Lexbase Social n°525 du 25 avril 2013 : Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] Articulation entre rupture conventionnelle et résiliation judiciaire du contrat de travail

Réf. : Cass. soc., 10 avril 2013, n° 11-15.651, FS-P+B (N° Lexbase : A0813KC4)

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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

le 25 Avril 2013

La question de l'articulation des différents modes de rupture du contrat de travail a suscité une jurisprudence importante au milieu des années 2000. Si cette jurisprudence semble aujourd'hui s'être tarie, c'est grâce à l'intervention claire de la Chambre sociale de la Cour de cassation qui a posé des principes simples d'articulation qui ne laissent plus aujourd'hui place au doute. Ainsi, l'application de ces principes dans une décision rendue le 10 avril 2013 permet de trancher assez logiquement le conflit qui peut naître entre la conclusion d'une rupture conventionnelle et la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail (I). Cette question finalement assez simple masque cependant une problématique beaucoup plus complexe et sous-jacente dans cette affaire puisqu'était également en cause la validité de la rupture conventionnelle en cas de conflit entre les parties au moment de sa conclusion. Quoique le délaissement de cette question par la Chambre sociale soit parfaitement légitime, il suscite tout de même un fort sentiment de frustration tant la question mérite désormais de trouver une réponse (II).
Résumé

L'annulation de la rupture conventionnelle n'ayant pas été demandée dans le délai prévu par l'article L. 1237-14 du Code du travail (N° Lexbase : L8504IA9), est devenue sans objet la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail antérieure à cette rupture.

Commentaire

I - Articulation entre rupture conventionnelle et résiliation judiciaire du contrat de travail

  • Articulation des modes de rupture du contrat de travail

Le contrat de travail peut être rompu de multiples façons, à l'initiative du salarié par démission, départ à la retraite, prise d'acte de la rupture ou demande de résiliation judiciaire du contrat, à l'initiative de l'employeur par licenciement ou mise à la retraite ou, encore, par accord commun des parties. Inévitablement, des situations de concours de mode de rupture peuvent survenir : l'employeur engage une procédure de licenciement au cours de laquelle le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail ; le salarié introduit une demande de résiliation judiciaire et décide, avant que sa demande ne soit tranchée, de prendre acte de la rupture de son contrat, etc. (1).

L'articulation de ces modes de rupture répond aujourd'hui à une logique relativement claire : la première technique ayant pour effet de rompre le contrat de travail prive d'objet ou d'effet le mode de rupture intervenu ultérieurement, quand bien même la procédure de celui-ci a été engagée au préalable.

Ainsi, par exemple, la procédure de licenciement engagée antérieurement à une prise d'acte de la rupture est sans objet, le contrat de travail étant rompu au jour de la prise d'acte (2). De la même manière, en cas d'articulation entre demande de résiliation judiciaire et licenciement, c'est à nouveau la rupture intervenue la première qui privera la seconde d'objet (3). Enfin, l'articulation entre prise d'acte et résiliation judiciaire, qui a fait le plus difficulté, est aujourd'hui réglée par la Chambre sociale de la Cour de cassation : la prise d'acte de la rupture du contrat rend sans objet la demande de résiliation judiciaire intervenue auparavant (4), ce qui est parfaitement logique puisque le juge fixe la date de la rupture par résiliation judiciaire au jour du jugement (5).

A ce jour, la Chambre sociale n'avait pas eu à connaître de la question de l'articulation entre rupture conventionnelle et résiliation judiciaire du contrat de travail.

  • Espèce

Un salarié introduisit, au mois de janvier 2009, une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail auprès de la juridiction prud'homale. Alors que l'affaire était pendante, il conclut au mois d'avril 2009 une rupture conventionnelle avec son employeur. Au mois de mai suivant, la convention fut homologuée par l'administration du travail. Pourtant, le salarié maintînt sa demande de résiliation judiciaire, demande examinée par le juge prud'homal au mois de mai 2010 mais qui le débouta. Par ses conclusions d'appel, le salarié demandait au mois de décembre 2010 l'annulation de la rupture conventionnelle et diverses indemnités au titre de la résiliation judiciaire aux torts de l'employeur.

