Jurisprudence : CAA Bordeaux, 2e, 23-03-2023, n° 21BX04358

CAA Bordeaux, 2e, 23-03-2023, n° 21BX04358

A59909K3

Référence

CAA Bordeaux, 2e, 23-03-2023, n° 21BX04358. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/94445644-caa-bordeaux-2e-23032023-n-21bx04358
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Références

Cour administrative d'appel de Bordeaux

N° 21BX04358

2ème chambre (formation à 3)
lecture du 23 mars 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B F a demandé au tribunal administratif de Poitiers

de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Poitiers à lui verser les sommes

de 15 000 et 40 000 euros en réparation des préjudices subis du fait des fautes commises lors de la prise en charge de son mari, Georges Youssef D, dans cet établissement.

Dans la même instance, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Vienne a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner le CHU de Poitiers à lui verser la somme de 8 645,56 euros en remboursement des débours qu'elle a engagés en faveur

de son assuré, outre les intérêts de droit, ainsi qu'une somme de 1 037 euros au titre

de l'indemnité forfaitaire de gestion.

A un jugement n° 1403167 du 22 novembre 2016, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté la demande de Mme F, ainsi que les conclusions de la CPAM de la Vienne et mis les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 1 300 euros,

à la charge définitive de Mme F.

Procédure devant la cour avant cassation :

A une requête et un mémoire, enregistrés le 22 janvier 2017 et le 1er octobre 2018, Mme F, représentée A Me Devers, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 22 novembre 2016 ;

2°) avant-dire droit, de condamner le CHU de Poitiers à produire sous astreinte le CD-Rom qui était en possession de son médecin conseil lors de la réunion d'expertise et d'ordonner une nouvelle expertise ;

3°) de condamner le CHU de Poitiers à lui verser la somme de 15 000 euros au titre du préjudice spécifique lié à la non-communication des pièces médicales et la somme de 40 000 euros au titre du préjudice moral résultant de la faute à l'origine du décès de Georges D le 28 janvier 2001 ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Poitiers une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Elle soutient que :

- l'absence de communication des documents d'imagerie médicale indispensables à la compréhension du dossier, qui sont disponibles sur CD-Rom, et la sollicitation A l'expert de l'avis d'un médecin spécialiste dont le nom n'a pas été communiqué aux parties méconnaissent le principe du contradictoire ;

- compte tenu des divergences entre le rapport d'expertise judiciaire et le rapport amiable du médecin conseil de Mme F, une nouvelle expertise apparaît nécessaire ;

- la prise en charge de son époux A le CHU de Poitiers, devenue erratique après l'embolisation du 18 janvier, la transfusion d'une masse de 21 concentrés globulaires qui a mécaniquement renforcé l'hématome qu'il présentait, un manque de décision et surtout l'absence de discussion sur un geste chirurgical et sur le diagnostic du syndrome du compartiment abdominal, qui constituait une urgence pouvant faire l'objet d'un acte chirurgical pour enrayer l'évolution fatale, sont constitutifs de fautes du CHU de Poitiers à l'origine du décès de Georges D et de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier.

A un mémoire en défense, enregistré le 21 septembre 2017, le centre hospitalier universitaire de Poitiers, représenté A Me Le Prado, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- il n'y a pas lieu d'ordonner une nouvelle expertise médicale qui n'aurait pas

de caractère utile à la solution du litige ;

- aucune faute en lien avec le décès de Georges D ne peut être reprochée

aux praticiens du CHU de Poitiers ;

- à titre subsidiaire, Mme F n'est pas fondée à obtenir réparation d'un " préjudice spécifique lié à la dissimulation de la vérité, des atermoiements et manuvres pour ne pas communiquer les pièces " dès lors que de tels griefs ne ressortent pas des pièces du dossier ; en outre, l'indemnité de 10 000 euros réclamée au titre du préjudice moral lié au décès de Georges D est excessive.

