Lexbase Affaires n°341 du 6 juin 2013 : Baux commerciaux

[Jurisprudence] Les sanctions des manquements du bailleur à son obligation d'exécuter les travaux lui incombant

Réf. : Cass. civ. 3, 23 mai 2013, n° 11-29.011, FS-P+B (N° Lexbase : A9201KD7)

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N7427BTA

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par Julien Prigent, avocat à la cour d'appel de Paris, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Baux commerciaux"

le 07 Juin 2013

Sauf urgence, le bailleur ne doit rembourser au preneur les travaux dont il est tenu que s'il a été préalablement mis en demeure de les réaliser et, qu'à défaut d'accord, le preneur a obtenu une autorisation judiciaire de se substituer à lui. Tel est le rappel opéré par la Cour de cassation dans un arrêt du 23 mai 2013.
En l'espèce, par acte du 5 avril 1995, le preneur à bail à construction d'un terrain avait donné à bail commercial divers locaux. Le preneur avait fait exécuter des travaux de reprise des fondations et avait ensuite assigné le bailleur en remboursement de ces travaux, ainsi qu'en paiement de dommages-intérêts. Cette demande ayant été rejetée par les juges du fond (CA Besançon, 5 octobre 2011, n° 10/02351 N° Lexbase : A2716H7Q), le preneur s'est pourvu en cassation. 1 - Sur la répartition de la charge des travaux entre bailleur et preneur

La répartition des charges de travaux entre bailleur et preneur est envisagée par le Code civil.

S'agissant du bailleur, l'article 1719 du Code civil (N° Lexbase : L8079IDL) dispose qu'il "est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière :
1° De délivrer au preneur la chose louée et, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent. Lorsque des locaux loués à usage d'habitation sont impropres à cet usage, le bailleur ne peut se prévaloir de la nullité du bail ou de sa résiliation pour demander l'expulsion de l'occupant ;
2° D'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée ;
3° D'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ;
4° D'assurer également la permanence et la qualité des plantations
".

L'article 1720 de ce code (N° Lexbase : L1842ABT) précise également que "le bailleur est tenu de délivrer la chose en bon état de réparations de toute espèce" et qu'il "doit y faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives".

L'article 1754 du Code civil (N° Lexbase : L1887ABI) dispose que "les réparations locatives ou de menu entretien dont le locataire est tenu, s'il n'y a clause contraire, sont celles désignées comme telles par l'usage des lieux". Ces réparations sont énumérées, de manière non exhaustive, par ce même texte (cf. l'utilisation de l'expression "entre autres").

L'article 1755 du Code civil (N° Lexbase : L1888ABK) prévoit, enfin, que "aucune des réparations réputées locatives n'est à la charge des locataires quand elles ne sont occasionnées que par vétusté ou force majeure" (voir également, au moment de la restitution des locaux, l'article 1730 du Code civil N° Lexbase : L1852AB9).

Dans une certaine limite, les parties à un bail sont libres d'aménager la charge des travaux, les dispositions précitées étant essentiellement supplétives.

En l'espèce, et compte tenu de la nature des désordres qui ont rendu les travaux nécessaires (reprise des fondations), ces derniers devaient incomber en principe au bailleur et ce, quelles que soient les clauses du contrat. La Cour de cassation a en effet précisé que "si le bailleur peut mettre à la charge du preneur, par une clause expresse du bail, l'obligation de prendre en charge les travaux rendus nécessaires par la vétusté, il ne peut, en raison de l'obligation de délivrance à laquelle il est tenu, s'exonérer de l'obligation de procéder aux travaux rendus nécessaires par les vices affectant la structure de l'immeuble" (Cass. civ. 3, 9 juillet 2008, n° 07-14.631, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A5449D9P). Or, dans l'arrêt rapporté, la structure de l'immeuble était en cause.

