lieu ouvert au public pouvait impliquer le respect de certaines règles de conduite prescrites (v. Mariya Alkhina, précité § 213).

Après avoir affirmé qu’il existait bien en l’espèce une ingérence dans l’exercice du droit à la liberté d’expression de la requérante protégé par l’article 10, la CEDH apprécie les trois conditions susceptibles de justifier cette ingérence laquelle ne constituerait alors pas une violation de la Convention.

1. Une ingérence prévue par la loi. Selon la Cour, il résultait de la loi et de jurisprudence des juridictions nationales une prévisibilité raisonnable de l’incrimination pénale du comportement de la requérante : elle aurait pu bénéficier des conseils d’avocats spécialisés et devait donc être réputée avoir été au fait de la loi et de la jurisprudence constante applicable en la matière et ne pouvait ignorer les conséquences pénales de son comportement.

Un but légitime. La CEDH considère que les juridictions nationales pouvaient légitimement envisager de sanctionner le comportement d’une personne exhibant « une partie sexuelle de son corps », au sens du droit pénal interne dans un lieu public tel qu’une église.

Une ingérence non nécessaire dans une société démocratique.

Une exigence particulière de protection. Si la condamnation de la requérante était fondée sur la caractérisation du délit d’exhibition sexuelle, la Cour souligne qu’eu égard à son caractère militant, l’action litigieuse doit être appréciée comme une « performance » entrant dans le champ d’application de l’article 10. Il s’agissait d’une action ayant pour but de diffuser un message, dans un lieu de culte symbolique, relatif à un débat public et sociétal portant sur le positionnement de l’Église sur la question du droit des femmes à disposer de leur corps. Même si elle était susceptible d’offenser des convictions personnelles et intimes relavant de la religion compte tenu du lieu choisi, la liberté d’expression de la requérante devait bénéficier d’un niveau suffisant de protection en considération du fait que le contenu de son message relevait d’un sujet d’intérêt général.

Une sanction sévère. Si elle conçoit que le comportement de la requérante pouvait être regardé comme méconnaissant les règles de conduite acceptables dans un lieu de culte, la CEDH souligne qu’elle est frappée par la sévérité de la sanction choisie par les autorités nationales, lesquelles n'avaient par ailleurs pas exposé en quoi une peine d’emprisonnement s’imposait pour garantir la protection de l’ordre public, de la morale et des droits d’autrui en l’espèce. Elle note qu’à cette sévérité s’ajoute le montant conséquent de la somme mise à la charge de la militante au titre des intérêts civils.

La Cour rappelle à ce titre que dans le domaine de la liberté d’expression, la voie pénale doit être choisie avec retenue et qu’une peine de prison infligée dans le cadre d’un débat politique ou d’intérêt général n’est compatible avec la liberté d’expression que dans des circonstances exceptionnelles, notamment lorsque d’autres droits fondamentaux ont été « gravement atteints » (par exemple en répression d’un discours de haine ou d’incitation à la violence). Or, en l’espèce, si la performance a pu choquer en raison de la nudité de son autrice, elle avait pour seul objectif de contribution à un débat public sur le droit des femmes à disposer de leur corps.

Une justification non adéquate. La Cour examine ensuite les motifs retenus par les juridictions internes pour justifier la lourdeur de la peine infligée. Elle constate que ces dernières se sont référées à des principes qu’elle a elle-même dégagés dans sa jurisprudence relative à l’article 10. Les juridictions internes se sont ainsi appuyées sur « la nécessité de concilier deux libertés protégées par la Convention, à savoir la liberté d’expression, d’une part, et la liberté de conscience et de religion ». Or, la CEDH constate que la sanction infligée à la requérante l’avait été en répression du délit d’exhibition sexuelle. La militante avait donc été sanctionnée pour avoir dénudé sa poitrine dans un lieu public et non pour avoir porté atteinte à la liberté de conscience et de religion. Il n’appartenait donc pas aux juridictions internes de procéder à la mise en balance entre la liberté d’expression et le droit à la liberté de conscience et de religion.

Au demeurant, la Cour souligne que la cour d’appel comme la Cour de cassation, qui avaient choisi de s’orienter sur le terrain de la liberté de religion, n’ont pas même recherché si l’action de la requérante avait un caractère gratuitement offensant pour les croyances religieuses, injurieux ou si elle incitait à l’irrespect ou à la haine. Elles n’ont pas non plus pris en compte le fait que la militante avait agi en dehors de tout office, de manière brève et sans déclamation et qu’elle avait quitté l’église dès la demande du maître de chapelle.

