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par Vincent Vantighem
le 19 Septembre 2023
La confidence vient d’un spécialiste de l’évasion fiscale. « Dans le milieu, on rigole toujours pour savoir qui de Patrick Balkany ou de François Fillon a réussi la plus belle arnaque avant de se faire prendre… La vérité, c’est que ce n’est rien à côté des Wildenstein ! Ça, c’est vraiment de l’orfèvrerie. Le système est impressionnant... ».
Sauf qu’à l’inverse des hommes politiques, celui mis en place par les héritiers de cette grande famille de marchands d’art n’a jamais été jugé illégal. En dépit de deux relaxes prononcées en leur faveur ces dernières années, les Wildenstein ont retrouvé, lundi 18 septembre, le chemin de la cour d’appel de Paris pour répondre, une fois de plus, d’accusations de « fraude fiscale ». Une fraude fiscale « colossale » estimée à près de 600 millions d’euros.
Pour comprendre cela, il faut situer les Wildenstein sur l’organigramme des plus grandes fortunes mondiales. Dans le milieu de l’art d’abord où ils possèdent des dizaines de tableaux de maîtres. Bonnard, Fragonard, Le Caravage… De quoi faire pâlir d’envie les plus grands musées. Et puis il y a les galeries, les chevaux de course. Et surtout ce ranch incroyable au Kenya que connaissent bien tous ceux qui ont vu Out of Africa puisqu’il sert de cadre au film de Sydney Pollack… Sauf que le fisc n’est pas cinéphile. Et n’a pas à l’être. Depuis 2014, les impôts français réclament un total de 550 millions d’euros à cette famille pour avoir dissimulé leur fabuleuse fortune dans des trusts lors des différentes successions.
La question centrale des Trusts
Ce n’est donc pas la première fois que les Wildenstein doivent répondre de ces accusations. En 2017, à l’issue d’un procès rocambolesque, ils avaient bénéficié d’une première relaxe. Confirmée en appel en 2018. Mais la Cour de cassation a finalement ordonné qu’un nouveau procès ait lieu. Ce qu’il leur vaut aujourd’hui un nouveau voyage sur l’île de la Cité, à Paris. Dans les faits, ils sont poursuivis pour avoir dissimulé leur fortune après le décès, en 2001, du patriarche Daniel Wildenstein. Les biens fabuleux ont été, en réalité, placés dans des trusts, des sociétés de droit anglo-saxon qui abritent des actifs confiés par leur propriétaire à un personne de confiance nommée le trustee. Il y avait là le « Sons Trust », le « Delta Trust », le « Delta Trust », le « Sylvia Trust »...
Toute la question est de savoir ici si les Wildenstein s’étaient réellement dessaisis de leurs biens via ces structures offshores. Si c’était le cas, ils n’avaient pas à les déclarer. Mais dans le cas contraire, s’ils pouvaient en disposer à leur guise, ils auraient dû payer des droits de succession sur l’intégralité du patrimoine. Vaste question…
Un machin « sophistiqué » pour l’accusation
Lundi, à l’ouverture du procès, tous les prévenus étaient présents à l’exception de l’un d’entre eux, excusé pour « raisons médicales ». Leurs avocats ont, comme prévu, ouvert les hostilités en déposant des Questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) qui seront tranchées en novembre. À commencer par l’ancien Bâtonnier Jean-Yves Le Borgne qui a résumé les débats de sa voix de stentor. « Il n’y a que la loi qui peut dire que l’impôt s’impose ! ». Avant d’exposer que toutes les accusations ne reposent que sur un a priori culturel : « Le juriste français n’aime pas le trust. Pour lui, c’est un machin suspect... ».
C’est surtout un machin « sophistiqué » pour reprendre l’expression de Monica d’Onofrio. La procureure qui représentait déjà le ministère public lors du premier procès portera, une fois de plus, l’accusation lors de cette audience. Convaincue de la volonté des Wildenstein de dissimuler leur patrimoine au fisc, elle devrait décortiquer les choses jusqu’au 4 octobre. Pour présider les débats, c’est Sophie Clément qui a été désignée. Habituée des dossiers complexes, elle s’est occupée ces dernières années de juger l’affaire « Tapie » ou plus récemment celle de Nicolas Sarkozy dans le dossier dit des écoutes de Paul Bismuth. Un petit moins d’un mois d’audience est prévu pour tenter d’y voir clair. La décision devrait ensuite être mise en délibéré.
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