La lettre juridique n°1001 du 7 novembre 2024

La lettre juridique - Édition n°1001

Contrats administratifs

[Conclusions] L'obligation de payer de la personne publique en cas de fraude sur l'identité du cocontractant

Réf. : CE, 2e-7e ch. réunies, 21 octobre 2024, n° 487929, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A70146BE

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N0819B3Q

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par Nicolas Labrune, rapporteur public au Conseil d'État

Le 19 Décembre 2024

Mots clés : marchés et contrats administratifs • exécution financière du contrat • règlement des marchés • fraude • fautes du cocontractant

En cas de fraude sur l'identité du cocontractant ayant conduit au détournement des paiements de la personne publique, celle-ci ne peut se soustraire à l’obligation de payer, mais peut ensuite invoquer des fautes du cocontractant pour rechercher sa responsabilité. Lexbase Public vous propose de retrouver les conclusions de Nicolas Labrune, rapporteur public au Conseil d'État.


 

Le 9 avril 2019, le Grand port maritime de Bordeaux a conclu avec la société X un marché en vue de la fourniture et de la mise en service d’une grue à tour sur portique sur le site du pôle naval de Bassens, pour un montant total de plus de 1,7 million d’euros. L’article 5.4 du cahier des clauses administratives particulières du marché prévoyait, après paiement d’un acompte de 20 %, un calendrier de paiement échelonné sur cinq situations. Mais seul le premier acompte a effectivement été perçu par la société. En effet, pour les suivants, le Grand port maritime a bien procédé aux versements prévus, mais il l’a fait sur un compte bancaire frauduleux, qui lui avait été présenté comme celui de la société par un escroc, lequel avait, au préalable, trompé des collaborateurs de la société L. de façon à obtenir de leur part des informations sur le marché et sur ses conditions administratives et financières d’exécution. Une fois l’usurpation d’identité révélée, le Grand port maritime a refusé de procéder à tout nouveau paiement au profit de la société, estimant que les versements auxquels il avait procédé étaient libératoires. La société s’est alors tournée vers le tribunal administratif de Bordeaux qui, par un jugement du 29 mars 2021, lui a donné raison et a condamné le Grand port maritime à lui verser les sommes litigieuses augmentées des intérêts moratoires avec capitalisation. Et, la cour administrative d’appel de Bordeaux ayant rejeté son appel contre ce jugement, par un arrêt du 4 juillet 2023, le Grand port maritime s’est pourvu en cassation devant vous.

Vous écarterez sans peine son premier moyen, dont aucune des trois branches n’est fondée. La cour n’a assurément commis aucune erreur de droit en jugeant que l’apparition d’un différend au sens de l’article 42.2 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés industriels résultait en principe « d’une prise de position écrite, explicite et non équivoque émanant de l’acheteur et faisant apparaître le désaccord » : elle n’a fait là que reprendre les motifs de votre décision « EPLD » du 22 novembre 2019 [1]. Et, nous ne croyons pas que la cour ait dénaturé le courrier du 11 mars 2020 du Grand port maritime en estimant qu’il constituait un refus de faire droit à la demande de paiement présentée par la société et qu’un différend était donc né de ce refus. De même, c’est par une appréciation souveraine exempte de dénaturation que la cour a jugé que le courrier adressé par la société au Grand port maritime le 30 mars 2020 exposait les motifs du désaccord et indiquait le montant des sommes réclamées. Et, dès lors, la cour pouvait en déduire sans erreur de droit, comme vous l’avez fait dans votre décision « Société R. » du 28 décembre 2001 [2] que ce courrier du 30 mars 2020 constituait une lettre de réclamation au sens des stipulations de l’article 42.2 du CCAG applicable, et ce d’autant plus que le CCAG « Marchés industriels » est beaucoup moins exigeant que le CCAG « Travaux » sur le contenu de la réclamation, son article 42 n’exigeant pas du titulaire du marché qu’il fournisse les justifications correspondant aux montants réclamés.

C’est le deuxième moyen du pourvoi qui pose une question inédite et qui a justifié que l’affaire soit portée devant votre formation de jugement. Le Grand port maritime reproche en effet à la cour d’avoir commis une erreur de droit en jugeant qu’il ne pouvait « en tout état de cause » se prévaloir de l’article 1342-3 du Code civil N° Lexbase : L0676KZ3, aux termes duquel « Le paiement fait de bonne foi à un créancier apparent est valable ». Il soutient à ce propos que les dispositions de cet article 1342-3 du Code civil sont applicables devant le juge administratif, en matière d’exécution contractuelle, et ce y compris en cas de fraude et d’usurpation d’identité, si bien que ses paiements aux escrocs auraient dû être regardés comme libératoires par la cour.

Précisons à titre liminaire que ce moyen de cassation est opérant, contrairement à ce qui est soutenu en défense. Il est vrai que la cour a assorti d’un « en tout état de cause » son affirmation selon laquelle le Grand port maritime ne pouvait se prévaloir de l’article 1342-3 du Code civil : elle a ainsi manifesté ses doutes quant à la possibilité d’importer cet article dans le champ du droit administratif et, sans se prononcer sur cette question, a préféré juger qu’un escroc n’était de toute façon pas un créancier apparent. Mais, pour autant, ces motifs, quoiqu’introduits par un « en tout état de cause », constituent un soutien nécessaire du dispositif de l’arrêt attaqué et ne sont assurément pas surabondants. Le Grand port maritime peut donc bien les contester utilement en cassation.

Venons-en donc au moyen qui critique ces motifs. Celui-ci, tout d’abord, pose la question de savoir si la cour a correctement interprété l’article 1342-3 du Code civil en considérant qu’il n’est pas applicable en cas d’usurpation d’identité frauduleuse. 

Sur ce point, la critique du pourvoi a sans doute pour elle la lettre de cette disposition du Code civil : si l’usurpation d’identité est bien faite, l’escroc peut sembler, du point de vue du débiteur victime de cette usurpation, être le « créancier apparent », et le paiement auquel procède ce débiteur est donc fait « de bonne foi ». 

Mais, pour autant, nous ne pensons pas possible de retenir une telle application extensive de cet article 1342-3 du Code civil : cet article, qui a modernisé l’ancien article 1240, tout en consacrant la jurisprudence de la Cour de cassation relative à la « théorie de l’apparence » [3] vise avant tout, comme le souligne la doctrine [4], à couvrir les cas où un mandataire excède les limites de son mandat, en agissant hors de son champ ou après son expiration. Mais il n’a pas été écrit pour régler le cas où les apparences sont frauduleuses. 

Et, si vous deviez considérer qu’un escroc constitue un créancier apparent au sens de cet article, du moins lorsque l’escroquerie a été bien faite et que le débiteur n’a pas manqué de vigilance, cela aboutirait à ce que la personne dont l’escroc a usurpé l’identité devienne en quelque sorte l’assureur des victimes de cet escroc. Cela nous paraîtrait d’autant plus choquant que cela exonérerait le débiteur de toute vigilance au moment du paiement et ferait peser sur la personne dont l’identité a été usurpée la charge de la récupération des sommes indument payées à l’escroc alors que le débiteur est en général mieux placé que le créancier pour identifier l’usurpation d’identité et mieux placé également pour produire les éléments permettant de retrouver les auteurs de l’escroquerie et d’en obtenir réparation. Il nous semble donc, au contraire, que les débiteurs de la personne dont on a usurpé l’identité devraient la payer en exécution du contrat conclu, sans qu’entre en ligne de compte le fait qu’elles ont payé l’escroc de bonne foi, à charge pour elles, ensuite, d’obtenir que leur soit restituées les sommes qu’elles auront payées deux fois. 

