Le Quotidien du 16 décembre 2021 : Actualité judiciaire

[A la une] Claude Guéant, des ors de la République aux 9 m² d’une cellule de la prison de la Santé

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[A la une] Claude Guéant, des ors de la République aux 9 m² d’une cellule de la prison de la Santé. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/75607015-a-la-une-claude-gueant-des-ors-de-la-republique-aux-9-m-dune-cellule-de-la-prison-de-la-sante
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par Vincent Vantighem

le 21 Décembre 2021

Son avocat l’avait prévenu une semaine auparavant. « J’avais reçu un courrier m’indiquant que la Justice mettait à exécution la décision... », détaille sobrement Philippe Bouchez El Ghozi. Claude Guéant a donc pris ses responsabilités. Et lundi 13 décembre, aux alentours de 9h, il s’est présenté de lui-même à la maison d’arrêt de la Santé (Paris, 14e arrondissement) pour être incarcéré.

            Ancien préfet, ancien directeur général de la police nationale, ancien secrétaire général de l’Élysée, ancien ministre de l’Intérieur : à 76 ans, celui que l’on surnommait « Le Cardinal » ou encore « Le vice-président » du temps de sa superbe auprès de Nicolas Sarkozy savait bien que s’il ne déferait pas à la convocation, c’est encadré de deux policiers et les menottes aux poignets qu’il risquait de devoir intégrer sa cellule individuelle. À l’intérieur ? Un lit dur, une douche, un W.C., un téléviseur et un téléphone fixe duquel il ne peut composer que quatre numéros préalablement « validés » par l’administration pénitentiaire. Comme n’importe quel détenu, finalement...

            Il n’imaginait sans doute pas ça en 2002 quand il s’est mis à piocher, tous les mois pendant deux ans, dans une enveloppe de billets. À l’époque, Claude Guéant était directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur. C’est là qu’il a décidé de remettre au goût du jour une pratique ancestrale pourtant interdite quelques années plus tôt par Lionel Jospin quand celui-ci était à Matignon. Celle des « primes en liquide », comme l’ont surnommée les médias. Le principe était simple : tous les mois, le directeur de la police nationale livrait une enveloppe de 10 000 euros en billets au cabinet du ministre de l’Intérieur. Le grisbi devait servir à rémunérer des indics’, à financer des missions de surveillance ou des investigations ordonnées en direct par le ministre et, donc, sous les radars habituels. Sauf que Claude Guéant s’est servi dans l’enveloppe. 5 000 euros tous les mois. Évidemment sans aucune déclaration au fisc. Quant au reste, il était disséminé auprès de trois de ses plus proches collaborateurs d’alors.

De l’or, une montre de luxe et une assurance-vie

            Personne n’en a rien su jusqu’à ce que la Justice décide de perquisitionner son domicile dans le cadre d’une autre affaire, celle du prétendu financement libyen de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007. C’est là qu’ils ont découvert des factures pour du mobilier payé en liquide… C’est là, donc, que Claude Guéant n’a eu d’autre choix que de reconnaître les faits… En 2017, la sanction pour « détournement de fonds publics » est tombée : deux ans de prison dont un an avec sursis, 75 000 euros d’amende et 210 000 euros de dommages et intérêts à régler solidairement avec ses coprévenus. Il a bien déposé un pourvoi en cassation. Mais celui-ci a été rejeté en 2019.

            Et depuis, l’ancienne éminence grise de la droite sarkozyste galère à payer ses dettes. Et c’est pour cela qu’il a été embastillé à la Santé. Chaque mois, une retenue de 3 000 euros sur sa retraite de 5 500 euros sert à régler ses comptes. Mais, selon un rapport récent de la chambre de l’application des peines, il dispose de « sources de revenus complémentaires » et aurait pu « régler davantage » et « plus tôt ». Le 9 novembre, après avoir réexaminé sa situation, la Justice a donc décidé de révoquer une partie de son sursis (trois mois) et une partie de la liberté conditionnelle dont il avait bénéficié lors de sa condamnation (six mois). Trois et six qui font neuf : voilà l’ancien ministre condamné à passer neuf mois en cellule. Mais pour en arriver là, la Justice n’a pas eu besoin de calculatrice. Elle a juste mis en avant le fait que Claude Guéant avait récemment vendu de l’or, une montre et récupéré des fonds d’une assurance-vie, pour justifier sa décision d’incarcération.

