Le Quotidien du 7 décembre 2021 : Avocats/Déontologie

[Brèves] « Aucun manquement disciplinaire de Mme Vermeille n’est caractérisé »

Réf. : CA Paris, 18 novembre 2021, deux arrêts, n° 20/08465 (N° Lexbase : A00947E9) et n° 20/11623 (N° Lexbase : A00957EA)

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par Marie Le Guerroué

le 07 Décembre 2021

Dans une décision du 18 novembre 2021, la cour d’appel de Paris a considéré qu’aucun manquement disciplinaire ne pouvait être retenu à l’encontre de l’avocate Sophie Vermeille contrairement à l’arrêté qui avait été rendu par le conseil de l’Ordre des avocats du barreau de Paris, siégeant comme conseil de discipline.

Les faits et la procédure

L’avocate avait été poursuivie pour manquements essentiels de la profession d’avocat édités par l’article 1.3 du Règlement intérieur national (RIN) de la profession d’avocat (N° Lexbase : L4063IP8), notamment de dignité, d’indépendance, d’honneur, de loyauté, de désintéressement, de confraternité, de délicatesse, de modération, de courtoisie et de prudence pour avoir :

- depuis octobre 2018 et sans discontinuer publié sur ses comptes LinkedIn et Facebook ou sur un site internet divers messages s’interrogeant sur la manipulation du marché par le président de la société Casino, assimilant la situation de la société Casino à celle des sociétés en faillite, reprenant des griefs émis par des fonds spéculatifs à l’encontre du président de la société Casino et de la société Rallye, mettant en cause la régularité de la rémunération de celui-ci et de sa famille ;

- ainsi que pour avoir écrit à l’Autorité des marchés financiers, au parquet national financier et aux administrations de la société Casino pour mettre en cause la probité des dirigeants et des commissaires aux comptes du groupe Casino, en se présentant comme l’avocat d’investisseurs spécialistes de la finance jamais identifiés, mais dont l’intérêt pourrait être de faire chuter le cours du groupe Casino dans le cadre d’opérations spéculatives qui pourraient avoir des effets négatifs sur la santé financière du groupe, pour ses salariés et la pérennité de l’emploi.

Le conseil de l’Ordre des avocats du barreau de Paris siégeant comme conseil de discipline l’avait déclarée coupable : d’un manquement aux principes essentiels de la profession notamment de loyauté, de délicatesse, de modération et de prudence en violation des dispositions de l’article 1.3 du RIN de la profession d’avocat ; d’un manquement aux dispositions de l’article 6.3.4 du RIN de la profession d’avocat ; d’un manquement aux dispositions de l’article 8 du RIN de la profession d’avocat ; d’un manquement aux dispositions des articles 10.2 et 10.5 du RIN de la profession d’avocat et d’un manquement aux dispositions de l’article 111 du décret n° 97-1197 du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L8168AID) et de l’article P.41 du Règlement intérieur du Barreau de Paris et avait prononcé à son encontre la sanction de l’interdiction temporaire d’exercice pour une durée de six mois assortis du sursis, outre la condamnation aux dépens. L'avocate a formé un recours contre cet arrêté.

Sur le caractère partial du rapport

La cour rappelle qu’il résulte des dispositions combinées des articles 189 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 et de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L1625A29) que le rapporteur doit instruire l’affaire de manière objective, contradictoire et impartiale. Elle estime, qu’en l’espèce, qu’il ressort des termes mêmes du rapport que l’instructeur a donné son assentiment aux poursuites engagées en émettant des soupçons et hypothèses quant à l’origine des revenus professionnels de l’avocate, sans faire preuve de la prudence et mesure que nécessite une instruction objective et impartiale, ces supputations, sans lien avec les chefs d’ouverture de l’instance disciplinaire, n’étant pas de nature à éclairer le conseil de discipline de l’Ordre des avocats sur la matérialité des faits. L’assentiment ainsi donné par l’auteur du rapport quant aux poursuites engagées laissant douter de son impartialité, le rapport est entaché de nullité. La cour précise, toutefois, que la nullité du rapport d’instruction n’entache pas l’intégralité de la procédure disciplinaire, la cour devant statuer sur les chefs de poursuite disciplinaire au vu des éléments du dossier, exclusion faite dudit rapport.

Sur les manquements déontologiques

  • Sur le manquement à l’article 1.3 du RIN

L’article 1.3 du RIN de la profession d’avocat dispose que « Les principes essentiels de la profession guident le comportement de l’avocat en toutes circonstances. L'avocat exerce ses fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité dans le respect des termes de son serment. Il respecte, en outre, dans cet exercice, les principes d'honneur, de loyauté, d'égalité et de non-discrimination, de désintéressement, de confraternité, de délicatesse, de modération, et de courtoisie ». Il fait preuve, à l'égard de ses clients, de compétence, de dévouement, de diligence et de prudence.

