MOTIFS
Madame [V] ayant été admise dans la résidence des Bords de Seine le 12 juin 2012, seules sont applicables en l'espèce les dispositions du code civil en sa version antérieure au 1er octobre 2016, date d'entrée en vigueur de l'
ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016🏛 portant réforme du droit des obligations.
Sur la recevabilité de la sommation interpellative de la société ORPEA
Madame [V] soulève in limine litis l'irrecevabilité de la sommation interpellative qui lui a été délivrée à la requête de la société ORPEA le 3 septembre 2020, se prévalant de la déloyauté des man'uvres diligentées pour obtenir un tel acte de preuve, de la violation par l'huissier de ses règles de déontologie et de l'impossibilité pour l'infirmière qui a répondu à l'huissier, tenue au secret médical, d'évoquer son état de santé. Elle demande en conséquence que cette pièce soit écartée des débats.
La société ORPEA expose que cette sommation interpellative lui a permis de mettre en lumière la gestion de la totalité des affaires de Madame [V] par sa fille Madame [L] et, sur cette base, de solliciter la mise en cause de cette dernière dans le cadre de la présente instance. Elle soutient ne pas avoir violé le secret médical par cette sommation, qui n'a selon elle pas à être écartée des débats.
Madame [L] s'associe aux développements de sa mère concernant la violation du secret médical, le caractère intrusif de la sommation et la nécessité d'écarter cette pièce des débats.
Sur ce,
Il résulte ensemble de l'
article 9 du code de procédure civile🏛, qui dispose qu'il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention, et de l'article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, qui pose le droit de toute personne à un procès équitable, que la preuve doit être obtenue selon des moyens légaux et loyaux.
En suite du jugement dont appel, la société ORPEA a par conclusions du 9 mars 2020, demandé au conseiller de la mise en état, notamment, de constater le refus par Madame [Ac] de produire le mandat ad litem de son conseil, de lui ordonner de communiquer ce mandat sous astreinte et d'ordonner la comparution personnelle de l'intéressée - alors âgée de 90 ans, aveugle, sourde et ne pouvant se déplacer seule - aux fins d'audition. Le conseiller de la mise en état a par ordonnance du 24 juin 2020 estimé que les pièces ainsi sollicitées, la comparution de Madame [V] et son audition n'apparaissaient pas utiles à la solution du litige et a débouté la société ORPEA de ses demandes.
Malgré le rejet de ses prétentions par un magistrat, la société ORPEA a par acte du 3 septembre 2020 tenté de délivrer à Madame [Ac] une sommation interpellative aux fins de voir celle-ci justifier du mandat donné à son conseil pour la représenter en justice dans le cadre de la présente instance (en vue notamment d'annuler son contrat de séjour) et de se voir renseignée sur son contrôle et la validation des écritures de ce conseil et sur l'approbation de l'action aux fins de nullité du contrat de séjour.
Cette sommation interpellative, qu'aucune disposition du code de procédure civile ne prévoit, apparaît dans ce contexte caractériser une man'uvre déloyale d'obtention d'une preuve.
L'huissier de justice, officier ministériel assermenté, a le 3 septembre 2020 accepté de porter la sommation à Madame [V] dans sa nouvelle maison de retraite, à la demande du gérant de son ancienne maison de retraite, au cours de la crise sanitaire particulièrement difficile pour les personnes âgées hébergées. Il n'a pu rencontrer l'intéressée et rapporte les propos de Madame [B] [K], infirmière coordinatrice, qui lui a confirmé la présence de la résidente dans l'établissement, dans une unité protégée "pour les patients souffrant de symptômes « Alzheimer »". Si l'infirmière n'a pas affirmé que Madame [V] était atteinte d'un tel symptôme, elle a précisé qu'elle ne disposait "pas de toutes ses capacités cognitives", qu'elle ne pouvait en en conséquence pas autoriser l'huissier à la rencontrer, ajoutant qu'"en tout état de cause, elle serait incapable de répondre à [ses] questions". Ces informations ne constituent pas de "simples renseignements abstraits de portée générale" ou encore des "observations banales et sommaires", ainsi que le soutient la société ORPEA en caractères gras dans ses écritures, mais bien des informations à caractère médical concernant nommément Madame [V], venues à la connaissance de l'infirmière du fait de ses fonctions dans la maison de retraite, correspondant aux informations couvertes par le secret médical en application de l'
article L1110-4 I alinéa 2 du code de la santé publique🏛, cité par la société ORPEA elle-même. L'infirmière est ainsi allée au-delà de ce que lui imposait le secret médical auquel elle était tenue.
L'infirmière a enfin invité l'huissier de justice à contacter la fille de Madame [V], Madame [W] [V]-[L], nommée, qui selon elle gérait "la totalité des affaires de sa mère", donnant ainsi une information personnelle à une personne dont elle indique n'avoir pas été informée de l'identité et de la fonction exactes. La société ORPEA, en suite de cette affirmation, a par acte du 21 juin 2021 assigné Madame [Aa], fille de Madame [R] [V], en intervention forcée devant la Cour.
Dans une attestation ultérieure du 27 septembre 2020, non accompagnée de la copie de la carte d'identité de son auteur en méconnaissance de l'
article 202 du code civil🏛, mais rédigée sous l'en-tête de la Maison de la Famille - Villa Concorde, et qu'aucun élément du dossier ni la société ORPEA ne remettent en cause, Madame [K], infirmière coordinatrice bien identifiable, précise que la personne qui s'est présentée les 2 puis 3 septembre 2020 aux fins de rencontrer Madame [V] ne lui a pas décliné sa qualité d'huissier de justice, lui a déclaré avoir un rendez-vous avec l'intéressée dont la famille était informée, lui a précisé qu'elle venait "évaluer" son état de santé et ne lui a pas demandé si elle était habilitée à recevoir le document qu'elle lui remettait alors. Ce témoignage fait porter un doute sur le respect par l'huissier de justice des règles de déontologie applicables à sa profession (étant notamment rappelé qu'il est officier ministériel, doit se présenter ainsi dans le cadre de ses fonctions et qu'il n'a aucune compétence médicale) et plus encore sur la loyauté de la procédure mise en place pour l'obtention d'une preuve.
La sommation interpellative du 3 septembre 2020, contenant des informations médicales obtenues de manière déloyale, sera par voie de conséquence écartée des débats.
Sur la prescription de l'action en nullité du contrat de séjour
Les premiers juges n'ont été saisis d'aucune fin de non-recevoir.
La société ORPEA soulève devant la Cour la prescription de l'action en nullité du contrat de séjour de Madame [V], rappelant que cette fin de non-recevoir peut être soulevée en tout état de cause. Elle constate que l'intéressée a évoqué la nullité de son contrat de séjour non par voie d'exception, mais par voie d'action, et estime en conséquence que cette action obéit au régime de la prescription quinquennale de l'
article 2224 du code civil🏛. Or, en l'absence de dol ou d'erreur (et notamment de dissimulation d'information lors de la remise du contrat de séjour le 12 juin 2012), alors que ce contrat a été accepté et exécuté par le paiement du prix du séjour, et en l'absence d'une impossibilité d'ester en justice, Madame [V] disposait d'un délai pour agir en nullité du contrat jusqu'au 12 juin 2017, délai expiré lorsqu'elle a reçu son assignation à comparaître devant le tribunal de grande instance le 16 octobre 2017 et a présenté sa demande en nullité par voie reconventionnelle.
Madame [V] soutient qu'elle a formé sa demande en nullité du contrat de séjour non par voie d'action, mais par voie d'exception pour s'opposer aux demandes en paiement de la société ORPEA, de sorte qu'aucune prescription ne peut lui être opposée. Elle expose ensuite n'avoir pas eu connaissance de l'existence du contrat litigieux avant d'être assignée en paiement devant le tribunal, par acte du 16 octobre 2017, seule date à partir de laquelle le délai de prescription a pu courir. Elle fait ensuite valoir une impossibilité d'agir pendant son séjour, alors qu'elle se trouvait en état de dépendance totale vis-à-vis de la société ORPEA et dans l'impossibilité de contacter un avocat, situation équivalant à un cas de force majeure. Elle ajoute que la prescription n'a pu commencer à courir, au plus tôt, qu'à compter du 26 juin 2017, date de son départ de la maison de retraite. Elle rappelle enfin que la prestation de service d'hébergement des personnes âgées dépendantes est soumise à des règles protectrices en droit de la consommation français et européen écartant toute loi ou règlement l'empêchant, en sa qualité de consommatrice, d'exercer ses droits et, partant, écartant toute prescription contre son action en nullité d'un contrat de séjour non signé.
Sur ce,
L'irrecevabilité est une fin de non-recevoir qui sanctionne, sans examen au fond, un défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée (
article 122 du code de procédure civile🏛). Elle peut être proposée en tout état de cause (
article 123 du même code🏛).
Une exception de nullité ne peut être soulevée qu'afin de faire échec à la demande d'exécution d'un acte non encore exécuté, règle consacrée par l'
article 1185 du code civil🏛 issu de l'
ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016🏛 portant réforme du droit des obligations, qui dispose que l'exception de nullité ne se prescrit pas si elle se rapporte à un contrat qui n'a reçu aucune exécution. Ainsi, alors qu'elle a, à compter du 12 juin 2012, séjourné dans la résidence des Bords-de-Seine, a accepté le prix du séjour et s'est acquittée de la première facture puis des factures mensuelles subséquentes émises par la société ORPEA, Madame [V] ne peut plus soulever d'exception de nullité au titre du contrat au moins partiellement exécuté.
La nullité soulevée par Madame [Ac] tend en outre non seulement au rejet des prétentions de la maison de retraite (comme moyen de défense), mais également à la restitution des sommes réglées en exécution du contrat, dans le cadre d'une demande reconventionnelle distincte de la demande en paiement présentée contre elle, de sorte qu'elle ressort non d'une simple exception de nullité, perpétuelle, mais d'une action en nullité, soumise à prescription.
Or les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant de l'exercer (
article 2224 du code civil🏛).
