Jurisprudence : TA Nice, du 01-10-2010, n° 1001160



N° 1001160

Mme Talia P. et autres

M. Soli, Rapporteur

M. Louvet, Rapporteur public

Audience du 17 septembre 2010

Lecture du 1er octobre 2010

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Tribunal administratif de Nice

(1ère chambre)


Vu la requête, enregistrée le 23 mars 2010, présentée pour Mme Talia P., demeurant à St Laurent Du Var (06700), Mlle Delmina P., demeurant à Nice (06100), Mlle Allisson P., demeurant à St Laurent Du Var (06700), par Me Baudoux ; Mme P. et autres demandent au tribunal :

1°) d'annuler la décision implicite par laquelle le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE de Nice Saint-Roch a rejeté leur demande d'indemnisation présentée le 27 novembre 2009 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat ou du centre hospitalier universitaire de Nice la somme de 496 124,08 euros en réparation du préjudice causé à feu M. P., la somme de 50 000 euros à chacune des requérantes au titre du préjudice moral subi ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat ou du centre hospitalier universitaire de Nice la somme de 5000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;

……………………………………………………………………..

Vu le mémoire, enregistré le 16 juillet 2010 présenté par la Caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes (CPAM 06) qui conclut à la condamnation du CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE de Nice à l'indemniser des sommes versées par elle pour les soins de M. P., les indemnités journalières et la pension d'invalidité versées à ce dernier augmentées des intérêts au taux légal et à la condamnation du CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE de Nice à lui verser 966 euros correspondant à l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L376-1-6 du code de la sécurité sociale et 500 euros sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;

……………………………………………………………………………………….

Vu le mémoire, enregistré le 1er septembre 2010, présenté pour Mme P. , Mlle P. , Mlle P. qui conclut aux mêmes fins que la requête ;

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Vu le mémoire, enregistré le 10 septembre 2010, présenté pour le centre hospitalier universitaire de Nice qui conclut :

- au rejet de la requête de Mme P. et autres, aucune faute ne pouvant être reprochée au CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE de Nice ;

- au rejet des demandes de la caisse d'assurance maladie des Alpes-Maritimes et, subsidiairement qu'il soit soustrait des demandes de l'organisme social les sommes non justifiées et les demandes irrecevables et qu'il ne soit mis à la charge du CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE que la part de cette somme correspondant à la part de responsabilité qu'aura évalué le tribunal dans la perte de chance qui aura préalablement été chiffrée ;

……………………………………………………………………………………………..

Vu le mémoire, enregistré le 13 septembre 2010, présenté pour la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens ; ……………………………………………………………………………………………..

Vu le mémoire, enregistré le 14 septembre 2010, présenté pour Mme P. , Mlle P. , Mlle P. qui conclut aux mêmes fins ;

……………………………………………………………………………………………..

Vu le mémoire, enregistré le 15 septembre 2010, présenté pour le centre hospitalier universitaire de Nice qui conclut aux mêmes fins ;

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Vu l'ordonnance en date du 15 septembre 2010 fixant la réouverture de l'instruction, en application de l'article R. 613-4 du code de justice administrative ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 17 septembre 2010 ;

- le rapport de M. Soli, rapporteur ;

- les observations de Me Brun, substituant Me Baudoux pour les requérantes et de Me Chas pour le Centre hospitalier universitaire de Nice ;

- et les conclusions de M. Louvet, rapporteur public ;

Après avoir redonné la parole aux parties en application de l'article R. 732-1 du code de justice administrative

Considérant que M. P., alors âgé de 52 ans, souffrant de fortes céphalées accompagnées de vomissements, de raideurs de la nuque s'est présenté aux urgences de l'hôpital Saint-Roch de Nice le 16 avril 2001 ; qu'il a été renvoyé le jour même à son domicile avec un traitement de glucosé 0,5% et de pro-dafalgan sans avoir bénéficié d'un examen para-clinique ni avoir été examiné par un médecin senior ; que le 17 avril 2001, souffrant des mêmes symptômes, M. P. a consulté la remplaçante de son médecin traitant qui lui a prescrit des séances de massage, des décontractants et 8 jours d'arrêt de travail ; que le 21 avril 2001, l'état de M. P. s'est aggravé ; que retrouvé inconscient à son domicile, il a été hospitalisé aux urgences de l'hôpital Saint-Roch ; qu'un examen tomodensitométrique de l'encéphale a révélé des hémorragies ménagée et intra-ventriculaire et un oedème cérébral diffus ;