Loyauté. Le conseil de discipline a retenu le manquement au principe de loyauté en ce que contrairement à ce qu’indique l’avocate, elle n’a pas mentionné ni systématiquement, ni clairement qu’elle représentait des fonds acheteurs. La cour rappelle que le devoir de loyauté s’applique à l’égard de la partie adverse potentielle ou avérée. L’avocate indiquant avoir adressé certaines communications en sa qualité d’avocat de vendeurs à découvert, était tenue à un devoir de loyauté envers le groupe Casino, partie adverse potentielle. Ainsi qu’elle le fait pertinemment valoir, la formation disciplinaire, qui a expressément indiqué qu’il ne lui appartenait pas de se prononcer sur les allégations de l’avocate proférées à l’encontre du groupe Casino, ne peut retenir à son encontre une abondante communication dont elle estime, bien qu’elle n’en ait pas apprécié le contenu, qu’elle a pour but ou effet de faire baisser le titre du groupe Casino. Elle ne peut davantage, sans se contredire, relever l’absence de lien de causalité établi entre les communications de l’avocate et la baisse du titre Casino, tout en retenant que les communications litigieuses ont produit cet effet, ce alors même qu’aucun grief de ce chef n’a été retenu à l’encontre de l’avocate par l’Autorité des marchés financiers (AMF). En outre, l’avocate a précisé sa qualité de conseiller de certains vendeurs à découvert ayant pris des positions sur les sociétés Casino/Rallye, dans ses premières communications sur lesquelles elle s’exprime au sujet du groupe Casino et publiées sur son compte Facebook et sur son compte Linkedin. L'ensemble des messages publiés ultérieurement sur les mêmes comptes s’inscrivant dans la continuité des premières communications, il ne saurait ne lui être fait grief de ne pas avoir précisé de nouveau, pour chacune d’entre elles, sa qualité. De même, sa qualité d’avocat de certains vendeurs à découvert est mentionnée sur le site rallyecasino-info.com, notamment dans la rubrique « Dernières actualités » contenant la « Déclaration lue par l’avocate à l’Autorité des Marchés Financiers le 15 octobre 2018 agissant en qualité de conseil d’un certain nombre d'investisseurs ayant des positions à découvert ». Le manquement au devoir de loyauté n’est donc pas caractérisé.

Délicatesse et modération. L'arrêté retient ce manquement aux motifs que l’avocate a, sous couvert d’idées générales et neutres, inséré dans ses messages et publications une attaque virulente, répétée et ciblée sur le Groupe Casino et la valeur du titre. La formation disciplinaire ne peut sanctionner la virulence de propos tenus par l’avocate dans ses messages et publications, alors que ceux-ci n’ont notamment pas été sanctionnés comme étant diffamatoires ou injurieux, sont argumentés et s’inscrivent au demeurant dans un débat d’intérêt général, des articles du Financial Times étant publiés sur la situation financière du groupe Casino depuis mars 2018.

Prudence. La décision a retenu le manquement de l’avocate au devoir de prudence en ce qu’elle a reconnu ne pas avoir examiné par elle-même les comptes du groupe Casino et s’être référée aux études approfondies menées par ses clients alors que, s’il est possible qu’elle ait pu alors juger de la vraisemblance des accusations qu’elle portait sur la comptabilité du groupe Casino, elle ne pouvait reprendre à son compte des affirmations non vérifiées par elle, l’avocat ne pouvant être le porte-voix public et sans prise de recul des allégations de son client qu’il n’a pu vérifier. L'avocat étant tenu, en vertu de l’article 3.1 du RIN de la profession d’avocat à un devoir de prudence envers son client, qualité que n’ont jamais eue les sociétés Casino et Rallye, le conseil de discipline a reconnu à tort que ce manquement de l’avocate était caractérisé.

  • Sur le manquement à l’article 8 du RIN.

L'arrêté retient que l’avocate a contrevenu aux dispositions de l’article 8 du RIN de la profession d’avocat en prenant contact avec les membres du conseil d’administration de la société Casino par lettres sans mentionner être l’avocat de la partie adverse ni informer les intéressés de la possibilité qu’ils avaient de nommer un avocat. Cet article est applicable dans les rapports entre l’avocate et les administrateurs du groupe Casino compte tenu du différend existant entre ledit groupe et les clients de l’avocate. Pour la cour, l’avocate ayant informé les administrateurs du groupe Casino de sa qualité d’avocat de la partie adverse et de la possibilité qu’ils avaient de désigner un avocat, aucun manquement à l’article 8 du RIN de la profession d’avocat n’est caractérisé.

La cour ne retient pas non plus de manquements sur l’article 111 du décret n° 91-1197 novembre 1991 et de l’article P.41 du Règlement Intérieur du Barreau de Paris ni sur les articles 10.2, 10.3 et 10.5 du RIN de la profession d’avocat.

L'infirmation de l'arrêté 
La cour infirme par conséquent l’arrêté litigieux rendu par le conseil de l’Ordre des avocats du barreau de Paris siégeant comme conseil de discipline en toutes ses dispositions.

Seconde décision. À noter, également, que dans une seconde décision (CA Paris, 18 novembre 2021, n° 20/11623 N° Lexbase : A00957EA) la cour d’appel de Paris a annulé la suspension d’un mois assorti du sursis pour un courriel litigieux de l’avocate. Selon la cour, en retenant un manquement tiré de la qualité sous laquelle l’avocate avait adressé ledit courriel, qui constituait un fait non visé par la citation, la formation disciplinaire n’a pas requalifié les manquements dont elle était saisie en leur conférant leur exacte qualification, mais a statué ultra petita.

► Sur les principes essentiels de la profession d'avocat, lire : 

- M.-S. Baud, Le principe de loyauté de l’avocat, Lexbase Avocats, septembre 2021 (N° Lexbase : N4314BYG) ;

- Ch. Quézel-Ambrunaz et R. Bigot, Le principe de délicatesse de l’avocat, Lexbase Avocats, avril 2021 (N° Lexbase : N6978BY4) ;

- M. Bouchet, Le principe de modération, Lexbase Avocats, novembre 2020 (N° Lexbase : N4935BYG) ;

- D. Landry, Le principe de prudence, Lexbase Avocats, octobre 2021 (N° Lexbase : N8723BYQ).

 

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