Madame [Ac], alors assistée de sa fille Madame [Aa], a été admise dans la résidence des Bords de Seine le 12 juin 2012, et savait à cette date qu'elle n'avait pas signé de contrat de séjour, connaissant ainsi à ce moment le fait lui permettant d'exercer son action en nullité. Elle ne peut affirmer n'avoir appris l'existence du contrat de séjour litigieux qu'à l'occasion de l'action judiciaire en paiement engagée à son encontre par la société ORPEA, à la réception de l'acte d'assignation de l'huissier le 16 octobre 2017, alors que son séjour et le paiement des factures émises par la maison de retraite relevaient de l'exécution même de ce contrat.
La société ORPEA affirme qu'il n'y a eu ni dol, ni erreur, ni violence au moment de la conclusion du contrat, et qu'ainsi la résidente ne peut se prévaloir des dispositions de l'
article 1144 du code civil🏛, qui énonce que le délai de l'action en nullité ne court, en cas d'erreur ou de dol, que du jour où ils ont été découverts et, en cas de violence, que du jour où elle a cessé. Mais Madame [V] n'évoque ni dol, ni erreur ni violence au moment de son admission à la maison de retraite et ne se prévaut pas de ces dispositions retardant le point de départ de la prescription de son action.
Le point de départ de la prescription de l'action de Madame [V] en nullité de son contrat de séjour se situe donc à la date de son admission dans la résidence des Bords de Seine, le 12 juin 2012.
Cependant, la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure (
article 2234 du code civil🏛).
Madame [V] ne justifie certes, au moment de son admission dans la résidence des Bords de Seine, d'aucune convention particulière l'empêchant d'agir et d'aucun empêchement légal de ce faire. Elle ne bénéficiait, à cette époque, d'aucune mesure de protection (sauvegarde de justice, curatelle ou tutelle) et était lors de cette admission assistée de sa fille, qui ne fait pas non plus l'objet d'une mesure de protection.
Mais Madame [Ac] a été admise à la résidence des Bords de Seine le 12 juin 2012, alors qu'elle était âgée de 82 ans, aveugle, quasiment sourde et dans une situation de grande dépendance, sans aucune autonomie concernant les gestes de la vie quotidienne. La société ORPEA a nécessairement eu connaissance de la situation justifiant l'admission de l'intéressée dans l'EHPAD, sauf à retenir qu'elle n'a pas évalué la situation de celle-ci afin de prévoir des conditions de séjour adaptées. Madame [V] dépendait totalement de la maison de retraite et de son personnel pour l'ensemble de ses actes, déplacements, repas, hygiène, jour et nuit et tous les jours.
Particulièrement vulnérable et se trouvant dans un état de dépendance physique totale et continu, sur lequel elle n'avait aucune prise et qui ne dépendait pas de sa propre volonté, Madame [V] était dans l'impossibilité d'agir à l'encontre de la société ORPEA aux fins de voir constater la nullité de son contrat de séjour, impossibilité non seulement physique et matérielle, mais également psychologique dès lors qu'elle pouvait craindre, même à tort, qu'une action quelconque de sa part pouvait entraîner une action en réponse de la part de la maison de retraite qui l'aurait placée dans une situation particulièrement difficile.
Une telle impossibilité constitue un cas de force majeure qui a suspendu le cours de la prescription de l'action de Madame [V] en nullité du contrat.
Madame [V] a recouvré la possibilité d'agir en nullité de son contrat de séjour, à l'encontre de la société ORPEA, le 26 juin 2017, date à laquelle elle a quitté la résidence des Bords de Seine pour un autre établissement et à laquelle le cours de la prescription, en fait suspendu depuis son point de départ le 12 juin 2012, a recommencé à courir pour cinq années en conséquence entières.
Présentant son action en nullité du contrat devant les premiers juges dès ses premières conclusions et au plus tard dans ses dernières conclusions n°2 signifiées le 9 novembre 2018, Madame [V] a régulièrement interrompu le cours de la prescription quinquennale.
Son action en nullité est par voie de conséquence recevable et sera examinée au fond.
Sur la validité du contrat de séjour de Madame [V]
Les premiers juges ont estimé que les dispositions de l'
article L342-1 du code de l'action sociale et des familles🏛 prévoyant la signature d'un contrat écrit pour le séjour en établissement pour personnes âgées étaient d'ordre public, de sorte que le contrat de séjour de Madame [V], qui n'a été signé ni par elle-même ni par sa fille, est nul, le paiement des factures émises ne valant pas renonciation à se prévaloir de ladite nullité. Le contrat étant à exécution successive, la société ORPEA a été condamnée à restitution des sommes versées par Madame [V] (soit 447.049,63 euros), sommes devant être compensées avec la restitution en valeur par la résidente des prestations fournies (calculée, hors marge bénéficiaire, selon l'indicatif de rendement EBITDA - Earnings Before Interests, Taxes, Depreciation and Amortization - de 14% en 2017, soit un taux de restitution de 447.049,63 X 86% = 384.459,80 euros, avec une erreur de trois euros du tribunal), condamnant en conséquence la société ORPEA à restituer la somme de 447.049,63 - 384.459,80 = 62.589,83 euros à MaAcame [V].
La société ORPEA reproche aux premiers juges d'avoir ainsi statué, rappelant qu'il n'existe "pas de nullité sans texte" et faisant valoir la validité du contrat de séjour de Madame [V]. Elle rappelle le contexte de la conclusion du contrat, affirmant que la fille de la résidente, Madame [L], a agi en qualité de mandataire de sa mère et a refusé la signature du contrat sur place le jour de son admission, ainsi qu'en atteste Madame [Ad] [I] directrice de la résidence. Elle ajoute que le contrat ne lui a jamais été restitué signé, malgré de multiples relances orales et écrites qui se sont heurtées à la mauvaise volonté de Madame [Aa]. Elle affirme ensuite qu'aucune disposition générale ni aucune disposition spéciale du code de l'action sociale et des familles ne prévoit la sanction de la nullité au titre d'un contrat de séjour non signé (mais seulement des sanctions administratives relevant d'autorités administratives), soutenant l'absence de violation de sa part de l'
article L342-1 du code de l'action sociale et des familles🏛, du décret n°2004-1274 du 26 novembre 200 4 relatif au contrat de séjour ou document individuel de prise en charge, de l'
article 6 du code civil🏛 interdisant la dérogation aux lois d'ordre public ou aux bonnes m'urs. Selon la société ORPEA, le consentement de Madame [V] lors de la conclusion du contrat n'a pas été vicié, l'intéressée avait la capacité juridique de conclure, le contrat avait un objet et une cause légitimes et a été pleinement accepté et exécuté sans la moindre réserve.
Madame [V] soutient de son côté que le contrat de séjour lui a été dissimulé. Elle rappelle qu'aucun contrat de séjour n'a jamais été signé, malgré le caractère obligatoire de la signature préalable d'un tel contrat, écrit, en vertu du code de l'action sociale et des familles et notamment de son article L342-1, et affirme ainsi que la société ORPEA s'est rendue "coupable" d'une infraction réprimée d'une amende administrative en l'hébergeant sans contrat écrit ni signé, méconnaissant également les dispositions de l'
article 6 du code civil🏛. Le contrat est donc, selon elle, nul. Elle conteste les termes de l'attestation de Madame [I] versée aux débats par la société ORPEA et affirme qu'aucun rappel pour signer le contrat ne lui a été adressé. Madame [V] sollicite, en conséquence de la nullité de son contrat de séjour, la restitution des sommes versées au titre de celui-ci (soit 447.049,63 euros). Elle fait subsidiairement valoir l'inexécution par la société ORPEA de ses obligations et demande la résolution du contrat et la restitution des sommes à hauteur de la prestation effectivement dépensée pour son hébergement par ORPEA (soit 312.934,74 euros correspondant à 70% des sommes versées), ou plus subsidiairement l'application du taux EBITDAR (Earnings Before Interest, Taxes, Depreciation, Amortization and Rent, qui déduit du chiffre d'affaires net les charges d'exploitation, mais ne prend pas en compte les charges financières et fiscales, la dépréciation du stock et des immobilisations, les amortissements et les divers loyers, soit une restitution de 169.878,86 euros) ou encore plus subsidiairement la somme de 25.642,15 euros sur la base d'un recalcul de ce qui aurait été exigible si la société ORPEA avait respecté ses obligations.
Sur ce,
L'adage "pas de nullité sans texte" évoqué par la société ORPEA, que l'on ne retrouve transposé que dans l'
article 114 du code de procédure civile🏛, n'a pas de valeur juridique en matière de droit des contrats.
Un contrat qui ne remplit pas les conditions requises pour sa validité peut toujours être annulé, point que l'
article 1178 nouveau du code civil🏛, tel qu'issu de la réforme du droit des obligations de 2016, a entériné.
L'
article 1108 ancien du code civil🏛, en l'espèce applicable, dispose que quatre conditions sont essentielles pour la validité d'une convention, tels le consentement de la partie qui s'oblige, sa capacité de contracter, un objet certain qui forme la matière de l'engagement et une cause licite dans l'obligation. Il n'est ici argué d'aucun manquement, d'aucune part, à l'une de ces conditions et aucune nullité du contrat de séjour de Madame [V] ne saurait être prononcée sur l'un de ces fondements.
Mais l'
article 6 du code civil🏛 dispose en outre qu'on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes m'urs.
Ainsi, un contrat dérogeant à l'ordre public, ou encore à des dispositions d'ordre public, peut être sanctionné par sa nullité.
Or l'hébergement des personnes âgées, vulnérables, est encadré et soumis à des règles d'ordre public ou établissant un ordre public de protection, prévues par le code de l'action sociale et des familles.
Sont en l'espèce prises en considération les dispositions du code de l'action sociale et des familles telles qu'applicables à l'époque de l'admission de Madame [Ac] dans la résidence des Bords de Seine, le 12 juin 2012.