Nous pensons ainsi que vous pourriez juger en principe qu’il appartient à une personne publique de procéder dans tous les cas au paiement des sommes qu’elle doit en exécution d’un contrat administratif et que cela implique, le cas échéant, dans le cas d’une fraude tenant à l’usurpation de l’identité du cocontractant et ayant pour conséquence le détournement des paiements, que ces derniers soient renouvelés entre les mains du véritable créancier, sans que l’article 1342-3 du Code civil puisse y faire obstacle. La personne publique peut bien sûr en revanche rechercher, outre la responsabilité de l’auteur de la fraude, celle de son cocontractant, à raison des fautes que celui-ci aurait commises en contribuant à la commission de la fraude, afin d’être indemnisée de tout ou partie du préjudice qu’elle a subi en versant les sommes litigieuses à une autre personne que son créancier. Mais cette éventuelle responsabilité du cocontractant de la personne publique est d’une autre nature que le droit d’obtenir le paiement de sa créance qu’il tire du contrat : le fait générateur de cette responsabilité ne réside pas tant dans l’exécution du contrat que dans ceux de ses comportements qui ont permis l’escroquerie. Les éventuelles imprudences commises par le cocontractant de la personne publique ne nous paraissent donc pas pouvoir diminuer en tant que tel son droit au paiement de la créance, quand bien même ce sont ces imprudences qui auraient rendu possible la manœuvre frauduleuse. Elles sont seulement susceptibles d’ouvrir droit à une indemnisation, même si pourraient être envisagées, le cas échéant, des compensations entre les sommes dues à raison de cette indemnisation et celles dues au titre du paiement de la créance contractuelle.

Et vous pourriez d’autant plus facilement consacrer ainsi ces principes que, ce faisant, vous ne feriez que reprendre à votre niveau ce qu’ont déjà jugé précédemment plusieurs cours administratives d’appel. Voyez ainsi un arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 10 avril 2018, « EPPD » [5], un arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy du 22 décembre 2022, « Société M. » [6], ainsi qu’un récent arrêt du 26 mars dernier de la cour administrative d’appel de Douai « OPH du département de la Seine-Maritime » [7], ce dernier arrêt ayant été classé en C+ et remarqué par la doctrine [8].

Vous pourriez néanmoins hésiter en constatant que la jurisprudence des cours d’appel judiciaires, loin de rejoindre celle des cours administratives d’appel, est dans le sens du pourvoi. En effet, dans un arrêt du 21 décembre 2023 [9], c’est seulement après avoir vérifié que la victime d’un escroc n’avait pas été suffisamment vigilante en le payant que la cour d’appel de Paris en a déduit qu’il ne s’agissait pas d’un « créancier apparent » au sens de l’article 1342-3 du Code civil et qu’ainsi, la victime n’était pas libérée de sa créance. Et c’est ce même raisonnement qu’a tenu la cour d’appel d’Agen dans un arrêt du 10 janvier dernier [10]. Ainsi, lorsque l’escroquerie est suffisamment bien faite, le véritable créancier en est pour ses frais et la victime de l’escroquerie n’en subit pas les conséquences : voyez à cet égard un arrêt du 25 septembre 2023 de la cour d’appel de Nancy [11] et un arrêt du 21 décembre 2023 de la cour d’appel d’Aix-en-Provence [12] dont les motivations sont explicites. 

La proposition que nous vous avons faite pourrait donc se traduire par une divergence avec la jurisprudence judiciaire, ce qui n’est jamais anodin, surtout lorsqu’il s’agit d’interpréter le Code civil. Mais, pour autant, et dès lors que la Cour de cassation n’a jamais, à ce jour, confirmé la solution retenue par les cours d’appel, il n’est pas évident de faire vôtre cette solution, plutôt que celle des cours administratives d’appel, pour les raisons que nous vous avons exposées.

Vous pourrez toutefois éviter le dilemme et ne pas choisir entre les deux interprétations possibles de l’article 1342-3 du Code civil si vous jugez en amont, comme nous allons vous le proposer, que cet article n’est pas applicable aux administrations. 

À cet égard, la société L., en défense, vous invite à écarter comme inapplicable à l’exécution d’un contrat administratif la théorie du « créancier apparent » de l’article 1342-3 du Code civil par analogie avec la théorie du mandat apparent qui, selon elle, n’est pas applicable à l’exécution d’un tel contrat. Mais la situation, en réalité, nous semble un peu plus compliquée et votre jurisprudence moins engagée que ne le prétend la société.

Il est clair, en effet, que vous ne faites pas jouer la théorie du mandat apparent en matière contractuelle lorsqu’est en cause la façon dont la personne publique a donné son consentement. Le fichage de votre décision de Section du 28 janvier 1977 « Ministre de l’Économie et des Finances c/Sté H. » [13] l’affirme ainsi nettement : « Les questions de répartition des compétences entre des agents de l'administration sont opposables au cocontractant ». 

Mais il est moins évident de savoir si, au contraire, vous appliquez la théorie du mandat apparent lorsque vous devez apprécier la portée de l’acte accompli par une personne privée. Ainsi, vous aviez fait application de cette théorie, en dehors de la matière contractuelle, par une décision « T. » du 4 avril 2005 [14]. Mais vous êtes revenus sur cette jurisprudence, du moins pour ce qui concerne les opérations de contrôle des aides agricoles, compte tenu des exigences formulées par la CJUE, par votre décision « Mme F. » du 5 juillet 2018 [15], de sorte que la portée de ce précédent « T. » est désormais sujette à caution. Et, surtout, vous avez jugé que la théorie du mandat apparent n’était pas applicable pour la formation d’un contrat administratif, dès lors que des dispositions imposent à la personne publique de vérifier que le représentant d'une société est dûment habilité, par les statuts ou par un mandat, à signer en son nom un marché [16]. Certes, vous ne vous êtes ainsi prononcés que sur la formation du contrat et pas sur son exécution, mais il n’en demeure pas moins que vous avez ainsi fortement limité la portée de la théorie du mandat apparent en matière contractuelle.

L’argument de la société L. ne manque donc pas de poids. Mais il n’est pas décisif et ce sont, finalement, d’autres considérations, relatives aux spécificités de la dépense publique, qui nous font pencher en faveur de l’inapplicabilité aux personnes publiques de l’article 1342-3 du Code civil. 

À ce propos, rappelons tout d’abord que depuis l’arrêt d’assemblée plénière du 13 décembre 1962, par lequel la Cour de cassation a consacré la théorie du mandat apparent, le mandant « peut certes « être engagé sur le fondement d’un mandat apparent », mais uniquement « si la croyance du tiers à l’étendue des pouvoirs [du mandataire apparent] est légitime » ce qui suppose « que les circonstances autorisaient le tiers à ne pas vérifier les limites exactes de ces pouvoirs » [17]. La jurisprudence judiciaire est d’ailleurs en ce sens qu’un éventuel mandat apparent ne peut tenir en échec les règles qui imposent un formalisme particulier ou une obligation de vérification particulière [18].

Or, lorsqu’une personne publique effectue un paiement, elle doit toujours, en principe, vérifier la régularité de ce paiement. C’est le sens des obligations que le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012, relatif à la gestion budgétaire et comptable publique N° Lexbase : L3961IUA, met à la charge des ordonnateurs et, surtout, des comptables publics. Nous pensons donc que les dispositions de ce décret interdisent qu’une personne publique puisse procéder à un paiement sur la base des seules apparences : puisqu’elle n’est jamais autorisée à ne pas vérifier au-delà des apparences, elle ne saurait légitimement croire ces apparences. Le décret du 7 novembre 2012 nous semble donc faire obstacle à ce que vous importiez en droit administratif la notion même de créancier apparent qu’institue l’article 1342-3 du Code civil. 

Dans le même sens, nous observons que la façon dont une obligation de la personne publique s’éteint par le paiement est prévue par ce décret, notamment par son article 36 aux termes duquel « Le paiement est libératoire lorsqu'il est fait au profit du créancier ou de son représentant qualifié. Les cas dans lesquels il peut être fait entre les mains d'une autre personne sont fixés par décret pris sur rapport du ministre chargé du Budget ». Et, de façon significative, alors que certains articles de ce décret renvoient aux dispositions du Code civil [19], tel n’est pas le cas en ce qui concerne le caractère libératoire du paiement. Nous croyons donc qu’il n’y a pas place, en la matière, pour l’application des dispositions du Code civil. 

Au total, nous pensons donc, vous l’avez compris, que la cour n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que le Grand port maritime ne pouvait se prévaloir de l’article 1342-3 du Code civil, à titre principal parce que cet article n’est pas applicable devant vous, à titre subsidiaire parce que, même s’il l’était, il ne couvrirait pas les cas d’usurpation d’identité frauduleuse. Et, par ailleurs, pour les raisons que nous vous avons exposées tout à l’heure, le Grand port maritime ne peut utilement faire valoir, s’agissant de son obligation de payer les sommes qu’il doit au titre du contrat, que la cour aurait dénaturé les pièces du dossier en refusant de prendre en compte les fautes commises par la société L.. Si vous nous suivez, vous écarterez donc le deuxième moyen du pourvoi.

