Jurisprudence : TA Marseille, du 04-07-2023, n° 2306046

TA Marseille, du 04-07-2023, n° 2306046

A8117987

Référence

TA Marseille, du 04-07-2023, n° 2306046. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/97622581-ta-marseille-du-04072023-n-2306046
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Références

Tribunal Administratif de Marseille

N° 2306046


lecture du 04 juillet 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, et notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

- le code de justice administrative.

La présidente du tribunal a désigné Mme Jorda-Lecroq, vice-présidente, pour statuer sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 3 juillet 2023 à 14 heures tenue en présence de M. Machado de Andrade, greffier d'audience :

- le rapport de Mme Jorda-Lecroq ;

- les observations de Me Le Cadet substituant Me Labetoule, représentant la SCI Les marchés méditerranéens, qui reprend et développe les moyens et conclusions de sa requête, de Me Claveau, substituant Me Thomé, représentant l'EPA Euroméditerranée, qui reprend et développe ses moyens de défense, et de Mme A, directrice de projet à la direction de l'aménagement, pour l'EPA Euroméditerranée.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Des pièces complémentaires présentées pour l'EPA Euroméditerranée ont été enregistrées le 4 juillet 2023 en note en délibéré.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative🏛 : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale () ".

2. Aux termes de l'article L. 223-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique🏛 : " () en cas d'annulation par une décision définitive du juge administratif de la déclaration d'utilité publique ou de l'arrêté de cessibilité, tout exproprié peut faire constater par le juge que l'ordonnance portant transfert de propriété est dépourvue de base légale et demander son annulation. / Après avoir constaté l'absence de base légale de l'ordonnance portant transfert de propriété, le juge statue sur les conséquences de son annulation ". Aux termes de l'article R. 223-6 du même code🏛 : " Le juge constate, par jugement, l'absence de base légale du transfert de propriété et en précise les conséquences de droit. / I. - Si le bien exproprié n'est pas en état d'être restitué, l'action de l'exproprié se résout en dommages et intérêts. / II. S'il peut l'être, le juge désigne chaque immeuble ou fraction d'immeuble dont la propriété est restituée () ".

3. Il résulte de l'instruction que la SCI Les Marchés Méditerranéens était propriétaire à Marseille, 130 chemin de la Madrague-ville dans le 15ème arrondissement de Marseille, de parcelles cadastrées section 901 A, n° 95 et n° 98 sur lesquelles ont été édifiés divers bâtiments dans lesquels étaient exploités un supermarché, un abattoir de volailles, une boucherie, un abattoir de moutons et des bureaux administratifs. Dans le cadre de l'opération d'aménagement globale dénommée " Euromed 2 " et consistant en la réalisation d'une zone d'aménagement concerté (ZAC) dite " Littorale ", le préfet des Bouches-du-Rhône a, par deux arrêtés nos 2017-05 et 2017-06 du 27 février 2017, déclaré d'utilité publique les travaux de réalisation de la ZAC " Littorale " sur le territoire de la commune de Marseille et déclaré cessible, au bénéfice de l'EPA Euroméditerranée, l'ensemble immobilier situé sur les parcelles en cause. Ces parcelles ont fait l'objet d'une ordonnance d'expropriation le 30 juin 2017 et les indemnités de dépossession, fixées par jugement rendu le 27 juin 2018, ont été payées le 11 décembre 2018. Par un arrêt n° 19MA05604 du 22 février 2022, la cour administrative d'appel de Marseille⚖️ a cependant annulé l'arrêté de cessibilité, au motif que l'arrêté déclarant les travaux d'utilité publique était lui-même illégal. La société requérante a alors saisi le juge de l'expropriation, en application de l'article L. 223-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, aux fins d'annulation de l'ordonnance d'expropriation et de restitution des biens dont elle a été expropriée. Le 16 février 2022, l'établissement public ayant notifié l'ordre de service du démarrage de l'exécution des travaux de démolition des bâtiments concernés, la société requérante a saisi le juge des référés du tribunal, qui, par une ordonnance du 29 mars 2022, a enjoint à l'EPA Euroméditerranée d'interrompre sans délai les travaux de démolition engagés sur les parcelles en cause jusqu'à ce que le juge de l'expropriation se soit prononcé ou, si elle est plus précoce, jusqu'à l'intervention d'un nouvel arrêté de cessibilité portant sur les parcelles en cause. Par une ordonnance n° 463341 du 17 juin 2022, le juge des référés du Conseil d'Etat a confirmé l'injonction prononcée par le premier juge mais en précisant que cette injonction prendrait fin notamment si l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille était annulé. Le 25 juillet 2022, par une décision nos 462681, 462773, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt du 22 février 2022 de la cour administrative d'appel de Marseille et lui a renvoyé l'affaire. Saisi de nouveau par la société requérante, le juge des référés du tribunal a, par une ordonnance du 29 juillet 2022, à nouveau enjoint à l'EPA Euroméditerranée d'interrompre sans délai les travaux de démolition engagés sur les parcelles en cause. Par une ordonnance n° 466421 du 25 août 2022, le juge des référés du Conseil d'Etat a annulé cette ordonnance et rejeté les demandes de la société requérante. Par un jugement du 4 janvier 2023, le juge de l'expropriation a décidé de surseoir sur les demandes de la société requérante tendant à la restitution des biens dont elle a été expropriée dans l'attente de l'épuisement du contentieux en cours devant le juge administratif relatif à l'arrêté de cessibilité. Par une ordonnance n° 2300687 du 26 janvier 2023, le juge des référés du tribunal a rejeté une nouvelle demande de la SCI Les Marchés Méditerranées présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Par une ordonnance n° 471038 du 13 février 2023, le juge des référés du Conseil d'Etat a rejeté l'appel formé par la société requérante contre cette ordonnance. Par un arrêt du 5 juin 2023 n° 22MA02201, la cour administrative d'appel de Marseille a de nouveau annulé l'arrêté de cessibilité. Dans le cadre de la présente instance, la SCI Les Marchés Méditerranéens demande à nouveau au juge des référés du tribunal d'enjoindre à l'EPA Euroméditerranée d'interrompre tous travaux sur les parcelles cadastrées section 901 A nos 95 et 98.