A deux mémoires, enregistrés les 6 avril et 29 septembre 2017, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales a informé la cour de ce qu'il ne participera pas aux débats, compte tenu de la date du fait générateur à l'origine du dommage allégué, qui trouve son origine dans des soins pratiqués avant le 5 septembre 2001.

A un mémoire, enregistré le 19 mai 2017, la caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne, représentée A Me Gagnère, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1403167 du 22 novembre 2016 ;

2°) de condamner le CHU de Poitiers à lui verser la somme de 8 645,56 euros en remboursement des prestations servies en faveur de son assuré, avec intérêts de droit à compter du jugement ;

3°) de condamner le CHU de Poitiers à lui verser la somme de 1 047 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;

4°) de mettre à la charge du CHU de Poitiers la somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens de l'instance.

A une décision n°430492 du 30 novembre 2021, le Conseil d'Etat⚖️ a cassé l'arrêt n°17BX00222 du 5 mars 2019 rejetant l'appel de Mme F et renvoyé l'affaire devant la cour, où elle porte désormais le n°21BX04358.

Procédure devant la cour après cassation :

A des mémoires, enregistrés les 14 janvier 2022, 25 janvier 2022, 7 avril 2022

et 3 juin 2022, Mme F, représentée A Me Arcadio, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif du 22 novembre 2016 ;

2°) d'ordonner avant dire droit une nouvelle expertise ;

3°) de condamner le CHU de Poitiers à lui verser les sommes de 40 000 euros au titre du préjudice moral et 15 000 euros au titre du préjudice spécifique résultant des difficultés à obtenir les pièces médicales ;

4°) de mettre à la charge du CHU de Poitiers la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- il est nécessaire avant dire droit d'ordonner une nouvelle expertise pour se prononcer sur la pertinence du choix de la technique de la ponction biopsie rénale A voie percutanée, compte tenu de l'état du patient, sur le choix du traitement de l'hémorragie consécutive à cette biopsie, A embolisation plutôt que A néphrectomie d'hémostase, et sur l'hypothèse d'un syndrome compartimental abdominal ; l'expert ou le collège d'experts devra être choisi en dehors du CHU de Limoges, auquel sont également rattachés les experts de Tours et de Poitiers ;

- selon le néphrologue de Lyon qu'elle a consulté, si la voie transcutanée pour la ponction était légitime, la décision était, au moment où elle a été prise, inadaptée à l'état du patient, qui n'était pas stabilisé ; aucun argument clinique ou biologique n'est venu étayer le diagnostic d'embolie pulmonaire et justifier la prise en continu d'un anti-coagulant ; l'hémorragie a persisté malgré l'embolisation ; un syndrome de compartiment abdominal a pu participer aux perturbations hémodynamiques ; l'ensemble de ces points devra être abordé A la nouvelle expertise ;

- cet avis est confirmé sur de nombreux aspects A le second avis sollicité auprès d'un néphrologue de Marseille, notamment le moment de réalisation de la biopsie qui n'était pas optimal et le maintien non justifié d'une anticoagulation ; ce médecin estime qu'une nouvelle procédure chirurgicale aurait dû être envisagée eu égard à l'hématome rénal gauche volumineux et qu'une chance de survie a ainsi été perdue ; selon lui, la cause du décès A défaillance multi-viscérale pose également question, alors qu'elle pourrait résider dans un syndrome du compartiment abdominal ; si un geste chirurgical n'aurait pas nécessairement sauvé le patient, il aurait pu lui offrir des chances de guérison et de survie.

A un mémoire, enregistré le 7 février 2022, la CPAM de la Charente-Maritime, représentée A Me Gagnère, conclut à ce que le CHU de Poitiers soit condamné à lui verser la somme de 8 645,56 euros en remboursement des prestations servies à son assuré et la somme de 1 047 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

A un mémoire enregistré le 15 février 2022, l'ONIAM confirme qu'il n'entend pas intervenir dans la présente instance eu égard à la date du fait générateur du dommage.