Le Livre III du code de l'action sociale et des familles concerne l'action sociale et médico-sociale mise en œuvre par des établissements et services. Le Titre I de ce livre est relatif aux établissements et services soumis à autorisation. Le Chapitre I de ce titre pose les règles générales et après une première section traitant des missions desdits établissements et services, la section 2 concerne les droits des usagers.
Dans ce cadre, l'
article L311-3 du code de l'action sociale et des familles🏛 dispose que l'exercice des droits et libertés individuels (1° respect de la dignité, de l'intégrité, de la vie privée, de l'intimité et de la sécurité ; 2° libre choix des prestations ; 3° prise en charge et accompagnement individualisé de qualité ; 4° confidentialité des informations ; 5° accès aux informations de prise en charge ; 6° information sur les droits fondamentaux et protection légales ; 7° participation à la conception et la mise en œuvre du projet d'accueil et d'accompagnement) doit être garanti à toute personne prise en charge par un établissement, un service social ou un service médico-social.
Afin de garantir l'exercice effectif de ces droits et prévenir tout risque de maltraitance, l'
article L311-4 du même code🏛 prévoit la remise à la personne admise dans un établissement, un service social ou médico-social d'un livret d'accueil (comportant une charte de ses droits et libertés et le règlement de fonctionnement) et prévoit la signature d'un contrat dont le contenu est précisé (définition des objectifs, nature de la prise en charge ou de l'accompagnement dans le respect des principes déontologiques et éthiques, recommandations de bonnes pratiques professionnelles, projet d'établissement ou de service, liste détaillée des prestations offertes et de leur nature, coût prévisionnel des prestations).
L'
ordonnance n°2016-301 du 14 mars 2016🏛 a ajouté l'article L314 au code de l'action sociale et des familles, qui dispose que constitue un manquement passible d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 3.000 euros pour une personne physique et 15.000 euros pour une personne morale le fait, notamment, (1°) d'héberger une personne âgée sans avoir conclu un contrat de séjour ou un document individuel de prise en charge conformément à l'article L311-4 précité.
Pour la mise en œuvre de ces dispositions légales, le Premier ministre a le 26 novembre 2004 pris le décret n°2004-1274 relatif au contrat de séjour ou document individuel de prise en charge prévu par l'
article L311-4 du code de l'action sociale et des familles🏛, créant l'
article D311 du code de l'action sociale et des familles🏛, aux termes duquel sont notamment prévus la conclusion d'un contrat de séjour (I) et l'établissement d'un document individuel de prise en charge (II). Le point III précise notamment que le contrat de séjour ou le document individuel de prise en charge est établi lors de l'admission et remis à chaque personne et, le cas échéant, à son représentant légal, au plus tard dans les quinze jours qui suivent l'admission, que le contrat est signé dans le mois qui suit l'admission et que la participation de la personne admise (et si nécessaire de sa famille ou de son représentant légal) est obligatoirement requise pour l'établissement du contrat ou document, à peine de nullité de celui-ci.
Les Titres II et III du Livre III traitent des établissements soumis à déclaration puis des dispositions communes aux établissements, services et lieux d'accueil. Le titre IV évoque les dispositions spéciales à certains établissements et le Chapitre 2 de ce titre concerne l'hébergement des personnes âgées.
Dans ce cadre, l'
article L342-1 in fine du code de l'action sociale et des familles🏛 dispose qu'un établissement ne peut héberger une personne âgée sans qu'au préalable un contrat écrit ait été passé avec cette personne ou son représentant légal, étant ajouté que pour la signature de ce contrat, la personne ou son représentant légal peut se faire accompagner d'une personne de son choix.
A l'époque de l'admission de Madame [Ac] dans la résidence des Bords de Seine (et jusqu'à son abrogation par le décret n°2022-734 du 28 avril 2022), l'
article R342-1 du code de l'action sociale et des familles🏛 punissait de l'amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe le fait, dans un établissement recevant des personnes âgées, d'héberger une telle personne sans avoir au préalable conclu le contrat écrit conformément à ces dispositions de l'article L342-1 précitées.
L'article L342-5 du même code énonçait que les infractions aux dispositions de l'article L342-1 précité (notamment) étaient constatées et poursuivies dans les conditions fixées par les
articles L450-1, L450-2, L450-3, L450-8 et L470-5 du code de commerce🏛🏛🏛🏛🏛 (id est par des fonctionnaires ou agents habilités, par enquêtes donnant lieu à l'établissement de procès-verbaux, sur la voie publique ou dans les locaux professionnels et/ou d'habitation selon certains conditions, avec communication de documents, et accès aux données informatiques, étant précisé que toute opposition à l'enquête est punie d'une amende et d'une peine de prison et que le ministre chargé de l'économie ou son représentant peut, devant les juridictions civiles ou pénales, déposer des conclusions et les développer à l'audience). Modifié par
ordonnance n°2016-301 du 14 mars 2016🏛, cet
article L342-5 du code de l'action sociale et des familles🏛 énonce désormais que constitue un manquement passible d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 3.000 euros pour une personne physique et 15.000 euros pour une personne morale le fait d'héberger (1°) une personne âgée sans avoir au préalable conclu le contrat écrit conformément à l'article précité L342-1.
Ces dispositions, dont certes aucune ne prévoit expressément la nullité d'un contrat de séjour lorsqu'il n'est pas signé du résident admis, et quand bien même les sanctions administratives n'ont été prévues qu'à compter de 2016, ont été édictées aux fins de protection des personnes âgées vulnérables et de leurs droits fondamentaux et constituent un ordre public de protection, ainsi que l'ont retenu les premiers juges, de sorte que le contrat qui les méconnaît encourt la nullité.
1. sur la validité du contrat
La société ORPEA produit aux débats un mandat de protection future reçu le 15 mars 2011 par notaire à la requête de Madame [Ac] au profit de Madame [Aa], sa fille, conformément aux dispositions des
articles 477 et suivants du code civil🏛. Le mandat a été enregistré au Service des Impôts des Entreprises (SIE) EUROPE ROME le 23 mars 2011. Il n'a cependant jamais été mis en œuvre.
Les textes précités prévoient que la personne dont l'admission dans la maison de retraite est sollicitée (et si nécessaire un membre de sa famille) doit participer à l'établissement du contrat (
article D311 du code de l'action sociale et des familles🏛) et que lors de la signature du contrat, la personne admise peut être représentée et être accompagnée d'une personne de son choix (
article L342-1 du code de l'action sociale🏛).
Il ne saurait donc être reproché à Madame [Aa], fille de Madame [V], d'avoir accompagné sa mère lors de son accueil par la résidence des Bords de Seine (ce qui est possible, voire parfois nécessaire au regard des textes précités) puis dans les actes administratifs subséquents. L'existence d'un mandat de fait donné par Madame [Ac] à sa fille pour la gestion de ses affaires est sans emport en l'espèce sur la validité ou la nullité du contrat de séjour de la résidente. Madame [V], en tout état de cause, reconnaît dans ses écritures que sa fille unique l'aide dans ses affaires et dispose d'une délégation de signature (notamment pour les chèques).
Lors de l'admission de Madame [Ac] dans la maison de retraite, le 12 juin 2012, un contrat de séjour pointant l'ensemble des documents joints a été signé par le représentant de la société ORPEA. Le contrat indique que la Madame [V], résidente, était représentée par Madame [W] [V] ([L]), sa fille.
Mais ni la résidente, ni sa fille n'ont signé le contrat, en méconnaissance des dispositions précitées de l'
article L342-1 du code de l'action sociale et des familles🏛.
Madame [T] [I] a le 28 mars 2019 rédigé une attestation. Elle affirme que le 12 juin 2012, elle a rencontré la fille de Madame [V], MAadame [L], "pour faire le dossier", indiquant que celle-ci "a eu un contrat" mais qu'"elle a refusé de le signer ce jour-là préférant le faire lire à son avocat". Elle précise que "malgré de nombreuses relances, elle n'a pas rapporté le document signé" et qu'"après quelques mois", elle a "demandé à Monsieur [M] (Directeur de Division) de s'occuper de ce dossier devant la mauvaise foi évidente de Madame [W] [V] bien décidée à ne pas signer le contrat de sa Mère".
Cette attestation appelle plusieurs observations.
Madame [I] indique dans son attestation n'avoir "aucun lien de parenté, d'alliance, de subordination, de collaboration ou de communauté d'intérêts avec les parties". Elle était pourtant directrice de la résidence des Bords de Seine gérée par la société ORPEA à l'époque de l'admission de Madame [V], le 12 juin 2012, ce qu'elle-même rappelle d'ailleurs au début de son témoignage.
Madame [Ae] n'était pas présente lors de l'admission de Madame [Ac] dans la résidence ou, à tout le moins, n'est pas la personne qui a alors signé le contrat de séjour de l'intéressée. Si en effet sur ce contrat la société ORPEA est notée comme "représentée par Mme [T] [I], Directrice de la Résidence des Bords de Seine, ('), dûment habilitée aux présentes" (caractères gras du contrat), le contrat porte une signature pour ordre ("p/o") non identifiée et bien distincte de celle de la directrice. La Cour n'est pas renseignée sur l'identité du signataire du contrat au nom de la société ORPEA.
N'ayant pas signé le contrat de séjour de Madame [V], Madame [I] n'explique pas dans quelles conditions elle a été témoin du déroulement des faits ce 12 juin 2012, posant un doute sur ses affirmations et, notamment, sur la réalité du "refus" de Madame [Aa], fille de Madame [Ac], de signer le contrat. Non seulement ce refus de signer n'est pas établi, mais il n'est pas même démontré que le contrat ait été porté à la connaissance de Madame [V] ou de sa fille.
