Réf. : Directive (UE) n° 2024/1760 du Parlement européen et du Conseil du 13 juin 2024, sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité et modifiant la Directive (UE) 2019/1937 et le règlement (UE) 2023/2859 N° Lexbase : L0909MNY
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Le 24 Mars 2025
Mots clés : entreprises • vigilance • droits humains • environnement • compétitivité
De Directives en « contredirectives », l’Union européenne hésite entre exemplarité environnementale et reconquête de sa compétitivité économique. Une Directive entrée en application l’année dernière semble déjà hors de propos et dénoncée comme « inefficace et disproportionnée » par les banques françaises. Alice Gaillard, Counsel, Depardieu Brocas Maffei nous apporte son éclairage sur ce thème d’importance et d’actualité*.
Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler les objectifs initiaux de la Directive CS3D ?
Alice Gaillard : La Directive (UE) n° 2024/1760 du Parlement européen et du Conseil du 13 juin 2024, sur le devoir de vigilance des entreprises N° Lexbase : L0909MNY, dite Directive « CS3D », a pour objectif d’améliorer la gouvernance des entreprises. Il s'agit de les pousser à intégrer dans leurs stratégies les processus de gestion et d’atténuation des risques et incidences en matière de droits de l’Homme et de l’environnement que leurs activités génèrent.
L’idée est de faire prendre conscience aux organes de gouvernance de l’impact qu’a l’activité de leur groupe sur ces sujets et de les rendre responsables des préjudices qu’ils peuvent causer, y compris ceux commis par leurs filiales et leurs fournisseurs et sous-traitants, leur « chaîne de valeur », afin de faire évoluer leurs pratiques.
Jusqu’ici, les entreprises avaient peu d’obligations prospectives sur ce terrain. Aujourd’hui, on leur demande d’identifier les risques qu’elles font subir au monde et de mettre en place des politiques efficaces pour les prévenir ou les réduire. Pour ce faire, elles doivent être plus intrusives, donner plus d’informations au public et prendre des engagements.
Lexbase : Comment s'articule-t-elle avec la loi française de 2017, relative au devoir de vigilance ?
Alice Gaillard : Cette Directive « CS3D » s’inspire du devoir de vigilance créé en France en 2017 (loi n° 2017-399 du 27 mars 2017, relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre N° Lexbase : L6250MSB), mais la Directive adoptée en 2024 est beaucoup plus précise, a un objet plus large et contraignant que ce qui est prévu par la loi française. Par exemple, la loi française ne contraint les entreprises qu’à identifier les atteintes graves qui sont survenues, alors que la Directive « CS3D » impose d’identifier les incidences négatives, y compris potentielles.
Elle prévoit également un régime de responsabilité civile spécifique avec des sanctions fortes, et la création d’un régulateur national dans chacun des États pour vérifier l’établissement des plans de vigilance et la mise en application des engagements des entreprises.
Par ailleurs, la loi française s’applique aux seuls sous-traitants et fournisseurs entretenant une relation commerciale établie et directe avec l’entreprise soumise au devoir de vigilance ou avec les sociétés qu’elle contrôle. La Directive, elle, s’applique également aux fournisseurs indirects.
Il est donc anticipé que le devoir de vigilance auquel seront tenues les entreprises en application de la Directive « CS3D » est beaucoup plus étendu et difficile à mettre en œuvre que le devoir de vigilance français.
Lexbase : Les choses vont-elles changer avec les propositions de Directive « Omnibus » publiées par la Commission européenne le 26 février dernier ?
Alice Gaillard : De nombreuses entreprises ont dénoncé le fait que la Directive « CS3D » et la Directive « CSRD » (Directive (UE) n° 2022/2464, du 14 décembre 2022, modifiant le Règlement n° 537/2014 et les Directives n° 2004/109, 2006/43 et 2013/34 en ce qui concerne la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises N° Lexbase : L1830MGU), qui sont très liées, allaient trop loin en termes de diligences et de reporting, ce qui pouvait créer un risque pour la compétitivité pour les entreprises européennes. Les critiques relèvent aussi que le risque de responsabilité prévu par la Directive « CS3D » est trop fort et que la mise en œuvre de ces obligations est trop coûteuse en termes de ressources et de lourdeur administrative.
Opérant un revirement à 180 degrés lié aussi en grande partie au contexte géopolitique, la Commission européenne a publié le 26 février dernier deux propositions de Directives « Omnibus » qui ont pour objectif de reporter la mise en œuvre des obligations liées à ces directives (pour « CS3D » notamment de reporter le délai de transposition laissé aux États membres), afin de pouvoir modifier en profondeur le périmètre des sociétés qui sont concernées et le contenu des obligations d’information qu’elles engendrent.