En cause d'appel, cette demande de résiliation judiciaire fut jugée irrecevable, tout comme la demande d'annulation de la rupture conventionnelle introduite concomitamment. Le salarié se pourvut en cassation. Il développait une argumentation fort intéressante et, pour tout dire, très attendue. Invoquant l'interdiction de renoncer par avance aux règles protectrices du salarié en matière de licenciement (6), le salarié soutenait que la conclusion de la rupture conventionnelle caractérisait une telle renonciation. Sur la base de cet argument, le salarié estimait que les juges d'appel devaient rechercher si la demande en résiliation judiciaire aux torts de l'employeur était justifiée avant de faire produire ses effets à la rupture conventionnelle.

Sur ce point, la Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi (7). Elle relève que "l'annulation de la rupture conventionnelle n'avait pas été demandée dans le délai prévu par l'article L. 1237-14 du Code du travail" si bien que "la cour d'appel n'avait plus à statuer sur une demande, fût-elle antérieure à cette rupture, en résiliation judiciaire du contrat de travail devenue sans objet".

  • Le traitement classique de l'articulation des modes de rupture

La décision rendue par la Chambre sociale entre parfaitement dans la logique d'articulation des modes de rupture présentée.

En effet, la date de la rupture du contrat de travail par rupture conventionnelle est fixée par la convention elle-même au plus tôt le lendemain du jour de l'homologation délivrée par l'administration du travail (8). La rupture conventionnelle ayant été conclue au mois d'avril 2009 alors que le jugement prud'homal n'était rendu qu'au mois de mai 2010, la demande de résiliation judiciaire était privée d'objet.

Ce raisonnement ne pouvait cependant être tenu qu'à la condition de considérer que le contrat de travail avait bien été rompu par la rupture conventionnelle. Or, le salarié demandait également l'annulation de cette rupture conventionnelle. Du fait du caractère rétroactif de la nullité, la demande de résiliation judiciaire aurait pu produire ses effets si ce moyen avait été accueilli. Les juges d'appel, confortés par la Chambre sociale de la Cour de cassation, rejetèrent cependant cette demande de nullité au vu d'arguments qu'il convient d'analyser.

II - La validité toujours incertaine de la rupture conventionnelle conclue en situation de conflit

  • Refus d'annulation de la rupture conventionnelle et litige entre les parties

Deux arguments contradictoires devaient être articulés, l'un sur le fond, l'autre sur une question de prescription.

Sur le fond, le salarié soutenait qu'existait un litige entre le salarié et l'employeur et que, par conséquent, l'accord de rupture caractérisait une renonciation illicite du salarié aux règles protectrices du droit du licenciement.

On reconnaît là une rhétorique autrefois utilisée pour contester les transactions relatives aux effets de la rupture du contrat mais conclues préalablement à la rupture. On se souviendra, en effet, que c'est sur le fondement de l'illicéité de cette renonciation antérieure à la rupture que la Chambre sociale a exigé que de telles transactions soient obligatoirement conclues après la rupture du contrat de travail (9). A cela s'ajoutait d'ailleurs une autre règle prétorienne, à laquelle il n'est pas ici fait référence. En effet, avant que le régime légal de la rupture conventionnelle ne soit adopté, la Chambre sociale de la Cour de cassation annulait les accords de rupture amiable conclus par des parties en état de litige (10).

L'argument pouvait être transposé à la rupture conventionnelle du contrat de travail, ce qui a d'ailleurs déjà donné lieu à quelques affaires jusqu'ici portées devant les juges du fond : une rupture conventionnelle conclue entre un salarié et un employeur en litige est-elle valable (11) ? La question semble ne pas être encore totalement tranchée. Alors que certains conseils de prud'hommes ont pu considérer que, dans une telle situation, la rupture n'était pas valable (12), la cour d'appel de Rouen distingue selon qu'existe une véritable situation conflictuelle ou un simple désaccord (13) quand la cour d'appel de Lyon, plus catégorique, refuse d'annuler la rupture conventionnelle en raison d'un conflit concomitant à sa conclusion (14).