La CEDH conclut que les juridictions internes se sont bornées à apprécier la question de la nudité dans un lieu de culte sans prendre en considération le contexte et la globalité de la performance et notamment les inscriptions inscrites sur le torse de la militante, les explications fournies par celle-ci sur le sens de l’utilisation de la poitrine dénudée comme étendard politique ainsi que sur le choix du lieu pour favoriser la médiatisation de cette action.

Les motifs retenus par les juridictions internes ne sont pas de nature à lui permettre de considérer qu’elles ont procédé à la mise en balance entre les intérêts en présence de manière adéquate et conformément aux critères dégagés par sa jurisprudence. Ces motifs ne suffisent pas non plus à regarder la peine infligée comme proportionnée aux buts légitimes poursuivis.

L’ingérence dans la liberté d’expression de la requérante constituée par la peine d’emprisonnement avec sursis n’était donc pas « nécessaire dans une société démocratique ».

La Cour conclut à une violation de l’article 10 de la CESDH.

On notera que dès le 26 février 2020, la Cour de cassation avait sensiblement modifié son raisonnement en retenant que lorsque l’exhibition de la poitrine d’une femme s’inscrit dans une démarche de protestation politique, son incrimination, compte tenu de la nature et du contexte de l’agissement en cause, peut constituer une inférence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression (Cass. crim., 26 février 2020, n° 19-81.827, FS-P+B+I N° Lexbase : A39993G9).

Pour aller plus loin :

  • N. Catelan, Adam (toujours) plus fort qu’Ève : saison 2 épisode 1*, Lexbase Pénal, février 2019, n° 13 N° Lexbase : N7700BXH ;
  • N. Catelan, Adam (toujours) plus fort qu'Ève : quand un sein est un sexe ! (saison 3), Lexbase Pénal, février 2020, n° 24 N° Lexbase : N2385BYY.

newsid:482951

Audiovisuel

[Brèves] Décompte des temps de parole à la télévision : définition de la notion de « personnalité politique » concernée

Réf. : CE, 5°-6° ch. réunies, 28 septembre 2022, n° 452212, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A26058L3

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N2921BZ9

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par Yann Le Foll

Le 13 Octobre 2022

► Les « personnalités politiques » devant voir leur temps d’antenne décompté sont celles appartenant ou ayant récemment appartenu à des partis, groupements ou mouvements politiques et avaient récemment exercé des fonctions politiques ou aspiraient à exercer de telles fonctions et, d'autre part, qu'elles participaient activement, à la date de la décision attaquée, au débat politique national.

Rappel. L'obligation pour les éditeurs de services de communication audiovisuelle de décompter et de transmettre au CSA, pour l'appréciation du respect du pluralisme politique, les données relatives aux temps d'intervention des personnalités politiques dans les journaux et les bulletins d'information, les magazines et les autres émissions des programmes des services de radio et de télévision résulte des dispositions du second alinéa de l'article 13 de la loi du 30 septembre 1986, relative à la liberté de communication (loi n° 86-1067 N° Lexbase : L8240AGB).

Faits. Par une délibération du 3 mars 2021, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), devenu au 1er janvier 2022 l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, a demandé aux éditeurs de services de communication audiovisuelle de « décompter intégralement les temps d'intervention dans les médias audiovisuels » de Mme A... B... et de MM. Nicolas Hulot, Laurent Joffrin, Arnaud Montebourg et Manuel Valls. 

Décision CE. En se fondant, pour estimer que Mme B... et MM. Valls, Montebourg, Hulot et Joffrin devaient être regardés comme des personnalités politiques au sens et pour l'application du second alinéa de l'article 13 de la loi du 30 septembre 1986 et que les éditeurs de services de communication audiovisuelle devaient, en conséquence, décompter et transmettre au CSA les données relatives à leurs temps d'intervention, sur la circonstance, d'une part, que ces personnalités appartenaient ou avaient récemment appartenu à des partis, groupements ou mouvements politiques et avaient récemment exercé des fonctions politiques ou aspiraient à exercer de telles fonctions et, d'autre part, qu'elles participaient activement, à la date de la décision attaquée, au débat politique national, l'autorité de régulation n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation.

newsid:482921

Baux d'habitation

[Brèves] Régularisation annuelle des charges : le bailleur doit s’expliquer quant à une augmentation très importante du coût du m³ d'eau chaude