A des mémoires en défense, enregistrés les 2 mars 2022 et 18 mai 2022, le CHU de Poitiers, représenté A le cabinet Le Prado - Gilbert, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- en dépit de son irrégularité, l'expertise ordonnée A le juge des référés constitue un élément d'information corroboré A d'autres éléments, notamment la littérature médicale, les comptes rendus d'examens et le dossier médical ;

- l'hémorragie survenue après la biopsie ne se rattache à aucun manquement des praticiens et son traitement était adapté à l'état du patient et des symptômes qu'il présentait ; les risques opératoires significatifs de la néphrectomie d'hémostase, qui a été évoquée A les praticiens, sont corroborés A la littérature médicale ; contrairement à ce qu'il est soutenu, les transfusions ne témoignaient pas d'une reprise de l'hémorragie, elles pouvaient être la conséquence du trouble hématologique secondaire à l'insuffisance rénale ;

- l'avis du médecin réanimateur consulté A Mme F ne remet pas en cause les conclusions du rapport d'expertise ; son auteur ne dispose pas du même degré de spécialité que l'expert désigné A le juge ;

- il en est de même de l'avis sollicité auprès d'un néphrologue lyonnais qui n'a pas été rendu au contradictoire du centre hospitalier ; en outre, il ne retient aucune faute imputable au centre hospitalier et, s'il n'exclut pas le syndrome de compartiment abdominal, il relève qu'aucun geste chirurgical n'aurait été possible.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. E C,

- les conclusions de Mme Kolia Gallier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Deyres, représentant Mme F, et celles

de Me Gagnère, représentant la CPAM de la Charente-Maritime.

Considérant ce qui suit :

1. L'époux de Mme F, M. D, alors âgé de 39 ans, a présenté, à la fin du mois de décembre 2000, une dyspnée d'effort associée à une toux grasse et une hématurie. Un diagnostic de bronchite aigüe a été posé et un traitement à base d'antibiotiques et de corticoïdes lui a été prescrit. En raison de l'aggravation de sa dyspnée et de l'hypertension artérielle, il a été hospitalisé, le 16 janvier 2001, dans l'unité de soins intensifs de cardiologie du CHU de Poitiers. Les examens pratiqués ont permis la découverte d'un dème aigu du poumon, d'une insuffisance rénale majeure et d'une urémie associée à une anémie sévère. Une ventilation A masque, associée à un traitement diurétique,

anti-hypertenseur et comportant des dérivés nitrés, ont été mis en place, et M. D a été transféré dans le service de réanimation où le traitement a été poursuivi avec une oxygénothérapie, une antibiothérapie, une transfusion de deux culots globulaires et la prescription d'une hémodialyse. Le 18 janvier 2001, il a été procédé, après la dialyse, à une biopsie rénale A voie percutanée, qui a conclu à " un rein d'insuffisance rénale avancée préterminale ". Le 19 janvier, une déglobulisation importante a été observée et les examens d'imagerie pratiqués ont permis de constater un hématome non collecté de la loge rénale gauche. Alors qu'il avait été transféré au service de néphrologie, M. D a ressenti, dans

la nuit du 20 au 21 janvier, une douleur aigüe au flanc gauche, avec hypotension artérielle qui a conduit à le transférer à nouveau au service de réanimation. Une échographie abdominale a montré l'existence d'un volumineux hématome rétro-péritonéal. En raison d'une instabilité hémodynamique, une intubation avec ventilation artificielle et sédation a été nécessaire. A la suite d'une hémorragie, une embolisation A voie artérielle a été pratiquée en urgence. Les jours suivants, son état s'est stabilisé, rendant possibles l'extubation, ainsi que la réalisation d'une dialyse les 22 et 23 janvier. Toutefois, le 25 janvier, un nouvel dème aigu du poumon est apparu en cours de dialyse, nécessitant une réintubation. La survenue d'un arrêt cardiaque le 26 janvier 2001 a justifié un massage cardiaque d'un quart d'heure et un remplissage avec transfusion de trois culots globulaires. Une échographie abdominale a montré un volumineux épanchement péri-splénique avec un hématome collecté dans le flanc gauche. M. D est décédé le 28 janvier 2001 d'une défaillance multi-viscérale.