Malgré ces incertitudes, la Chambre sociale ne répond pas véritablement à cette interrogation, détournant le regard grâce à un argument procédural qui, il est vrai, constitue l'une des spécificités de la rupture conventionnelle.

  • Refus d'annulation de la rupture conventionnelle et délais de prescription

Si la Chambre sociale conforte les juges d'appel d'avoir refusé l'annulation de la rupture conventionnelle et, partant, d'avoir refusé de statuer sur la demande de résiliation judiciaire, ce n'est pas sur le fondement de l'existence d'un conflit entre les parties mais seulement, si l'on peut dire, en application de la règle tirée de l'article L. 1237-14, alinéa 4, du Code du travail qui dispose que tout recours contre la rupture conventionnelle ou son homologation "doit être formé, à peine d'irrecevabilité, avant l'expiration d'un délai de douze mois à compter de la date d'homologation de la convention". Aux dires des juges d'appel, le salarié n'a pas contesté la validité de la rupture conventionnelle devant les premiers juges mais, seulement, en cause d'appel. Manifestement, le délai d'un an suivant l'homologation était dépassé.

Cette décision, comme celles rendues au mois janvier à propos de la rupture conventionnelle, suscite donc une nouvelle frustration tant on a le sentiment qu'une question certes sous-jacente mais d'une grande importance aurait pu être réglée (15). En effet, en ne répondant que sur la question de la prescription, ce qui est parfaitement légitime au demeurant, la Chambre sociale laisse clairement planer le doute sur sa "doctrine" en matière de conflit entre les parties. L'affaire, certainement, n'était pas assez belle pour prendre parti... Mais le temps de la réponse viendra.

  • Propositions

La jurisprudence relative aux transactions et aux accords de rupture amiable devrait être transposée à la rupture conventionnelle, cela pour au moins trois raisons.

D'abord parce que la transaction conclue en vue de rompre le contrat de travail, l'accord de rupture amiable ou la rupture conventionnelle ont toutes, peu ou prou, la même nature. Il s'agit dans chaque cas d'une convention extinctive ayant pour effet de rompre le contrat de travail. La proximité de nature juridique devrait, sur le plan technique, postuler la proximité de régime juridique, même si proximité n'est pas identité.

Ensuite parce que la Chambre sociale semble accorder, comme elle l'a démontré au mois de janvier dernier, une importance capitale au consentement des parties lors de la rupture. Or, il peut être soutenu que le consentement des parties à la rupture en cas de conflit n'est pas pleinement libre. On retrouve ici l'idée qui irrigue la notion de prise d'acte de la rupture du contrat de travail : si la volonté du salarié était pleinement libre, il s'agirait d'une démission. C'est parce que cette volonté n'est pas claire, est équivoque, est justifiée par un litige avec l'employeur que la qualification de démission est rejetée au profit d'une qualification de prise d'acte. Juger que la rupture conventionnelle conclue en situation de conflit soit valable ne serait donc guère cohérent avec l'idée que se fait la Chambre sociale du consentement du salarié dans le cadre de la rupture de son contrat de travail.

Enfin, et quoique cet argument soit plus relatif, il faut noter que le régime légal de la rupture conventionnelle reste taisant sur la question d'un litige entre les parties alors même qu'il insiste lourdement sur l'exigence d'un consentement libre. L'interprétation judiciaire est donc nécessaire et paraît être guidée par cette exigence d'un consentement valable.


