Réf. : Cass. soc., 24 avril 2013, n° 12-11.825, FS-P+B (N° Lexbase : A6764KCI)
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N7134BTE
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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane
le 23 Mai 2013
Résumé
Est raisonnable la durée de neuf mois de la période d'essai prévue par la convention collective pour le personnel d'encadrement sédentaire des entreprises de navigation. Ne met pas fin à la période d'essai en cours la désignation du salarié comme mandataire social, avec suspension du contrat de travail pendant la durée de ce mandat, en l'absence de fonctions techniques distinctes si bien que la période d'essai reprend son cours après la révocation du mandat social |
Commentaire
I - Période d'essai et conclusion d'un mandat social : prorogation de la période d'essai
Se fondant sur l'article 2 § 2 de la Convention n° 158 de l'OIT (N° Lexbase : L0963AII) qui n'autorise une dérogation au droit du licenciement que pour un temps "raisonnable", la Chambre sociale de la Cour de cassation encadre depuis quelques années avec plus de sévérité la durée parfois excessive des périodes d'essai (1). Cette tendance à l'encadrement de la durée de l'essai n'est pas seulement d'origine prétorienne puisque l'on se souviendra que l'ANI du 11 janvier 2008 et la loi de modernisation du marché du travail du 25 juin 2008 ont eux aussi imposé des durées maximales d'essai, textes qui, compte tenu de la date des faits, n'étaient pas applicables à l'espèce (2).
Alors que les premières décisions semblaient juger, de manière abstraite, qu'une durée de douze mois était nécessairement excessive, les décisions ultérieures ont commencé à prendre en considération les fonctions du salarié pour opérer une appréciation spécifique à chaque situation. Ainsi, une durée de trois mois n'est pas excessive pour un cadre (3) alors qu'en revanche, une période d'essai de six mois pour une employée du secteur bancaire est déraisonnable (4). Une nouvelle fois, la Chambre sociale de la Cour de cassation devait se prononcer sur le caractère raisonnable ou non d'une durée d'essai.
Durant cette période d'essai, le contrat de travail s'exécute normalement à l'exception de la faculté de résiliation unilatérale très assouplie dont dispose les parties. Ainsi, diverses causes de suspension du contrat de travail peuvent survenir : congés, grève, maladie, etc..
Dans chacune de ces situations, la Chambre sociale juge avec constance que la période d'essai doit être prorogée de la durée de la suspension du contrat de travail (5). Ce raisonnement, parfaitement logique, répond à l'idée selon laquelle la période d'essai est destinée à expérimenter la relation de travail et que, de fait, il ne peut y avoir d'expérimentation si le salarié ne travaille pas !
Une situation semblait cependant ne s'être jamais présentée. En effet, si le cumul d'un mandat social et d'un contrat de travail est à certaines conditions autorisé, il arrive également que le contrat de travail soit suspendu pendant la durée du mandat, en particulier lorsque le contrat de travail ne comporte aucune fonctions techniques distinctes de celles exercées dans le cadre du mandat (6). Quels seront alors les effets de cette suspension du contrat de travail sur la période d'essai ? C'est également à cette question que la Chambre sociale était appelée à répondre par la décision sous examen.
Un salarié est engagé en qualité de directeur général adjoint d'une société en 2001. Son contrat de travail prévoit une période d'essai de trois mois suivie d'une période de stage de six mois au cours desquelles les parties pouvaient rompre le contrat de travail sans préavis durant le premier mois, avec préavis d'un mois pendant les cinq mois suivants (7). Pendant ce stage, le salarié était nommé mandataire social de la société, mandat qui fut révoqué en 2009. Le surlendemain de cette révocation, la société mettait fin au contrat de travail en invoquant la rupture de la période d'essai.
Le salarié, qui demandait que la rupture soit qualifiée de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, fut débouté par la cour d'appel de Versailles. Au soutien de son pourvoi en cassation, le salarié contestait d'abord la durée totale de la période d'essai qu'il jugeait déraisonnable, ce qu'avait refusé d'admettre la cour d'appel en raison du "niveau de l'emploi occupé". Il estimait, ensuite, que sa nomination aux fonctions de mandataire social avait nécessairement mis fin à la période d'essai puisque, lui confiant les pouvoirs les plus étendus dans la direction de l'entreprise, la société reconnaissait nécessairement que l'essai avait été concluant. A titre subsidiaire, le salarié avançait que, dans tous les cas, la suspension du contrat de travail découlant de la nomination aux fonctions de mandataire social n'avait pas eu pour effet de suspendre la période d'essai si bien qu'en 2009, celle-ci était depuis longtemps parvenue à son terme. L'argument était d'ailleurs renforcé par une stipulation de l'article 11 de la Convention collective du personnel sédentaire des entreprises de navigation du 20 février 1951 (N° Lexbase : X0725AEL) qui prévoyait que la maladie du salarié permettait la prorogation de la période d'essai mais n'envisageait pas d'autres cas de suspension de l'essai.
