Le Quotidien du 18 février 2022 : Sociétés

[Brèves] Après l’avis, l’arrêt : l’usufruitier de parts sociales n’est pas associé !

Réf. : Cass. civ. 3, 16 février 2022, n° 20-15.164, FS-B N° Lexbase : A33527NH

Lecture: 6 min

N0440BZC

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Brèves] Après l’avis, l’arrêt : l’usufruitier de parts sociales n’est pas associé !. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/78850798-breves-apres-lavis-larret-lusufruitier-de-parts-sociales-nest-pas-associe-
Copier

par Vincent Téchené

le 23 Février 2022

► L'usufruitier de parts sociales ne peut se voir reconnaître la qualité d'associé, qui n'appartient qu'au nu-propriétaire, mais il doit pouvoir provoquer une délibération des associés sur une question susceptible d'avoir une incidence directe sur son droit de jouissance.

Faits et procédure. À la suite de diverses opérations, un couple et leurs trois enfants se sont retrouvés respectivement usufruitiers et nus-propriétaires de parts sociales d’une SCI, l’une des enfants étant en outre gérante. Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, les parents, usufruitiers des parts, ont demandé à la gérante de provoquer la délibération des associés concernant la révocation de cette dernière de ses fonctions de gérante et la nomination de co-gérants. Exposant que la gérante avait gardé le silence, les parents et l’un des enfants ont assigné, sur le fondement de l'article 14 des statuts de la SCI et de l'article 39 du décret n° 78-704 du 3 juillet 1978 N° Lexbase : Z26227RX, les autres associés et la SCI aux fins de voir désigner un mandataire chargé de provoquer la délibération des associés à l'effet de statuer sur la révocation de la gérante et la nomination de co-gérants.

Les usufruitiers ont alors formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt rendu par la cour d’appel de Bordeaux (CA Bordeaux, 11 février 2020, n° 19/03127 N° Lexbase : A67403ED) qui a confirmé l'ordonnance, en ce qu'elle a déclaré irrecevable leur demande tendant à la désignation d'un mandataire.

Pourvoi. Au soutien de leur pourvoi, les usufruitiers faisaient valoir qu’en posant en principe que, dans le silence de la loi, l'usufruitier de parts sociales n'est pas un associé, que dès lors il n'a pas le pouvoir de demander au gérant de provoquer la délibération des associés et qu'a fortiori il est irrecevable à saisir le juge du tribunal de grande instance d'une demande tendant à la désignation d'un mandataire chargé de provoquer la délibération des associés, la cour d'appel aurait violé l'article 1844 du Code civil N° Lexbase : L2412LRR, ensemble l'article 39 du décret n° 78-704 du 3 juillet 1978.

Décision. La troisième chambre civile de la Cour de cassation, qui avait saisi pour avis la Chambre commerciale, reprend ici expressément la solution énoncée par cette dernière (Cass. avis, 1er décembre 2021, n° 20-15.164, FS-D N° Lexbase : A63597GM ; V. Téchené, Lexbase Affaires, décembre 2021, n° 697 N° Lexbase : N0336BZH).

Ainsi, elle rappelle d’abord qu’aux termes de l'article 578 du Code civil  N° Lexbase : L3159ABM, l'usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d'en conserver la substance.

En outre, selon l'article 39, alinéas 1er et 3, du décret du 3 juillet 1978, un associé non gérant d'une société civile peut à tout moment, par lettre recommandée, demander au gérant de provoquer une délibération des associés sur une question déterminée. Si le gérant s'oppose à la demande ou garde le silence, l'associé demandeur peut, à l'expiration du délai d'un mois à compter de sa demande, solliciter du président du tribunal, statuant en la forme des référés, la désignation d'un mandataire chargé de provoquer la délibération des associés.

Ainsi, selon la Cour, il résulte de la combinaison de ces textes que l'usufruitier de parts sociales ne peut se voir reconnaître la qualité d'associé, qui n'appartient qu'au nu-propriétaire, mais qu'il doit pouvoir provoquer une délibération des associés sur une question susceptible d'avoir une incidence directe sur son droit de jouissance.

Par conséquent, en l’espèce, les usufruitiers n'ayant pas la qualité d'associés et n'ayant pas soutenu que la question à soumettre à l'assemblée générale avait une incidence directe sur le droit de jouissance des parts dont ils avaient l'usufruit, la cour d'appel a retenu, à bon droit, que leur demande de désignation d'un mandataire chargé de provoquer la délibération des associés était irrecevable.

Observations. C’est la première fois que la Cour de cassation tranche clairement la question de savoir si l’usufruitier de parts sociales est ou non associé. La qualité d’associé du nu-propriétaire a, pour sa part, été consacrée par la Cour de cassation depuis longtemps (Cass. com., 4 janvier 1994, n° 91-20.25 N° Lexbase : A4835AC3). Elle en avait alors déduit que les statuts peuvent déroger à la règle selon laquelle si une part est grevée d'un usufruit, le droit de vote appartient au nu-propriétaire, à condition qu'il ne soit pas dérogé au droit du nu-propriétaire de participer aux décisions collectives (Cass. com., 22 février 2005, n° 03-17.421, F-D N° Lexbase : A8706DGK – Cass. com., 2 décembre 2008, n° 08-13.185, F-D N° Lexbase : A5368EBG). Pareillement, il a été jugé que la clause statutaire selon laquelle l'usufruitier représente valablement le nu-propriétaire pour toutes les décisions sociales ne peut avoir pour effet de priver le nu-propriétaire du droit de participer aux décisions collectives (Cass. civ. 2, 13 juillet 2005, n° 02-15.904, FS-P+B N° Lexbase : A9112DIC ; R. Kaddouch, Lexbase Affaires, octobre 2005, n° 186 N° Lexbase : N9721AIU).

La nouveauté tient bien au fait que la Cour énonce clairement que « l'usufruitier de parts sociales ne peut se voir reconnaître la qualité d'associé ». Nous étions alors en présence d'une controverse doctrinale. Pour certains auteurs, l'usufruitier a la qualité d'associé (A. Viandier, La notion d'associé, LGDJ, 1978, n° 248 et s.). Pour d'autres, ce n'est pas possible (M. Cozian, Du nu-propriétaire ou de l'usufruitier, qui a la qualité d'associé ?, JCP éd. E, 1994, 374). Enfin, une solution médiane était également proposée (Fl. Deboissy et G. Wicker, Le droit de vote est une prérogative essentielle de l'usufruitier de droits sociaux, JCP éd. E, 2004, 1290).

Pour aller plus loin :

  • v. ÉTUDE : Les associés, L'usufruit, in Droit des sociétés, (dir. B. Saintourens), Lexbase N° Lexbase : E6387ADW ;
  • v. Ch. Lebel, Démembrement de propriété, droits sociaux et convocation à l'assemblée générale : qui doit être convoqué ?, Lexbase Affaires, octobre 2016, n° 482 N° Lexbase : N4642BWT, commentaire sous Cass. civ. 3, 15 septembre 2016, n° 15-15.172, FS-P+B N° Lexbase : A2399R3A ;
  • v. commentaire de cet arrêt par B. Saintourens, in Lexbase Affaires n° 707 du 3 mars 2022, à paraître.

 

newsid:480440

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.