(1) V. déjà sur cette question nos observations sous Cass. soc., 3 février 2010, n° 07-42.144, FS-P+B (N° Lexbase : A7682ERX), Articulation entre résiliation judiciaire et prise d'acte : le point de départ des intérêts afférents aux indemnités de rupture, Lexbase Hebdo n° 384 du 25 février 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N2472BNU).
(2) Cass. soc., 19 janvier 2005, n° 02-41.113, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0755DG3) ; Cass. soc., 19 janvier 2005, n° 03-45.018, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0940DGW) et les obs. de Ch. Radé, Nouvelles précisions concernant la prise d'acte par le salarié de la rupture du contrat, Lexbase Hebdo n° 153 du 3 février 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N4456ABN) ; Cass. soc., 28 juin 2006, n° 04-43.431, F-P (N° Lexbase : A1054DQ4), RDT, 2006, p. 240, obs. J. Pélissier.
(3) Cass. soc., 16 février 2005, n° 02-46.649, FS-P+B (N° Lexbase : A7356DGK) et les obs. de Ch. Radé, Résiliation judiciaire du contrat de travail ou licenciement ?, Lexbase Hebdo n° 157 du 4 mars 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N4812ABT) ; Cass. soc., 7 février 2007, n° 06-40.250, FS-P+B (N° Lexbase : A9615DTB) et les obs. de Ch. Radé, Résiliation judiciaire et licenciement : pourquoi faire simple ?, Lexbase Hebdo n° 248 du 16 février 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N0442BAM).
(4) Cass. soc., 31 octobre 2006, 3 arrêts, n° 05-42.158, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0483DSP), n° 04-46.280, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0481DSM), n° 04-48.234, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0482DSN) et les obs. de G. Auzero, La prise d'acte de la rupture par le salarié rend sans objet la demande de résiliation judiciaire introduite auparavant, Lexbase Hebdo n° 236 du 17 novembre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N5061ALZ).
(5) Cass. soc., 11 janvier 2007, n° 05-40.626, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4828DTY) et les obs. de G. Auzero, Date d'effet de la résiliation judiciaire du contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 245 du 26 janvier 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N7973A98).
(6) Règle établie par l'article L. 1231-4 du Code du travail (N° Lexbase : L1068H9G).
(7) Le pourvoi est admis pour défaut de motivation sur une question annexe relative à la privation d'un avantage retraite que l'employeur semblait avoir omis d'octroyer au salarié.
(8) C. trav., art. L. 1237-13, al. 2 (N° Lexbase : L8385IAS).
(9) Cass. soc., 29 mai 1996, n° 92-45.115, publié (N° Lexbase : A3966AA7) ; Les grands arrêts du droit du travail, Dalloz, 4ème édition, n° 120 ; Dr. soc., 1996, p. 687, note J. Savatier.
(10) Cass. soc., 31 octobre 2007, n° 06-43.570, F-D (N° Lexbase : A2439DZD).
(11) V. les obs. de Ch. Willmann, Conditions de validité de la rupture conventionnelle : premiers contentieux des juridictions d'appel, Lexbase Hebdo n° 499 du 27 septembre 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N3627BTI).
(12) CPH Bobigny, 6 avril 2010 n° 08/4910.
(13) CA Rouen 27 avril 2010, n° 09/04792 (N° Lexbase : A4678GAI).
(14) CA Lyon, ch. soc., sect. A, 7 mai 2012 (N° Lexbase : A6878IKX) et les obs. de Ch. Willmann, préc. ; JCP éd. G, 2012, 777, obs. F. Bavozet ; RDT, 2012, p. 336, obs. B. Mounier-Berail.
(15) Cass. soc., 29 janvier 2013, n° 11-22.332, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6245I43) et Cass. soc., 6 février 2013, n° 11-27.000, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5796I7S) et nos obs., Rupture conventionnelle : consécration de la prééminence du consentement, Lexbase Hebdo n° 516 du 14 février 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N5793BTQ).

Décision

Cass. soc., 10 avril 2013, n° 11-15.651, FS-P+B (N° Lexbase : A0813KC4)

Cassation partielle, CA Montpellier, 16 février 2011, n° 10/04481 (N° Lexbase : A8980HNW)

Textes concernés : C. trav., art L. 1237-14 (N° Lexbase : L8504IA9)

Mots-clés : rupture conventionnelle, résiliation judiciaire, articulation

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