COUR D'APPEL D'ORLÉANS
CHAMBRE DES AFFAIRES DE SÉCURITÉ SOCIALE
GROSSE à :
SCP LECAT ET ASSOCIES
Me Dimitri PINCENT
EXPÉDITION à :
CIPAV
[M] [S] épouAae [D]
Pôle social du Tribunal judiciaire de TOURS
ARRÊT DU : 23 JANVIER 2024
Minute n°22/2024
N° RG 22/02725 - N° Portalis DBVN-V-B7G-GV4J
Décision de première instance : Pôle social du Tribunal judiciaire de TOURS en date du 24 Octobre 2022
ENTRE
APPELANTE :
CIPAV
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Malaury RIPERT de la SCP LECAT ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, substitué par Me Amélie TOTTEREAU-RETIF, avocat au barreau d'ORLEANS
D'UNE PART,
ET
INTIMÉE :
Madame [M] [S] épAause [D]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Me Dimitri PINCENT, avocat au barreau de PARIS
Dispensée de comparution à l'audience du 21 novembre 2023
D'AUTRE PART,
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats :
En application des dispositions de l'
article 945-1 du Code de procédure civile🏛, l'affaire a été débattue le 21 NOVEMBRE 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Nathalie LAUER, Président de chambre, chargé du rapport.
Lors du délibéré :
Madame Nathalie LAUER, Président de chambre,
Madame Anabelle BRASSAT-LAPEYRIERE, Conseiller,
Monsieur Laurent SOUSA, Conseiller.
Greffier :
Monsieur Alexis DOUET, Greffier lors des débats et du prononcé de l'arrêt.
DÉBATS :
A l'audience publique le 21 NOVEMBRE 2023.
ARRÊT :
- Contradictoire, en dernier ressort.
- Prononcé le 23 JANVIER 2024 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'
article 450 du Code de procédure civile🏛.
- Signé par Madame Nathalie LAUER, Président de chambre et Monsieur Alexis DOUET, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le Magistrat signataire.
* * * * *
Mme [M] [S] épouse [Aa], née en 1959, affiliée à la caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse, ci-après CIPAV, dans le cadre de son activité de conseil exerçant sous le statut d'auto-entrepreneur, a sollicité la liquidation de ses droits auprès de cet organisme à compter du 1er octobre 2021.
Le 24 novembre 2021, elle s'est vue notifier la liquidation de sa pension de retraite de base pour un montant de 67,07 euros par mois à compter du 1er novembre 2021 et la liquidation de sa pension de retraite complémentaire pour un montant forfaitaire unique de 6'745,29 euros.
Mme [M] [S] épouse [Aa] a vainement contesté la méthode de comptabilisation des points de retraite retenue par la CIPAV devant la commission de recours amiable, qui a rejeté son recours le 7 juin 2022.
Par requête du 13 juin 2022, Mme [M] [S] épouse [Aa] a saisi le Pôle social du tribunal judiciaire de Tours du litige l'opposant à la CIPAV.
Par jugement du 24 octobre 2022, le Pôle social du tribunal judiciaire de Tours a :
- déclaré bien fondé le recours de Mme [M] [S],
- condamné la CIPAV à rectifier les points de retraite complémentaire acquis par Mme [M] [S] selon le détail suivant':
' 36 points en 2013,
' 36 points en 2014,
' 36 points en 2015,
' 36 points en 2016,
' 36 points en 2017,
' 36 points en 2018,
' 36 points en 2019,
' 36 points en 2020,
- condamné la CIPAV à rectifier les points de retraite de base acquis par Mme [M] [S] selon le détail suivant':
' 234,9 points en 2013,
' 291,5 points en 2014,
' 336,4 points en 2015,
' 345,2 points en 2016,
' 316,6 points en 2017,
' 265 points en 2018,
' 244,2 points en 2019,
' 144,1 points en 2020,
' 180,9 points en 2021,
- condamné la CIPAV à revaloriser les pensions de régime de base et de retraite complémentaire de Mme [M] [S] de manière conforme avec paiement des arrérages à compter du 1er octobre 2021,
- débouté la CIPAV et Mme [M] [S] du surplus de leurs prétentions,
- condamné la CIPAV à payer Mme [M] [S] une somme de 1'200 euros sur le fondement de l'
article 700 du Code de procédure civile🏛,
- condamné la CIPAV aux entiers dépens.
