La lettre juridique n°930 du 12 janvier 2023 : Transport

[Jurisprudence] Action déclaratoire et action principale en garantie du commissionnaire contre le transporteur

Réf. : Cass. com., 23 novembre 2022, n° 20-18.593, F-B N° Lexbase : A10578UP

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par Gaël Piette, Professeur à l’Université de Bordeaux, CRDEI, Directeur scientifique de l’ouvrage Lexbase Droit des sûretés

le 11 Janvier 2023

Mots-clés : commissionnaire de transport • action en garantie • conditions • action déclaratoire • prescription

Le commissionnaire ne peut agir en garantie contre son substitué que s’il a désintéressé le créancier ou s’il s’est personnellement obligé à dédommager en tout état de cause ce créancier. Une telle condition n’est pas requise pour une action déclaratoire, mais ne peut être qualifiée ainsi une action par laquelle le commissionnaire demande un paiement.


 

Une personne physique acquiert un navire pneumatique de moins de 10 mètres, et charge la société Ziegler, commissionnaire de transport, du transport entre Dubaï et Marseille. Le transport maritime a été confié à la société Ami International, par connaissement daté du 20 mai 2012. Le 24 juin 2012, à l’arrivée en France du navire, ce dernier n'a pas obtenu l'homologation en Suisse (lieu de résidence de l’acheteur). La société Ziegler l’a reçu sans réserve et l’a acheminé jusqu’à l'entrepôt de la société Transafos, laquelle l'a également reçu sans réserve, le 11 juillet 2012, et l'a entreposé sur son parking extérieur clôturé, à Port Saint Louis du Rhône. Le 30 octobre 2012, l’acheteur s'est présenté dans les locaux de la société Transafos et a établi, avec cette dernière, la constatation écrite de divers dégâts et manquants. Le 28 octobre 2013, la société Ziegler a assigné la société Transafos afin de voir juger qu'elle était responsable des dommages causés au navire, qu'elle serait tenue de la relever et garantir toutes demandes que l’acheteur serait susceptible de former contre elle et de lui payer une certaine somme au titre des réparations. En 2015, l’acheteur a assigné respectivement la société Transafos et la société Ziegler en indemnisation de son préjudice.

La cour d’appel d’Aix-en-Provence, par un arrêt du 17 octobre 2019 [1], a rejeté les demandes de la société Ziegler, au motif que l’assignation du 28 octobre 2013 constituait une action principale en garantie de la part du commissionnaire. Elle estime que cette assignation n’avait pas interrompu la prescription annale de son action contre la société Transafos, la société Ziegler n’ayant ni indemnisé, ni promis d’indemniser le créancier.

La Cour de cassation, par cet arrêt du 23 novembre 2022, rejette le pourvoi, en semblant faire évoluer sa jurisprudence traditionnelle en matière de commission de transport.

Il est nécessaire de commencer par rappeler que le commissionnaire assume une lourde responsabilité. Comme tout un chacun, il est responsable contractuellement de son fait personnel. S’il n’exécute pas, ou mal, ou tardivement ses obligations contractuelles, son donneur d’ordre pourra évidemment le lui reprocher. Mais au-delà de cette responsabilité personnelle, le commissionnaire de transport est également responsable contractuellement du fait d’autrui. En effet, il est « garant », selon les termes de l’article L. 132-6 du Code de commerce N° Lexbase : L5638AIN, des dommages causés à la marchandise par les transporteurs auxquels il s’est adressé pour réaliser le déplacement. C’est, en quelque sorte, son « mauvais choix » du transporteur qui lui est reproché.

L’équité commande toutefois que le commissionnaire puisse se retourner contre le véritable responsable, c’est-à-dire contre le transporteur auquel est imputable le dommage subi par la cargaison. Ceci est une action récursoire, qui ne pose, en soi, guère de difficultés si le commissionnaire a déjà indemnisé son commettant.

Les difficultés surgissent dans l’hypothèse où le commissionnaire, face à la réclamation de son donneur d’ordre, choisit d’exercer une action principale en garantie contre le transporteur. Une jurisprudence constante décide que le commissionnaire ne peut exercer une telle action que s’il a désintéressé le créancier ou s’il s’est personnellement obligé à dédommager en tout état de cause ce créancier [2]. À défaut, il n’a pas d’intérêt à agir, et son action est donc irrecevable.

Les conséquences en sont importantes, ne serait-ce qu’en termes de prescription. En effet, ainsi que le décide l’arrêt commenté [3], le délai de prescription n’est pas interrompu par l’assignation du commissionnaire, lorsque ce dernier n’a pas désintéressé son donneur d’ordre ou s’il n’est pas établi qu’il s’est engagé à le faire. Il en résulte que si, par la suite, le commissionnaire désintéresse le donneur d’ordre mais n’agit pas contre le transporteur dans le délai de l’action récursoire, il est forclos. En l’espèce, par exemple, le commissionnaire avait agi un an moins deux jours avant l’acquisition de la prescription. Mais cette action en garantie n’avait pas interrompu la prescription. C’est la raison pour laquelle la cour d’appel a pu déclarer le commissionnaire forclos.