Si Madame [I] évoque ensuite de "nombreuses relances", la société ORPEA ne justifie devant la Cour que de deux courriers simples, tous deux datés du 28 septembre 2012 et signés par le représentant de son service administratif. Le destinataire de ces deux courriers n'est pas nommé ni identifié. Le premier courrier fait état d'une conversation téléphonique du même jour et de deux contrats de séjour "concernant l'admission de Madame [Ac] [R]" et son auteur remercie le destinataire du courrier - non identifié - de bien vouloir lui retourner un exemplaire dûment signé. Le second courrier fait état de cinq factures de coiffeur (de 4 X 32 euros et 90 euros) et de quatre factures non informées (de 64 euros, 137 euros et 2 X 39 euros), dont le paiement est réclamé. Il n'est aucunement établi que ces courriers ont été adressés à Madame [Aa] et encore moins qu'ils ont été effectivement reçus par celle-ci. Il n'est justifié d'aucun autre courrier de relance. Il n'est ainsi pas établi que la société ORPEA ait adressé une seule relance à Madame [Aa], fille de Madame [Ac], aux fins de signature du contrat de séjour de sa mère. Il n'est pas plus justifié du transfert du dossier au directeur de division de l'établissement.
Cette situation doit être rapprochée des recommandations du Défenseur des droits, saisi d'une réclamation par Madame [Ac]-[L], annexées à sa décision du 30 décembre 2019. Au paragraphe 46 de ce document, le Défenseur des droits indique que son enquête lui a "permis d'établir que, lors de l'entrée des résidents dans l'EHPAD [la résidence des Bords de Seine], les contrats de séjour n'étaient pas systématiquement signés".
Il apparaît ainsi que le contrat de séjour de Madame [V], daté du 12 juin 2012, n'a pas été signé par celle-ci ni sa fille la représentant, et que son signataire pour la société ORPEA n'est pas identifié, qu'il n'est pas démontré que le représentant de la maison de retraite, professionnel, ait fait le nécessaire afin d'informer correctement la résidente admise et obtenir sa signature éclairée du contrat et qu'il n'est donc pas établi que celle-ci ait reçu toutes les informations relatives à ce séjour, à la protection de ses droits et à son bien-être.
Les règles instituant un ordre public de protection n'ayant pas été respectées pour la conclusion le 12 juin 2012 du contrat de séjour de Madame [V], les premiers juges en ont en conséquence à bon droit prononcé sa nullité. Le jugement sera confirmé de ce chef.
2. sur les conséquences de la nullité du contrat
La nullité du contrat a pour conséquence son anéantissement, de sorte que les parties doivent être placées dans la situation juridique qui existait avant celui-ci (statu quo ante), principe consacré par l'ordonnance de 2016 réformant le droit des obligations et instituant l'
article 1178 nouveau du code civil🏛 aux termes duquel le contrat annulé est censé n'avoir jamais existé, les prestations exécutées devant donner lieu à des restitutions de l'ensemble des parties.
(1) sur la restitution par la société ORPEA des sommes perçues
Les parties s'accordent pour indiquer que Madame [V] a au cours de son séjour dans la résidence des Bords de Seine, entre le 12 juin 2012 et le 26 juin 2017, réglé la somme totale de 447.049,63 euros à la société ORPEA. Celle-ci devra donc restituer cette somme à la résidente du fait de l'annulation de son contrat de séjour.
(2) sur la restitution en valeur par Madame [V] des prestations dont elle a bénéficié
Quand bien même des manquements de la société ORPEA au cours du séjour de Madame [V] sont allégués, l'établissement a hébergé, nourri et blanchi l'intéressée pendant cinq années pleines. Les premiers juges ont ainsi justement observé que les prestations fournies par la société ORPEA pendant le séjour de l'intéressée avaient été, par nature, consommées au fur et à mesure par celle-ci. Madame [V] est donc tenue de restituer à l'établissement, en valeur les prestations dont elle a bénéficié pendant cinq ans - hors celles qui ont été effectivement consommées - et les premiers juges l'ont à juste titre déboutée de sa demande de remboursement de l'intégralité des sommes versées à la maison de retraite durant son séjour.
Les frais de séjour réglés par Madame [V] pendant cinq années correspondent à une somme mensuelle moyenne importante, d'environ 7.450 euros.
La société ORPEA, dont les valeurs sont inscrites dans son acronyme : Ouverture, Respect, Présence, Ecoute et Accueil, vante, sur le site Internet de la résidence des Bords de Seine, un "établissement de haut standing" qui dispense des "prestations haut de gamme" et "allie confort hôtelier, convivialité et soins de qualité".
Le présent litige oppose la société ORPEA à Madame [V] (et sa fille), et ne concerne donc que la situation personnelle et particulière de celle-ci. Il n'est pas le procès de la gestion globale par la société ORPEA des EHPAD qu'elle administre, gestion dénoncée dans les médias et le cadre d'instances judiciaires ou administratives distinctes.
La Cour se doit cependant, pour évaluer le montant de la somme due par Madame [V] à la société ORPEA en restitution en valeur des prestations dont elle a bénéficié, en suite de l'annulation de son contrat de séjour, appréhender la réalité de la situation au sein de la résidence des Bords de Seine et des services délivrés à la résidente.
Or la société ORPEA ne peut en l'espèce établir une qualité de prestations au profit de Madame [Ac] qui aurait justifié des frais de séjours mensuels de près de 7.450 euros tels qu'exposés par Madame [V] entre les mois de juin 2012 et juin 2017.
Sur les plaintes et les réponses à ces plaintes
Madame [Aa], fille de Madame [V], a entre le 6 août 2012 et le 31 mai 2017, adressé plus de vingt courriels signalant à la société ORPEA des vols (de parfum, de chocolats, d'une radio, de marrons glacés, de vêtements), des toilettes non faites, l'absence d'aération de la chambre de sa mère, des communications téléphoniques extérieures non relayées auprès de sa mère, des actes de maltraitance (douche froide, pincements, paroles malveillantes, gestes inappropriés dont est résulté une chute, odeurs, température inadaptée de la chambre, mise au lit de sa mère habillée en début d'après-midi, hématomes sur le corps), des médicaments oubliés, des repas inadaptés et une hydratation incorrecte, un accueil insuffisant à l'entrée de la résidence, un manque de personnel qualifié, etc. Si ces signalements, par la fille de la résidente, ne valent pas preuve des faits dénoncés, force est de constater qu'ils n'ont pas été suivis de réponses de la part de la société ORPEA venant démentir les faits dénoncés, ou de rares réponses évasives et insuffisantes, sans réaction effective.
La société ORPEA, qui affirme avoir "assidument" répondu aux interrogations de Madame [V]-[L] concernant sa mère, justifie d'un seul courrier adressé à celle-ci le 24 mai 2016, près de quatre années après les premiers signalements, mentionnant l'attention que suscitaient ses remarques et en en prenant "bonne note", rappelant notamment la signature d'une convention tripartite avec l'Agence Régionale de Santé (ARS, EPA chargé de la mise en œuvre de la politique de la région) et le Conseil départemental définissant les objectifs de l'établissement, convention qui n'est pas versée aux débats devant la Cour.
Un entretien avec Madame [V]-[L] a été organisé par la société ORPEA le 4 novembre 2016 (courriel du 27 octobre 2016), une autre rencontre avec Madame [S] [N], directrice régionale de la société ORPEA, a été proposée au mois de mars 2017 (courriels des 3 et 6 mars 2017) ou encore au mois de mai 2017 (courriel du 31 mai 2017) mais il n'est pas établi que ces réunions se soient effectivement tenues.
Madame [N], directrice régionale de la société ORPEA, a le 18 mai 2018 attesté que ses services ont "apporté partiellement les éléments de réponse aux différents points soulevés" par Madame [V]-[L], que "contrairement aux autres familles qui ont constaté l'amélioration de la prise en charge et des prestations", celle-ci "n'a eu de cesse de persister dans ses plaintes et ses vindictes à l'égard de l'organisation de la Résidence", et que le personnel a "'uvré auprès de Madame [R] [V] [L] [sic] pour lui apporter [illisible] aide dans tous les actes de la vie quotidienne", affirmant que les équipes "ont fait preuve d'empathie et ont répondu au projet de soins et au projet individualisé de vie mis en place (')". Aucun élément tangible ne vient illustrer les éléments de réponse apportés ni ne vient corroborer l'aide apportée dans la vie quotidienne de Madame [V] et l'empathie du personnel.
Si, en outre, Madame [Af] évoque la satisfaction des autres familles, ce point est contredit par l'existence de nombreux signalements dénoncés à la même époque auprès de l'ARS et du Conseil départemental des Hauts de Seine à partir du mois de novembre 2016 ou encore dans le cadre d'un "collectif des parents de résidents de l'EHPAD Résidence Les Bords de Seine" et d'une pétition intitulée "NON A LA MALTRAITANCE CHEZ ORPEA BORDS DE SEINE !", dont le Défenseur des droits a eu connaissance (paragraphes 4, 5 et 7, notamment, des recommandations du 30 décembre 2019, évoquées plus bas).
Alertée par "la famille d'une personne âgée résident au sein de la maison de retraite des Bords de Seine à [Localité 9]", Madame [G] [C], alors vice-présidente du Sénat, a le 6 juin 2017 adressé à Monsieur [C] [Ag], alors directeur général du groupe ORPEA, un courrier évoquant "le manque de personnel pour s'occuper et prendre soin des résidents (') à l'origine d'un certain nombre de dysfonctionnements concernant tout particulièrement le changement des protections, la toilette, l'hydratation et l'alimentation". Madame [C] se contente de rapporter les propos de personnes qu'elle n'identifie pas et son courrier ne vaut pas preuve de la situation particulière de Madame [Ac]. Mais la société ORPEA ne communique pas en cause d'appel la réponse à ce courrier, pourtant produite en première instance, et ne dément pas devant la Cour de céans les faits dénoncés, lesquels illustrent là encore une situation difficile dans la résidence des Bords de Seine.