L’ombre d’une condamnation dans l’affaire dite « des sondages de l’Élysée »

            Une décision qui rend Philippe Bouchez El Ghozi très amer. « Contrairement à ce qui a été dit, Claude Guéant est complètement étranglé financièrement. Il lui reste 1 622 euros par mois pour vivre. Il ne peut pas payer un euro de plus. Ce n’est pas possible ! » Les fonds de son assurance-vie ? Il s’en est servi pour aider ses deux enfants qui sont, selon lui, dans une « situation dramatique », selon sa défense. Quant au produit de la vente de l’or et de la montre de luxe, il a servi à payer une femme de ménage qu’il n’avait pas « le courage » de licencier.

            Mais la Justice, elle, ne veut pas croire qu’un grand commis de l’État, qui a émargé pendant une bonne décennie à plus de 8 000 euros mensuels, soit aujourd’hui fauché comme les blés. Le problème, c’est qu’il ne peut pas, non plus, compter sur la vente de son appartement parisien situé dans le 16e arrondissement. Pas plus que sur celle de sa résidence secondaire dans le Maine-et-Loire. Les deux biens ont fait l’objet de saisies conservatoires dans le cadre de la procédure sur le prétendu financement libyen… « Je vous assure qu’il n’a plus rien. C’est triste et dramatique », lâche Philippe Bouchez El Ghozi.

            « Triste » car Claude Guéant ambitionnait de passer les fêtes de Noël en famille et qu’il sera sans doute seul en cellule pour réveillonner. « Dramatique » car sa situation illustre à quel point il a été abandonné par toute la Sarkozie en l’espace de moins de dix ans. Lundi, quand la nouvelle est tombée, pas un seul ancien responsable politique de l’UMP n’a pris la peine de prendre la parole pour le défendre et dénoncer sa situation.         

            Son salut viendra peut-être de ses amis non-politiques. « J’ai été contacté par plusieurs de ses proches qui tentent de réunir la somme qu’il doit encore à la Justice – environ 115 000 euros – afin de l’aider à sortir de prison », explique ainsi son avocat. Encore faudrait-il qu’un juge d’application des peines soit sensible à cet argument maintenant que la Justice a estimé qu’il avait « menti » sur ses ressources. À moins que Claude Guéant ne parvienne finalement à convaincre que son état est « incompatible » avec sa détention. Alors qu’il fêtera ses 77 ans en janvier 2022, l’ancien ministre est sujet à des problèmes de santé, notamment cardiaques. « Selon ses propres médecins, il ne peut pas être détenu », assure Philippe Bouchez El Ghozi. Il pourrait donc réclamer une expertise médicale afin de convaincre la Justice de cela.

            Dans le cas contraire, Claude Guéant devra partager son quotidien de détenus avec d’autres célèbres prisonniers de la Santé. Le chanteur Jean-Luc Lahaye, récemment mis en examen pour « viols sur mineurs ». Ou encore l’ancien maire (UMP) de Draveil (Essonne), Georges Tron, lui aussi, condamné pour « viols ». C’est peut-être en leur compagnie qu’il passera donc les prochains mois. Et qu’il découvrira alors la décision que lui réserve la 32e chambre du tribunal judiciaire de Paris dans l’affaire dite « des sondages de l’Élysée ». Considéré comme le pivot de ce dossier lors du procès qui vient de s’achever, Claude Guéant a vu le parquet alourdir ses réquisitions à son encontre après avoir appris « l’évolution de sa situation financière ». C’est désormais une peine d’un an de prison ferme et de 10 000 euros d’amende qui a été réclamée contre lui. Sur ce sujet, la décision sera connue le 21 janvier.

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