Le Quotidien du 11 septembre 2023 : Actualité judiciaire

[A la une] Port de l’abaya à l’école : le Conseil d’État valide son interdiction une première fois

Réf. : CE, réf., 7 septembre 2023, n° 487891 [en ligne]

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par Vincent Vantighem

le 08 Septembre 2023

À l’appui de sa demande, Sihem Zine a mis en avant sa fatigue, due à passer les dernières nuits à tenter de rassurer des parents « angoissés par toute cette polémique ». Mais la présidente de l’association Action Droits des Musulmans (ADM) n’a pas convaincu. Le Conseil d’État a rejeté, jeudi 7 septembre, sa demande visant à faire suspendre l’interdiction de porter l’abaya à l’école, annoncée par le Gouvernement le 27 août. 

Mardi 5 septembre, au lendemain de la rentrée des classes, la plus haute juridiction administrative de France s’était penchée en urgence, pendant deux heures, sur le référé-liberté déposé par cette association créée après les attentats de 2015 dans le but de lutter contre les discriminations. Vêtement religieux ou effet de mode ? Les débats ont beaucoup tourné autour du symbole que revêt ce morceau de tissu qui a enflammé la rentrée scolaire. Finalement, le juge des référés, aidé de deux assesseurs, a tranché.

Pour lui, « le port de l’abaya et du qamis au sein des établissements scolaires […] s’inscrit dans une logique d’affirmation religieuse, ainsi que cela ressort notamment des propos tenus au cours des dialogues engagés avec les élèves », d’après un communiqué transmis par le Conseil d’État lors de l’annonce de la décision. Raison suffisante pour l’interdire dans la logique de la loi de 2004 qui interdit déjà les « signes ostentatoires religieux » dans les établissements scolaires.

Mardi matin, quelques heures avant l’audience, Gabriel Attal, le tout nouveau ministre de l’Éducation nationale, était venu défendre sa mesure sur le plateau de BFM TV et de RMC. Indiquant que lors de la rentrée, 298 jeunes filles s’étaient présentées en abaya et que 67 d’entre elles avaient refusé de l’enlever et avaient dû rentrer chez elles. Rapportées aux 2,8 millions de collégiennes et lycéennes, cela ne représente que 0,01 % des élèves. Mais pour lui, c’est déjà trop.

Une mesure raciste pour l’association, pas pour le Conseil d’État

Sihem Zine et son avocat, Vincent Brengarth, ne sont donc pas parvenus à convaincre qu’il s’agissait ici d’une mesure sexiste et raciste, comme ils l’ont plaidé. « On s’en prend aux jeunes filles. On se base sur quoi ? Sur le faciès ! C’est les Arabes qui sont visés ! C’est ça la réalité », avait ainsi lancé Sihem Zine. 

Mais pour convaincre le Conseil d’État, il faut surtout de solides arguments juridiques. Dans la mesure où elle avait déposé un référé-liberté, l’association devait démontrer que la mesure contrevient aux libertés fondamentales. C’est ainsi qu’elle avait d’abord indiqué que cela allait à l’encontre de la liberté d’aller à l’école, les jeunes filles en abaya en étant exclues. Mais Guillaume Odinet, le directeur des services juridiques du ministère de l’Éducation nationale, l’a contredite en expliquant que les élèves concernées n’avaient que l’interdiction de se rendre dans leurs classes, mais qu’elles pouvaient être accueillies dans les établissements pour un temps d’échange.

Même échec du côté du droit au respect à la vie privée qui n’a pas été retenu par les juges administratifs. De façon plus surprenante, l’association avait également argué que la mesure contrevenait à la liberté de culte, tout en prétendant que l’abaya n’était pas un vêtement religieux. Sur ce point essentiel, le Conseil d’État lui a donc aussi donné tort.

Un autre référé déposé en parallèle

Surtout, la décision vient donc inscrire dans le marbre de la jurisprudence ce que Gabriel Attal considère comme une réalité. « Depuis le Printemps 2022, on assiste à la naissance d’un phénomène qui s’amplifie avec le port de l’abaya dans les écoles », a ainsi justifié son représentant à l’audience. Un phénomène amplifié par les réseaux sociaux suffisamment grave pour qu’il soit freiné par sa décision. De fait, et pour l’anecdote, Wikipédia a été contraint de « geler » les modifications apportées à la page consacrée à l’abaya après avoir dénombré 174 changements en seulement quelques semaines…

Lors de l’audience, le ministère a surtout longuement expliqué que le « soubassement religieux » apparaissait dans quasiment tous les échanges avec les jeunes filles concernées que les chefs d’établissement interrogeaient dans la cour de récréation. Tout comme lui, le Conseil d’État ne considère donc pas que l’abaya est un vêtement de mode, « peu cher pour les jeunes filles » et qui a été repris par « certains créateurs de mode ou de haute couture ». 

De quoi satisfaire la communauté éducative qui, depuis un an environ, et encore plus encore depuis cette rentrée, se retrouve à devoir faire la « police de la fashion week » pour savoir ce qui relève, ou pas, d’une abaya et donc d’une revendication religieuse dans un sanctuaire de la laïcité. Désormais, les proviseurs et principaux pourront s’appuyer sur la décision du Conseil d’État pour asseoir leurs positions.

À condition que les juges administratifs confirment cette première décision. En parallèle de la démarche entreprise par Action Droits des Musulmans, trois autres organisations (Sud Éducation, La Voix lycéenne et Le Poing levé) ont déposé, à leur tour, un référé-suspension devant la même juridiction. L’audience n’est pas encore fixée. Mais le débat, lui, n’est pas encore clos.

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