Cette condition pouvait sembler devoir évoluer, en raison d’un arrêt particulièrement favorable aux actions dites déclaratoires [4]. Dans cette décision, la Cour de cassation a reconnu à la veuve d’un emprunteur la possibilité de saisir le tribunal en dehors de tout litige pour faire constater la prescription de la créance de l’établissement de crédit. La Cour relève qu’une telle action déclaratoire permettait à la demanderesse de « connaître la consistance exacte du patrimoine dont elle avait hérité et l'étendue des droits dont elle pouvait disposer compte tenu des hypothèques garantissant cette créance ». Il était alors tentant d’imaginer que cette solution soit transposable à l’hypothèse qui nous intéresse : le commissionnaire pourrait ainsi agir à titre déclaratoire, sans avoir besoin au préalable de dédommager ou de s’engager à dédommager le créancier. Ainsi que l’avait relevé l’annotateur de l’arrêt, « la simple réclamation présentée au commissionnaire par son client devrait lui conférer un intérêt né et actuel pour faire constater l'existence de son droit de recours contre ses substitués sans qu'un litige ne soit né stricto sensu. C'est le propre d'une action déclaratoire » [5].

La question qui se posait alors était celle de savoir si la jurisprudence allait accepter de faire application de cette solution à l’action en garantie du commissionnaire de transport. La cour d’appel de Rouen avait pu le refuser, se rangeant à la solution classique de la Cour de cassation [6].

La Chambre commerciale, dans cet arrêt du 23 novembre 2022, n’adopte pas une position aussi tranchée. Certes, elle reprend son affirmation traditionnelle, selon laquelle «  le commissionnaire de transport dont la responsabilité est recherchée en tant qu'il est garant de ses substitués, ne justifie d'un intérêt à exercer à l'encontre de ces derniers une action principale en garantie que s'il a désintéressé le créancier d'indemnité ou s'est obligé à dédommager ce créancier qui a accepté d'attendre le résultat de la procédure engagée par le commissionnaire contre ses substitués ou leurs assureurs ». Elle en déduit que l’assignation par le commissionnaire n’avait pas interrompu le délai de prescription. Son action est donc irrecevable, car prescrite.

Cependant, la Cour de cassation ne ferme pas la porte aux actions déclaratoires. La cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans l’arrêt déféré, avait fort bien analysé la question. Elle remarquait en effet que : « il est possible audit commissionnaire d'agir à titre déclaratoire contre son substitué, dans le délai de prescription d'un an résultant du contrat avec ce dernier, mais à la condition de ne pas lui réclamer le paiement d'aucune somme ». C’est le propre des actions déclaratoires : leur objet est de faire constater l’existence ou l’étendue d’un droit, non de trancher un litige [7]. Elles n’ont donc pas pour objectif de prononcer une condamnation. Or, en l’espèce, le commissionnaire demandait à son substitué le paiement d’une somme au titre des réparations sur le navire. La cour d’appel d’Aix a donc estimé qu’il ne s’agissait pas d’une action déclaratoire, mais d’une action principale en garantie. La Cour de cassation approuve le raisonnement de la cour d’appel.

Résumons. Le commissionnaire de transport, s’il demande paiement à son transporteur substitué, exerce une action principale en garantie. Il lui faudra alors avoir indemnisé au préalable le donneur d’ordre, ou s’être engagé à le faire [8]. Le commissionnaire peut aussi exercer une simple action déclaratoire, afin de voir établis ses droits. Il n’est alors pas nécessaire qu’il ait indemnisé le donneur d’ordre. Mais il ne peut, par une telle action, demander un quelconque paiement.

 

[1] CA Aix-en-Provence, 17 octobre 2019, n° 17/04072 N° Lexbase : A4663ZR7.

[2] V. not. Cass. com., 4 mai 1982, n° 78-14.406, publié N° Lexbase : A0266CGX – Cass. com., 13 juin 1989, n° 87-15.767, inédit N° Lexbase : A5679CS7 – Cass. com., 2 février 1993, n° 91-14.705, inédit N° Lexbase : A5692ABG – Cass. com., 3 mai 2006, n° 02-10.454, F-D N° Lexbase : A3438DPZ – Cass. com., 17 novembre 2009, n° 08-12.844, F-D N° Lexbase : A7429ENH, DMF, 2010, HS n° 14, n° 74, obs. Ph. Delebecque.

[3] V. aussi Cass. com., 17 novembre 2009, n° 08-12.844, préc.

[4] Cass. civ. 1, 9 juin 2011, n° 10-10.348, F-P+B+I N° Lexbase : A4267HT9, Rev. Dr. transp., novembre 2011, n° 189, obs. Ch. de Corbière.

[5] Ch. de Corbière, obs. préc.

[6] CA Rouen, 16 avril 2015, DMF, 2016, p. 19, obs. P.-Y. Guérin.

[7] Ph. Delebecque, Vers la reconnaissance des actions déclaratoires ?, Gazette CAMP, 2012, n° 29, p. 1.

[8] Une régularisation, en cours de procédure, est possible. Mais elle ne peut consister qu’en une indemnisation ou une promesse d’indemniser.

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