Par un arrêt rendu le 24 avril 2013, la Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le salarié. Elle juge, d'abord, que la cour d'appel a justement décidé que "la durée de neuf mois de la période d'essai prévue par la convention collective pour le personnel d'encadrement était raisonnable". Elle ajoute, surtout, que "la désignation du salarié comme mandataire social, avec suspension du contrat de travail pendant la durée de ce mandat, en l'absence de fonctions techniques distinctes, ne [mettait] pas fin à la période d'essai en cours" et que, par conséquent, "celle-ci avait repris son cours après la révocation du mandat social".
II - Période d'essai et conclusion d'un mandat social : durée raisonnable en droit, excessive en fait
S'il n'est pas nécessaire de trop s'attarder sur l'appréciation du caractère raisonnable de la durée de la période d'essai effectuée par la Chambre sociale de la Cour de cassation, il convient tout de même de remarquer que les Hauts magistrats confirment la tendance d'une appréciation in concreto de la durée de la période d'essai (8).
En effet, même si la motivation de la Chambre sociale est concise et qu'elle n'argumente pas le rejet prononcé sur ce moyen, elle reprend néanmoins à son compte le raisonnement adopté par la cour d'appel qui mettait clairement en lien la durée de l'essai avec les fonctions exercées par le salarié.
La Chambre sociale refuse d'admettre que la nomination du salarié aux fonctions de mandataire social puisse mettre fin à la période d'essai. Le salarié avançait que, nommé à de hautes fonctions dans l'entreprise, c'est qu'il avait toute la confiance des dirigeants de la société, confiance a priori antinomique avec les finalités de la période d'essai.
Malgré l'habileté de cette argumentation, la solution adoptée par la Chambre sociale nous paraît devoir être saluée, cela pour plusieurs raisons.
D'abord parce que, au regard des règles relatives au cumul d'un contrat de travail et d'un mandat social, le salarié confondait deux contrats, deux relations qui en principe ne doivent pas entretenir de lien l'une avec l'autre : il y a dans cette hypothèse coexistence de deux statuts indépendants (9). Même si l'on comprend bien ce que peut avoir d'artificiel ce type de raisonnement dans la pratique, la confiance accordée au mandataire social n'est pas automatiquement accordée au salarié titulaire de ce mandat. Comme nous le verrons, l'argument est cependant réversible puisqu'en l'espèce, l'objet du mandat social était identique à celui de la prestation du travail ce qui justifiait d'ailleurs la suspension du contrat de travail.
Ensuite parce que, au regard cette fois des règles relatives à la période d'essai, celle-ci ne prend en principe fin qu'à l'échéance du terme : en principe, le contrat de travail ne devient définitif qu'à la fin de la durée de l'essai. Il est probablement possible d'anticiper la fin de la période d'essai et de mettre fin à l'essai de manière positive avant son échéance, mais une telle issue exigerait alors un accord clair des deux parties. En effet, la clause d'essai est désormais considérée par le législateur comme une clause bilatérale qui profite tant à l'employeur qu'au salarié (10). Cette clause comporte un terme, une durée d'expérimentation à laquelle chacune des parties s'est engagée. Comme toujours lorsqu'une obligation comporte un terme, il ne peut donc y être mis fin qu'en cas de force majeure ou d'accord des parties. Par voie de conséquence, il ne semblait pas possible de considérer que la nomination du salarié aux fonctions de mandataire social caractérise cet accord, même tacite, des deux parties (11).
Restait donc à savoir si la période d'essai avait perduré jusqu'en 2009
Comme nous l'avons vu précédemment, la jurisprudence juge habituellement que la suspension du contrat de travail pendant la période d'essai a pour effet de proroger la durée de celle-ci. Même si c'était, à notre connaissance, la première fois que la question était posée à propos de la suspension du contrat de travail résultant de la nomination du salarié à des fonctions de mandataire social, cette posture générale de la Cour de cassation est donc appliquée sans distinction dans cette affaire.
L'interprétation de cette solution permet tout de même de mettre en lumière une sorte de paradoxe auquel la Chambre sociale ne peut que difficilement échapper.
La Chambre sociale rappelle, en effet, le cas de figure dans lequel la suspension du contrat de travail doit intervenir à la suite de la désignation du salarié à des fonctions de mandataire social (12). Alors que, si le salarié conserve des fonctions techniques spécifiques, la suspension n'est pas nécessaire et les deux contrats peuvent effectivement se cumuler, le contrat de travail doit être suspendu faute de fonctions techniques spécifiques.