Réf. : Cass. civ. 3, 28 septembre 2022, n° 21-16.375, F-D N° Lexbase : A07798MS

Lecture: 2 min

N2939BZU

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par Laure Florent

Le 13 Octobre 2022

Si les décomptes de régularisation de charges mentionnaient la quote-part imputée aux locataires au titre de la charge d'eau chaude et identifiaient la consommation individuelle d'eau pour les exercices concernés, ces pièces faisaient apparaître une augmentation très importante du coût du mètre cube d'eau chaude, qui demeurait inexpliquée malgré les demandes des locataires et l’obligation d’information pesant sur le bailleur ; c’est ainsi que le tribunal appréciant souverainement la portée des décomptes et justificatifs produits, a légalement justifié sa décision de rejeter sa demande en paiement d'un arriéré de charges.

Faits et procédure. Une bailleresse a donné un appartement à bail à un couple de locataires. Une injonction de payer un solde de charges après régularisation annuelle leur a été signifiée, à laquelle ils ont formé opposition.

Le tribunal judiciaire d’Avignon (TJ Avignon, 15 mars 2021, n° 19/01228) a rejeté la demande de la bailleresse en paiement d’un arriéré de charges. Il exigeait effectivement de la bailleresse qu’elle fournisse aux locataires des explications claires, plausibles et surtout justifiées de l’importante fluctuation du prix du m³ d'eau chaude.

Pour rappel, l’article 23 de la loi n° 89-462, du 6 juillet 1989, tendant à améliorer les rapports locatifs N° Lexbase : L8461AGH prévoit, notamment, qu’un mois avant la régularisation des charges, « le bailleur en communique au locataire le décompte par nature de charges ainsi que, dans les immeubles collectifs, le mode de répartition entre les locataires et, le cas échéant, une note d'information sur les modalités de calcul des charges de chauffage et de production d'eau chaude sanitaire collectifs et sur la consommation individuelle de chaleur et d'eau chaude sanitaire du logement, dont le contenu est défini par décret en Conseil d'État ».

La bailleresse considérait, elle, avoir fourni les explications demandées par l’article 23 précité, et développait les modalités de calcul des quotes-parts de charges imputées aux locataires. Elle a donc formé un pourvoi en cassation.

Rejet. La Cour de cassation rejette le pourvoi et approuve le tribunal qui a relevé que, si les décomptes de régularisation de charges mentionnaient la quote-part imputée aux locataires au titre de la charge d'eau chaude et identifiaient la consommation individuelle d'eau pour les exercices concernés, ces pièces faisaient apparaître une augmentation très importante du coût du mètre cube d'eau chaude, qui demeurait inexpliquée malgré les demandes des locataires.

L’appréciation de la portée des décomptes et justificatifs produits par la bailleresse relevait ainsi du pouvoir souverain du tribunal, qui avait effectué les recherches nécessaires relatives aux documents mentionnés par l’article 23 précité, et n’était pas tenu de suivre l’argumentation de la bailleresse quant aux modalités de calcul de la quote-part des charges imputées aux locataires.

newsid:482939

Contrat de travail

[Questions à...] Pénurie d’essence et droit du travail - Questions à Sabrina Kemel, Avocat associé et Maximilien Champy, Avocat collaborateur du cabinet FTMS Avocats

Lecture: 6 min

N2948BZ9

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par Lexbase Social

Le 13 Octobre 2022

Mots-clés : carburant • salarié • entreprise • droit du travail • contrat de travail

La pénurie d’essence actuelle pose de véritables problématiques quant à l’exécution de la relation de travail entre salarié et employeur qu’elle perturbe sans – pour le moment – la suspendre, hormis certains secteurs particulièrement sensibles.

Dans ce cadre, on peut s’interroger sur les réponses et les outils du droit du travail.


Lexbase Social : La situation dans laquelle le salarié n’a pas la possibilité de faire le plein d’essence et ne peut pas prendre les transports en commun pour se rendre sur son lieu de travail peut-elle être qualifiée de force majeure ?

La force majeure est dans le cas présent difficilement mobilisable. En effet, l’article 1218 du Code civil N° Lexbase : L0930KZH définit la force majeure comme un « événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur ». En d’autres termes, l'événement doit être imprévisible, extérieur et irrésistible.

L’ensemble des conditions visées doit être rempli afin qu’une partie puisse s’exonérer de son engagement sur le fondement de la force majeure.

Or, la pénurie avait été annoncée si bien qu’elle était prévisible. Par ailleurs, sauf dans certaines hypothèses (exemple : accès à la pompe très réduit, voire impossible, notamment en zone rurale), le caractère irrésistible n’est pour l’instant pas non plus rencontré dans la mesure où de nombreuses stations sont encore ouvertes.