Suivant déclaration effectuée par voie électronique le 26 novembre 2022, la CIPAV a relevé appel de ce jugement.
Dans ses conclusions visées par le greffe le 21 novembre 2023 et soutenues oralement à l'audience du même jour, la CIPAV demande à la Cour de :
Vu les dispositions des statuts de la CIPAV,
Vu le
décret n° 79-262 du 21 mars 1979🏛,
Vu les textes visés,
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a':
* déclaré bien fondé le recours de Mme [M] [S],
* condamné la CIPAV à rectifier les points de retraite complémentaire acquis par Mme [M] [S] selon le détail suivant':
' 36 points en 2013,
' 36 points en 2014,
' 36 points en 2015,
' 36 points en 2016,
' 36 points en 2017,
' 36 points en 2018,
' 36 points en 2019,
' 36 points en 2020,
* condamné la CIPAV à rectifier les points de retraite de base acquis par Mme [M] [S] selon le détail suivant':
' 234,9 points en 2013,
' 291,5 points en 2014,
' 336,4 points en 2015,
' 345,2 points en 2016,
' 316,6 points en 2017,
' 265 points en 2018,
' 244,2 points en 2019,
' 144,1 points en 2020,
' 180,9 points en 2021,
* condamné la CIPAV à revaloriser les pensions de régime de base et de retraite complémentaire de Mme [M] [S] de manière conforme avec le paiement des arrérages à compter du 1er octobre 2021,
* condamné la CIPAV à payer à Mme [M] [S] une somme de 1'200 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
* condamné la CIPAV aux entiers dépens,
A titre principal,
- déclarer irrecevable le recours formé par Mme [M] [S],
A titre subsidiaire,
- juger du bon calcul des points de retraite de base et de retraite complémentaire de Mme [M] [S],
- attribuer à Mme [M] [S] les points de retraite de base suivants':
' 155 points de retraite de base en 2013,
' 192,4 points de retraite de base en 2014,
' 222 points de retraite de base en 2015,
' 240 points de retraite de base en 2016,
' 216,1 points de retraite de base en 2017,
' 176,9 points de retraite de base en 2018,
' 163,1 points de retraite de base en 2019,
' 96,2 points de retraite de base en 2020,
' 157,9 points de retraite de base en 2021,
- attribuer à Mme [M] [S] les points de retraite complémentaire suivants':
' 9 points de retraite complémentaire en 2013,
' 18 points de retraite complémentaire en 2014,
' 18 points de retraite complémentaire en 2015,
' 34 points de retraite complémentaire en 2016,
' 30 points de retraite complémentaire en 2017,
' 24 points de retraite complémentaire en 2018,
' 22 points de retraite complémentaire en 2019,
' 13 points de retraite complémentaire en 2020,
' 20 points de retraite complémentaire en 2021,
- débouter Mme [M] [S] de l'ensemble de ses demandes,
- condamner Mme [M] [S] à verser à la CIPAV la somme de 600 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'engager.