2. Mme F a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers afin que soit réalisée une expertise. Le rapport remis le 25 novembre 2015 conclut à l'absence de faute dans la prise en charge de M. D. Au vu de ce rapport, le tribunal a, A jugement du 22 novembre 2016, rejeté la demande de Mme F de condamner le CHU de Poitiers à réparer les préjudices subis. Mme F a relevé appel de ce jugement. A arrêt du 5 mars 2019, la cour a rejeté son appel, ainsi que les conclusions présentées A la CPAM de la Vienne tendant au remboursement des débours exposés pour son assuré social. Saisi d'un pourvoi A Mme F, le Conseil d'Etat, A une décision du 30 novembre 2021, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la cour.

3. La responsabilité d'un établissement hospitalier peut être engagée A toute faute commise dans l'organisation ou le fonctionnement du service.

4. Il résulte de l'instruction que, pour conclure à l'absence de faute dans la prise en charge de M. D, qu'il a estimée conforme aux données acquises de la science et adaptée à l'état du patient, l'expert désigné A le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers s'est fondé de manière déterminante sur des clichés d'imagerie médicale qui ne faisaient pas partie du dossier médical remis à Mme F, et dont elle n'a pas eu communication. A suite, ce rapport d'expertise a été établi dans des conditions irrégulières.

5. Le respect du caractère contradictoire de la procédure d'expertise implique que les parties soient mises à même de discuter devant l'expert des éléments de nature à exercer une influence sur la réponse aux questions posées A la juridiction saisie du litige. Lorsqu'une expertise est entachée d'une méconnaissance de ce principe ou lorsqu'elle a été ordonnée dans le cadre d'un litige distinct, ses éléments peuvent néanmoins, s'ils sont soumis au débat contradictoire en cours d'instance, être régulièrement pris en compte A le juge, soit lorsqu'ils ont le caractère d'éléments de pur fait non contestés A les parties, soit à titre d'éléments d'information dès lors qu'ils sont corroborés A d'autres éléments du dossier.

Sur la réalisation de la biopsie rénale A voie percutanée :

6. Il résulte de l'instruction, et notamment de l'expertise du 25 novembre 2015 et des avis médicaux recueillis A Mme F, que la ponction biopsie rénale était nécessaire pour faire le diagnostic anatomopathologique des lésions rénales responsables de l'insuffisance rénale et déterminer si celle-ci était réversible et accessible à une thérapeutique, et qu'une telle ponction est assez souvent, dans 60 % des cas, à l'origine d'hématomes

péri-rénaux. Il résulte également de ces mêmes documents médicaux que le choix de réaliser cette ponction biopsie rénale sous échographie A voie percutanée était justifié A le fait qu'il s'agit de la voie la plus habituelle, et que les autres techniques, A voie chirurgicale ou A voie trans-jugulaire, comportent des risques similaires, notamment d'hémorragie.

7. En revanche, si l'expert a conclu qu'il n'existait pas de contre-indication à cette ponction lors de sa réalisation, les médecins néphrologues consultés A Mme F les 29 mars et 31 mai 2022 ont tous deux estimé que la ponction biopsie rénale (PBR) aurait dû être décalée dans le temps en raison, d'une part, de l'absence d'urgence à la réaliser et, d'autre part, de la sévérité du tableau clinique de M. D le 18 janvier 2001, qui présentait trois facteurs de risques de saignement, une anémie, un trouble de l'hémostase primaire liée à l'insuffisance rénale sévère, et un trouble de l'hémostase secondaire lié au traitement anticoagulant prescrit au cours de la séance de dialyse qui avait précédé. Les pièces contradictoires du dossier ne permettent ainsi pas de déterminer si une faute a été commise dans le choix du moment pour réaliser la biopsie.