Dans le cadre du Covid-19, la question de la force majeure s’était posée pour justifier la résolution d’un contrat (commercial, contrat de bail, etc.). Elle avait alors été retenue par la Cour de cassation, car les conditions prévues à l’article 1218 du Code civil étaient réunies.

Mais en droit du travail, la force majeure est assez peu utilisée, car il existe des règles spécifiques à la matière. En l’absence d’exécution du salarié de son obligation de fournir une prestation de travail, l’employeur est délié de son obligation de verser le salaire, peu important que la force majeure soit caractérisée.

Lexbase Social : Le salarié peut-il être sanctionné en cas d’impossibilité de se rendre sur son lieu de travail en raison de la pénurie d’essence ?

Sauf dans le cas d’un salarié qui serait de mauvaise foi, ce qui permettrait de caractériser une faute dans l’exécution de la relation contractuelle, il est déconseillé de sanctionner des salariés sur ce motif pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, agir ainsi nuirait certainement au climat social au sein de l’entreprise.

Ensuite, une sanction disciplinaire ne peut, en effet, être prononcée qu’en cas de faute (ou négligence fautive) du salarié. Selon la jurisprudence, celle-ci doit alors résulter d'un fait avéré, imputable au salarié et constituant une violation des obligations découlant du contrat ou des relations de travail.

Si le retard ou l’absence sont par principe des fautes, le fait qu’elles soient directement causées par une pénurie leur retire tout caractère fautif sauf si le salarié est de mauvaise foi et utilise la pénurie d’essence pour ne pas venir travailler. Mais qu’aurait-il à y gagner ?

Bien entendu, il est important de justifier de son absence en apportant des preuves à son employeur (photos des pompes à essence, de la jauge, etc.) et d’avertir son employeur le plus rapidement possible.

À titre d’exemple, pour un salarié vivant en région parisienne, il sera compliqué de justifier de son absence compte tenu du réseau francilien de transports en commun.

Lexbase Social : Son impossibilité de se rendre sur son lieu de travail peut-elle constituer une absence autorisée non rémunérée ?

Si le salarié justifie de son absence (v. supra) et compte tenu de la situation, l’employeur le placera en absence autorisée non rémunérée.

Mais d’autres solutions peuvent être envisagées pour pallier l’impossibilité de se déplacer : mise en place du télétravail, pose des JRTT ou des congés payés dans les conditions légales et conventionnelles.

La communication reste le maître mot : employeurs et salariés sont confrontés aux mêmes difficultés. Nombreux sont les employeurs qui voient leur chiffre d’affaires diminuer et les salariés qui se retrouvent sans rémunération. L’objectif est de trouver des solutions qui puissent servir aux deux parties.

Lexbase social : L’employeur peut-il adapter le poste de travail temporairement ? Quelles solutions peut-il mettre en place ?

Pour ceux qui le peuvent, la première solution à laquelle on pense est le télétravail. Le Code du travail laisse une grande flexibilité sur ce point puisque l’article L. 1222-9 du Code du travail N° Lexbase : L2077MA8 dispose qu’« en l'absence d'accord collectif ou de charte, lorsque le salarié et l'employeur conviennent de recourir au télétravail, ils formalisent leur accord par tout moyen ».

Pour les autres, les recours de l’employeur sont limités compte tenu du caractère imprévisible des absences (un salarié absence le mardi ne le sera pas forcément le jeudi).

Mais l’employeur pourrait :

  • avoir recours à l’intérim ou aux contrats à durée déterminée, le motif invoqué sera alors celui du remplacement ;
  • mettre en place des moyens de transports collectifs (navette par exemple) sous réserve d’avoir pu s’approvisionner en essence ;
  • demander à des salariés de l’entreprise d’effectuer les tâches des salariés absents de façon ponctuelle.

On peut s’interroger sur la possibilité pour l’employeur d’imposer le rattrapage des heures perdues.

Le Code du travail conditionne cette faculté à une « interruption collective de travail » en cas de « force majeure » (C. trav., art. L. 3121-50 N° Lexbase : L6863K93) dont on a vu qu’elle avait peu de chance, à ce stade, d’être retenue.

Lexbase Social : La pénurie d’essence peut-elle justifier la mise en place du régime juridique de l’activité partielle ?

Oui, à la condition que l’entreprise soit contrainte de fermer tout ou partie de son établissement.