Dans ses conclusions transmises le 25 octobre 2023, Mme [M] [S] épouse [Aa] demande à la Cour de :
Vu les
articles L. 133-6-8 et L. 644-1 du Code de la sécurité sociale🏛🏛,
Vu l'
article 2 du décret n° 79-262 du 21 mars 1979🏛,
Vu l'arrêt Tate de la Cour de cassation du 23 janvier 2020,
Vu l'
article 1240 du Code civil🏛,
- confirmer le jugement rendu par le Pôle social du tribunal judiciaire de Tours du 24 octobre 2022 sauf en ce qu'il a débouté Mme [M] [S] de sa demande en réparation du préjudice moral,
Statuant à nouveau,
- condamner la CIPAV à verser à Mme [M] [S] la somme de 3'000 euros en réparation du préjudice moral,
Y ajoutant,
- condamner la CIPAV à verser à Mme [M] [S] la somme de 5'000 euros en réparation de l'appel abusif,
- condamner la CIPAV à verser à Mme [M] [S] la somme de 4'000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.
En application de l'
article 455 du Code de procédure civile🏛, il est renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.
MOTIFS
- Sur la recevabilité du recours
Moyens des parties
La CIPAV poursuit l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il l'a condamnée à rectifier les points de retraite complémentaire et de base de Mme [M] [S] épouse [Aa].
Elle soulève l'irrecevabilité du recours de Mme [S] épouse [Aa] aux motifs que le relevé de situation individuelle qu'elle s'est procurée ne constitue pas une décision de la caisse, élément nécessaire à la saisine de la commission de recours amiable. Elle soutient que l'adhérent ne peut saisir la commission de recours amiable de la caisse, puis la juridiction, qu'à la suite de la notification d'une décision émanant de cet organisme, que le relevé de situation individuelle que Mme [S] épouse [Aa] s'est procuré à partir du site internet GIP Info-Retraite, établi à titre indicatif et provisoire, ne peut caractériser une décision prise par la caisse relative à la détermination de ses droits à retraite susceptible de contestation devant la commission de recours amiable.
De son côté, Mme [S] épouse [Aa], qui poursuit la confirmation du jugement entrepris, ne formule aucune observation sur la recevabilité de son recours.
Observations de la Cour
Aux termes des dispositions de l'
article R. 142-1 du Code de la sécurité sociale🏛, les réclamations relevant de l'
article L. 142-1 du même code🏛, formées contre les décisions prises par les organismes de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole de salariés ou de non-salariés sont soumises à une commission de recours amiable composée et constituée au sein du conseil d'administration de chaque organisme.
Cette commission doit être saisie dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision contre laquelle les intéressés entendent former une réclamation. La forclusion ne peut être opposée aux intéressés que si cette notification porte mention de ce délai.
En l'espèce, il ressort des pièces produites que la commission de recours amiable a bien été saisie, par courrier recommandé du 17 janvier 2022, réceptionné le 18 janvier suivant, d'une contestation des notifications de retraite de base et de retraite complémentaire émises par la CIPAV le 24 novembre 2021, conformément aux dispositions de l'article R. 142-1 susvisé.
La Cour relève en outre que la commission de recours amiable de la CIPAV a rejeté la contestation de Mme [S] épouse [Aa] sans lui opposer une quelconque irrecevabilité de sa saisine.
Il convient en conséquence, de déclarer le recours de Mme [S] épouse [Aa] recevable en l'espèce.
- Sur le calcul des points de retraite complémentaire
Moyens des parties
La CIPAV poursuit l'infirmation du jugement déféré aux motifs que son calcul des points acquis par Mme [S] épouse [Aa] ne résulte que de l'application des dispositions réglementaires relatives au régime de l'auto-entrepreneur et du principe de proportionnalité des droits à la retraite aux cotisations versées.