Et, vous écarterez aussi, pour finir, le dernier moyen du pourvoi, par lequel le Grand port maritime invoque votre célèbre jurisprudence « M.» [20]. En effet, le port ne conteste pas l’existence à son encontre de la créance contractuelle de la société X. Et, si vous nous avez suivi pour considérer que le port n’a pas été libéré de son obligation de paiement en versant les sommes dues à l’auteur de l’escroquerie dont il a été victime, alors il n’a pas été condamné à verser une somme qu’il ne doit pas, mais à verser une somme qu’il devait contractuellement. La cour n’a donc pas commis d’erreur de droit en jugeant qu’il n’était pas fondé à invoquer le principe suivant lequel une personne publique ne peut être condamnée à verser une somme qu’elle ne doit pas.

Par ces motifs nous concluons :

  • au rejet du pourvoi ;
  • et à ce que vous mettiez à la charge du Grand port maritime de Bordeaux la somme de 3 000 euros à verser à la société X au titre de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L1303MAI.
 

[1] CE, 22 novembre 2019, n° 417752 N° Lexbase : A4879Z34, aux Tables sur ce point quoiqu’à propos du CCAG « Fournitures courantes ».

[2] CE, 28 décembre 2001, n° 216642 N° Lexbase : A9700AXK, T. pp. 1043-1162.

[3] Voir à ce propos le rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations N° Lexbase : L4857KYK.

[4] Voir par exemple S. Benilsi, Paiement, Répertoire de droit civil, ed. Dalloz.

[5] CAA Paris, 6ème ch., 10 avril 2018, n° 17PA03697 N° Lexbase : A6466XL3.

[6] CAA Nancy, 22 décembre 2022, n° 20NC02692 N° Lexbase : A2925844.

[7] CAA Douai, 26 mars 2024, n° 22DA01355 N° Lexbase : A85182XR.

[8] Voir le commentaire de l’arrêt par J. Dietenhoeffer, Obligation de paiement de l’acheteur à la suite d’une fraude à la facture, dans Contrats et Marchés publics n° 7, juillet 2024, comm. 184.

[9] CA Paris, pôle 4, ch. 10, 21 décembre 2023, n° 20/16722 N° Lexbase : A18042BG.

[10] CA Agen, 10 janvier 2024, n° 22/00844 N° Lexbase : A51582HI.

[11] CA Nancy, 25 septembre 2023, n° 22/02049 N° Lexbase : A8963174.

[12] CA Aix-en-Provence, 21 décembre 2023, n° 20/07539 N° Lexbase : A71792A7.

[13] CE Contentieux, 28 janvier 1977, n° 99449 N° Lexbase : A8854B8G, p. 50.

[14] CE, 4 avril 2005, n° 257579 N° Lexbase : A8428DHM, T. pp. 730-1071.

[15] CE, 5 juillet 2018, n° 407084, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1720XWM, T. pp. 545- 596.

[16] CE, 17 décembre 2008, n°282178 N° Lexbase : A8790EB8, T. p. 809.

[17] Nous citons là l’arrêt fondateur de la Cour de cassation.

[18] En ce qui concerne les exigences formelles relatives au mandat, v. Cass. civ. 1, 31 janvier 2008, n° 05-15.774 N° Lexbase : A5980D4A, publié au bulletin à propos d’un mandat portant sur une transaction immobilière ou Cass. civ. 1,, 6 janvier 1994, n° 91-22.117 N° Lexbase : A6007AHX, publié au bullletin, et Cass. civ. 1, 5 juin 2008, n° 04-16.368, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A9205D8G, publié au bulletin à propos d’un mandat de gestion immobilière. Et, en ce qui concerne les obligations de vérification devant lesquelles cèdent les apparences, voyez Cass. civ. 1, 5 novembre 2009, n° 08-18.056, F-P+B N° Lexbase : A8114EMH, publié au bulletin et Cass. civ. 1, 20 mars 2013, n° 12-11.567, F-P+B+I N° Lexbase : A5887KAB, publié au bulletin, qui jugent que le mandat apparent ne peut être admis pour l'établissement d'un acte par un notaire instrumentaire avec le concours d'un confrère, les deux officiers publics étant tenus de procéder à la vérification de leurs pouvoirs respectifs.

[19] Par exemple les articles 39 ou 40 du décret.

[20] CE, Sect., 19 mars 1971, n° 79962 N° Lexbase : A2915B8H, p. 235.

newsid:490819

Contrat de travail

[Jurisprudence] Prestation de travail pendant un arrêt maladie ou un congé maternité : quand le travail ne mérite pas salaire

Réf. : Cass. soc., 2 octobre 2024, n° 23-11.582, FS-B N° Lexbase : A777957A

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N0852B3X

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par Florian Clouzeau, Avocat et Pauline Gonod, Juriste, cabinet Beside Avocats

Le 08 Novembre 2024

Mots-clés : maladie • maternité • rappels de salaire • dommages et intérêts • prestation de travail • responsabilité de l'employeur

Par un arrêt du 2 octobre 2024, publié au bulletin, la Cour de cassation se prononce sur les conséquences de l’accomplissement d’une prestation de travail pour le compte de l’employeur pendant un arrêt maladie et un congé maternité. Elle retient ainsi que cette situation « engage la responsabilité de l’employeur et se résout par l’allocation de dommages et intérêts ». La Haute cour écarte, en revanche, les demandes de la salariée fondées sur des rappels de salaire et l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé.


L’affaire. Une salariée d’une fondation, occupant au dernier état le poste de Directrice régionale, a connu plusieurs épisodes de suspension de son contrat de travail pour cause de maladie et de congé maternité.

Pendant ces périodes, elle a néanmoins été amenée à accomplir différentes tâches au profit de son employeur et sur sa demande. Celui-ci lui a notamment demandé de le contacter au sujet d’un audit, de suivre un dossier ou encore de superviser une procédure de qualité interne.

À la suite de la notification de son licenciement économique, la salariée a saisi la juridiction prud’homale. À cette occasion, elle reprochait notamment à son ancien employeur le fait d’avoir travaillé pendant ces périodes de suspension de son contrat de travail. À ce titre, elle sollicitait, outre des dommages et intérêts, des rappels de salaire pour les 421 heures qu’elle soutenait avoir accomplies durant ces périodes, ainsi que l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé prévue à l’article L. 8223-1 du Code du travail N° Lexbase : L7803I3E.

Le conseil de prud’hommes rejetait l’ensemble des demandes de la salariée, qui interjetait alors appel. La cour d’appel de Montpellier constatait, en premier lieu, que la demanderesse avait effectivement « été contrainte à travailler pendant ses arrêts de travail ». Elle écartait, à cet égard, l’argumentaire de l’employeur visant à soutenir que la salariée n’avait fait que répondre à des « demandes d’informations ponctuelles motivées par [son] départ soudain ».

La juridiction constatait que ce manquement de l’employeur avait causé un préjudice à la salariée et le condamnait à lui verser une indemnisation à hauteur de 2 000 euros.

En revanche, elle rejetait la demande de rappel de salaire de l’appelante en relevant que celle-ci « avait perçu pendant les périodes travaillées, l’équivalent de son salaire ou un substitut de salaire soit au titre de son droit conventionnel à maintien du salaire pendant les périodes de suspension du contrat soit au titre des indemnités journalières de sécurité sociale en sorte qu’elle ne saurait prétendre à un double paiement ». En d’autres termes, ayant perçu l’équivalent de l’intégralité de son salaire sur les périodes en cause, elle ne pouvait en réclamer un second paiement.

De même, la cour d’appel déboutait la salariée de sa demande au titre de l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé en relevant qu’elle avait « été déclarée aux organismes sociaux ».

La salariée formait un pourvoi en cassation.

Le pourvoi. Selon le pourvoi, la cour d’appel de Montpellier ne pouvait pas à la fois constater l’existence de prestations de travail contraintes pendant les périodes d’arrêt de travail et rejeter les demandes de rappels de salaire et d’indemnité forfaitaire de travail dissimulé.