Toutefois, le débat n'a pas porté frontalement sur ce point, la question posée étant celle de savoir si le preneur pouvait, sur le principe, solliciter le remboursement de travaux qu'il avait effectué et qu'il estimait incomber au bailleur. Conformément au droit commun des obligations contractuelles, les manquements du bailleur à son obligation d'exécuter les travaux peut entraîner soit la résolution du contrat, soit l'exécution forcée, ainsi que sa condamnation, dans l'une et l'autre des hypothèses, à réparer le préjudice subi par le preneur du fait de ses manquements. A certaines conditions, mais il s'agit peut être ici d'un aspect du droit à réparation, le preneur peut-être autorisé à suspendre le règlement des loyers.

2 - Sur la réparation du préjudice subi : l'exécution pécuniaire

En principe, "toute obligation de faire [...] se résout en dommages et intérêts en cas d'inexécution de la part du débiteur" (C. civ., art. 1142 N° Lexbase : L1242ABM) et "le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution [...]" (C. civ., art. 1147 N° Lexbase : L1248ABT).

Le bailleur qui n'exécute pas les travaux découlant de ses obligations devra indemniser le preneur de l'intégralité des préjudices qu'il a subis du fait de cette inexécution (v., par ex., Cass. civ. 3, 23 mars 2005, n° 03-18.671, FS-D N° Lexbase : A4168DHT ; Cass. civ. 3, 14 octobre 2009, n° 08-10.955 [LXB=A0826EM] ; Cass. civ. 3, 13 juillet 2010, n° 09-15.409, F-D N° Lexbase : A6786E44 ; Cass. civ. 3, 14 février 2012, n° 11-10.451, F-D N° Lexbase : A8579ICQ).

Le preneur aura droit à cette indemnisation également lorsqu'il sollicite la résolution (Cass. civ. 3, 30 avril 2003, n° 01-14.890, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A7549BSE) ou la résiliation du bail aux torts du bailleur (Cass. civ. 3, 21 mars 2001, n° 99-14.462, FS-D N° Lexbase : A1190ATA), l'article 1184, alinéa 2 du Code civil (N° Lexbase : L1286ABA) prévoyant expressément que "la partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix [...] d'en demander la résolution avec dommages et intérêts".

Les dommages et intérêts sont parfois accordés sous forme de réduction de loyer (Cass. civ. 1, 9 février 1965, n° 62-10.478 N° Lexbase : A9523AH8 ; Cass. civ. 3, 11 février 2004, n° 02-20.184, FS-D N° Lexbase : A2770DB9).

L'article 1146 du Code civil (N° Lexbase : L1246ABR), situé dans la section relative aux "dommages et intérêts résultant de l'inexécution de l'obligation", dispose que "les dommages et intérêts ne sont dus que lorsque le débiteur est en demeure de remplir son obligation, excepté néanmoins lorsque la chose que le débiteur s'était obligé de donner ou de faire ne pouvait être donnée ou faite que dans un certain temps qu'il a laissé passe". Il a toutefois été admis que le droit à des dommages et intérêts compensatoires n'était pas nécessairement subordonné à une mise en demeure d'avoir à exécuter les travaux (Cass. civ., 5 janvier 1938, S. 1938. 1. 108, D.H. 1938. 97, cité in Encyclopédie Dalloz, Responsabilité contractuelle, G. Légier, n° 200), à tout le moins lorsqu'il est établi que le bailleur n'ignorait pas les désordres constitutifs d'un manquement à ses obligations (CA Douai, 29 septembre 2011, n° 10/05709 N° Lexbase : A7029H7H). Il paraît, en effet, difficile d'accepter de condamner un bailleur à régler des dommages et intérêts au preneur s'il n'avait pas connaissance des désordres et qu'il n'a pas été en mesure d'y mettre un terme. Les dommages et intérêts ne sont, en outre, que compensatoires et l'exécution par le bailleur des travaux devrait apparaître comme en étant le premier remède. Il a toutefois été jugé que dès lors que "l'inexécution des obligations est acquise et est susceptible d'avoir causé un préjudice aux contractants, ceux-ci sont en droit de solliciter des dommages et intérêts malgré l'absence de mise en demeure" (CA Bordeaux, 8 mars 2012, n° 10/07656 N° Lexbase : A3991IEK).