S'agissant de l'assiette de calcul des points, elle estime qu'une distinction doit être opérée entre la période antérieure au 1er janvier 2016, pour laquelle il existait une compensation du régime par l'État, pour couvrir la perte de recette induite par le régime, et la période postérieure, où la compensation financière versée par l'Etat n'existe plus. Ainsi, pour la période de 2009 à 2015, elle soutient qu'il résulte de l'article R. 133-30-10 du Code de la sécurité sociale que la compensation de l'Etat doit garantir aux auto-entrepreneurs une cotisation au moins égale à la plus faible cotisation non nulle dont ils auraient pu être redevables, que le montant compensé par l'Etat correspond à la différence entre la plus faible cotisation dont le revenu d'activité permettait à l'assuré de bénéficier et la part du forfait social affecté au régime complémentaire et acquittée par lui, le cotisant bénéficiant d'un taux unique de cotisations dit forfait social, applicable au chiffre d'affaires déclaré et couvrant l'ensemble des cotisations et contributions sociales dues. Elle considère ainsi qu'il y a donc lieu de s'assurer de la réalité des sommes versées tant par l'adhérent que par l'Etat au titre de la compensation pour déterminer le nombre de points dus au titre du régime complémentaire. Pour la période courant à compter du 1er janvier 2016, elle prétend que par application de ses statuts (article 3-12 bis) le nombre de points attribués au titre du régime complémentaire est proportionnel aux cotisations effectivement réglées. Elle ajoute que Mme [S] épouse [Aa] commet une erreur en se fondant sur son chiffre d'affaires dans le calcul de ses points de retraite de base et complémentaire pour la période antérieure à 2016 puisque selon elle, c'est le bénéfice non commercial déclaré qui prévaut.
De son côté, Mme [S] épouse [Aa] rappelle que la cour de cassation dans son arrêt du 23 janvier 2020 (Civ., 2ème 18-15.542) a posé pour principe que l'article 2 du décret n° 79-262 du 21 mars 1979 modifié, est seul applicable à la fixation du nombre de points de retraite complémentaire attribués annuellement aux auto-entrepreneurs affiliés à la CIPAV et que ce nombre de points procède directement de la classe de cotisation de l'affilié, déterminée en fonction de son revenu d'activité. Elle demande donc la censure de la pratique de la CIPAV consistant à allouer des points de retraite complémentaire d'un montant inférieur à ceux de la première classe. Elle affirme que les relations financières entre l'Etat et la CIPAV sont étrangères à la comptabilisation des droits à la retraite et n'intéressent pas les adhérents. Elle conclut qu'en tout état de cause, la règle de proportionnalité avancée est contraire aux termes du décret précité qui vise un octroi de points forfaitaires et non proportionnels. S'agissant du revenu de référence avant 2016, elle rappelle les termes de l'article L. 133-6-8 du Code de la sécurité sociale qui garantit aux auto-entrepreneurs l'acquisition de droits identiques à ceux des professionnels libéraux 'classiques' par dérogation au régime de droit commun visé à l'
article L. 131-6 du Code de la sécurité sociale🏛. Elle ajoute que la détermination des trimestres acquis se fait par référence au chiffre d'affaires par application de l'
article D. 643-3 du Code de la sécurité sociale🏛.
Observations de la Cour
Le régime de retraite complémentaire géré par la CIPAV est régi par le décret n° 79-262 du 21 mars 1979. Il prévoit huit classes de cotisations forfaitaires, portant attribution annuelle de points.
La
loi n° 2008-776 du 4 août 2008🏛 de modernisation de l'économie a créé le régime de l'auto-entrepreneur, consistant en un régime simplifié, sous condition de revenus, de création, gestion et cessation d'entreprise individuelle.
L'article L. 133-6-8 du Code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la
loi n° 2009-431 du 20 avril 2009🏛, énonce : 'Par dérogation aux cinquième et dernier alinéas de l'article L. 131-6, les travailleurs indépendants bénéficiant des régimes définis aux
articles 50-0 et 102 ter du code général des impôts🏛🏛 peuvent opter, sur simple demande, pour que l'ensemble des cotisations et contributions de sécurité sociale dont ils sont redevables soient calculées mensuellement ou trimestriellement en appliquant au montant de leur chiffre d'affaires ou de leurs revenus non commerciaux effectivement réalisés le mois ou le trimestre précédent un taux fixé par décret pour chaque catégorie d'activité mentionnée auxdits articles du code général des impôts. Des taux différents peuvent être fixés par décret pour les périodes au cours desquelles le travailleur indépendant est éligible à une exonération de cotisations et de contributions de sécurité sociale. Ce taux ne peut être, compte tenu des taux d'abattement mentionnés aux articles 50-0 ou 102 ter du même code, inférieur à la somme des taux des contributions mentionnés à l'article L. 136-3 du présent code et à l'
article 14 de l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996🏛 relative au remboursement de la dette sociale'.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 a modifié l'article L. 133-6-8 en précisant que le taux du forfait social, qui doit être fixé par décret, doit 'garantir un niveau équivalent entre le taux effectif des cotisations et contributions sociales versées et celui applicable aux mêmes titres aux revenus des travailleurs indépendants'.