L’article R. 5122-1 du Code du travail N° Lexbase : L2435IXH précise que l'employeur peut placer ses salariés en activité partielle lorsqu’il est contraint de réduire ou de suspendre temporairement son activité pour des « difficultés d'approvisionnement en matières premières ou en énergie » et plus largement « pour toute autre circonstance de caractère exceptionnel ».

Sauf cas spécifiques, le recours à l’activité partielle n’est pas encore d’actualité pour les entreprises au sens large puisque la plupart peuvent encore assurer leur activité.

L’activité partielle pourra, en revanche, être nécessaire dans certaines industries touchées par les pénuries (entreprises de transport ou encore du BTP par exemple).

Quant au recours à l’activité partielle de longue durée (APLD), il doit être exclu, car il concerne les situations de réduction « durable » d’activité.

Lexbase Social : En cas d’impossibilité d’adaptation du poste, la pénurie d’essence peut-elle être une cause de suspension du contrat de travail ?

La suspension du contrat de travail résulte d’un texte (maladie, congés payés, congé maternité, grève, etc.) ou par accord entre le salarié et l’employeur (dispense d’activité autorisée). 

Aucun cas de suspension automatique du contrat de travail n’est prévu dans le cas de pénuries d’essence.

La force majeure pourrait permettre une suspension, mais on ne voit pas l’intérêt pour l’employeur de suspendre un contrat de travail dès lors que le salarié n’est pas payé.

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Copropriété

[Brèves] Caractérisation de la carence du syndic, justifiant la désignation d'un mandataire ad hoc

Réf. : Cass. civ. 3, 28 septembre 2022, n° 21-19.623, F-D N° Lexbase : A09528M9

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N2933BZN

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 13 Octobre 2022

► Est valablement caractérisée la carence du syndic qui, malgré plusieurs décisions de justice prononçant et liquidant des astreintes à son encontre, ne justifie d’aucune diligence et ne donne pas suite à la mise en demeure qui lui est adressée de procéder à l’exécution des décisions ; la désignation d’un médiateur en charge de régler le différend existant sur la cause des astreintes ne saurait exclure la notion de carence.

Les décisions de la Cour de cassation sur cette question sont suffisamment rares pour mériter d’être relevées.

En l’espèce, se plaignant des nuisances causées par le conduit de refoulement de la chaudière de l'immeuble voisin, des copropriétaires avaient obtenu que soit ordonné, par un jugement du 9 janvier 2017, l'enlèvement, sous astreinte, de ce conduit.

Invoquant la carence du syndic à exécuter ce jugement malgré diverses instances en liquidation d'astreinte, les copropriétaires l'avaient assigné, avec le syndicat des copropriétaires, en désignation d'un administrateur ad hoc, sur le fondement de l'article 49 du décret n° 67-223, du 17 mars 1967.

La cour d’appel de Paris ayant admis la demande (CA Paris, 1-2, 8 avril 2021, n° 20/15678 N° Lexbase : A81684NT), le syndic avait formé un pourvoi faisant valoir qu'au cas présent, en l'état d'un différend entre certains copropriétaires et le syndicat des copropriétaires et son syndic, sur la cause des astreintes litigieuses, la désignation en accord avec les deux parties par la cour d'appel de Paris le 22 octobre 2020, d'un médiateur en charge de régler ce différend, excluait la notion de carence du syndic et interdisait aux copropriétaires de solliciter la désignation d'un administrateur provisoire du syndicat.

Mais l’argument est écarté par la Cour suprême qui retient une application stricte des dispositions précitées : « ayant relevé que, malgré plusieurs décisions de justice prononçant et liquidant des astreintes, le syndic, qui ne comparaissait pas et ne justifiait d'aucune diligence, n'avait pas fait déposer le conduit litigieux et que les copropriétaires l'avaient mis en demeure de payer les sommes dues, en l'avisant qu'à défaut de procéder à l'exécution des décisions, ils introduiraient une demande sur le fondement de l'article 49 du décret n° 67-223 du 17 mars 1967, la cour d’appel a pu en déduire, en l'état de ces constatations, qu'il existait une carence du syndic dans l'exercice des droits et actions du syndicat des copropriétaires, justifiant la désignation d'un mandataire ad hoc ».

Pour aller plus loin : v. P.-E. Lagraulet, ÉTUDE : Le syndic de copropriété, spéc. Complexité de traitement des situations de carence ou d’empêchement du syndic, in Droit de la copropriété, (dir. P.-E. Lagraulet), Lexbase N° Lexbase : E76254DR.