Cependant, dans un arrêt récent et inédit, la Cour de cassation a censuré les juges du fond qui avaient accordé des dommages et intérêts à un preneur en raison du préjudice subi du fait d'infiltrations "sans préciser si le preneur avait vainement mis en demeure le bailleur de procéder aux réparations nécessaires" (Cass. civ. 3, 27 novembre 2012, n° 11-24.722, F-D N° Lexbase : A8629IXU ; cf. également, dans une hypothèse où la demande d'indemnisation intervenait alors que le bail était résilié, Cass. civ. 3, 22 février 2005, n° 04-10.792, F-D N° Lexbase : A8806DGA).

3 - Sur l'exception d'inexécution

Le preneur sera fondé à invoquer une exception d'inexécution et à suspendre le règlement de ses loyers (Cass. civ. 3, 13 juillet 2010, n° 09-15.409, F-D N° Lexbase : A6786E44), tant que le trouble subsiste (Cass. civ. 3, 29 janvier 2002, n° 00-16.734 N° Lexbase : A8924AXS), mais à la condition que l'impossibilité d'utiliser les locaux soit totale (Cass. civ. 3, 31 octobre 1978, n° 77-11.355 N° Lexbase : A7303AGL ; Cass. civ. 3, 6 novembre 2001, n° 99-14.404, F-D N° Lexbase : A0625AXG ; Cass. civ. 3, 25 juin 2003, n° 01-15.364, FS-D N° Lexbase : A9748C8K).

4 - Sur la résolution ou la résiliation du contrat

Le preneur peut également solliciter la résiliation ou la résolution judiciaire.

L'article 1184, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L1286ABA) dispose en effet que "la partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts".

En matière de bail, l'article 1741 Code civil N° Lexbase : L1863ABM rappelle cette règle générale : "le contrat de louage se résout [...] par le défaut respectif du bailleur et du preneur de remplir leurs engagements". Le bail étant un contrat synallagmatique à exécution successive, la résiliation judiciaire n'opère pas pour le temps où le contrat a été régulièrement exécuté, à moins d'une absence d'exécution ou en cas exécution imparfaite dès l'origine qui entraîne dans ces derniers cas l'anéantissement rétroactif du contrat (Cass. civ. 3, 30 avril 2003, n° 01-14.890, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A7549BSE). L'absence d'exécution par le bailleur de travaux lui incombant pourra justifier, si le manquement est suffisamment grave, la résiliation du bail aux torts du bailleur (Cass. civ. 3, 21 mars 2001, n° 99-14.462, FS-D N° Lexbase : A1190ATA ; Cass. civ. 3, 23 janvier 2007, n° 05-13.384, F-D N° Lexbase : A6780DTB).

Il a été précédemment expliqué que la résiliation judiciaire du bail aux torts du bailleur peut également être assortie d'une condamnation au règlement de dommages et intérêts au profit du preneur. En outre, dans l'hypothèse où le bail serait résolu, pour un manquement constitué dès l'origine, le bailleur sera tenu de restituer les loyers perçus (Cass. civ. 3, 25 novembre 2009, n° 08-16.734, FS-D N° Lexbase : A1541EPR). Le locataire devrait se trouvait cependant concomitamment débiteur d'une indemnité d'occupation.

5 - Sur l'exécution forcée : la réparation en nature

5.1 - Sur la possibilité d'obtenir l'exécution forcée

Bien que l'article 1142 du Code civil puisse être interpréter comme limitant la sanction d'une obligation de faire à des dommages et intérêts, l'article 1184, alinéa 2, du Code civil prévoit expressément que "la partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible". Il a été jugé, dans un arrêt ancien, que l'obligation de délivrance n'avait pas de caractère personnel et que l'exécution forcée de cette obligation était possible (Cass. soc., 20 juin 1963, publié).