4. Alors que la restitution des immeubles ou d'une partie d'entre eux constitue l'une des possibilités encore offertes à la société expropriée et au juge tirant les conséquences de l'absence de base légale du transfert de propriété, et qu'elle a précisément été demandée par la société requérante, la poursuite actuelle de travaux qui aurait pour conséquence de rendre les parcelles en cause définitivement impropres à l'usage que la société faisait de ses biens jusqu'à son expropriation, est de nature à ôter aux biens en cause leur qualité de biens susceptibles d'être restitués au sens de l'article R. 223-6 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique🏛. Elle est, dès lors, de nature à préjudicier de manière grave et immédiate aux intérêts de la SCI Les Marchés Méditerranéens tels qu'elle entend les défendre devant le juge de l'expropriation et caractérise, par suite, une situation d'urgence justifiant que le juge des référés se prononce dans les conditions et délais prévus à l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

5. Le droit d'exercer un recours effectif devant une juridiction, protégé par la Constitution et par les stipulations des articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, constitue une liberté fondamentale. Ainsi que le rappelle régulièrement la Cour européenne des droits de l'Homme, l'effectivité d'un recours au sens de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne dépend pas de la certitude d'une issue favorable pour le requérant mais suppose que ce recours puisse empêcher l'exécution des mesures contraires à la Convention et dont les conséquences sont potentiellement irréversibles, tels que l'atteinte aux biens.

6. L'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille n° 22MA02201 du 5 juin 2023⚖️ qui annule l'arrêté de cessibilité et contre lequel aucune voie de recours ordinaire ne peut être exercée, est définitif, en dépit de l'introduction d'un pourvoi en cassation contre cet arrêt. Le juge de l'expropriation est saisi, conformément aux dispositions citées au point 2, en vue de prononcer l'annulation de l'ordonnance d'expropriation. La poursuite, postérieurement à la décision privant l'ordonnance d'expropriation de sa base légale, de travaux sur les bâtiments implantés sur les parcelles en cause est de nature à rendre irréversible l'appropriation de fait des parcelles en cause, au regard des travaux réalisés et de leur état au moment où le juge de l'expropriation statuera, et à priver de son effet utile le recours de la SCI tendant à obtenir la restitution des biens expropriés devant le juge de l'expropriation. Si une telle restitution ne constitue que l'une des possibilités offertes au juge de l'expropriation, il n'en demeure pas moins que la poursuite de travaux de démolition, en fermant de manière irréversible cette option, priverait d'effectivité le recours engagé en vue de la restitution des biens en cause.