Après une enquête de terrain, essentiellement dans la résidence des Bords de Seine à [Localité 9], le journal d'information numérique MEDIAPART.fr a le 3 février 2018 publié un article concernant la prise en charge des personnes âgées dans les EHPAD gérés par la société ORPEA. Il fait état de salariés en sous-effectifs et épuisés et de résidents dont la dignité, l'hygiène, le confort, la nutrition, l'hydratation, etc. ne sont pas respectés. Le journaliste précise qu'interrogé, le groupe ORPEA aurait reconnu "des difficultés inhérentes à la prestation de service 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7", aurait reconnu avoir été confronté à des difficultés "sur une période donnée" et aurait indiqué avoir "mis en place les actions nécessaires". L'article, publié six mois après le départ de Madame [Ac], est certes de portée générale, ne vise pas la situation particulière de celle-ci et aucun élément de l'article ne permet de conclure que l'enquête a été menée alors qu'elle s'y trouvait encore. Mais s'il ne peut en aucun cas être tenu pour preuve de la situation de Madame [V] lors de son séjour, cet article, qui n'a pas été démenti et n'a fait l'objet d'aucune action en diffamation, illustre encore les difficultés de la société ORPEA à gérer une maison de retraite.
La société ORPEA n'a pas pleinement déféré à la décision du conseiller de la mise en état du 24 juin 2020 lui ordonnant de communiquer les registres des délégués de son personnel concernant les années 2012 à 2017 (correspondant au séjour de Madame [V]), mais les éléments communiqués (registres à partir du mois de février 2014 jusqu'au 18 janvier 2018) mettent en lumière la charge de travail (trop) élevée du personnel, le personnel en sous-effectif, des problèmes d'organisation (pauses, caméras de surveillance, plannings, journées de travail d'affilée sans jour de repos, temps passé avec les résidents pour leurs soins divers ou les repas, etc.), des difficultés d'approvisionnement (draps, matériel médical, gants, protections, couches, nourriture, eau, etc.), la présence de vacataires et de stagiaires sans qualification et le transfert de tâches incombant aux infirmiers vers du personnel moins qualifié, des problèmes d'hygiène des résidents (non soignés ni lavés) et des locaux, des vols, etc.
Monsieur [B] [P], ami de la famille, indique avoir accompagné Madame [V]-[L] auprès de sa mère dans la résidence des Bords de Seine et avoir pu constater la situation de solitude et de négligence dans laquelle Madame [V] était laissée (attestation du 20 juillet 2018, conforme aux dispositions de l'article 2020 du code de procédure civile).
Sur les rapports d'inspection de l'ARS
L'ARS a rendu un rapport d'inspection en suite de déplacements sur le site de la résidence des Bords de Seine les 5 juillet et 6 août 2018. Le rapporteur explique que l'inspection de cet établissement n'était pas programmée à ce moment mais que la maison de retraite "a été ciblée par la Délégation Départementale des Hauts-de-Seine, suite à la réception de plusieurs réclamations et signalements par l'Agence Régionale de Santé Ile-de-France entre 2016 et 2018". Il présente les conditions d'organisation et de fonctionnement de l'établissement, pointant "l'absence d'une liste fiable des résidents présents dans l'EHPAD [qui] ne garantit pas la sécurité des résidents et de mesurer le taux de présence de l'établissement", le fait que "le projet d'établissement n'a pas été assez porté par l'institution pour permettre une réelle appropriation du personnel", "l'absence de transmission à l'ARS de l'évaluation interne datant de 2017" en méconnaissance du code de l'action sociale et des familles, l'instabilité de la gouvernance (document de délégation du directeur erroné, temps de coordination du médecin coordonnateur non indiqué sur son contrat, lequel n'est pas le contrat-type imposé par le code de l'action sociale et des familles, absence de réunion régulière des commissions de coordination gériatrique, fiche de poste de l'infirmière coordinatrice incomplète et ne permettant pas d'améliorer le ratio infirmier auprès des résidents, toilettes exécutées par des auxiliaires de vie seules en méconnaissance des textes, absence de dispositif d'encadrement et d'intégration des nouveaux salariés), des conditions de prise en charge défaillantes (absence de précision sur la procédure d'admission dans le projet d'établissement, absence de signature des contrats de séjour par le résident, d'actualisation des projet personnalisés, de convention concernant l'intervention des dames de compagnie, de mention des places d'hébergement temporaires, d'examen médical, systématique des personnes admises, d'information éclairée au moment de l'admission). Le rapporteur a également examiné l'organisation des soins, à partir de la situation d'un résident précis (non identifié dans le rapport versé aux débats). Il a enfin examiné la prévention et la gestion des risques dans l'établissement (plan bleu pour la gestion d'une crise, prévention de la maltraitance, gestion des événements indésirables graves). L'inspection de 2018 n'a certes "pas permis d'établir d'actes de maltraitance [envers le résident dont la situation particulière a été examinée]", mais a "constaté des dysfonctionnements dans la prise en charge [d'un résident] en lien avec un manque de rigueur dans certaines procédures administratives et médicales, une insuffisance de complétude du dossier médical, un déficit en personnel soignant ainsi qu'une instabilité de ce dernier".
Ce rapport, anonymisé, a été établi en 2018 un an après le départ de Madame [V] de la résidence des Bords de Seine et ne peut rapporter la preuve de sa propre situation. Mais les "remarques" et "écarts" relevés, ainsi que les conclusions du rapporteur appuient et confirment les déclarations de l'intéressée.
L'ARS a mandaté sur place ses inspecteurs les 27 et 28 janvier 2022 afin de vérifier l'effectivité de la mise en place des mesures notifiées en 2019, à l'issue de l'inspection de 2018. Les conclusions de ce rapport réalisé près de cinq ans après le départ de Madame [V] sont sans emport dans le dossier d'espèce.
Sur le rapport du Défenseur des droits
Madame [Aa], fille de Madame [Ac], a courant 2017 saisi le Défenseur des droits pour lui signaler les mauvaises conditions d'aide aux personnes âgées dans la résidence ORPEA des Bords de Seine. Après enquêtes de ses services sur place, celui-ci a le 30 décembre 2019 signé un document portant "Recommandations sur le fondement de l'article 25 de la loi organique n°2011-333 du 29 mars 2011". Il y rappelle à titre liminaire les principaux faits qui lui ont été dénoncés par Madame [V] puis évoque l'instruction mise en place par ses services (audition de Madame [Aa], fille de Madame [Ac] - dont le procès-verbal du 4 décembre 2017 est versé aux présents débats, témoignages du "collectif des parents de résidents de l'EHPAD Résidence Les Bords de Seine", audition du directeur général de la société ORPEA, de représentants du collectif de parents de résidents précité, d'un ancien infirmier coordonnateur - vraisemblablement Monsieur [D] [Y] qui a adressé un témoignage par écrit par courriel du 29 novembre 2017 à Madame [L] - , du médecin coordonnateur, de la directrice régionale de la société ORPEA et de l'un des médecins traitants de l'établissement en cause, transmission du rapport de la mission de contrôle du Conseil départementale des Hauts de Seine du 22 février 2018 et du jugement dont appel, vérification inopinée des locaux, etc.).
Le Défenseur des droits évoque ensuite le cadre juridique en cause, rappelle que "les personnes âgées en situation de perte d'autonomie bénéficient de la protection offerte par la Convention des Nations Unies relatives aux droits des personnes handicapées (CIDPH)", affirme que le principe de non-discrimination des résidents doit être appliqué (interdiction de discriminations dans l'accès et la fourniture de biens ou services, parmi lesquelles la maltraitance liée à la perte d'autonomie, dont le régime probatoire est précisé) et énonce les droits fondamentaux des personnes accueillies en EHPAD (
articles L311-3, L311-4, L311-5-1, L311-8-1 du code de l'action sociale et des familles🏛🏛🏛, charte des droits et libertés de la personne accueillie). Le Défenseur propose ensuite son analyse juridique, concernant le consentement du résident au séjour et la nécessité d'un contrat écrit, la prise en charge médicale, paramédicale et hôtelière (constatant à ce titre, à l'examen des cahiers des délégués du personnel de la période 2016/2018, le manque de personnel, le glissement des tâches des infirmiers vers des aide-soignant, des comportements inapproprié des "dames de compagnie", le manque de consommables et notamment de changes, le manque d'hydratation), la liberté d'aller et venir et le signalement "d'un événement indésirable grave".
En conséquence de ces éléments, le Défenseur des droits constate aux termes de ses recommandations que Madame [V] a fait "l'objet d'atteintes à [ses] droits fondamentaux en raison de [sa] perte d'autonomie" et a "subi des agissements ayant pour effet de porter atteinte à [sa] dignité et de créer un environnement hostile, dégradant et humiliant", caractérisant une discrimination.
Le
Défenseur des droits a le même jour, 30 décembre 2019, rendu sa décision n°2019-318⚖️, recommandant à la direction de l'EHPAD "Résidence Les Bords de Seine" de :
- garantir l'individualisation de l'accompagnement du résident,
- réaliser dans les plus brefs délais un audit externe sur la validité des contrats de séjour des résidents,
- conclure une convention avec les "dames de compagnie" déterminant les modalités de leur intervention,
- porter à la connaissance du public - via son site Internet - les noms et coordonnées des personnes qualifiées aux fins de renforcer les droits des usagers,
- mettre en place un dispositif de signalement,
- prendre les mesures appropriées pour garantir le respect des droits et libertés fondamentaux des résidents,
- saisir son conseil scientifique et éthique sur le thème du respect de la liberté d'aller et venir en EHPAD et de lui faire part de ses travaux,
- engager des actions d'amélioration au sein des EHPAD.
La situation personnelle et difficile de Madame [Ac], ainsi décrite notamment par le Défenseur des droits, n'est pas contredite par les extraits du Livre d'or de la résidence des Bords de Seine ou les messages (courriers, mails) faisant état des remerciements de familles dont les proches ont été bien accompagnés dans la maison de retraite, citations qui ne la concernent pas, ni encore par l'attestation de Madame [U] [F] du 3 mai 2018 non accompagnée de la copie de la pièce d'identité de son auteur qui ne peut donc être identifié, en méconnaissance des termes de l'
article 202 du code de procédure civile🏛.