Sur la responsabilité :

En ce qui concerne la faute dans l'organisation et le fonctionnement du service des urgences :

Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que les symptômes que présentait M. P., à savoir fortes céphalées persistantes depuis cinq jours accompagnées de vomissements, de somnolence et de raideurs de la nuque justifiaient dès le 16 avril 2001, de pratiquer des examens para-cliniques TDM ou IRM pour permettre de diagnostiquer un éventuel syndrome méningé; que ce n'est que le 21 avril 2001, après une perte de connaissance de M. P. et son admission aux urgences, qu'un examen tomodensitométrique de l'encéphale a révélé une hémorragie méningée prédominant au niveau des citernes pré-pontique et optochiasmatique, de l'attente du cervelet et également présente discrètement au niveau des vallées syviennes, une hémorragie intra-ventriculaire et un oedème cérébral diffus; que le retard de diagnostic ainsi décrit, qui s'est accompagné d'un retard dans la prise en charge thérapeutique de M. P., constitue une faute de nature à engager la responsabilité du CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE de Nice ;

En ce qui concerne le lien de causalité :

Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que M. P., décédé en novembre 2006, présentait un syndrome démentiel sévère, une dépendance pour les actes de la vie quotidienne, une impossibilité de se tenir debout, de se déplacer autrement qu'en fauteuil roulant et un déficit moteur de la main droite; que ces pathologies ont un lien direct avec les retards fautifs mis en évidence par l'expert ; qu'il ressort des pièces du dossier, et notamment du rapport d'expertise, que le 16 avril 2001, jour où M. P. s'est présenté aux urgences, l'anévrisme à l'origine de ses pathologies était seulement fissuré mais que du fait de l'organisation défectueuse des urgences de l'hôpital Saint-Roch, le diagnostic n'a pu être établi ce jour là ; que le 17 avril 2001, souffrant des mêmes symptômes, M. P. a consulté la remplaçante de son médecin traitant ; que ce n'est que le 21 avril 2001 après une hémorragie méningée beaucoup plus sévère que le diagnostic a pu être établi ; que ce retard de diagnostic a entraîné une perte de chance pour M. P. qui est à l'origine des préjudices qu'il a subis ; que le dommage subi par M. P. trouve sa cause dans les fautes commises indépendamment par les urgences de l'hôpital Saint-Roch et par la remplaçante de son médecin traitant ; que lorsqu'un dommage trouve sa cause dans plusieurs fautes qui, commises par des personnes différentes ayant agi de façon indépendante, portaient chacune en elle normalement ce dommage au moment où elles se sont produites, la victime peut rechercher la réparation de son préjudice en demandant la condamnation de l'une de ces personnes ou de celles-ci conjointement, sans préjudice des actions récursoires que les coauteurs du dommage pourraient former entre eux ; que les requérantes sont donc fondées à demander réparation des dommages subis par M. P. et par elles-mêmes au CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE de Nice ;

Considérant, en second lieu, que si le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE de Nice soutient que 60% des accidents vasculaires cérébraux étant fatals, le taux de perte de chance à retenir ne serait que de 40%, il ressort des pièces du dossier que M. P. n'est pas décédé immédiatement après l'intervention chirurgicale du 23 avril 2001 qui a permis de réduire l'anévrisme par une embolisation réalisée à 95% ; qu'aucune pièce du dossier ne permet d'établir que si cette embolisation avait eu lieu avant la rupture de l'anévrisme ses chances de succès n'auraient pas été totales et n'auraient pas permis d'éviter les séquelles neurologiques subies par M. P. ; qu'il s'ensuit que le taux de perte de chance à retenir s'élève à 100 % ;

Sur le préjudice :

En ce qui concerne les préjudices à caractère patrimonial :

Sur les dépenses de santé :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que les hospitalisations et soins de M. P. ont entraîné, pour la Caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes, des dépenses de santé tenant à des frais médicaux et pharmaceutiques, de transport et d'hospitalisation, d'un montant de 315 488 € auxquels s'ajoute l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L.376-1 du code de la sécurité sociale soit 966 euros ; que si le centre hospitalier soutient que le décompte de prestations qu'elle produit présente des incohérences et des imprécisions, il ne ressort pas des pièces du dossier que le montant global soit utilement contesté ; que la caisse a, dès lors, droit au remboursement de la somme demandée augmentée des intérêts au taux légal à compter du 16 juillet 2010 ;