Le financement de ce système incitatif a été complété par l'Etat pour la période 2009-2015 en application de l'
article L. 131-7 du Code de la sécurité sociale🏛. L'article R. 133-30-10 du Code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du
décret n° 2009-379 du 2 avril 2009🏛, définit les modalités de cette compensation et précise en son dernier alinéa que pour l'application de ces dispositions aux travailleurs indépendants affiliés à la CIPAV, cette compensation doit garantir au régime une cotisation 'au moins égale à la plus faible cotisation non nulle dont ils pourraient être redevables en fonction de leur activité en application des dispositions mentionnées au a du présent article'. A compter du 1er janvier 2016, aucune compensation financière n'a plus été prévue.
Ainsi, les cotisations et contributions sociales des auto-entrepreneurs affiliés à la CIPAV, calculées et recouvrées par l'ACOSS pour être reversées à la CIPAV, sont calculées à partir d'un taux de cotisation spécifique et global pour l'ensemble des garanties, y compris la retraite complémentaire, à l'exception de la contribution à la formation professionnelle, ce taux étant appliqué directement sur le chiffre d'affaires encaissé.
En l'espèce, il sera observé qu'il n'existe aucune contestation sur le paiement de ses cotisations par Mme [S] épouse [Aa] au titre de son statut d'auto-entrepreneur.
Il sera également constaté qu'il est exact que la cour de cassation, saisie de la question des règles de détermination du nombre de points de retraite complémentaire attribués annuellement aux auto-entrepreneurs affiliés à la CIPAV a indiqué dans son arrêt du 23 janvier 2020 : 'Il résulte des dispositions de l'article 2 du décret n° 79-262 du 21 mars 1979 modifié, seules applicables à la fixation du nombre de points de retraite complémentaire attribués annuellement aux auto-entrepreneurs affiliés à la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse (CIPAV), que ce nombre de points procède directement de la classe de cotisation de l'affilié, déterminée en fonction de son revenu d'activité'.
Ainsi, quelle que soit la période invoquée, c'est à tort que la CIPAV a fondé le décompte des points de retraite complémentaire de Mme [S] épouse [Aa] d'une part sur les dispositions définissant les modalités de la compensation financière de l'Etat, qui sont au surplus étrangères aux rapports entre la caisse et ses cotisants auto-entrepreneurs et d'autre part sur ses statuts, qui, en tout état de cause, se situent dans la hiérarchie des normes à un niveau inférieur aux dispositions légales et réglementaires. Enfin, le principe de proportionnalité entre le montant des cotisations acquittées et le nombre de points acquis invoqué par la CIPAV est contraire aux dispositions de l'
article 2 précité du décret du 21 mars 1979🏛 rappelées ci-dessus.
S'agissant de l'assiette de calcul, au visa des dispositions précitées, la CIPAV ne saurait valablement se référer aux bénéfices non commerciaux déclarés, au lieu du chiffre d'affaires, pour déterminer, à la baisse, le revenu d'activité, et par conséquent, la classe de cotisation de l'affilié.
Il y a lieu, dès lors, de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a condamné la CIPAV à rectifier les points de retraite complémentaire acquis par Mme [S] épouse [Aa] conformément à ses demandes.