La situation difficile de Madame [Ac] pendant son séjour n'est pas non plus remise en cause par la réunion du Conseil de la Vie Sociale (dont un seul procès-verbal du 11 janvier 2017 est communiqué) et encore moins par les éléments positifs rapportés dans un tableau produit par la société ORPEA (sa pièce n°19) sans titre, sans date et sans signature, et en conséquence sans aucune valeur probante, qui serait selon elle le résultat d'une enquête de satisfaction menée en 2016 (elle évoque des "fiches d'évaluation") sans qu'aucun élément n'éclaire la Cour sur les conditions de la tenue de ladite enquête et sur la réalité des résultats observés. Elle n'est certainement pas remise en question non plus par la pièce n°22 communiquée par la société ORPEA, rassemblant "tous les avis disponibles dans l'espace publique sur cet établissement", document non daté, faisant état de témoignages invérifiables de personnes non identifiées (autrement que par un prénom) et là encore sans aucune valeur probante.
Sur le livre "Les Fossoyeurs" de [H] [Z] et les inspections ultérieures
[H] [Z], journaliste d'investigation indépendant, a mené pendant trois ans entre 2019 et 2021 une enquête sur la réalité de la gestion par la société ORPEA de ses maisons de retraite. Son livre, "Les Fossoyeurs" est paru le 19 janvier 2022. Ses premières investigations (visite sur place, audition de nombreux témoins) ont été menées dans la résidence des Bords de Seine, le journaliste s'étant étonné du contraste entre le luxe annoncé de l'établissement, qui compte parmi les plus chers de France, et les rumeurs de maltraitance. Ces investigations ont pris place deux ans après le départ de Madame [V], mais confirment les dénonciations de celle-ci et la propre enquête du Défenseur des droits la concernant, dans le cadre d'un système de gestion généralisée à l'ensemble de l'établissement (manque de personnel, turnover important, rationnements, vols, portes bloquées, hygiène carencée, dénutrition, déshydratation, absence de soins, etc.), voire de l'ensemble des EHPAD gérés par la société ORPEA, auxquels l'enquête de [H] [Z] s'est ensuite intéressé.
[H] [Z] évoque un phénomène de maltraitance généralisée, un système de rentabilité financière au détriment des résidents, une industrialisation du secteur de la dépendance où les personnes âgées sont transformées "en simples produits de consommation", "réduites à des chiffres", dont le résultat est une "maltraitance institutionnelle envers les résidents".
L'Inspection Générale des Finances (IGF) et l'Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) ont en suite de la publication du livre de [H] [Z] été mandatées par le gouvernement aux fins d'enquête. Les deux inspections ont mené, conjointement, leurs propres investigations au sein du groupe ORPEA et ont rendu leur rapport le 23 mars 2022. L'article du même jour du Monde, qui a eu accès à ce rapport, indique qu'il "corrobore, à quelques exceptions près, les faits mis en lumière par M. [Z]", précisant que "l'IGF et l'IGAS considèrent qu'Orpea poursuit en priorité une objectif de performance budgétaire qui contribue à la mauvaise qualité de vie des résidents et des soins qui leur sont prodigués" négligence du suivi bucco-dentaire, manque de fiabilité du circuit de distribution des médicaments, problèmes d'hygiène, de temps de toilette, de surveillance des escarres, de prévention des chutes, le manque de personnel, carence des menus, cadences intenses pour le personnel insuffisant et mal formé, "glissements de tâches fréquents").
Une enquête préliminaire du parquet de Nanterre a été ouverte au mois de février 2022 pour faux et usage de faux, infraction à la législation sur le travail. Le gouvernement (ministère de la santé) a au mois de mars 2022 porté plainte contre la société ORPEA pour maltraitance et détournements de fonds publics. Le Procureur de la république de Nanterre a le 28 avril 2022 ouvert une nouvelle enquête préliminaire du chef de détournement de fonds publics.
Ces événements, certes bien postérieurs au départ au mois de juin 2017 de Madame [V] de la résidence des Bords de Seine gérée par la société ORPEA, viennent cependant là encore confirmer ses allégations.
*
Ainsi et au vu de l'ensemble de ces éléments, les services et prestations de logement, nourriture et soins divers dont Madame [V] a bénéficié ne peuvent être évalués à hauteur de la somme mensuelle de 7.450 euros, qui correspond à un service de grande qualité tel que vanté par ORPEA au titre de la résidence des Bords de Seine mais non à la situation personnelle vécue par la résidente.
L'IGAS a dans un état des lieux relatif à la composition des coûts mis à la charge des résidents des EHPAD (rapport du mois d'août 2009) observé que les tarifs les plus élevés enregistrés par la mission de contrôle s'élevaient à une somme mensuelle de 5.000 euros, laquelle pouvait être dépassée en fonction des souhaits de consommations des résidents. L'IGAS a estimé qu'un coût mensuel de 1.500 euros constituait un montant incompressible, s'appliquant aux personnes attentives à limiter leurs dépenses dans des établissements situés en milieu rural, et qu'un coût mensuel de 2.900 euros représentait un montant élevé mais fréquemment observé en milieu urbain sans correspondre à des prestations luxueuses et a ainsi indiqué que le coût mensuel moyen des maisons de retraite pouvait être évalué à hauteur de 2.200 euros.
Sur la base de ces évaluations, au regard de ce qu'elle a effectivement payé et du coût mensuel moyen d'une maison de retraite en France, Madame [V] évalue raisonnablement le coût des prestations qui lui ont été effectivement délivrées, qui doivent être restituées en valeur, à hauteur de 30% X 447.049,63 = 134.114,89 euros.
Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu'il a limité la condamnation de la société ORPEA, au profit de Madame [V], au paiement de la somme de 62.589,83 euros.
Statuant à nouveau de ce chef, et après compensation de la restitution due par la société ORPEA au titre des sommes qui lui ont été versées, d'une part, et de la restitution en valeur due par Madame [V] au titre des prestations effectivement reçues, d'autre part, la Cour condamnera l'établissement gérant la résidence des Bords de Seine à payer à la résidente la somme de 447.049,63 - 134.114,89 = 312.934,74 euros.
Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du jugement du 5 février 2019 sur la somme de 62.589,83 euros retenue par le tribunal, puis à compter du présent arrêt pour le surplus.
Sur les demandes indemnitaires de Madame [V]
Les premiers juges ont constaté que la société ORPEA n'avait pas infirmé les griefs de maltraitance qui lui étaient opposés ni ne justifiait de la mise en place de mesures préventives, retenant l'insuffisance de soins apportés à Madame [V], l'impossibilité de jouir pleinement d'un confort en rapport avec le coût mensuel d'hébergement de plus de 7.000 euros et, retenant les manquements à ses obligations contractuelles de la maison de retraite, l'ont condamnée à indemniser Madame [V] à hauteur de la somme globale 15.000 euros au titre de ses souffrances physiques et psychologiques. Les premiers juges ont en revanche considéré que l'intéressée ne prouvait ni qu'il appartenait à la société ORPEA de monter son dossier de demande d'Aide Personnalisée d'Autonomie (APA) ni le vol d'objets personnels, et l'ont déboutée de ses demandes de ces chefs.
Madame [V] fait valoir la disparition de ses prothèses médicales (appareils auditifs, dentaires) et leur remplacement à plusieurs reprises, et sollicite une indemnisation à ce titre à hauteur de 21.382 euros TTC. Elle se prévaut également de disparitions d'autres biens (parfum, radio, écharpes et pulls de cachemire, veste de vison, bijoux, etc.), qui, quand bien même elles ne peuvent être précisément imputées au personnel, aux visiteurs ou aux personnes extérieures, engagent la responsabilité de la société ORPEA, et réclame à ce titre une indemnisation à hauteur de 8.703,99 euros. Arguant ensuite avoir été maltraitée durant son séjour et alléguant de bleus, d'une chute, d'infections urinaires, etc. liées à la maltraitance et la négligence de la société ORPEA, Madame [V] reproche aux premiers juges de ne pas avoir apprécié à leur juste valeur ses préjudices corporels, qu'elle évalue à la somme de 50.000 euros. Elle réclame enfin l'indemnisation du préjudice moral qu'elle a subi non seulement pendant son séjour (à hauteur de 50.000 euros par année, soit la somme totale de 250.000 euros, sous-évalué par les premiers juges) mais également du fait de la procédure d'appel (sollicitant ici la somme de 15.000 euros).
La société ORPEA conclut au rejet des prétentions indemnitaires de Madame [V], présentées au titre de ses préjudices moral et corporel, estimant que les dommages allégués ne sont pas justifiés, et rappelant les mesures correctives prises pour assurer l'amélioration de la qualité des prestations fournies à l'intéressée. Elle s'oppose également à l'indemnisation du chef de la disparition des prothèses médicales, des objets divers et de l'absence d'obtention de l'APA.
Sur ce,
L'annulation rétroactive du contrat de séjour de Madame [V] fait obstacle à la recherche et la mise en cause de la responsabilité contractuelle de la société ORPEA, contrairement à l'affirmation en ce sens des premiers juges.
Le contrat de séjour, anéanti et n'existant donc plus, seule la responsabilité civile délictuelle de la société ORPEA peut être recherchée, sur le fondement de l'
article 1382 ancien - 1240 nouveau - du code civil🏛, aux termes duquel tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
1. sur la perte de prothèses médicales
Aucun élément du dossier n'établit la situation de Madame [V] lors de son admission dans la résidence des Bords de Seine le 12 juin 2012, le port effectif et l'ancienneté du matériel dentaire et auditif porté à cette époque.
Les attestations du 14 mai 2013 du docteur en chirurgie dentaire [A] [X] et du 25 juin 2018 de Monsieur [J] [E], audioprothésiste de la société LABORATOIRE AUDITIF, confirment cependant que Madame [V] portait des prothèses dentaires et auditives lors de son séjour à la résidence des Bords de Seine.
Madame [V], ni sa fille Madame [Ac]-[L], ne justifient avoir signalé à la société ORPEA la disparition de prothèses entre les mois de juin 2012 et juin 2017 (mais seulement la disparition de biens alimentaires, de parfums et vêtements).
Il n'est en conséquence pas établi que l'acquisition d'appareils auditifs facturés par le LABORATOIRE AUDITIF le 14 septembre 2012 (pour la somme de 3.379 euros TTC) et de nouvelles prothèses dentaires facturées par le docteur [X] le 14 mai 2013 (pour la somme de 2.500 + 2.500 = 5.000 euros) n'était pas justifiée par la nécessité de remplacer des prothèses obsolètes. Les premiers juges ont en conséquence à juste titre débouté Madame [V] de ses demandes indemnitaires à ces titres.