Sur le maintien d'un traitement anticoagulant postérieurement au 18 janvier 2001 :

8. Il résulte de l'instruction que du 18 janvier 2001 jusqu'à son décès, M. D a été transfusé de vingt-et-un culots globulaires, soit l'équivalent de plusieurs fois sa masse sanguine, et que, dans le même temps, il a reçu en continu un traitement anticoagulant, durant les séances d'hémodialyse mais également dans l'intervalle, en raison d'un soupçon d'embolie pulmonaire que, selon l'expert de Lyon consulté A Mme F, aucun élément clinique ou biologique ne venait confirmer. Selon le médecin néphrologue des hôpitaux de Marseille qu'elle a consulté le 31 mai 2022, cette anticoagulation paraît tout à fait inadaptée pour un patient qui saigne de façon continue à la suite de la biopsie, ce dont l'équipe médicale ne pouvait qu'avoir conscience, eu égard à la nécessité de le transfuser quotidiennement, aux éléments cliniques et aux résultats des scanners démontrant la présence d'un hématome majeur. Selon ce médecin, l'anémie dont le patient souffrait ne pouvait s'expliquer A l'insuffisance rénale compte tenu des transfusions massives, mais bien A le saignement causé A la biopsie. La nécessité de maintenir une anticoagulation pendant plusieurs jours n'a pas été examinée A l'expert désigné A le tribunal, de sorte que les pièces du dossier ne permettent pas de déterminer si cette décision revêt un caractère fautif.

Sur l'embolisation et de ses suites :

9. L'expertise et les avis médicaux du dossier s'accordent pour retenir qu'aucune faute ne peut être reprochée à l'hôpital s'agissant de la réalisation de l'embolisation, qui a été faite dans les règles de l'art. Il résulte de l'instruction que, si celle-ci s'est avérée incomplète, ce dont témoigne une petite extravasation du produit de contraste, il n'était pas possible, compte tenu des circonstances, de mieux faire.

10. En revanche, les deux médecins néphrologues consultés A Mme F estiment qu'un nouvel angioscanner aurait pu être effectué pour vérifier la bonne réalisation de l'embolisation et pour s'interroger sur une éventuelle nouvelle intervention d'embolisation si avait été constaté un saignement toujours actif. Le médecin consulté le 31 mai 2022 estime que cette absence a pu entraîner une perte de chance de sauver le patient. Les pièces du dossier ne permettent pas de déterminer l'existence et l'ampleur de la chance perdue.

Sur l'absence de réalisation d'une néphrectomie d'hémostase :

11. Il résulte de l'instruction que l'éventualité de pratiquer une néphrectomie d'hémostase a été discutée A les différents médecins intervenus dans la prise en charge de M. D, et a été écartée en raison de la difficulté de réaliser un tel geste, dans des conditions d'hémorragie sévère et du fait qu'elle est affectée d'un risque important de mortalité. Dans ces conditions, il ne peut être reproché de faute au CHU à ne pas l'avoir pratiquée.

Sur l'hypothèse d'un syndrome du compartiment abdominal :

12. Les trois médecins consultés A Mme F ont émis l'hypothèse que la défaillance multi-viscérale ayant causé le décès de M. D, attestée A une acidose lactique sévère, pouvait trouver sa cause dans un syndrome du compartiment abdominal, lequel se caractérise A une augmentation persistante et soutenue de la pression intraabdominale entraînant une altération des fonctions cardiovasculaire, respiratoire, digestive, rénale et cérébrale. Ils estiment que le fait de ne pas avoir envisagé une éventuelle lombotomie ou laparotomie de décompression afin d'améliorer la perfusion de tous les organes pourrait constituer un manquement dans la prise en charge de M. D. Une telle cause à la défaillance multi-viscérale n'a pas été examinée A l'expert judiciaire. Les pièces du dossier ne permettent donc pas de déterminer si un tel diagnostic pouvait être posé, si une intervention pouvait être réalisée, et si l'absence d'un tel acte a amené M. D à perdre une chance de survie.

