Jurisprudence : TA Grenoble, du 13-06-2023, n° 2001339


Références

Tribunal Administratif de Grenoble

N° 2001339

5ème Chambre
lecture du 13 juin 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par un jugement avant dire-droit du 22 novembre 2022, le tribunal administratif de Grenoble, a décidé, en application de l'article L.113-1 du code de justice administrative🏛, de surseoir à statuer sur la requête de M. A et de transmettre au Conseil d'Etat pour avis une question relative à l'application du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique🏛 concernant une affection iatrogène directement imputable à une vaccination ne relevant pas des articles L. 3111-9 et L. 3131-1 du code de la santé publique🏛🏛.

Le Conseil d'Etat a statué sur la question posée par le tribunal administratif par un avis n°469086⚖️ du 12 avril 2023.

Par un mémoire enregistré le 25 mai 2023, la société Sanofi et la société Sanofi Pasteur, représentées par Me Gouesse, concluent aux mêmes fins par les mêmes moyens. Ils concluent en outre à la condamnation de l'ONIAM à leur verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

M. A a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 août 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la loi du 10 juillet juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bedelet,

- les conclusions de Mme B,

- et les observations de Me Durget pour la société Sanofi et la société Sanofi Pasteur.

Une note en délibéré présentée pour le requérant a été enregistrée le 31 mai 2023.

Considérant ce qui suit :

1. Avant un voyage au Cameroun, M. A a été vacciné le 29 septembre 2010 contre la fièvre jaune au centre hospitalier universitaire (CHU) de Nancy. Dans les suites immédiates, il a présenté des céphalées inhabituelles prédominant en pariétal droit, une fièvre, une baisse visuelle à gauche et des troubles sensitifs des deux membres inférieurs. M. A a saisi la commission d'indemnisation des accidents médicaux (CCI) Lorraine qui, après avoir diligenté une expertise médicale, a estimé que la réparation des préjudices de l'intéressé incombait à l'ONIAM. Ce dernier a toutefois refusé de lui adresser une offre d'indemnisation. Par la présente requête, M. A demande la réparation de ses préjudices par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale sur le fondement de l'article L. 1142-1 II du code de la santé publique.

2. Aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret ". Aux termes du I de l'article L. 1142-3-1 du même code🏛 : " Le dispositif de réparation des préjudices subis par les patients au titre de la solidarité nationale mentionné au II de l'article L. 1142-1 () n'est pas applicable aux demandes d'indemnisation de dommages imputables à des actes dépourvus de finalité contraceptive, abortive, préventive, diagnostique, thérapeutique ou reconstructrice, y compris dans leur phase préparatoire ou de suivi ".

3. Lorsqu'une personne a fait l'objet d'une vaccination dont les conséquences dommageables ne sont pas susceptibles d'être réparées sur le fondement des articles L. 3111-9 ou L. 3131-4 du code de la santé publique, et lorsque par ailleurs, la responsabilité du service public hospitalier ne peut pas être recherchée pour faute ou, sans faute, au titre des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits qu'il utilise, ou que la responsabilité du producteur ou du fournisseur du vaccin ne peut être recherchée au titre des produits défectueux devant le juge judiciaire, les conséquences dommageables qui en ont résulté peuvent être réparées sur le fondement du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique dès lors que les conditions posées par cet article sont remplies.

4. En premier lieu, il résulte de l'instruction que M. A a présenté moins de 24 heures après une vaccination par Stamaril des troubles visuels accompagnés de fièvre, céphalées et paresthésies des membres inférieurs puis des névrites optiques récidivantes. L'expert désigné par la CCI Lorraine indique que malgré les bilans neurologiques effectués de manière répétée, aucune étiologie spécifique (sclérose en plaques, neuromyélite optique de Devic, infection, maladie inflammatoire ou auto-immune spécifique) n'a pu être retrouvée. Par ailleurs, M. A n'a pas d'antécédent médical hormis une hépatite B chronique traitée par Baraclude à partir de mars 2011. Si, lors du premier épisode de névrite optique, la responsabilité de l'hépatite B chronique a été évoquée, l'expert précise qu'hormis les cas rapportés après la vaccination contre l'hépatite B, aucune névrite optique n'a jamais été décrite dans le cadre d'une hépatite B. En revanche, des phénomènes inflammatoires touchant le système nerveux central ont été rapportés après des vaccinations de différente nature et une névrite optique bilatérale a été rapportée après une vaccination combinant fièvre jaune et hépatite A et B en 2001. Dans ces conditions et bien que la littérature médicale n'a décrit aucun cas identique après vaccination contre la fièvre jaune, les éléments précités constituent des présomptions suffisantes permettant de retenir l'existence d'un lien de causalité entre la vaccination et les dommages présentés par M. A.