Cependant, alors que les prothèses auditives ont une durée de vie située entre trois et sept ans, la nouvelle acquisition dès 2014 et à deux reprises rapprochées de tels appareils (factures du LABORATOIRE AUDITIF du 17 mars 2014 pour 1.610,10 euros TTC et du 27 mars 2014 pour 1.431 euros TTC) ne peut être justifiée par l'obsolescence de prothèses acquises deux ans plus tôt. De même, alors que les prothèses dentaires ont une durée de vie située entre cinq et huit ans, la nouvelle acquisition dès 2013 de stellites (prothèses amovibles) puis encore en 2015 (factures du docteur [X] du 24 octobre 2013 pour la somme de 2.500 euros, et du 24 septembre 2015 pour la somme de 4.600 euros) révèlent des changements trop fréquents, injustifiés, et confirment la disparition alléguée des prothèses antérieures.
Ainsi, et quand bien même aucun vol n'est établi, est suffisamment démontrée une faute de la société ORPEA, dont le personnel n'a pas su prendre soin du matériel prothésiste de Madame [Ac], ayant causé à celle-ci un préjudice alors que de nouvelles prothèses ont prématurément dû être rachetées.
Les premiers juges ont donc à tort débouté Madame [V] de toute demande indemnitaire de ces chefs. Le jugement sera infirmé sur ce point.
Statuant à nouveau, la Cour condamnera la société ORPEA à payer la somme de 1.610,10 + 1.431 + 2.500 + 4.600 = 10.141,10 euros en indemnisation du préjudice résultant de la nécessité prématurée de remplacer ses prothèses auditives et dentaires. Cette condamnation, à vocation indemnitaire, portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, conformément aux dispositions de l'
article 1153-1 ancien - 1231-7 nouveau - du code civil🏛.
2. sur la disparition de biens divers
Aucun élément du dossier n'énumère les biens matériels et vestimentaires en la possession de Madame [V] lors de son admission dans la résidence des Bords de Seine le 12 juin 2012 et les biens apportés ensuite.
Madame [V]-[L] a à plusieurs reprises signalé à la société ORPEA la disparition de biens pendant le séjour de sa mère dans la maison de retraite (courriel du 6 août 2012 : disparition de parfum ; 9 septembre 2012 : vol de parfum, de chocolats et d'eau de lavande ; 8 janvier 2013 : disparition d'une radio, de marrons glacés, d'écharpes en cachemire, de "faux bijoux", de T-shirts brodés' ; 28 janvier 2017 : disparition d'une veste en vison, d'écharpes et pulls en cachemire et de "jolis vêtements de marque"). Ces signalements, émanant de la fille de Madame [V], ne constituent cependant que des affirmations, non étayées, et ne suffisent pas à démontrer la réalité de vols, ni même de perte de biens.
Des vols dans la résidence des Bords de Seine ont également été évoqués par [H] [Z] dans son livre "Les Fossoyeurs" paru au mois de janvier 2022 ou encore par l'ARS dans son rapport d'inspection en suite des déplacements de ses enquêteurs les 27 et 28 janvier 2022. Mais si plusieurs résidents ont pu se plaindre de vols durant leur séjour dans la résidence des Bords de Seine, ni le rapport ni le livre ne rapportent la preuve du vol, ou à tout le moins de la disparition (perte) de biens appartenant spécifiquement à Madame [V] entre les mois de juin 2012 et juin 2017.
C'est donc à juste titre, faute de tout élément probant, que les premiers juges ont débouté Madame [V] de sa demande indemnitaire au titre de vols ou disparitions de biens. Le jugement sera confirmé de ce chef.
3. sur l'obtention de la prestation de l'APA
Madame [V] ne remet pas en cause, devant la Cour, le rejet de sa demande de dommages et intérêts au titre de l'absence de versement de l'APA du fait d'un manquement de la société ORPEA à son engagement de s'occuper de son dossier. Il n'était pas démontré qu'il appartenait à la maison de retraite de monter le dossier administratif de demande au bénéfice de MaAcame [V].
En l'absence de débat de ce chef en cause d'appel, le jugement sera confirmé sur ce point.
4. sur le préjudice corporel
Madame [V]-[L] a adressé à la société ORPEA plusieurs courriels signalant des atteintes corporelles dont sa mère aurait été victime (courriel du 11 décembre 2012 : maltraitance lors de la toilette, douche froide, pincements et propos méchants ; 24 février 2013 : infirmière laissant tomber la patiente dans la salle de bains ; 6 août 2013 : médicament manquant, prise de poids, impossibilité de marcher ; 13 octobre 2016 : résidente "grelottante", non changée ni hydratée ; 28 janvier 2017 : infection urinaire due à la déshydratation ; 3 mars 2017 : absence de douches depuis plusieurs mois, infection urinaire sévère, "bleus sur tout le corps"'). Là encore, ces seules affirmations et les photographies produites aux débats, sans date certaine et sans valeur probante, ne suffisent pas à établir la réalité des faits dénoncés. Madame [V]-[L] indique d'ailleurs elle-même qu'elle ne sait pas "si cela est vrai ou pas" (courriel du 11 décembre 2012).
Cependant, les éléments examinés plus haut démontrent que Madame [Ac] n'a pas pendant son séjour dans la résidence des Bords de Seine bénéficié de soins médicaux, de nutrition, d'hydratation et d'hygiène corporelle adaptés à sa situation et son état de santé. Aucun élément du dossier de la société ORPEA ne contredit ces points.
Alors que Madame [V]-[L] a signalé des infections urinaires de sa mère, la société ORPEA, qui rappelle elle-même être tenue à une obligation de moyens, ne justifie d'aucun examen médical à ce moment pour infirmer ou confirmer ce diagnostic et, éventuellement, le traiter. La société ORPEA ne justifie pas non plus de sa réaction et de son action lorsque des hématomes sur le corps de Madame [V] lui ont été signalés.
Il est ainsi établi que la société ORPEA n'a pas mis en œuvre les moyens nécessaires au bien-être de Madame [V], à la vérification de son bon état de santé, au traitement de ses difficultés. Si le secret médical peut faire obstacle à la communication du dossier médical de Madame [V] dans le cadre de la présente instance, aucune attestation du médecin de la maison de retraite n'est produite, permettant d'établir la réalité d'un suivi médical sérieux et de soins attentifs. Sont ainsi démontrés un manque d'attention et une carence dans l'administration de soins d'hygiène corporels et médicaux appropriés, justement retenus par les premiers juges. Ces manquements de la société ORPEA à son obligation de moyens dans un cadre contractuel caractérisent une faute de sa part dans un cadre délictuel.
Cette faute de la société ORPEA a nécessairement causé à Madame [Ac], âgée et dépendante, un mal-être physique, des souffrances qui auraient dû être évitées.
Les premiers juges ont justement retenu la réalité de ce préjudice corporel subi par Madame [V] et imputable à la société ORPEA, mais l'ont sous-évalué à hauteur de la seule somme de 15.000 euros, venant en outre réparer non seulement un préjudice corporel, mais également un préjudice moral, pourtant distinct.
Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a condamné la société ORPEA à indemnisation à hauteur de cette seule somme. Statuant à nouveau, la Cour condamnera celle-ci à payer la somme de 25.000 euros à Madame [Ac] en indemnisation de son préjudice corporel. Cette condamnation, indemnitaire, portera intérêts au taux légal à compter du jugement du 5 février 2019 sur la somme de 15.000 euros et à compter du présent arrêt pour le surplus, conformément aux dispositions de l'
article 1153-1 ancien - 1231-7 nouveau - du code civil🏛.
5. sur le préjudice moral
(1) sur le préjudice moral subi par Madame [V] durant son séjour dans la résidence des Bords de Seine
Les éléments évoqués plus haut ont pu révéler la négligence dont Madame [V], insuffisamment nourrie et hydratée, mal médicamentée, bénéficiaire de soins d'hygiène et médicaux insuffisants et dégradants, peu surveillée et accompagnée, couchée très tôt dans l'après-midi et habillée, etc., a été victime de la part de la société ORPEA.
Ces négligences caractérisent une maltraitance certaine, d'ailleurs relevée par le Défenseur des droits à l'issue de l'instruction menée par ses enquêteurs, lorsque dans ses recommandations du 30 décembre 2019, déjà citées, il constate que Madame [V] a "fait l'objet d'atteintes à [ses] droits fondamentaux en raison de [sa] perte d'autonomie et [a] subi des agissements ayant pour effet de porter atteinte à [sa] dignité et de créer un environnement hostile, dégradant et humiliant".
La persistance de ces maltraitances pendant les cinq années du séjour de Madame [V] dans la résidence des Bords de Seine, sans que la société ORPEA justifie de réactions effectives, appropriées et efficaces pour améliorer la situation de l'intéressée, révèle un faute de l'institution à l'égard de la résidente, dont celle-ci a souffert.
Les premiers juges ont justement relevé le manque d'attention, l'insuffisance d'accompagnement, le défaut de surveillance et la carence dans l'administration de soins d'hygiène corporelle et médicaux appropriés à l'état de dépendance de Madame [V], occasionnant pour elle des souffrances psychologiques répétées. Ils ont en revanche sous-évalué le préjudice réellement subi, qu'ils n'ont en outre à tort pas distingué du préjudice corporel examiné plus haut.
Statuant à nouveau sur infirmation du jugement à ce titre, la Cour condamnera la société ORPEA à payer la somme de 100.000 euros à Madame [Ac] en indemnisation de son préjudice moral, subi pendant cinq années pendant son séjour dans la résidence des Bords de Seine entre les mois de juin 2012 et juin 2017. Cette condamnation portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
(2) sur le préjudice moral de Madame [V] subi en cause d'appel
La société ORPEA a devant la Cour, au mois de mars 2020, contesté le mandat du conseil de Madame [V], et a réclamé la comparution personnelle de celle-ci, née en 1930 et alors âgée de 90 ans, sourde, aveugle et dépendante, pendant la crise sanitaire sévissant en France et dans le monde.
