Réf. : Cass. civ. 3, 2 février 2022, n° 21-11.051, FS-D N° Lexbase : A50877LY
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N0396BZP
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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, M2J Avocats, Chargée d’enseignements à l’UPEC et Paris Saclay, Responsable de la commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats
le 16 Février 2022
► L’article 145 du Code de procédure civile exige que soit rapportée la preuve d’un intérêt légitime ;
► L’appréciation de cet intérêt légitime relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond.
Le principe mérite d’être rappelé tellement le traitement des demandes d’expertise judiciaire paraît « automatique ». Il y a finalement assez peu de débats sur l’existence d’un intérêt légitime tant les juges se montrent enclins à prononcer des mesures d’expertise, surtout dans les domaines techniques tels que la construction.
En l’espèce, se plaignant de désordres affectant la maison d’habitation qu’ils avaient acquise, des acquéreurs obtiennent, en référé, l’organisation d’une mesure d’expertise au contradictoire de leur venderesse et des divers intervenants à l’acte de construire. Soutenant que les désordres trouvaient leur origine dans les travaux réalisés avant la vente, ils assignent un des locateurs d’ouvrage en cours d’expertise aux fins d’ordonnance commune. Celui-ci s’y oppose.
La cour d’appel de Rennes, dans un arrêt du 3 novembre 2020, le déboute. Il forme un pourvoi en cassation aux termes duquel il soutient que le prononcé d’une mesure d’instruction in futurum suppose que l’action au fond ne soit pas irrémédiablement vouée à l’échec, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce au motif, notamment, que faute de réception, la responsabilité décennale du constructeur ne serait pas engagée.
Le pourvoi est rejeté. La Haute juridiction n’exerce qu’un contrôle de motivation. En l’espèce, la cour d’appel a bien caractérisé l’existence d’un intérêt légitime.
L’argument du pourvoi est classique. Si toute procédure au fond est manifestement vouée à l’échec, cela fait obstacle à la caractérisation d’un intérêt légitime au sens de l’article 145 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1497H49. Ainsi en est-il, notamment, de l’existence d’une prescription (pour exemple, Cass. civ. 2, 12 juillet 2012, n° 11-18.399, F-P+B N° Lexbase : A8154IQ3). Il n’est donc pas étonnant de voir cet argument soulevé, en défense, dans le cadre d’une action ultérieure fondée sur la responsabilité décennale des constructeurs alors que la réception des travaux ne serait pas intervenue, ce qui y fait rigoureusement obstacle en application des dispositions des articles 1792-4-3 N° Lexbase : L7190IAK et 1792-6 N° Lexbase : L1926ABX du Code civil.
La difficulté est que le juge des référés, juge de l’évidence, ne peut se prononcer sur la caractérisation de la réception, surtout si elle est tacite. Autrement dit, dans le cadre d’une demande de mesure d’instruction, le juge des référés n’a pas à caractériser l’intérêt légitime du demandeur au regard des règles de droit éventuellement applicables ou des différents fondements juridiques des actions que celui-ci se propose d’engager. Il lui appartient uniquement de caractériser l’existence d’un intérêt légitime (pour exemple, CA Riom, 18 juillet 2018, n° 18/00180 N° Lexbase : A0594XYN).
En pratique, cela laisse peu de perspectives d’aboutir à ceux qui souhaitent s’opposer au prononcé d’une mesure d’expertise. Si la preuve d’un intérêt légitime reste requise, il sera difficile de démontrer que l’action au fond est irrémédiablement vouée à l’échec.
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