Toutefois, la raison pour laquelle le contrat de travail est suspendu tient, nous venons de le voir, à l'absence de fonctions techniques spécifiques. Pour schématiser, le nouveau mandataire social exerce exactement les mêmes fonctions que celles qui lui incombaient lorsqu'il était salarié, ce qui justifie que le contrat de travail soit suspendu pour éviter qu'une même prestation soit l'objet de deux contrats distincts. La solution de la Chambre sociale revient donc à dire que l'expérimentation des fonctions du salarié n'est pas achevée neuf années plus tard lors de la révocation du mandat social. Quoique le raisonnement juridique soit rigoureux, il confine au paradoxe puisque, dans les faits, la période d'essai aura donc duré plus de neuf ans !
(1) Cass. soc., 4 juin 2009, n° 08-41.359, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6421EHB) ; v. nos obs., Un an d'essai, une durée déraisonnable, Lexbase Hebdo n° 355 du 18 juin 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N6555BKY) ; JCP éd. S, 2009, 1335, note J. Mouly ; Dr. ouvr., 2009, p. 607, obs. N. Bizot ; RDT, 2009, p. 579 et nos obs. ; Cass. soc., 10 mai 2012, n° 10-28.512, FS-P+B (N° Lexbase : A1206ILA), v. nos obs., Durée de l'essai : une règle générale, des applications particulières, Lexbase Hebdo n° 486 du 24 mai 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N2067BTQ), Dr. soc., 2012, p. 321, obs. J. Mouly ; RDT, 2012, p. 150 et nos obs..
(2) Accord sur la modernisation du marché du travail du 11 janvier 2008, v. nos obs., Commentaire des articles 4, 5 et 6 de l'accord sur la modernisation du marché du travail : période d'essai, accès à certains droits et développement des compétences des salariés, Lexbase Hebdo n° 289 du 24 janvier 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N8239BDI) et loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail ([LXB=L4999H7B)] et v. les obs. de G. Auzero, Article 2 de la loi portant modernisation du marché du travail : les nouvelles périodes d'essai, Lexbase Hebdo n° 312 du 10 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N5224BGL).
(3) Cass. soc., 16 mai 2012, n° 10-25.982 , F-D (N° Lexbase : A7033IL3).
(4) Cass. soc., 11 janvier 2012, n° 10-17.945, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5267IAC).
(5) En cas de suspension pour maladie, v. Cass. soc., 3 octobre 1957, D. 1957, p. 676 ; Cass. soc., 4 février 1988, n° 85-41.134, publié (N° Lexbase : A6731AAK) ; Cass. soc., 16 mars 2004, n° 01-44.456, publié (N° Lexbase : A5825DBD), Dr. soc., 2004, p. 661, obs. Ch. Radé. En cas de suspension pour congés annuels, Cass. soc., 27 novembre 1985, n° 82-42.581, publié (N° Lexbase : A3753AG4) ; Cass. soc., 5 mars 1997, n° 94-40.042, publié (N° Lexbase : A1141AAI) ; TPS, 1997, comm. 147 ; Cass. soc., 26 octobre 1999, inédit, n° 97-43.266 (N° Lexbase : A2427AYK) ; Cass. soc., 16 mars 2005, n° 02-45.314, F-D (N° Lexbase : A2967DHD). En cas de suspension pour accident du travail, Cass. soc., 12 janvier 1993, n° 88-44.572, publié (N° Lexbase : A6234ABI) , RJS, février 1993, n° 119 ; JCP éd. E, 1993, I, 259.
(6) Sur cette question, v. B. Petit, Le sort du contrat de travail des directeurs généraux, Dr. soc., 1991, p. 463 ; L. Dauxerre, Le cumul d'un contrat de travail et d'un mandat social : un mariage d'intérêts ?, JCP éd. S, 2007, 1049.
(7) On se souviendra que la Chambre sociale de la Cour de cassation requalifie en période d'essai les "périodes de stage" prévues par certaines conventions collectives de branche, v. Cass. soc., 4 juin 2009, préc..
(8) Sur la question, v. nos études, Pour une appréciation in concreto du caractère raisonnable de la durée de l'essai, RDT, 2012, p. 150 ; Le déclin de la finalité de la période d'essai, Dr. soc., 2012, p. 788, spéc. n° 22.
(9) Sur cette question, v. J. Pélissier, G. Auzero, E. Dockès, Droit du travail, Dalloz, 27ème édition, p. 723.
(10) Même si cette idée est elle aussi un peu artificielle, l'intérêt de l'employeur étant clairement plus prononcé que celui du salarié. V. tout de même la définition de l'article L. 1221-20 du Code du travail.
(11) Ce à quoi s'ajoute que, d'une manière générale, la renonciation à un droit doit être expresse.
(12) Par ex., Cass. soc., 26 avril 2000, n° 97-44.241, publié (N° Lexbase : A6381AGG).
Décision
Cass. soc., 24 avril 2013, n° 12-11.825, FS-P+B (N° Lexbase : A6764KCI) Rejet, CA Versailles, 16 novembre 2011, n° 10/03940 (N° Lexbase : A5752H4S) Textes visés : néant Mots-clés : période d'essai, durée raisonnable, prorogation, mandat social Liens base : (N° Lexbase : E8899ESE) et |
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