La société ORPEA a ensuite, le 3 septembre 2020, mandaté un huissier de justice auprès de Madame [V], dans sa maison de retraite, aux fins de "sommation interpellative", laquelle a été écartée des débats par la Cour de céans, déclarée irrecevable car contenant des informations médicales obtenues de manière déloyale.
Ces actes caractérisent de la part de la société ORPEA un manque de respect des décisions de justice, et, surtout, un manque de respect pour Madame [V], lesquels constituent un abus de droit de la part d'une institution dont la mission est la protection des personnes âgées dépendantes.
Ce comportement a nécessairement causé à Madame [V], troublée dans la sérénité à laquelle elle doit pouvoir prétendre, un préjudice moral qu'il convient de réparer.
Ajoutant au jugement, la société ORPEA sera en conséquence condamnée à payer à Madame [V] la somme de 5.000 euros en indemnisation du préjudice moral subi du fait d'abus de droits, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
*
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a dit que les intérêts dus pour une année entière au moins porteront eux-mêmes intérêts, en application des dispositions de l'
article 1154 ancien - 1343-2 nouveau - du code civil🏛.
Sur la demande indemnitaire de Madame [V]-[L]
Madame [Ac], épouse [Aa], fille de Madame [Ac], n'était pas partie en première instance. Assignée en intervention forcée devant la Cour, elle fait valoir un préjudice moral personnel, du fait des mauvais traitements infligés à sa mère, et sollicite à ce titre réparation à hauteur de 100.000 euros, à la charge de la société ORPEA. Elle se prévaut également d'un préjudice distinct, résultant de son assignation en intervention forcée injustifiée, au titre duquel elle réclame une indemnité de 25.000 euros.
La société ORPEA justifie l'intervention forcée de Madame [V]-[L] par l'évolution des données juridiques du litige, rappelant que la "sommation interpellative" délivrée par huissier de justice a révélé la qualité de mandataire de celle-ci. Elle estime que Madame [V]-[L] ne justifie pas de son préjudice moral.
Sur ce,
Tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer (
article 1382 ancien - 1240 nouveau - du code civil🏛).
1. sur le préjudice moral de Madame [V]-[L] du fait de la situation de sa mère
Madame [V] a su apporter la démonstration de la négligence, voire de la maltraitance, dont elle a été victime lors de son séjour dans la résidence des Bords de Seine entre les mois de juin 2012 et juin 2017, situation imputable à la société ORPEA. Ses affirmations et les dénonciations émises par sa fille, Madame [Ac]-[L], ont en effet été appuyées par de nombreux signalements similaires émanant de résidents ou de familles de résidents séjournant dans la même maison de retraite à la même époque, un rapport d'inspection de l'ARS après des déplacements sur les lieux au cours de l'été 2018, la situation décrite par [H] [Z] après une enquête de trois ans dans son livre "Les Fossoyeurs" paru au mois de janvier 2022, le rapport de l'IGF et de l'IGAS du mois de mars 2022. Elles ont en outre et avant tout, été vérifiées et confirmées par le Défenseur des droits dans sa décision du 30 décembre 2019, concernant spécifiquement sa situation.
Madame [V]-[L], fille unique de Madame [V], a nécessairement souffert de savoir sa mère, admise dans la résidence des Bords de Seine du fait de son âge et de sa situation de dépendance, subir une telle situation. Il est ici rappelé que les places dans les EHPAD sont limitées, qu'il existe des listes d'attente, et qu'il n'est pas aisé de trouver ou retrouver, pour un parent admis dans un établissement, une nouvelle maison.
Si Madame [V]-[L] n'a pas pu rendre visite à sa mère quotidiennement, elle a fait montre de son attention vis-à-vis d'elle, alertant régulièrement la société ORPEA de dysfonctionnements et de sa situation difficile. [H] [Z], journaliste auteur du livre "Les Fossoyeurs" indique dans une attestation datée du 9 mai 2022, que Madame [V]-[L] a été l'une des premières personnes qu'il a rencontrées et entendues dans le cadre de son enquête sur les pratique du groupe ORPEA, fait état de son courage à témoigner "des dysfonctionnements dont sa mère avait été victime" et précise qu'elle a été, aux côtés de Monsieur [Y], ancien infirmier coordonnateur de la résidence des Bords de Seine (évoqué plus haut), une "lanceuse d'alerte". Il précise que "sans elle, sans la clarté, la rigueur de son témoignage, le système Orpea [qu'il décrit] dans [son] livre « Les Fossoyeurs » n'aurait pas pu être mis au jour".
La souffrance psychologique de Madame [V]-[L] au regard de la situation de sa mère du fait des agissements ou négligences de la société ORPEA, avérée par son combat, est indéniable.
Ajoutant au jugement, la société ORPEA sera en conséquence condamnée à payer la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts à Madame [Ac]-[L], en réparation du préjudice moral résultant de la situation de sa mère. Cette somme, de nature indemnitaire, portera intérêts à compter du présent arrêt, conformément aux termes de l'
article 1231-7 du code civil🏛.
2. sur le préjudice moral de Madame [V]-[L] du fait de son assignation en intervention forcée devant la Cour
Il ressort de l'
article 555 du code de procédure civile🏛 que les personnes qui n'ont été ni parties ni représentées en première instance peuvent être appelées devant la cour d'appel, même aux fins de condamnation, quand l'évolution du litige implique leur mise en cause.
La société ORPEA, qui a fait assigner Madame [Ac]-[L] devant la Cour de céans aux fins d'intervention forcée, ne présente aucune demande à son encontre.
La "sommation interpellative" que l'huissier de justice a le 3 septembre 2020 tenté de délivrer à Madame [Ac] à la requête de la société ORPEA a été écartée des présents débats, irrecevable du fait des informations qu'elle a permis d'obtenir de manière déloyale.
Les débats relatifs à l'existence d'un mandat de fait donné par Madame [Ac] à sa fille Madame [Ac]-[L] sont sans emport sur la solution du litige. Il est en tout état de cause constaté que cette dernière admet qu'elle "assiste évidemment sa mère, dépendante, dans ses démarches, même juridiques" et qu'il n'a jamais été établi - ni en première instance, ni devant la présente Cour - qu'elle prenne seule des décisions en lieu et place de sa mère.
Il apparaît ainsi que l'assignation en intervention forcée adressée par la société ORPEA à Madame [V]-[L] n'était pas justifiée par l'évolution du litige. L'intéressée indique avoir volontairement renoncé à soulever l'irrecevabilité de sa mise en cause. Il en est pris acte.
Cependant, quand bien même son assignation en intervention forcée à la requête de la société ORPEA n'était pas justifiée en l'espèce, celle-ci n'a pas été inutile, Madame [V]-[L] ayant pu apporter son éclairage sur la situation.
Madame [V]-[L] a en outre pu utilement réclamer l'indemnisation de son propre préjudice à l'occasion de la présente instance.
Elle ne justifie pas d'un préjudice moral distinct du préjudice que lui cause la nécessité pour elle de présenter sa défense en justice, lequel est examiné sur un autre fondement.
Aussi Madame [V]-[L] sera-t-elle déboutée de sa demande de dommages et intérêts en indemnisation d'un préjudice moral lié à la présente instance.
Sur la demande en paiement de la société ORPEA
Les premiers juges ont débouté la société ORPEA de sa demande tendant à la condamnation de Madame [V] au paiement de la somme de 11.214,74 euros en principal et de 48,34 euros au titre des intérêts contractuel. Cette décision n'est pas motivée.
La société ORPEA fait valoir les dispositions nouvelles du code civil, rappelle l'effet obligatoire du contrat, les termes du contrat de séjour de Madame [V] et son départ, et indique qu'après "régularisation partielle de sa situation comptable", Madame [V] reste débitrice à son égard de la somme de 11.211,74 euros, incluant les sommes dues au titre d'un mois de préavis.
Madame [V] ne conclut pas sur ce point.
Sur ce,
Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et doivent être exécutées de bonne foi (
article 1134 ancien du code civil🏛, applicable en l'espèce, le contrat de séjour de Madame [V] étant daté du 12 juin 2012).
Le contrat de séjour de Madame [V] ayant été déclaré nul, et par voie de conséquence anéanti en tous ses effets, la société ORPEA devant restituer les sommes perçues au titre de ce contrat, et Madame [Ac] devant restituer en valeur les prestations dont elle a bénéficié, le gérant de la maison de retraite ne peut plus réclamer le paiement d'aucun reliquat qui n'aurait pas été réglé au titre d'un contrat inexistant.
Il est ajouté que la société ORPEA produit en l'espèce à l'appui de sa demande un seul tableau tronqué, dressé de sa propre main, énumérant des factures non communiquées et la remise de chèques, qui ne permet pas d'expliciter le montant réclamé et de l'imputer à des factures et prestations précises, document sans aucune valeur probante de sa créance.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a justement débouté la société ORPEA de sa demande en paiement.
Sur les dépens et frais irrépétibles
Le sens de l'arrêt conduit à la confirmation du jugement en ses dispositions relatives aux dépens et à l'indemnisation des frais irrépétibles de première instance, mis à la charge de la société ORPEA.
Ajoutant au jugement, la Cour condamnera la société ORPEA, qui succombe en son recours, aux dépens d'appel, conformément aux dispositions de l'
article 696 du code de procédure civile🏛. Les conseils de Mesdames [V] et [V]-[L] ne réclament pas la distraction à leur profit des dépens. Il en est pris acte.
Tenue aux dépens, la société ORPEA sera également condamnée à payer à Madame [V] la somme équitable de 7.000 euros en indemnisation des frais exposés en cause d'appel et non compris dans les dépens, en application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛.
Sur le même fondement et pour les mêmes motifs, la société ORPEA sera condamnée à payer la somme équitable de 3.500 euros à Madame [Ac]-[L] en indemnisation de ses frais irrépétibles.