 

newsid:482933

Entreprises en difficulté

[Brèves] Déclaration de créance : délai d'un mois imparti pour saisir le juge compétent en présence d'un recours à l'arbitrage

Réf. : Cass. com., 5 octobre 2022, n° 20-22.409, FS-B N° Lexbase : A58958MB

Lecture: 4 min

N2910BZS

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par Vincent Téchené

Le 13 Octobre 2022

► Il résulte des articles 4-1 et 4-2 du règlement d'arbitrage de la Cour internationale d'arbitrage que lorsqu'une partie entend avoir recours à l'arbitrage selon ce règlement, elle doit soumettre sa demande d'arbitrage au secrétariat, laquelle doit organiser l'arbitrage ;

Par conséquent, le délai d'un mois prévu par l'article R. 624-5 du Code de commerce est respecté, dès lors que le secrétariat de Cour internationale d'arbitrage reçoit dans ce délai la demande d'arbitrage par la personne désignée par le juge-commissaire.

Faits et procédure. Un contrat de marché de travaux conclu entre deux sociétés prévoyait en cas de litige le recours à la Cour internationale d'arbitrage de la chambre de commerce internationale (CCI).

Le maître de l’ouvrage ayant décidé de résilier par anticipation le contrat, l’entrepreneur, pour résoudre le conflit, a déposé une demande d'arbitrage le 18 avril 2013 auprès du secrétariat de la CCI aux fins de désignation d'un tribunal arbitral, puis, le maître de l’ouvrage, se prévalant de l'application d'une clause contractuelle, a demandé la suspension de la procédure pour la désignation d'un « adjudicator ».

Ce dernier a été mis en redressement judiciaire le 30 août 2017. Le 16 novembre 2017, l’entrepreneur a déclaré au passif une créance au titre d'une indemnité de résiliation du marché, qui a été contestée par la société débitrice.

Par une ordonnance du 12 septembre 2018, le juge-commissaire a « renvoyé la créancière à saisir la juridiction compétente dans le délai d'un mois suivant la notification de l'ordonnance, conformément aux dispositions de l'article R. 624-5 du Code de commerce N° Lexbase : L7228LEG ». L'ordonnance a été notifiée le 24 septembre 2018 à la créancière.

Le 10 octobre 2018, cette dernière a demandé au secrétariat de la CCI la reprise de la procédure d'arbitrage. L'arbitre unique a été désigné le 28 novembre 2018.

Par ordonnance du 2 octobre 2019, le juge-commissaire, saisi par la société débitrice, a prononcé la forclusion de la créancière et, en conséquence, rejeté sa créance. Mais en appel, la cour a rejeté les demandes de la débitrice et de son mandataire tendant à voir déclarer forclose la société débitrice (CA Orléans, 5 octobre 2020, n° 19/03278 N° Lexbase : A76834AS), de sorte que ces derniers ont formé un pourvoi en cassation.

Décision. La Cour de cassation rappelle, en premier lieu, qu’il résulte des articles 4-1 et 4-2 du règlement d'arbitrage de la Cour internationale d'arbitrage que lorsqu'une partie désire avoir recours à l'arbitrage selon ce règlement, elle doit soumettre sa demande d'arbitrage au secrétariat, dont la date de réception est considérée être celle d'introduction de l'arbitrage.

Or, c'est la Cour internationale d'arbitrage elle-même qui devait être saisie dans le délai d'un mois prévu par l'article R. 624-5 du Code de commerce, la créancière n'ayant pas le pouvoir de désigner directement l'arbitre, de sorte que la cour d'appel en a exactement déduit que la créancière, qui avait sollicité du secrétaire général de la Cour internationale d'arbitrage de reprendre le cours de la procédure d'arbitrage dans le délai légal, n'était pas forclose.

En second lieu, la Haute juridiction énonce que si l'indivisibilité de la procédure introduite devant la juridiction compétente par l'une des parties à la procédure de vérification des créances sur l'invitation du juge-commissaire impose à la partie qui saisit le juge compétent de mettre en cause les deux autres parties à cette procédure devant ce juge, cette partie, dès lors qu'elle a saisi la juridiction compétente dans le délai de l'article R. 624-5, n'est pas forclose, ayant la faculté d'appeler les parties omises après l'expiration de ce délai. C'est donc en vain qu'est invoquée l'inopposabilité de la créance contre un arrêt qui ne pouvait se prononcer que sur la forclusion du créancier.

 Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : La décision du juge-commissaire en matière de déclaration et de vérification des créance, Les modalités procédurales en cas de contestation sérieuse, in Entreprises en difficulté, (dir. P.-M. Le Corre), Lexbase N° Lexbase : E3556E4H.

 

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Licenciement

[Brèves] Règles de calcul de l’indemnité de licenciement dans le cadre de plusieurs arrêts de travail pour maladie

Réf. : Cass. soc., 28 septembre 2022, n° 20-18.218, F-D N° Lexbase : A09868MH

Lecture: 2 min

N2897BZC

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par Lisa Poinsot

Le 13 Octobre 2022

En l’absence de dispositions conventionnelles, les périodes de maladie non professionnelle doivent être déduites de l’ancienneté propre à déterminer le montant de l’indemnité conventionnelle de licenciement.

Faits et procédure. Un salarié fait l’objet de plusieurs arrêts de travail pour maladie. À la suite de deux visites de reprise, le médecin du travail délivre un avis d’inaptitude au poste occupé par le salarié. Il délivre toutefois un avis d’aptitude pour le poste auquel le salarié a été initialement engagé, sur un site proche de son domicile si possible en débutant à mi-temps thérapeutique.

Le salarié saisit la juridiction prud’homale d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de paiement. Avant la décision judiciaire, le salarié est licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Pour calculer l’indemnité de licenciement, la cour d’appel (CA Douai, 29 mai 2020, n° 17/02392 N° Lexbase : A66293MH) retient les périodes de suspension du contrat de travail pour cause de maladie, en considérant que ces périodes doivent être incluses dans le calcul de l’ancienneté. La cour d’appel affirme que ces périodes sont consécutives, en partie, à des manquements de l’employeur et ayant donc une origine professionnelle.

L’employeur forme alors un pourvoi en cassation.

La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse et annule la décision de la cour d’appel sur le fondement de l’article L. 1234-11 du Code du travail N° Lexbase : L1319H9Q.

Elle confirme que seuls les arrêts maladie provoqués par un accident du travail ou une maladie professionnelle sont assimilés à une période de travail effectif pour le calcul de l'ancienneté servant de base au calcul de l'indemnité de licenciement.

Pour aller plus loin :

  • sur l’articulation entre résiliation judiciaire et licenciement : lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d'autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée. C'est seulement dans le cas contraire que le juge doit se prononcer sur le licenciement notifié par l'employeur. Autrement dit, lorsque le salarié n'est plus au service de son employeur au jour où il est statué sur la demande de résiliation judiciaire, cette dernière prend effet, si le juge la prononce, au jour du licenciement ;
  • v. ÉTUDE : Les indemnités de licenciement, Le montant de l’indemnité légale de licenciement, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E6095ZCQ.

newsid:482897

Sociétés

[Brèves] Révocation du directeur général de SAS : les actes extra-statutaires ne peuvent pas déroger aux statuts

Réf. : Cass. com., 12 octobre 2022, n° 21-15.382, F-B N° Lexbase : A55138NI

Lecture: 3 min

N2947BZ8

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par Perrine Cathalo

Le 18 Octobre 2022

► Les statuts de la société par actions simplifiée fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée, notamment les modalités de révocation de son directeur général. Si les actes extra-statutaires peuvent compléter ces statuts, ils ne peuvent y déroger.

Faits et procédure. Le 13 mai 2011, une personne physique a été nommée directeur général d’une société par actions simplifiée par décision de son associé unique. Ce dernier l'a révoqué de ces fonctions par décision du 17 décembre 2014.

Considérant que sa révocation était intervenue sans juste motif, le directeur général a assigné l’associé unique en paiement d'une indemnité.

Par décision du 18 février 2021, la cour d’appel de Paris (CA Paris, 5-9, 18 février 2021, n° 20/00654 N° Lexbase : A69504HU) l’a débouté de sa demande tendant à la condamnation de l’associé unique à lui payer des dommages et intérêts en raison de la révocation sans juste motif de son mandat social. C’est dans ces conditions que le directeur général a formé un pourvoi devant la Cour de cassation.

Décision. Aux termes de son arrêt du 12 octobre 2022, la Chambre commerciale de la Cour de cassation rejette le pourvoi du directeur général au visa des articles L. 227-1 N° Lexbase : L2397LR9 et L. 227-5 du Code de commerce N° Lexbase : L6160AIY, selon lesquels les statuts de la SAS fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée, notamment les modalités de révocation de son directeur général. Ainsi, les juges de la Cour de cassation rappellent que si les actes extra-statutaires peuvent compléter ces statuts, ils ne peuvent y déroger.