Le bailleur peut ainsi être condamné à exécuter ou faire exécuter les travaux qui lui incombent (Cass. civ. 3, 8 novembre 2011, n° 10-26.816, F-D N° Lexbase : A8841HZH), voire même reconstruire l'un des bâtiment loué dès lors qu'il est à l'origine de sa destruction, rendue nécessaire en raison de l'absence d'exécution de travaux dont il avait la charge (Cass. civ. 3, 25 janvier 2006, n° 04-18.672, FS-P+B N° Lexbase : A5549DMH).

Il doit être noté que la demande du preneur aux fins d'exécution de travaux est irrecevable faute d'intérêt à agir après la résiliation du bail (Cass. civ. 3, 16 octobre 2007, n° 06-16.996, F-D N° Lexbase : A8079DYU).

5.2 - Sur l'exécution des travaux par le preneur aux dépens du bailleur

Une autre option est offerte au preneur, notamment en cas d'urgence, à savoir celle de faire procéder aux travaux, à ses frais avancés, et d'en solliciter ultérieurement le remboursement au bailleur. Au visa de l'article 1144 du Code civil (N° Lexbase : L1244ABP), la Cour de cassation subordonne cette faculté à deux conditions cumulatives (Cass. civ. 3, 20 mars 1991, n° 89-19.866 N° Lexbase : A4651ACA ; Cass. civ. 3, 5 mars 1997, n° 95-16.017 N° Lexbase : A0532ACP ; Cass. civ. 3, 11 janvier 2006, n° 04-20.142, FS-P+B N° Lexbase : A3462DM8 ; Cass. civ. 3, 9 novembre 2010, n° 09-69.762, F-D [LXB=9060GGN]) :
- la mise en demeure préalable du bailleur d'avoir à effectuer les travaux ;
- l'obtention d'une décision de justice autorisant le preneur à effectuer les travaux en l'absence d'accord du bailleur.

L'arrêt rapporté rappelle cette double condition, tout en y apportant expressément une exception. Il ressort en effet de cette décision qu'en cas d'urgence, le preneur pourra faire exécuter les travaux et en obtenir le remboursement auprès du bailleur, même s'il n'a pas mis le bailleur préalablement en demeure de les exécuter et qu'il n'a pas obtenu d'autorisation judiciaire (voir déjà en ce sens, Cass. civ. 3, 12 juin 2001, n° 99-21.127, inédit N° Lexbase : A5793ATQ ; Cass. civ. 3, 9 novembre 2010, n° 09-69.762, F-D, préc. et Cass. civ. 3, 8 novembre 2011, n° 10-15.937, F-D N° Lexbase : A8826HZW). Dans ce cas, le juge devra vérifier si les travaux ont été effectués de "la façon la plus économique" (Cass. civ. 3, 12 juin 2001, n° 99-21.127, préc.).

Si le preneur exécute les travaux sans avoir mis préalablement en demeure le bailleur de l'exécuter et sans avoir obtenu une autorisation judiciaire, la sanction est particulièrement sévère puisqu'il ne pourra obtenir le remboursement des frais qu'il aura exposés et qui incombaient pourtant in fine au bailleur

Ces solutions ont été rendues, dans certains arrêts, au visa de l'article 1144 du Code civil qui dispose que "le créancier peut aussi, en cas d'inexécution, être autorisé à faire exécuter lui-même l'obligation aux dépens du débiteur. Celui-ci peut être condamné à faire l'avance des sommes nécessaires à cette exécution". Si l'emploi du verbe "pouvoir" laisse suggérer qu'il ne s'agit que d'une faculté, cette dernière ne porte que sur le droit même du créancier de faire procéder à l'exécution à ses frais avancés. Si le preneur décide de faire procéder aux travaux aux dépens du bailleur, il devra, s'il veut en obtenir le remboursement, obtenir une autorisation judiciaire. L'exigence d'une mise en demeure préalable, si elle peut se justifier, n'est en revanche pas prévue par l'article 1144 du Code civil, l'article 1146 de ce code ne l'imposant par ailleurs que pour les dommages et intérêts. Les frais avancés par le preneur peuvent cependant s'analyser en un préjudice et la demande de remboursement en une demande de réparation, justifiant ainsi la nécessité d'une mise en demeure.

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