5. En deuxième lieu, d'une part, si l'expert désigné par la CCI Lorraine a écarté un défaut d'information sur les conditions d'utilisation ou les risques du vaccin Stamaril, il ne prononce pas sur la question de la défectuosité intrinsèque du vaccin, en lien avec sa conception ou sa fabrication. Dans ces conditions et, compte tenu de ce qui a été dit au point 3, l'état du dossier ne permet pas au tribunal administratif de se prononcer en toute connaissance de cause sur l'éventuelle responsabilité de l'ONIAM. Il ne permet pas également d'évaluer l'ensemble des préjudices subis par M. A en l'absence notamment de consolidation de l'état de santé de celui-ci à la date de l'expertise diligentée par la CCI Lorraine.

6. D'autre part, alors même que le juge administratif ne serait pas compétent pour juger d'une action dirigée à l'encontre du producteur ou du fournisseur du vaccin, il peut être saisi de conclusions tendant à ce que l'expertise qui lui est demandée soit réalisée au contradictoire de ce dernier dès lors que les dommages d'une vaccination non susceptibles d'être réparées sur le fondement des articles L. 3111-9 ou L. 3131-4 du code de la santé publique peuvent l'être sur le fondement du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique si, notamment, la responsabilité du producteur ou du fournisseur du vaccin ne peut être recherchée au titre des produits défectueux devant le juge judiciaire. Par suite, l'exception d'incompétence opposée par la société Sanofi et la société Sanofi Pasteur doit être écartée.

7. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'ordonner une expertise, qui présente un caractère utile, au contradictoire de la société Sanofi et la société Sanofi Pasteur et de l'ONIAM, qui sera conduite aux fins et dans les conditions précisées aux articles 2 et 3 du présent jugement.

Sur la condamnation à une allocation provisionnelle :

8. L'existence d'un droit à réparation des préjudices de M. A par l'ONIAM présente, au jour du jugement, un caractère insuffisamment certain. Il y a lieu, par suite, de rejeter la demande de provision de M. A.

D E C I D E :

Article 1er :Avant dire droit sur la requête de M. A, il sera procédé à une expertise médicale.

Article 2 :L'expert sera désigné par le président du tribunal. Il accomplira sa mission au contradictoire de la société Sanofi et la société Sanofi Pasteur et de l'ONIAM dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-4 du code de justice administrative🏛🏛 et rendra son rapport dans le délai qui lui aura été fixé par le président.

Article 3 :L'expert aura pour mission :

1°) de se faire remettre tous documents nécessaires et notamment le dossier médical de M. A, d'entendre tous sachants ;

2°) de préciser si la conception ou la fabrication du vaccin Stamaril administré à M. A présente un caractère défectueux.

3°) de dire si le dommage enduré par M. A est anormal au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci ;

4°) de fixer la date de consolidation de son état de santé et si celle-ci n'est pas acquise, d'indiquer le délai à l'issue duquel un nouvel examen devra être réalisé ; de donner toutes informations sur une évolution probable ;

5°) d'évaluer, par référence à la nomenclature " Dintilhac ", les éventuels préjudices de M. A en lien exclusif avec la vaccination contre la fièvre jaune ;

6°) d'apporter au tribunal tous éléments utiles à la solution du litige dont il est saisi.

Article 4 :Le rapport d'expertise sera déposé au greffe en deux exemplaires et des copies en seront adressées aux parties par l'expert dans les conditions prévues par l'article R. 621-9 du code de justice administrative🏛, dans le délai qui sera fixé par le président du tribunal.

Article 5 :La demande d'allocation provisionnelle de M. A est rejetée.

Article 6 :Tous droits et moyens sur lesquels il n'est pas statué par la présente décision sont et demeurent réservés.

Article 7 :Le présent jugement sera notifié à M. C A, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, à Sanofi, à Sanofi-Aventis France, à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne.

Délibéré après l'audience du 30 mai 2023, à laquelle siégeaient :

M. Sogno, président,

Mme Bedelet, première conseillère,

Mme Holzem, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 juin 2023.

La rapporteure,

A. Bedelet

Le président,

C. Sogno

Le greffier,

P. Muller

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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