Or, en l’espèce, l’article 12 des statuts de la SAS affirme non seulement que « le directeur général peut être révoqué à tout moment et sans qu’aucun motif soit nécessaire, par décision de la collectivité des associés ou de l’associé unique », mais encore que « [l]a cessation, pour quelque cause que ce soit et qu’elle qu’en soit la forme, des fonctions de directeur général, ne donnera droit au directeur général révoqué à aucune indemnité de quelque nature que ce soit. »

En conséquence, la Cour de cassation considère que l’acte extra-statutaire intervenu entre le directeur général de la SAS et l’associé unique qui prévoyait, en cas de révocation pour juste motif, une indemnité forfaitaire égale à six mois de la rémunération brute, est sans incidence sur les modalités de révocation du directeur général fixées par les statuts de la société.

Observations. Cette décision permet à la Cour de cassation de réaffirmer la prééminence des statuts dans la détermination des conditions dans lesquelles les dirigeants de SAS peuvent être révoqués de leurs fonctions. En particulier, après avoir admis que le directeur général d’une SAS pouvait être révoqué sans qu’il soit nécessaire de justifier d’un juste motif, dès lors que les statuts ne subordonnent pas la révocation du dirigeant à une telle condition (Cass. com., 9 mars 2022, n° 19-25.795, F-B N° Lexbase : A94347P4), la Cour de cassation précise désormais qu’aucun acte extra-statutaire ne peut déroger aux dispositions statutaires qui viennent encadrer la révocation du dirigeant.

Pour aller plus loin :

  • v. B. Saintourens, La révocation d’un dirigeant de SAS ne suppose un juste motif que si les statuts le stipulent, Lexbase Affaires, mars 2022, n° 710 N° Lexbase : N0830BZR ;
  • v. commentaire de l'arrêt par Thierry Favario à paraître in Lexbase Affaires n° 733 du 27 octobre 2022.

 

newsid:482947

Urbanisme

[Brèves] Illégalité du refus d'Enedis de procéder au rétablissement du branchement au réseau électrique d’une parcelle malgré l’annulation de la décision de suppression initiale

Réf. : Cass. civ. 3, 12 octobre 2022, n° 21-17.040, FS-B N° Lexbase : A55238NU

Lecture: 2 min

N2950BZB

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par Yann Le Foll

Le 19 Octobre 2022

L'injonction du maire d'une commune de supprimer le branchement au réseau électrique d'une construction ayant été annulée par la juridiction administrative, la cour d'appel a pu retenir que le refus du gestionnaire du réseau de raccorder celle-ci et la privation d'électricité en résultant constituaient un trouble manifestement illicite.

Rappel. En application de l'article L. 111-12 du Code de l'urbanisme N° Lexbase : L2249KI7, le refus de raccorder un immeuble, mesure de police de l'urbanisme destinée à assurer le respect des règles d'utilisation du sol, ne peut résulter que d'une décision de l'autorité administrative compétente (Cass. civ. 3, 15 juin 2017, n° 16-16.838, FS-P+B N° Lexbase : A2247WI3).

Rappel bis. En dehors des zones de desserte ou en l'absence de délimitation par le schéma de distribution d'eau potable de telles zones, la collectivité apprécie la suite à donner aux demandes d'exécution de travaux de raccordement, dans le respect du principe d'égalité devant le service public, en fonction, notamment, de leur coût, de l'intérêt public et des conditions d'accès à d'autres sources d'alimentation en eau potable (CE, 3°-8° ch. réunies, 26 janvier 2021, n° 431494, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A57544DH).

Position CA. La cour d'appel a, par motif adopté, retenu que la société Enedis avait procédé, le 27 octobre 2016, à la suppression du raccordement au réseau électrique des parcelles appartenant aux demandeurs en exécution de l'injonction du maire de la commune par décision du 23 septembre 2016, laquelle avait été annulée par la juridiction administrative, de sorte que la suppression n'avait plus de fondement juridique.

Position CCass. La cour d'appel a pu déduire, de ces seuls motifs, que le refus de procéder au raccordement au réseau opposé par la société Enedis et la privation d'électricité qui en résultait constituaient un trouble manifestement illicite.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Les contraintes applicables à l'opération de construction, Le refus de branchement des constructions irrégulières aux différents réseaux, in Droit de l’urbanisme, (dir. A. Le Gall), Lexbase N° Lexbase : E2807GA9.

newsid:482950

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