Sur les pertes de revenus et l'incidence professionnelle :

Considérant que les dépenses liées aux revenus de remplacement versés à M. P. par la Caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes s'élèvent à un montant de 124 480,55 euros ; que cette somme excède les sommes demandées par les requérantes au titre des pertes de revenus engendrées par l'incapacité de M. P. ; que la caisse a droit au remboursement de la somme demandée augmentée des intérêts au taux légal à compter du 16 juillet 2010 ;

Sur les frais liés au handicap :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que les préjudices patrimoniaux temporaires s'élèvent à 5 336,46 euros pour des factures d'équipement médical du domicile non sérieusement contestées ; qu'il y a lieu d'accorder aux requérantes une somme de 5 336,46 euros ;

En ce qui concerne les préjudices à caractère personnel :

Considérant qu'eu égard à son âge, au taux d'incapacité permanente de 90 % et à la vie quasi-végétative à laquelle a été réduit M. P., il sera fait une juste appréciation des troubles dans les conditions d'existence de la victime, incluant le préjudice d'agrément, en les évaluant à 160.000 euros ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment des rapports d'expertise que le pretium doloris est évalué à 6 sur 7 ; qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice esthétique et des souffrances endurées en évaluant l'ensemble de ces préjudices à 55 000 euros ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le Centre hospitalier universitaire de Nice devra verser au titre des préjudices à caractère personnel subis par M. P. une somme de 215 000 euros aux requérantes ;

Sur le préjudice moral du conjoint et des enfants de M. P. :

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme P. a subi du fait de l'état de santé de son mari un préjudice moral consistant en un traumatisme psychique et une dépression majeure ; que les deux filles de M. P., mineures au moment des faits, ont subi un préjudice moral du fait de l'état de leur père ; que Melle Allisson P. a dû être placée en foyer du fait de l'incapacité de ses parents à s'occuper d'elle ; qu'il sera fait une juste appréciation des préjudices causés aux requérantes par l'état de santé de M. P. qu'elles ont accompagné pendant plus de cinq ans dans sa vie quasi-végétative en fixant le montant indemnisable à 30 000 euros chacune ; que la somme à mettre à la charge du CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE de Nice s'élève, pour chaque requérante à un montant de 30 000 euros ;

Sur les frais d'expertise :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre les frais d'expertise à la charge du centre hospitalier universitaire de Nice ;

Sur le total des indemnités dues par le centre hospitalier régional et universitaire de Nice :

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le centre hospitalier universitaire de Nice doit être condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes, d'une part, la somme de 439 968,55 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 16 juillet 2010 et, d'autre part la somme de 966 euros au titre de l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L.376-1 du code de la sécurité sociale ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le centre hospitalier universitaire de Nice doit être condamné à verser aux requérantes solidairement la somme de 220 336,46 euros ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le centre hospitalier universitaire de Nice doit être condamné à verser 30 000 euros à chacune des trois requérantes ;

Sur l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : "Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à condamnation" ;

Considérant qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Nice, d'une part,

la somme de 500 euros au titre des frais exposés par la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes et non compris dans les dépens et d'autre part, la somme de 1000 euros au titre des frais exposés par Mme P., Melle Delmina P. et Melle Allisson P. et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : Le centre hospitalier universitaire de Nice est condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes la somme 439 968,55 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 16 juillet 2010.

Article 2 : Le centre hospitalier universitaire de Nice est condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes, la somme 966 euros au titre de l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L.376-1 du code de la sécurité sociale.

Article 3 : Le centre hospitalier universitaire de Nice est condamné à verser aux requérantes solidairement la somme de 220 336,46 euros.

Article 4 : Le centre hospitalier universitaire de Nice est condamné à verser la somme de 30 000 euros à Mme P..

Article 5 : Le centre hospitalier universitaire de Nice est condamné à verser la somme de 30 000 euros à Melle Delmina P..

Article 6 : Le centre hospitalier universitaire de Nice est condamné à verser la somme de 30 000 euros à Melle Allisson P..

Article 7 : Les frais d'expertise sont mis à la charge du Centre hospitalier universitaire de Nice.

Article 8 : Le Centre hospitalier universitaire de Nice versera 500 euros à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes et 1000 euros aux requérantes sur le fondement des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 9 : Le présent jugement sera notifié à Mme Talia P., à Mlle Delmina P., à Mlle Allisson P. au centre hospitalier universitaire de Nice et à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes.

Copie en sera adressée à l'expert.

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