Les principales propositions de modifications de la Directive « CS3D » visent à réduire la chaîne de valeur sur laquelle les entreprises devront faire leurs diligences aux fournisseurs directs, rapprochant ainsi le périmètre du devoir de vigilance européen sur celui du droit français. Il est également proposé de n’imposer aux entreprises d’évaluer ces fournisseurs que tous les cinq ans (et non plus tous les ans), sauf si de potentielles informations suggèrent un risque, et de ne plus imposer la résiliation de la relation contractuelle en cas de non-conformité avérée du fournisseur.
Il est également proposé de supprimer le régime de responsabilité civile spécifique qui était prévu, et de renvoyer au droit national. En revanche la création du régulateur national semble maintenue.
Lexbase : Qu'en est-il de l'accusation de greenwashing ?
Alice Gaillard : L’objectif de cette réglementation était de limiter le risque de greenwashing des entreprises en les contraignant à mettre en œuvre un exercice d’introspection très large et de transparence à l’égard du public.
Cet objectif semble remis en cause, au moins partiellement, par les nouvelles propositions de Directives « Omnibus ». Dès lors que les entreprises ne seront plus contraintes de s’interroger sur l’incidence de leurs activités jusqu’au bout de leur chaîne de valeur, on peut s’attendre à ce que les plans de vigilance et les actions mises en œuvre pour réduire les risques identifiés ne soient pas exhaustifs sur la réelle incidence de leurs activités sur l’environnement et le respect des droits de l’Homme.
C’est la raison pour laquelle ceux qui saluaient l’adoption de la Directive « CS3D » – même s’ils en soulignaient parfois l’imperfection – s’inquiètent aujourd’hui du risque de greenwashing que ces futurs plans de vigilance pourraient générer.
Lexbase : Que pensez-vous de la position récente des banques françaises sur le sujet ?
Alice Gaillard : Les entreprises financières, et en particulier les banques, se sont très vite opposées à la Directive « CS3D ». Déjà, lors de l’adoption de la Directive, elles ont fait valoir le fait que cet exercice d’introspection sur toute leur chaîne de valeur n’était pas compatible avec leurs activités, car il est particulièrement complexe pour elles de gérer le devoir de non-immixtion, inhérent à leurs activités, avec l’objectif du devoir de vigilance.
En effet, il est difficile de demander aux établissements bancaires de superviser ce que font leurs clients avec les fonds qui leur sont confiés. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle dans le texte de la Directive « CS3D » qui a été adopté en juillet 2024, les entreprises du secteur financier n’étaient soumises à ces obligations que pour l’amont de leur chaîne de valeur, et pas l’aval - c’est-à-dire pour leurs activités courantes (fournisseurs de bureaux, de matériel informatique, etc.) mais pas pour vérifier la bonne utilisation des comptes des clients.
La proposition de Directive « Omnibus » prévoit de supprimer la clause de revoyure qui est aujourd’hui prévue dans la Directive « CS3D » sur ce sujet, ce qui limiterait considérablement le domaine du devoir de vigilance des entreprises financières.
Néanmoins, en attendant de savoir ce que donneront ces propositions de Directives « Omnibus », force est de constater que le devoir de vigilance de droit français continue de s’appliquer, y compris aux entreprises du secteur financier.
*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public.
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Réf. : Cass. civ. 3, 6 mars 2025, n° 23-22.427, FS-B N° Lexbase : A4423639
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par Goulven Le Ny, Avocat au barreau de Nantes
Le 12 Mars 2025
Mots clés : expropriation • situation privilégiée • expropriation partielle • terrain à bâtir • indemnités
La notion de terrain en situation privilégiée désigné le terrain situé à proximité d’infrastructures, de zones urbanisées ou d’une situation exceptionnelle, lui conférant un potentiel de valorisation supérieur à celui d’un terrain inconstructible, sans pour autant être assimilable à un terrain à bâtir (I). Si la Cour de cassation a précisé les modalités d’évaluation d’un terrain à bâtir en cas d’expropriation partielle il y a plusieurs années, la transposition du principe dégagé aux terrains en situation privilégiée était attendue pour trancher la question. Il est désormais acté qu’en cas d’expropriation partielle d’un terrain en situation privilégiée, l’évaluation doit prendre en compte l’ensemble de la parcelle d’origine et non uniquement la partie expropriée. En particulier, l’expropriant ne peut arguer que la partie expropriée est dans une situation moins privilégiée que l’ensemble pour prétendre à verser une indemnisation moindre (II).
I. Identification d’un terrain en situation privilégiée
Le terrain en situation privilégiée est une notion prétorienne, dégagée par la jurisprudence de la Cour de cassation : « situé à proximité immédiate, d'une part, d'un établissement industriel, d'autre part, d'une voie de circulation comportant tous les éléments de viabilité même s'il n'est pas contesté qu'ils étaient de capacité insuffisante pour la superficie des parcelles expropriées, le terrain se trouvait en situation privilégiée » [1].
La situation privilégiée ne peut être reconnue que si la parcelle expropriée présente des caractéristiques différentes de celles des parcelles objet des cessions amiables voisines et faisant partie de la même opération [2].