Plus précisément, dans le cadre de son pourvoi, la salariée faisait valoir :

  • que les revenus de remplacement perçus pendant le congé maternité ou l’arrêt maladie n’ont pas la même nature que le salaire dû en contrepartie d’un travail effectif. La perception de ces revenus de remplacement ne saurait, selon le pourvoi, écarter le versement du salaire à raison du travail effectivement accompli ;
  • que la situation de travail dissimulée ne se limite pas à l’absence de déclaration d’un travailleur aux organismes sociaux. Ainsi, selon le pourvoi, il y a également dissimulation lorsque l’employeur s’abstient intentionnellement de mentionner sur les bulletins de paie les heures de travail accomplies par le salarié à sa demande pendant un arrêt de travail.

La décision Par un arrêt en date du 2 octobre 2024, la Cour de cassation rejette le pourvoi tout en retenant une motivation distincte de celle adoptée par la cour d’appel.

En effet, la Haute cour rappelle, tout d’abord, que « l’exécution d’une prestation de travail pour le compte de l’employeur au cours des périodes pendant lesquelles le contrat de travail est suspendu par l’effet d’un arrêt de travail pour cause de maladie, d’accident ou d’un congé de maternité engage la responsabilité de l’employeur ».

Elle précise que cette situation « se résout par l’allocation de dommages-intérêts en indemnisation du préjudice subi ».

Par cette mention, la Chambre sociale juge, pour la première fois à notre connaissance, que l’allocation de dommages et intérêts constitue la seule conséquence civile d’un tel manquement de l’employeur.

Ainsi, la Cour de cassation retient que « l’intéressée ne pouvait prétendre à un rappel de salaire en paiement des heures de travail effectuées et pouvait seulement réclamer des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi ».

En substituant ses propres motifs de pur droit, la Cour de cassation rejette le moyen.

S’il mérite quelques observations, le constat préalable de la Haute Cour selon lequel le travail accompli pour le compte de l’employeur engage sa responsabilité et justifie l’allocation de dommages et intérêts au profit du salarié n’est pas nouveau et ne surprend pas (I).

La portée de l’arrêt réside donc principalement dans le rejet des demandes de rappels de salaire et d’indemnité de travail dissimulé de la salariée (II).

I. L’exécution d’une prestation de travail pour le compte de l’employeur pendant l’arrêt de travail engage la responsabilité de l’employeur…

A. Travail pendant l’arrêt maladie ou le congé maternité et faute de l’employeur

Sur le fondement de l’article 1231-1 du Code civil N° Lexbase : L0613KZQ, la Cour de cassation rappelle, en tout premier lieu, que « l'exécution d'une prestation de travail pour le compte de l'employeur au cours des périodes pendant lesquelles le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause de maladie, d’accident ou d’un congé de maternité engage la responsabilité de l’employeur ».

La référence à une disposition du Code civil, en l’occurrence, celle instituant la responsabilité du contractant « à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution » ne doit pas surprendre. En effet, indépendamment du volume des dispositions du Code du travail qui l’encadre, le contrat de travail reste soumis « aux règles du droit commun » des contrats [1].

Cela étant précisé, il ressort de cette référence textuelle que la Cour de cassation entend rappeler que le fait pour l’employeur de laisser un salarié exécuter une prestation de travail au cours d’une période de suspension du contrat de travail par l’effet d’un arrêt de travail pour cause de maladie constitue un manquement à une obligation contractuelle.

La Haute cour ne fait pas expressément référence à cette obligation dans le présent arrêt ; toutefois, elle a déjà eu l’occasion de rattacher une telle faute de l’employeur à un manquement à son obligation de sécurité [2]. Ce lien tombe sous le sens : si le salarié bénéficie d’un arrêt de travail, c’est précisément parce qu’il n’est pas en mesure de travailler sans risque pour sa santé. En ne respectant pas la suspension de l’obligation pour le salarié d’accomplir sa prestation de travail, l’employeur compromet ainsi la sécurité et la santé physique et mentale du salarié.

Indépendamment de ce fondement juridique, le principe rappelé dans l’arrêt n’est pas discutable. La maladie ou le congé maternité suspend le contrat de travail et dispense, par conséquent, le salarié d’accomplir la prestation de travail. Dès lors, en sollicitant une prestation de travail de son salarié durant ces périodes, l’employeur manque ipso facto à son obligation de suspendre la relation de travail.

Cette solution est évidente et admise de longue date [3]. Elle soulève toutefois une question. En effet, la Cour de cassation retient que le manquement de l’employeur est caractérisé en raison de « l’exécution d’une prestation de travail pour [son] compte ». Dès lors, à partir de quand doit-on considérer que le salarié accomplit une « prestation de travail pour le compte de l'employeur » ?

Pour répondre à cette question, l’étude de la jurisprudence permet, d’abord, de constater que la responsabilité de l’employeur n’est pas engagée sur le seul constat de l’accomplissement d’une action pour son compte pendant l’arrêt de travail.

Cela va d’ailleurs de soi puisque pendant l’arrêt de travail du collaborateur, l’activité de l’entreprise se poursuit, ses collègues continuent de travailler et le salarié, lui-même, n’est pas totalement écarté de tous rapports sociaux. Dans ce contexte, il est courant que des échanges se poursuivent entre le salarié, son employeur, sa hiérarchie ou ses collègues pendant ces périodes. Il est ainsi parfaitement admis et toléré en jurisprudence que l’employeur sollicite auprès du salarié des informations telles qu’un mot de passe informatique[4] ou la restitution de matériel professionnel [5], ou qu’il prépare le retour du salarié, par exemple en lui proposant un rendez-vous de liaison [6]. Cette « marge de tolérance », pour reprendre l’expression proposée par la Cour d’appel de Montpelier dans l’affaire en cause, pourrait être la conséquence de l’obligation de loyauté à laquelle le salarié reste tenu pendant les périodes de suspension de son contrat de travail [7].

Il ressort également de la jurisprudence que la responsabilité de l’employeur n’est pas engagée en présence d’une prestation de travail réalisée par le salarié, à son initiative, sans qu’elle ne soit commandée par sa hiérarchie [8]. C’est, d’ailleurs, ce que semble retenir la Cour de cassation dans ses décisions antérieures lorsqu’elle précise que l’employeur manque à ses obligations seulement lorsqu’il « a fait travailler un salarié » [9] ou encore, dans le présent arrêt, lorsqu’elle souligne le constat de la cour d’appel selon lequel « la salariée avait été contrainte de travailler ».

Cependant, une précision s’impose. Même si l’employeur n’a pas expressément commandé la prestation de travail, la lecture des arrêts d’appel rendus sur le sujet permet de constater que sa responsabilité pourrait toutefois être engagée s’il est établi qu’il était informé de cette situation et n’a pris aucune mesure pour dissuader le salarié de poursuivre son travail [10]. À cet égard, il est intéressant de noter que dans le cas d’espèce, objet du pourvoi, l’employeur avait, à plusieurs reprises, adressé des correspondances à la salariée afin de lui interdire de se présenter sur son lieu de travail et de travailler pendant ses arrêts de travail. Cette circonstance n’a toutefois pas permis d’écarter la condamnation dès lors que, la salariée avait, par ailleurs, reçu des sollicitations de sa hiérarchie. En d’autres termes, l’employeur ne peut s’exonérer de sa responsabilité par de simples communications de principe lorsqu’en réalité, il franchit cette « marge de tolérance ».

Il en résulte que l’employeur a tout intérêt à adopter une démarche proactive dès qu’il est informé qu’un salarié exécute de sa propre initiative une prestation de travail durant un arrêt de travail.

En tout état de cause, pour constituer un manquement, l’accomplissement de la prestation de travail n’a pas forcément à être régulière pendant l’arrêt de travail. La Cour de cassation considère que le Juge doit constater un manquement de l’employeur dès lors qu’il sollicite une prestation de travail d’un salarié, même ponctuellement, [11]voire une seule fois [12].