- Sur le calcul des points de retraite de base
Les parties s'accordent sur la formule de calcul des points de retraite de base des auto-entrepreneurs mais s'opposent sur l'abattement de 34 % appliqué par la CIPAV sur le chiffre d'affaires. La caisse indique chercher à obtenir ainsi une assiette de cotisations équivalente au régime de droit commun afin de reconstituer un revenu correspondant aux bénéfices non commerciaux en application des dispositions des articles L. 133-6-8 du Code de la sécurité sociale et 102 ter du Code général des impôts.
Cette analyse est toutefois incompatible avec le sens même des dispositions évoquées qui garantissent aux auto-entrepreneurs, 'un niveau équivalent entre le taux effectif des cotisations et contributions sociales versées et celui applicable aux mêmes titres aux revenus des travailleurs indépendants'.
C'est donc par une juste appréciation que les premiers juges ont fait droit aux demandes de Mme [S] épouse [Aa] à ce titre.
- Sur la demande en paiement de dommages et intérêts au titre du préjudice moral généré par la minoration des droits à la retraite et par l'appel abusif
Moyens des parties
Mme [S] épouse [Aa] réclame la somme de 3 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice découlant de la minoration de ses droits à la retraite et du stress généré par le sentiment d'impuissance à obtenir rectification de ses droits.
La CIPAV s'y oppose aux motifs que la divergence d'interprétation des textes ne saurait être constitutive d'une faute de sa part.
Observations de la Cour
L'article 1240 du Code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, et l'article 1241 du même code ajoute que chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
Enfin l'
article 9 du Code de procédure civile🏛 fait obligation à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
S'il est exact qu'un différend juridique sur des modalités de calcul de droits à pension ne peut à lui seul constituer une faute notamment au regard de l'abondante jurisprudence suscitée par ces questions, force est de constater qu'au jour de l'introduction du litige, l'arrêt de la cour de cassation était déjà intervenu et que dès 2014 puis 2017, la cour des comptes alertait dans ses rapports annuels sur 'une réduction sans base légale de droits à la retraite complémentaire' [des auto-entrepreneurs] (rapport 2014 p. 271 et suivantes) concluant 'il importe que la CIPAV et les pouvoirs publics reviennent, sans délai, sur ces pratiques irrégulières de manière à garantir aux auto-entrepreneurs les mêmes droits qu'aux professionnels libéraux, sauf à procéder aux modifications de textes qui leur donneraient un fondement juridique'. En 2017, il était noté 'une absence anormale de rétablissement des auto-entrepreneurs dans leurs droits' (rapport 2017 p. 427), la Cour des comptes réitérant 'sa recommandation de rétablir dans la plénitude de leurs droits les auto-entrepreneurs concernés entre 2009 et 2015 sur la base d'une cotisation minimale recalculée'.
Il doit donc être retenu que la persistance de la CIPAV dans l'application d'une position juridiquement erronée, est constitutive d'une faute de sa part de la même façon que l'exercice d'une voie de recours sur ce même fondement, déjà statué.
Pour autant, Mme [S] épouse [Aa] ne justifie pas du préjudice moral en découlant à ce double titre ainsi qu'elle allègue.
La décision déférée sera donc confirmée en ce qu'elle a débouté Mme [S] épouse [Aa] de ses demandes de ce chef.
- Sur les demandes accessoires
Le jugement déféré sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.
Partie succombante, la CIPAV sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer à Mme [S] épouse [Aa] la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile. La CIPAV sera en conséquence déboutée de sa propre demande d'indemnité de procédure.
PAR CES MOTIFS :
Statuant par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 24 octobre 2022 par le Pôle social du tribunal judiciaire de Tours ;
Y ajoutant,
Condamne la CIPAV à payer à Mme [S] épouse [Aa] une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamne la CIPAV aux dépens et la déboute de sa propre demande d'indemnité de procédure.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,