Réf. : Cass. civ. 3, 21 septembre 2022, n° 21-15.455, F-D N° Lexbase : A89128KB
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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, M2J Avocats, Chargée d’enseignements à l’UPEC et Paris Saclay, Responsable de la Commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats
le 07 Octobre 2022
► Le dommage futur est réparable sur le fondement de la responsabilité civile décennale des constructeurs si et seulement si le dommage atteint de manière certaine, dans le délai de dix ans à compter de la réception de l’ouvrage, la gravité décennale.
Le délai décennal est un délai d’épreuve et un délai d’action. En tant que délai d’action, il doit être valablement interrompu, par exemple par une citation en justice, dans le délai de dix ans suivant la réception de l’ouvrage. En tant que délai d’épreuve, les conditions de l’engagement de la responsabilité civile décennale des constructeurs doivent, également, survenir dans le délai décennal. La condition de gravité n’y fait pas obstacle.
Cette double exigence s’accommode mal avec la garantie des dommages futurs, lesquels, pour reprendre les exigences posées par le droit commun, sont des dommages qui vont survenir de façon certaine, dans leur gravité décennale, dans le futur. Autrement dit, à la date de l’interruption du délai décennal, le critère de gravité n’est pas rempli mais il le sera de façon certaine un jour. Toute la question est donc de savoir si ce « jour » doit survenir dans le délai décennal, ce qui serait alors une limitation par rapport au droit commun.
La réponse est, comme le confirme l’arrêt rapporté, positive.
Le dommage futur est réparable sur le fondement de la responsabilité décennale des constructeurs à deux conditions. Il doit, d’une part, être dénoncé dans le délai d’épreuve décennal et, d’autre part, revêtir la gravité décennale dans le délai décennal. La jurisprudence est désormais bien établie (v. pour exemple, Cass. civ. 3, 8 octobre 2003, n° 01-17.868, FS-P+B+I N° Lexbase : A7162C97 ou, plus récemment, Cass. civ. 3, 4 octobre 2018, n° 17-23.190, FS-P+B+I N° Lexbase : A5429YES ; Cass. civ. 3, 18 mars 2021, n° 19-20.710, F-D N° Lexbase : A88264LH).
La présente espèce est l’occasion de le rappeler. Des maîtres d’ouvrage ont confié à un constructeur l’exécution de travaux de rénovation, d’aménagement et d’agrandissement de leur maison d’habitation, notamment la réparation et la modification de la couverture. Se plaignant de l’existence de désordres, les maîtres d’ouvrage assignent le constructeur sur le fondement de l’article 1792 du Code civil N° Lexbase : L1920ABQ.
La cour d’appel de Papeete, dans un arrêt rendu le 22 octobre 2020 (CA Papeete, 22 octobre 2020, n° 18/00350 N° Lexbase : A295033N), condamne sur le fondement décennal. En se fondant sur le rapport déposé par l’expert, elle expose que l’ensemble de la couverture a été posé sans respecter les règles édictées par l’avis technique du procédé de couverture. L’exécution des travaux de couverture est donc défectueuse dans son ensemble. Elle ajoute que, compte tenu des non-conformités relevées, il est certain que les défauts d’étanchéité avec dégâts des eaux dans les pièces habitables apparaîtront inéluctablement lors de pluies intenses avec bourrasques de vent.
Un pourvoi est formé et la Haute juridiction casse l’arrêt d’appel. En statuant ainsi, sans constater que les désordres devaient atteindre de manière certaine, dans les dix ans après la réception de l’ouvrage, la gravité décennale requise, la cour d’appel a violé les dispositions de l’article 1792 précité.
La décision mérite d’être approuvée.
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