B. Une faute de l’employeur sanctionnée par l’allocation de dommages et intérêts en indemnisation du préjudice subi

La Cour de cassation retient que le manquement contractuel de l’employeur « engage [sa] responsabilité » et « se résout par l’allocation de dommages et intérêts » au profit du salarié. Le principe du droit à dommages et intérêts en présence d’un tel manquement est ancien [13] et le présent arrêt ne vient que le confirmer. Il n’est que la simple application de l’article 1231-1 du Code civil en application duquel, en cas de manquement ou d’une inexécution d’une obligation contractuelle, le contractant défaillant est redevable de dommages et intérêts.

La solution ne surprend donc pas.

Il faut toutefois la compléter en précisant que la Cour de cassation juge également que le salarié a nécessairement droit à la réparation du préjudice qu’il subit du fait de l’exécution d’une prestation de travail en dépit de la suspension de son contrat de travail. Par conséquent, dès lors que le manquement de l’employeur est constaté, le salarié doit obtenir une indemnisation. Ainsi, quelques semaines avant l’arrêt commenté, la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de rappeler que « le seul constat du manquement de l'employeur en ce qu'il a fait travailler un salarié pendant son arrêt de travail pour maladie ouvre droit à réparation » [14]. La Cour de cassation a appliqué la même solution en matière de suspension pour congé maternité [15].

Cette position de la Cour de cassation n’exonère toutefois pas le salarié de la nécessité de démontrer le préjudice qu’il a subi en raison de la faute de son employeur. En effet, la reconnaissance automatique du préjudice du salarié ne retire en rien aux juges du fond leur pouvoir d’appréciation quant au quantum de l’indemnisation [16], celui-ci dépendant de l’ampleur du préjudice subi par le salarié.  En pratique, le quantum du préjudice dépendra donc directement des éléments de preuve du préjudice que le demandeur sera en mesure de produire.

En l’occurrence, dans le cadre de son avis relatif à l’affaire commentée, l’avocate générale a pu exposer que « ces dommages [et intérêts] peuvent fort bien excéder le montant des salaires qui auraient normalement été dus si le contrat n’avait pas été suspendu ». Cette observation se vérifie dans l’affaire en question, où la salariée, malgré un maintien intégral de son salaire pendant ses arrêts de travail, s’est vu octroyer une somme supplémentaire de 2 000 euros en dommages et intérêts.

Inversement, il est également possible que le montant des dommages et intérêts alloués soit inférieur aux salaires qui auraient normalement été perçus par le salarié si son contrat de travail n’avait pas été suspendu. Une récente décision de la cour d’appel de Chambéry en fournit un exemple : dans cette affaire, la salariée, qui estimait son manque à gagner à plus de 8 000 euros si son contrat de travail n’avait pas été suspendu, s’est finalement vu octroyer 6 000 euros de dommages et intérêts [17]. Cette illustration souligne que le montant des salaires qui auraient été perçus si le contrat de travail n’avait pas été suspendu n’est pas une référence systématique et arithmétique pour la détermination du montant des dommages et intérêts.

En tout état de cause, le principe indemnitaire ainsi souligné n’est pas nouveau. En réalité, l’apport de l’arrêt commenté ne réside pas dans la sanction qu’il confirme, mais dans celles qu’il rejette : les demandes de rappels de salaire et d’indemnité forfaitaire de travail dissimulé.

II. …Mais ne l’expose pas à des rappels de salaire ou à l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé

A. Le travail pendant la maladie ne mérite pas salaire…

Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation estime que, bien que « la salariée avait été contrainte de travailler pendant les périodes de suspension du contrat de travail […] l’intéressée ne [peut] prétendre à un rappel de salaire en paiement des heures de travail effectuée et [peut] seulement réclamer des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi. »

Cet arrêt retient donc une solution contre-intuitive : dans l’hypothèse d’un arrêt de travail, la prestation de travail réalisée pour le compte de l’employeur ne donne pas droit à rémunération. La décision est d’autant plus surprenante que la motivation retenue par la Cour ne suffit pas, à elle seule, à comprendre le raisonnement adopté pour aboutir à une telle conclusion.

Pour comprendre ce raisonnement, il faut d’abord relever que, bien qu’elle confirme l’arrêt attaqué, la Haute cour écarte la motivation retenue par la cour d’appel de Montpellier dans l’affaire en cause qui, bien que critiquable, ne manquait pas de bon sens.  En effet, la cour d’appel a rejeté la demande de rappels de salaire au motif que la salariée avait, « perçu pendant les périodes travaillées, l'équivalent de son salaire ou un substitut de salaire soit au titre de son droit conventionnel à maintien du salaire pendant les périodes de suspension du contrat soit au titre des indemnités journalières de sécurité sociale en sorte qu'elle ne saurait prétendre à un double paiement ». En d’autres termes, la juridiction d’appel a estimé que la salariée avait déjà perçu une somme correspondant à l’intégralité de sa rémunération et qu’elle ne pouvait être payée deux fois pour la même période.

Cela étant, en procédant à une substitution de ses motifs à ceux de la cour d’appel, la Chambre sociale signifie qu’elle entend rejeter un tel raisonnement. Il faut donc comprendre que le rejet des demandes de rappels de salaire n’est donc pas lié et conditionné au versement d’un revenu de remplacement. Une conclusion doit donc en être tirée : même en l’absence de maintien intégral de sa rémunération pendant un arrêt de travail, le salarié ne peut jamais solliciter un rappel de salaire pour du travail accompli durant cette période.

Le raisonnement suivi par la Cour de cassation est donc, en tout état de cause, différent de celui de la cour d’appel. S’il n’est pas explicité dans l’arrêt commenté, la lecture de l’avis rendu par l’avocate générale dans le dossier en cause pourrait apporter un éclairage intéressant. En l’occurrence, dans ce dernier, elle rappelle que pendant un arrêt de travail, les obligations réciproques des parties sont suspendues : celle de la salariée de fournir une prestation de travail et celle de l’employeur de lui verser une rémunération en contrepartie. Elle en conclut donc que « le principe d’un paiement de salaires lorsque l’employeur a imposé ou permis au salarié de travailler serait revenir à une application des dispositions légales et stipulations contractuelles relatives à l’exécution du contrat de travail quand bien même celui-ci est suspendu ». Cette interprétation « conduirait, à [son] sens, à mettre à néant la protection accordée aux salariées dont l’état de santé justifie une telle suspension » [18].

Autrement dit, lorsque le contrat de travail est suspendu, l’accomplissement d’un travail pour le compte de l’employeur ne met pas fin à cette suspension et ne peut donc en aucun cas faire pas renaître les obligations réciproques des parties. L’objectif est d’éviter qu’un employeur ne puisse unilatéralement mettre fin à une suspension du contrat de travail en contraignant le salarié à reprendre le travail.

Ce raisonnement aboutit à un résultat pour le moins étonnant : au nom de la protection du salarié, celui-ci est privé de rémunération pour un travail effectivement accompli. Or, il faut relever qu’une autre voie aurait pu être retenue par la Cour de cassation. Il aurait également pu être soutenu qu’une reprise forcée du travail met fin temporairement à la suspension du contrat de travail, imposant ainsi la reprise du paiement du salaire par l’employeur. Retenir le contraire, comme l’a fait la Cour de cassation, a pour conséquence de maintenir le salarié dans une situation asymétrique : ce dernier a été tenu de remplir ses obligations de travail tandis que l’employeur reste, paradoxalement, libéré de celle de payer le salaire. À notre sens, le fait que l’employeur soit tenu au paiement du salaire n’aurait pas moins permis de retenir l’existence d’un manquement de celui-ci à son obligation de sécurité et donc de maintenir la protection dont le salarié bénéficie à ce titre.

Par ailleurs, force est de constater qu’un raisonnement en faveur d’une reprise du paiement du salaire aurait été plus en adéquation avec la position de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en matière de travail pendant un arrêt maladie [19] ou un congé maternité [20]. En effet, cette dernière retient que lorsque le salarié travaille, pour le compte de son employeur, pendant un arrêt de travail, ce dernier est remis en cause et les indemnités de sécurité sociale perçues doivent être remboursées.

À cet égard, il faut relever que la solution retenue par la Chambre sociale dans le présent arrêt fait peser sur le salarié contraint de travailler pendant un arrêt de travail le risque d’une double peine : non seulement il n’aurait droit à aucun rappel de salaire pour le travail accompli, mais il pourrait également être contraint de restituer les indemnités journalières perçues. Certes, cette perte d’indemnités de sécurité sociale pourrait être intégrée dans le préjudice indemnisé par l’employeur, mais force est de constater que le salarié ne disposera d’aucune garantie sur ce point.