Cette qualification a pu être admise en raison :
Un terrain placé dans une telle situation ne peut être évalué comme un terrain inconstructible en raison de son potentiel, quand bien même le législateur interdit la prise en compte « des changements de valeur subis depuis cette date de référence, s'ils ont été provoqués par l'annonce des travaux ou opérations dont la déclaration d'utilité publique est demandée, par la perspective de modifications des règles d'utilisation des sols ou par la réalisation dans les trois années précédant l'enquête publique de travaux publics dans l'agglomération où est situé l'immeuble » [5].
Il ne peut pas pour autant être évalué comme un terrain à bâtir, puisque la définition de terrain à bâtir est strictement définie par la loi [6].
Le juge doit rechercher si les parcelles expropriées, auxquelles la qualification de terrain à bâtir était refusée, peuvent bénéficier d'une plus-value compte tenu de leur situation privilégiée [7]. Cette situation privilégiée doit être caractérisée à la date de référence [8].
II. Application en cas d’expropriation partielle
L’expropriation partielle concerne la situation dans laquelle seule une fraction de la parcelle fait l’objet de l’expropriation.
La Cour de cassation complète cette jurisprudence pour préciser les modalités de prise en compte de la situation privilégiée d’un terrain en cas d’expropriation partielle.
La Cour réitère que la situation privilégiée doit être caractérisée à la date de référence [9].
Elle ajoute que « en cas d'expropriation partielle, la qualification, à la date de référence, des terrains expropriés et leur éventuelle situation privilégiée s'apprécient, à cette même date, au regard de l'entière parcelle dont l'emprise a été détachée, et non en fonction de la seule emprise, qui résulte de l'expropriation » et que « la configuration à prendre en compte était celle de la parcelle dans son ensemble et non celle de l'emprise » [10].
En l’espèce, la cour d’appel a correctement tenu compte de cette exigence en constatant que la parcelle partiellement expropriée était vouée à l'habitat en raison de son classement en zone AU1, et non à un seul usage de parking et de voirie, et a souverainement retenu les termes de comparaison qui lui apparaissaient les mieux appropriés, et calculé, en conséquence, l'indemnité devant revenir à l’exproprié en fonction de la superficie de la seule emprise [11].
Cette solution ne paraît pas surprenante, puisque la Cour de cassation avait déjà jugé en 2016 qu’en cas d'expropriation partielle d'un terrain, la qualification de terrain à bâtir doit être examinée en tenant compte de la situation de l'unité foncière d'origine et non de la situation de l’emprise expropriée.
Elle avait ainsi écarté l’argumentaire de l’expropriant repris par la cour d’appel, laquelle avait jugé que située en fond de terrain, la fraction expropriée était éloignée du chemin et des réseaux entraînant une moindre valeur [12].
Cette solution protectrice des expropriés doit conduire les expropriants à revoir leurs approches d’évaluation des indemnités à verser en cas d’expropriation partielle d’un terrain en situation privilégiée.
[1] Cass. civ. 3, 1er décembre 1993, n° 92-70.457 N° Lexbase : A8493CKR.
[2] Cass. civ. 3, 20 janvier 2015, n° 13-15.543 N° Lexbase : A2654NAK.
[3] Cass. civ. 3, 10 octobre 1995, n° 94-70.252 N° Lexbase : A0494CRQ.
[4] Cass. civ. 3, 25 juin 2020, n° 19-15.679 N° Lexbase : A0494CRQ.
[5] C. expr., article L. 322-2 N° Lexbase : L9923LMH ; Cass. civ. 3, 1er décembre 1993, n° 92-70.457, préc.
[6] C. expr., article L. 322-3 N° Lexbase : L7995I4U.
[7] Cass. civ. 3, 23 septembre 2020, 19-20.431 N° Lexbase : A06713WR.
[8] Cass. civ. 3, 30 janvier 2019, 17-31.797 N° Lexbase : A9892YUW.
[9] Cass. civ. 3, 6 mars 2025, n° 23-22.427 N° Lexbase : A4423639 ; Cass. civ. 3, 30 janvier 2019, 17-31.797, préc.
[10] Cass. civ. 3, 6 mars 2025, n° 23-22.427, préc.
[11] CA Aix-en-Provence, 7 septembre 2023, n° 22/00035.
[12] Cass. civ. 3, 7 janvier 2016, 14-24.969 N° Lexbase : A3876N3X ; voir également pour une application : CA Paris, 15 février 2024, n° 23/05971 N° Lexbase : A12252P3.
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Le 11 Mars 2025
► Emmanuel d’Antin, avocat associé chez FTPA, nous éclaire sur l’intérêt du recours à la médiation en droit du marché de l’art. La médiation se révèle être un outil essentiel pour la résolution des différends dans ce domaine, où les enjeux financiers sont considérables et où les acteurs méconnaissent souvent les modes alternatifs de règlement des litiges. Grâce à la médiation, il est possible de parvenir à des solutions amiables et efficaces, adaptées aux spécificités du marché de l’art.
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