7. Il résulte de l'instruction, en particulier des constatations du procès-verbal établi par une commissaire de justice le 27 juin 2023 produit par la société requérante, que le bâtiment, non démoli antérieurement, dont la SCI Les Marchés Méditerranées était propriétaire sur les parcelles cadastrées section 901 A, n° 95 et n° 98, est toujours présent à cette date, que plusieurs ouvriers s'affairent sur le chantier en périphérie de ce bâtiment et qu'il y a plusieurs pelles mécaniques qui procèdent à des travaux de terrassement. L'EPA Euroméditerranée indique en défense que le plan de synthèse de l'opération, actualisé en mai 2023, qu'il produit, fait apparaître ce bâtiment conservé, et que les seuls travaux en cours autour de ce bâtiment sont des travaux de voirie sur la Traverse de l'Extension, n'impactant pas ce bâtiment, qui aurait vocation, selon lui, à être réhabilité. Toutefois, les seuls plans produits en défense, dont un plan de projection à la mi-mai 2023, ne suffisent pas à établir l'absence de tous travaux concernant ce bâti, alors qu'il est constant, par ailleurs, que des travaux sont en cours sur les parcelles cadastrées section 901 A, n° 95 et n° 98. Etant de nature à priver d'effet utile le recours introduit devant le juge de l'expropriation en vue d'obtenir la restitution des biens expropriés sans base légale, la réalisation par l'EPA Euroméditerranée de travaux de toute nature sur le bâti situé sur les parcelles cadastrées section 901 A, n° 95 et n° 98, porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale du droit au recours effectif de la société requérante. En revanche, les travaux en cours sur ces parcelles ne concernant pas ce bâti ne sont pas de nature à porter une telle atteinte à ce droit.

8. Il suit de là qu'il y a lieu d'enjoindre à l'EPA Euroméditerranée de ne pas poursuivre de travaux de toute nature, non pas sur l'intégralité des parcelles cadastrées section 901 A, n° 95 et n° 98 à Marseille, mais uniquement sur le bâti présent sur ces parcelles, ainsi que sollicité à titre subsidiaire en défense, jusqu'à ce que le Conseil d'Etat se soit prononcé sur les pourvoi et demande de sursis à exécution formés contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille n° 22MA02201 du 5 juin 2023. Dans les circonstances de l'espèce, alors qu'il n'est pas manifeste que l'EPA Euroméditerranée entende délibérément ne pas se conformer aux décisions de la juridiction administrative, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte. Le cas échéant, les dispositions de l'article L. 521-4 du code de justice administrative🏛 permettent au juge des référés, saisi par toute personne intéressée, et à tout moment, au vu d'un élément nouveau, de modifier les mesures qu'il avait ordonnées y compris en prononçant une astreinte d'un montant propre à assurer l'effectivité de ses décisions.

9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'établissement public d'aménagement Euroméditerranée le paiement à la SCI Les Marchés Méditerranéens d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛. En revanche, ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société requérante la somme que cet établissement demande sur le même fondement.

O R D O N N E :

Article 1er : Il est enjoint à l'établissement public d'aménagement Euroméditerranée de ne pas poursuivre de travaux de toute nature sur le bâti situé sur les parcelles cadastrées section 901 A, n° 95 et n° 98 à Marseille, jusqu'à ce que le Conseil d'Etat se soit prononcé sur les pourvoi et demande de sursis à exécution formés contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille n° 22MA02201 du 5 juin 2023.

Article 2 : L'établissement public d'aménagement Euroméditerranée versera à la SCI Les Marchés Méditerranéens une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Les conclusions de l'établissement public d'aménagement Euroméditerranée présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative est rejetée.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la SCI Les Marchés Méditerranéens et à l'établissement public d'aménagement Euroméditerranée.

Copie en sera adressée, pour information, au préfet des Bouches-du-Rhône.

Fait à Marseille, le 4 juillet 2023.

La juge des référés

Signé

K. Jorda-Lecroq

La République mande et ordonne au préfet des Bouches-du-Rhône en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour le greffier en chef,

La greffière,

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