B. …ce qui exclut l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé

Dans la présente affaire, la salariée ne se limitait pas à solliciter des rappels de salaire au titre du travail accompli : elle réclamait également la condamnation de son employeur au versement de l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé visée à l’article L. 8223-1 du Code du travail.

Cette indemnité « égale à six mois de salaire », est due « en cas de rupture de la relation de travail » notamment lorsque l’employeur commet des faits de travail dissimulé visé à l’article L. 8221-5 du Code du travail N° Lexbase : L7404K94. En l’occurrence, le 2° de cet article qualifie de travail dissimulé le fait de « se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ».

L’argument de la salariée consistait ainsi à soutenir qu’en ne mentionnant pas les heures de travail accomplies pendant ses arrêts de travail sur son bulletin de salaire, son employeur avait commis le délit de travail dissimulé. Un tel raisonnement a déjà pu convaincre des cours d’appel qui, y compris, récemment, ont pu prononcer des condamnations sur ce fondement [21].

Dans le cadre du présent dossier, toutefois, cette demande avait été rejetée par la cour d’appel de Montpellier au motif que la salariée avait « été déclarée aux organismes sociaux ». Il est vrai que l’article L. 8221-5 du Code du travail qualifie de travail dissimulé le fait, pour un employeur, de se soustraire à la déclaration préalable à l’embauche. Toutefois, cette motivation était évidemment plus que discutable dans la mesure où l’absence de déclaration aux organismes sociaux ne constitue donc pas la seule situation visée par l’article L. 8221-5 du Code du travail.

Dès lors, le rejet de cette demande (qui constituait, en réalité, l’enjeu financier majeur de l’affaire) faisait également l’objet du pourvoi porté par la Cour de cassation, au même titre que le rejet de la demande de rappel de salaire. Or, si la question de l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé était centrale pour le pourvoi, la Cour de cassation, dans sa motivation, ne la traite pas expressément. En effet, elle se borne à relever dans sa motivation que « l'intéressée ne pouvait prétendre à un rappel de salaire en paiement des heures de travail effectuées et pouvait seulement réclamer des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi ».

Si l’on peut regretter le manque d’intelligibilité de la décision, il ne faut toutefois pas pour autant y voir une omission de statuer de la part de la Cour de cassation. En effet, en rejetant le moyen soulevé dans le pourvoi, la Cour de cassation tranche, sans ambiguïté, que l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé n’est pas allouée lorsqu’un salarié travaille pour le compte de son employeur pendant un arrêt de travail.

Mais le mystère demeure quant au raisonnement qui sous-tend cette conclusion.

Il semble que la Cour ait retenu qu’en l’absence de condamnation à des rappels de salaire, la demande d’indemnité pour travail dissimulé ne pouvait prospérer. Il s’agit, en tout cas, de la position proposée par l’avocate générale dans la présente affaire et qui apparaît avoir convaincu la Haute cour : « puisqu’aucun salaire n’était dû à la salariée, pendant les périodes de suspension de son contrat de travail au cours desquelles elle a travaillé pour son employeur, mais qu’elle pouvait uniquement prétendre à des dommages et intérêts, ce dernier n’avait pas à émettre de bulletin de salaires » [22]. Dans la même logique, le conseiller rapporteur exposait, dans son rapport, que « en l’absence de rémunération due, il ne peut y avoir de travail par dissimulation d’emploi » [23].

Force est de constater que le raisonnement est logique : si les heures de travail ne sont pas rémunérées, elles n’ont, certes, pas vocation à figurer sur le bulletin de salaire. Par conséquent, aucune omission de mention d’heures ne peut être constatée, ce qui exclut le travail dissimulé dans ce cas.

Si cette solution se comprend, elle reste néanmoins contre-intuitive elle aussi : un travail contraint et non déclaré ne pourrait être qualifié de travail dissimulé… au motif que le salarié n’est tout simplement pas payé pour ce travail.

En définitive, cet arrêt de la Cour de cassation illustre une approche étonnante du droit à la rémunération en cas de prestation de travail accomplie durant un arrêt pour maladie ou congé maternité.

En excluant toute possibilité de rappels de salaire, la Haute cour maintient la ligne stricte de suspension des obligations réciproques pendant les périodes d’arrêt de travail, quitte à créer une solution qui, bien que rigoureuse sur le plan juridique, peut paraître déconcertante dans son exécution : un salarié contraint de travailler se voit ainsi privé de salaire pour une prestation effectivement accomplie, et l’employeur échappe à toute accusation de travail dissimulé.

Ainsi, si l’on considère habituellement que « tout travail mérite salaire », cette maxime s’inverse curieusement pour le salarié en arrêt de travail. Au regard du raisonnement de la Cour de cassation, il est fort probable que cette solution soit retenue pour toutes les situations entraînant la suspension du contrat de travail.


[1] C. trav., art. L. 1211-1 N° Lexbase : L0764H98.

[2] Cass. soc., 6 juillet 2022, n° 21-11.751, F-D N° Lexbase : A50988A3.

[3] À titre d’exemple : Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-43.155, F-D N° Lexbase : A9812C8W.

[4] Cass. soc., 18 mars 2003, n° 01-41.343, inédit N° Lexbase : A5289A7Z.

[5] Cass. soc., 6 février 2001, n° 98-46.345 N° Lexbase : A6415APB.

[6] C. trav., art. L. 1226-1-3 N° Lexbase : L4434L7D.

[7] Cass. soc., 18 mars 2003, n° 01-41.343, inédit N° Lexbase : A5289A7Z.

[8] À titre d’exemple : CA, Lyon, 30 janvier 2019, n° 16/08137 N° Lexbase : A5589YUK.

[9] Cass. soc., 4 septembre 2024, n° 23-15.944, FS-B N° Lexbase : A35415XG.

[10] À titre d’exemples : CA, Chambéry, 5 septembre 2024, n° 22/02149 N° Lexbase : A48815YG ; CA Paris, 6-9, 14 décembre 2022, n° 19/12073 N° Lexbase : A346083K ; CA Rennes, 28 janvier 2021, n° 18/00257 N° Lexbase : A83104D7.

[11] Cass. soc., 21 novembre 2012, n° 11-23.009, F-D N° Lexbase : A5120IXW.

[12] Cass. soc., 6 juillet 2022, n° 21-11.751, F-D N° Lexbase : A50988A3.

[13] Cass. soc., 7 janvier 1992, n° 87-44.428, inédit N° Lexbase : A8610CN9.

[14] Cass. soc., 4 septembre 2024, n° 23-15.944, FS-B N° Lexbase : A35415XG.

[15] Cass. soc., 4 septembre 2024, n° 22-16.129, FS-B N° Lexbase : A35355X9.

[16] Cass. soc., 30 juin 2016, n° 15-16.066, F-D N° Lexbase : A2009RWC.

[17] CA Chambéry, 5 septembre 2024, n° 22/02149 N° Lexbase : A48815YG.

[18] Avis de Madame Roques, avocate générale référendaire relatif au pourvoi n °23-11.582.

[19] Cass. civ. 2, 28 mai 2020, n° 19-12.962, F-P+B+I N° Lexbase : A22893MQ.

[20] Cass. civ. 2, 17 janvier 2008, n° 06-14.082, F-D N° Lexbase : A7595D3P.

[21] En ce sens : CA, Chambéry, 5 septembre 2024, n° 22/02149 ; CA Rouen, 19 septembre 2024, n° 23/00145 N° Lexbase : A033754A.

[22] Avis de Madame Roques, avocate générale référendaire relatif au pourvoi n° 23-11.582.

[23] Rapport de Madame Palles, Conseillère, relatif au pourvoi n° 23-11.582.

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Entreprises en difficulté

[Brèves] Contestation sérieuse et confirmation par la cour d’appel de l’ordonnance du juge-commissaire : précisions procédurales

Réf. : Cass. com., 23 octobre 2024, n° 23-17.962, F-B N° Lexbase : A76926BI

Lecture: 4 min

N0756B3E

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par Vincent Téchené

Le 06 Novembre 2024

► Lorsque le juge-commissaire constate l'existence d'une contestation sérieuse et si la cour d'appel confirme l'ordonnance ayant invité l'une des parties à saisir la juridiction compétente dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance, l'arrêt se substitue à l'ordonnance attaquée et la notification de l'arrêt fait courir un nouveau délai de forclusion d'un mois.