13. Le dossier ne permet pas d'apprécier si une faute médicale a été commise lors de la prise en charge de M. D au CHU de Poitiers. A suite, il y a lieu d'ordonner une expertise aux fins et dans les conditions prévues A le dispositif du présent arrêt.

DECIDE :

Article 1er : Avant de statuer sur la demande indemnitaire de Mme F, il sera procédé à une expertise médicale contradictoire relative à la prise en charge de M. D au CHU de Poitiers, en présence de Mme F, du CHU de Poitiers et de la CPAM de la Charente-Maritime.

Article 2 : L'expert aura pour mission de :

1°) se faire communiquer A le CHU de Poitiers tout document relatif à la prise en charge de M. D et aux conditions de son décès, et de prendre connaissance de l'expertise judiciaire du 25 novembre 2015 et des avis recueillis A Mme F auprès de différents spécialistes et datés des 15 décembre 2015, 29 mars 2022 et 31 mai 2022 ;

2°) décrire l'état de santé de M. D lors de son admission au CHU, les soins, interventions et traitements reçus jusqu'à son décès ;

3°) dire si la ponction biopsie rénale réalisée le 18 janvier 2001 était urgente, si elle était compatible avec l'état de santé du patient ou si elle aurait dû être reportée ;

4°) dire si le maintien d'une anticoagulation permanente pour la période postérieure

au 18 janvier 2001 était justifié A l'état de santé du patient et notamment A une éventuelle embolie pulmonaire ; le cas échéant, si les hémodialyses auraient pu être réalisées sans recourir aux traitements anticoagulants tels que ceux prescrits à M. D ;

5°) dire si les signes cliniques auraient nécessité un nouvel angioscanner pour vérifier le succès de l'embolisation et si une nouvelle intervention aurait pu avoir lieu pour remédier au saignement persistant ; le cas échéant, préciser la nature de cette intervention et si le patient a perdu une chance de survie ; dans une telle hypothèse, indiquer le taux de perte de chance ;

6°) dire si le syndrome du compartiment abdominal aurait dû être envisagé et si une technique de décompression aurait pu être pratiquée ; le cas échéant, indiquer si l'absence de réalisation d'une telle intervention a fait perdre une chance au patient de survivre et dans quelle proportion ;

7°) préciser le cas échéant, en tenant compte des pathologies préexistantes, l'importance de la chance perdue A M. D de survivre en lien avec les éventuels manquements retenus ;

8°) apporter à la cour tout autre élément d'information qu'il estimera utile pour l'appréciation de la conformité des soins aux règles de l'art et aux bonnes pratiques médicales au moment de la prise en charge de M. D.

Article 3 : Pour l'accomplissement de sa mission, l'expert pourra se faire remettre, en application de l'article R. 621-7-1 du code de justice administrative🏛, tous documents utiles, et notamment tous ceux relatifs aux examens et soins pratiqués sur l'intéressé.

Article 4 : L'expert sera désigné A le président de la cour. Après avoir prêté serment, il accomplira sa mission dans les conditions prévues A les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative🏛🏛.

Article 5 : Conformément aux dispositions du premier alinéa de l'article R. 621-9 du code de justice administrative🏛, l'expert déposera son rapport au greffe sous forme dématérialisée dans le délai fixé A le président de la cour dans la décision le désignant. Il en notifiera une copie à chacune des parties intéressées. Avec l'accord de ces dernières, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique.

Article 6 : Tous droits et moyens de la requête sur lesquels il n'a pas été expressément statué sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B F, au centre hospitalier universitaire de Poitiers et à la CPAM de la Charente-Maritime. Copie en sera adressée à l'ONIAM.

Délibéré après l'audience du 28 février 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public A mise à disposition au greffe, le 23 mars 2023.

Le rapporteur,

Olivier C

La présidente,

Catherine Girault

Le greffier,

Fabrice Benoit

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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