Faits et procédure. Le 4 septembre 2018, un jugement a ouvert le redressement judiciaire d’une société, ultérieurement converti en liquidation judiciaire. Un GAEC a déclaré à la procédure une créance qui a été contestée.

Par une ordonnance du 19 juin 2019, le juge-commissaire a constaté l'existence d'une contestation sérieuse et invité le GAEC à saisir la juridiction compétente dans le délai d'un mois à compter de la notification de son ordonnance. Le GAEC ayant formé appel de cette ordonnance, la cour d'appel l'a confirmée par arrêt du 18 février 2021, signifié le 1er mars 2021.

Le 12 octobre 2021, le juge-commissaire a ordonné le rappel de l'affaire aux fins de statuer sur la créance, puis, par une ordonnance du 16 novembre 2021, a constaté la forclusion du GAEC et rejeté sa créance. Le GAEC qui avait assigné, le 14 octobre 2021, la société débitrice devant un tribunal judiciaire aux fins de reconnaître la responsabilité de cette dernière, a formé appel de l'ordonnance du juge-commissaire du 16 novembre 2021.

La cour d’appel a déclaré le GAEC non forclos en son assignation devant le tribunal judiciaire et a ordonné le renvoi de l'affaire devant le juge-commissaire pour qu'il soit statué sur l'admission ou le rejet de sa créance. La débitrice et son liquidateur ont alors formé un pourvoi en cassation.

Décision. Livrant une solution inédite, la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa de l'article R.624-5 du Code de commerce N° Lexbase : L7228LEG.

Selon ce texte, le juge-commissaire qui constate l'existence d'une contestation sérieuse, invite, selon le cas, le créancier, le débiteur ou le mandataire judiciaire à saisir la juridiction compétente dans un délai d'un mois à compter de la notification ou de la réception de l'avis délivré à cette fin, à peine de forclusion, à moins d'appel dans les cas où cette voie de recours est ouverte.

Il en résulte, selon la Cour, que si la cour d'appel confirme l'ordonnance ayant invité l'une des parties à saisir la juridiction compétente dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance, l'arrêt se substitue à l'ordonnance attaquée et la notification de l‘arrêt fait courir un nouveau délai de forclusion d'un mois.

Or, en l’espèce, pour dire que le GAEC n'était pas forclos, l'arrêt d’appel avait retenu que le texte ne prévoit aucun report du point de départ du délai d'un mois imparti par le juge-commissaire et que l'arrêt confirmatif n'a en l'espèce fixé aucun nouveau délai au créancier pour saisir la juridiction compétente à peine de forclusion.

Par conséquent et contre l’avis de l’Avocat général, la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel.

Ainsi, pour le dire autrement, la cour d’appel, qui statue sur l’ordonnance du juge-commissaire ayant constaté l’existence d’une contestation sérieuse et invité l'une des parties à saisir la juridiction compétente dans le délai d'un mois, n’a pas à reprendre, dans son dispositif, les exigences de l’article R. 624-5 du Code de commerce ; elle n’a donc pas à mentionner quelle est la partie devant saisir le juge compétent, tout en précisant qu’elle doit le faire dans le mois qui suit la notification de sa décision à peine de forclusion. Avec cet arrêt, la Cour de cassation continue son œuvre jurisprudentielle sur l’encadrement procédural, plutôt complexe à maîtriser, de la contestation sérieuse.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : La décision du juge-commissaire en matière de déclaration et de vérification des créances, Les modalités procédurales en cas de contestation sérieuse, in Entreprises en difficulté (dir. P.-M. Le Corre), Lexbase N° Lexbase : E3556E4H.

 

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Licenciement

[Brèves] Licenciement pour motif économique : attention au formalisme de l’offre de reclassement !

Réf. : Cass. soc., 23 octobre 2024, n° 23-19.629, FS-B N° Lexbase : A77156BD

Lecture: 2 min

N0827B3Z

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par Charlotte Moronval

Le 06 Novembre 2024

► À défaut de l'une des mentions de l'article D. 1233-2-1 du Code du travail, l'offre est imprécise, ce qui caractérise un manquement de l'employeur à son obligation de reclassement et prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.

Faits et procédure. L'employeur propose à une salariée une offre de reclassement, dans le cadre d'une réorganisation de l'entreprise en vue de sauvegarder sa compétitivité, qu'elle refuse.

Cette offre est rédigée comme suit : « un poste de magasinière à [Localité 3] avec reprise de votre ancienneté et au même niveau de rémunération ».

Son contrat de travail est rompu, la salariée ayant accepté le contrat de sécurisation professionnelle (CSP) proposé. Elle décide de saisir la juridiction prud'homale en contestation de cette rupture.

La cour d'appel (CA Pau, 8 juin 2023, n° 21/01366 N° Lexbase : A62819ZN), après avoir constaté que l’offre de reclassement reçue par la salariée était rédigée comme suit « un poste de magasinière à [Localité 3] avec reprise de votre ancienneté et au même niveau de rémunération », a relevé que cette offre était taisante sur l'adresse de l'entreprise, son activité, la classification du poste, la seule mention « au même niveau de rémunération » étant très insuffisante pour permettre à la salariée de répondre valablement à cette offre.

Solution. La Chambre sociale de la Cour de cassation confirme la décision de la cour d’appel.

Elle rappelle que les offres de reclassement proposées au salarié doivent être écrites et précises. Elles doivent obligatoirement mentionner :

  • l'intitulé du poste et son descriptif ;
  • le nom de l'employeur ;
  • la nature du contrat de travail ;
  • la localisation du poste ;
  • le niveau de rémunération ;
  • la classification du poste.

Dès lors que l'offre de reclassement adressée à la salariée ne comportait ni le nom de l'employeur, ni la classification du poste, ni la nature du contrat de travail, la cour d’appel a pu déduire que l'employeur n'avait pas accompli avec la loyauté nécessaire son obligation de reclassement, se contentant d'une offre de reclassement imprécise et formelle, ce dont il résultait que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Pour aller plus loin :

  • sur la question de la précision des offres de reclassement, v. aussi : Cass. soc., 13 mai 2009, n° 07-43.893, F-D N° Lexbase : A9712EGS ; Cass. soc., 28 septembre 2022, n° 21-13.064, F-D N° Lexbase : A07338M4 ;
  • v. ÉTUDE : L’obligation de reclassement et d’adaptation du salarié, Des offres de reclassement écrites et précises, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E52884RB ;
  • consulter également FP214, Mettre en oeuvre l'obligation de reclassement en cas de licenciement pour motif économique, Droit social - RH N° Lexbase : X2803CQU.

newsid:490827

Procédure administrative

[Brèves] Conditions d’indemnisation des préjudices liés à des décisions non détachables de la conduite des relations internationales de la France

Réf. : CE Ass., 24 octobre 2024, n° 465144, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A09946CS

Lecture: 2 min

N0777B38

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par Yann Le Foll

Le 07 Novembre 2024

► Peut être accueillie une demande d’indemnisation pour des préjudices résultant de décisions non détachables de la conduite des relations internationales de la France au titre de la « responsabilité sans faute » de l’État, dès lors que le préjudice affecte, de façon particulièrement grave, la personne ayant subi des effets collatéraux d’une telle décision.

Faits. La Mutuelle centrale de réassurance (MCR) a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'État à lui verser la somme de 61 657 357,24 euros en réparation du préjudice que lui a causé le refus des autorités françaises de lui accorder le bénéfice de la protection diplomatique, en vue d'obtenir l'indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des mesures d'expropriation et de nationalisation intervenues en Algérie en 1963 et 1964. Le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande (TA Paris, 5 février 2021, n° 1908621/6-1, ensuite annulé par CAA Paris, 3ème ch., 19 avril 2022, n° 21PA01740 N° Lexbase : A57667U4).

Position CE. Contrairement à ce qu'a estimé le tribunal administratif de Paris, la demande de la MCR ne tendait pas à la réparation de préjudices résultant d'expropriations et de nationalisations réalisées par l'État algérien, mais du préjudice né de la perte de chance d'obtenir une indemnisation par les autorités algériennes du fait du refus de protection diplomatique qui lui avait été opposé. 

Toutefois, la responsabilité sans faute de l'État sur le fondement de l'égalité devant les charges publiques du fait d'une décision non détachable de la conduite des relations internationales de France (par exemple,  la décision du ministre des Affaires étrangères de reconnaître le statut diplomatique d'une institution étrangère, CE 3° et 8° s-s-r., 30 décembre 2015, n° 384321, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1907N3Z) n'est pas susceptible d'être engagée à l'égard des personnes dont cette décision a pour objet même de régir la situation

Décision. Les conclusions indemnitaires de la MCR tendant, sur ce fondement, à obtenir la réparation du préjudice qu'elle estime lui avoir été causé par le refus des autorités françaises d'exercer la protection diplomatique ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.

  • À ce sujet. Lire L'acte de Gouvernement est-t-il un privilège exorbitant du pouvoir exécutif ? - Questions à Audrey de Montis, Maître de conférences, Université Rennes 1, Lexbase Public n° 403, 2016 N° Lexbase : N1123BWI.
  • Pour aller plus loin : v. ÉTUDE, L'encadrement de l'action administrative, L'autonomie judiciaire de l'activité de l'autorité publique, in Procédure administrative (dir. C. de Bernardinis), Lexbase N° Lexbase : E3412E47.

newsid:490777

Sécurité sociale

[Brèves] Travailleur frontalier : pas de versement d’indemnités journalières en France si l’assurance souscrite en Allemagne ne le prévoyait pas

Réf. : Cass. civ. 2, 17 octobre 2024, n° 22-17.390, F-B N° Lexbase : A73416A7

Lecture: 3 min

N0776B37

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par Laïla Bedja

Le 06 Novembre 2024

► Selon le Règlement n° 883/2004 la personne, qui au cours, de sa dernière activité salariée ou non salariée, résidait dans un État membre autre que l'État membre compétent et qui continue à résider dans le même État membre, bénéficie de prestations de chômage en vertu de la législation de l'État membre de résidence et est soumise à la législation de cet État membre ; selon l’article L. 311-5 du Code de la Sécurité sociale toute personne, qui perçoit l'une des allocations ou l'un des revenus de remplacement qu'il énumère, conserve la qualité d'assuré et bénéficie du maintien de ses droits aux prestations du régime obligatoire d'assurance maladie, maternité, invalidité et décès dont elle relevait antérieurement.

Faits et procédure. Un assuré, qui a travaillé en Allemagne et résidé en France entre 2022 et 2016, a été inscrit à Pôle emploi à compter du 1er août 2016 et indemnisé à partir du 22 octobre 2016. Il a été placé en arrêt de travail du 16 décembre 2016 au 13 février 2017 et a sollicité le versement d'indemnités journalières auprès de la caisse primaire d'assurance maladie qui le lui a refusé. L'assuré a alors saisi d'un recours une juridiction chargée du contentieux de la Sécurité sociale.

Pour la cour d’appel (CA Metz, 7 avril 2022, n° 19/00932 N° Lexbase : A54667SA) qui condamne la caisse à étudier les droits de l’assuré, ces droits doivent être examinés au regard de la période d'emploi en Allemagne. Si l’assuré a souscrit à une assurance maladie privée ne prévoyant pas le versement d’indemnités journalières en cas d’arrêt de travail, cette souscription répondait à une obligation légale d’affiliation posée par le droit allemand. Partant, le règlement européen trouve à s’appliquer.

Décision. Rappelant la règle et le principe d’assimilation posé par le Règlement n° 883/2004, la Haute juridiction casse et annule l’arrêt rendu par les juges du fond. En statuant ainsi, par une application erronée du principe d'assimilation énoncé à l'article 5 du Règlement n° 883/2004 l'ayant conduite à créer des droits qui n'existaient dans aucune des législations auxquelles l'assuré a été soumis, alors qu'elle constatait que l'assuré ne relevait pas, antérieurement à son admission au bénéfice des allocations du régime d'assurance chômage, d'un régime d'assurance maladie comportant le versement d'indemnités journalières, la cour d'appel a violé les articles 5, 11.3 c, 65 du Règlement CE n° 883/2004, de coordination des systèmes de Sécurité sociale N° Lexbase : L7666HT4 et L. 311-5 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L2696MA4.

newsid:490776

Sociétés

[Actes de colloques] Colloque « La société par actions simplifiée, un succès sans limite ? », organisé à la cour d’appel de Paris (10 septembre 2024) – Sommaire

Lecture: 2 min

N0817B3N

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Le 06 Novembre 2024

Pour sa rentrée économique, le mardi 10 septembre 2024, la cour d’appel de Paris a organisé un colloque ayant pour thème « La société par actions simplifiée, un succès sans limite ? ». Les trente ans de la loi du 3 janvier 1994 instituant la société par actions simplifiée sont, en effet, l’occasion de tirer un bilan sur ce qu’a apporté cette nouvelle forme de société et de s’interroger sur ce qui pourrait remettre en cause ses atouts et affaiblir son attrait.

La revue Lexbase Affaires vous propose de retrouver l’intégralité des actes de ce colloque.


 

SOMMAIRE

Propos introductifs

par Jacques Boulard, Premier président de la cour d’appel de Paris N° Lexbase : N0804B38.

Première table ronde : La loi du 3 janvier 1994, une loi attendue

Cette table ronde est revenue sur les raisons pour lesquelles la SAS a été instituée et les préoccupations auxquelles elle devait répondre (préoccupations d’ordre juridique, de gouvernance, de financement et de développement des entreprises). Elle a dressé également un bilan sur l’atteinte des objectifs auxquels la loi a souhaité répondre.

  • Propos introductifs à la première table ronde par Brigitte Brun-Lallemand, Première présidente de chambre, coordinatrice du pôle 5 économique et commercial de la cour d’appel de Paris N° Lexbase : N0805B39.
  • L’institution de la SAS en 1994 : les débats de l’époque par Olivier Douvreleur, Avocat général à la Cour de cassation N° Lexbase : N0799B3Y.
  • Les innovations apportées par la SAS par Alain Couret, Professeur émérite de l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris 1), Avocat à la cour N° Lexbase : N0807B3B.
  • De l’usage immodéré de la SAS par Maître Olivier Diaz, Avocat à la cour N° Lexbase : N0808B3C.

Deuxième table ronde : La loi du 3 janvier 1994, une loi à revisiter ?

Cette table ronde s'est interrogée sur les perspectives de développement de la SAS et ce qui pourrait remettre en cause ses atouts.

  • Propos introductifs à la première table ronde par Florence Dubois-Stévant, Présidente de chambre à la cour d’appel de Versailles N° Lexbase : N0809B3D.
  • Les spécificités de la SAS, facteur de complexité du droit des sociétés français ? L’exemple du régime de la révocation des dirigeants par Bruno Dondero, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l’École de droit de la Sorbonne (Université Paris 1), Avocat associé CMS Francis Lefebvre N° Lexbase : N0798B3X.
  • La liberté contractuelle, fondement de la SAS : atout ou menace ? par

- Pierre-Yves Werner, Président de délibéré au sein de la 16ème chambre du tribunal de commerce de Paris N° Lexbase : N0813B3I ;

- Muriel de Szilbereky, Déléguée générale de l’Association nationale des sociétés par actions N° Lexbase : N0803B37 ;

- Nicolas Huet, Directeur général des Établissements Peugeot Frères N° Lexbase : N0810B3E ;

- Maître Didier Martin, Avocat à la cour N° Lexbase : N0801B33 ;

- Patrick Sayer, Président du tribunal de commerce de Paris N° Lexbase : N0811B3G.

  • Propos conclusifs de la seconde table ronde, par Florence Dubois-Stévant, Présidente de chambre à la cour d’appel de Versailles N° Lexbase : N0812B3H.

Propos conclusifs

par Florent Boudié, Président de la Commission des lois de l’Assemblée nationale, suppléé par Philippe Latombe, Député, Secrétaire de la Commission des lois N° Lexbase : N0802B34.

newsid:490817

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