Le Quotidien du 1 décembre 2021 : Divorce

[Point de vue...] Résidence alternée, handicap et AEEH : rien ne change…

Réf. : Cass. civ. 2, 25 novembre 2021, n° 19-25.456, FS-B+R (N° Lexbase : A96637CU)

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par Jérôme Casey, Avocat au barreau de Paris, Maître de conférences à l’Université de Bordeaux

le 30 Novembre 2021


Mots-clés : divorce • parents séparés • résidence alternéeallocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH) • allocations familiales

En cas de résidence alternée, pour l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH), il n’est pas possible de reconnaître la qualité d’allocataire à chacun des parents de l’enfant handicapé. C’est donc celui qui perçoit les allocations familiales qui sera considéré comme l’allocataire de l’AEEH.


 

Vu les articles L. 513-1, L. 521-2, L. 541-1, L. 541-3, R. 513-1 et R. 521-2 du Code de la Sécurité sociale
Selon le premier de ces textes, les prestations familiales sont, sous réserve des règles particulières à chaque prestation, dues à la personne physique qui assume la charge effective et permanente de l'enfant.
Le cinquième précise que la personne physique à qui est reconnu le droit aux prestations familiales a la qualité d'allocataire et que sous réserve des dispositions des deuxième et sixième, relatifs aux allocations familiales, ce droit n'est reconnu qu'à une seule personne au titre d'un même enfant.
Cependant, lorsqu'à la suite du divorce, de la séparation de droit ou de fait des époux ou de la cessation de la vie commune des concubins, les parents exercent conjointement l'autorité parentale et bénéficient d'un droit de résidence alternée sur leur enfant mis en œuvre de manière effective et équivalente, l'un et l'autre de ces parents sont considérés comme assumant la charge effective et permanente de leur enfant au sens du premier de ces textes.
Il en résulte que l'attribution d'une prestation familiale ne peut être refusée à l'un des deux parents au seul motif que l'autre parent en bénéficie, sauf à ce que les règles particulières à cette prestation fixée par la loi y fassent obstacle ou à ce que l'attribution de cette prestation à chacun d'entre eux implique la modification ou l'adoption de dispositions relevant du domaine de la loi.
Selon les deux premiers alinéas du troisième, toute personne qui assume la charge d'un enfant handicapé a droit à une allocation d'éducation de l'enfant handicapé si l'incapacité permanente de l'enfant est au moins égale à un taux déterminé. Un complément d'allocation est accordé pour l'enfant atteint d'un handicap dont la nature ou la gravité exige des dépenses particulièrement coûteuses ou nécessite le recours fréquent à l'aide d'une tierce personne. Son montant varie suivant l'importance des dépenses supplémentaires engagées ou la permanence de l'aide nécessaire.
Le deuxième alinéa de l'article L. 521-2, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, prévoit qu'en cas de résidence alternée de l'enfant au domicile de chacun des parents, telle que prévue à l'article 373-2-9 du Code civil, mise en œuvre de manière effective, les parents désignent l'allocataire. Cependant, la charge de l'enfant pour le calcul des allocations familiales est partagée par moitié entre les deux parents soit sur demande conjointe des parents, soit si les parents sont en désaccord sur la désignation de l'allocataire.
Il résulte de la combinaison de ces textes que la règle de l'unicité de l'allocataire pour le droit aux prestations familiales n'est écartée que dans le cas des parents dont les enfants sont en résidence alternée et pour les allocations familiales et que si l'article L. 541-3, dans sa rédaction issue de la loi n° 2005-02 du 11 février 2005, prévoit que les dispositions de l'article L. 521-2 sont applicables à l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé, ce renvoi n'inclut pas les dispositions du deuxième alinéa de ce texte, édictées postérieurement.
En outre, les règles particulières à l'AEEH et ses compléments, qui font dépendre leur attribution non seulement de la gravité du handicap de l'enfant mais également des charges supplémentaires et sujétions professionnelles que le handicap a générées pour le parent, ne permettent pas leur attribution à chacun des parents de l'enfant en résidence alternée sans la modification ou l'adoption de dispositions relevant du domaine de la loi ou du règlement.
Pour dire que les caisses en cause devront mettre en œuvre le partage de l'AEEH et de ses compléments entre les parents de l'enfant, l'arrêt relève que les dispositions relatives à l'AEEH figurent aux articles L. 541-1 à L. 541-4 et R. 541-1 à R. 541-10 du Code de la Sécurité sociale, que l'article L. 541-3 prévoit que les dispositions de l'article L. 521-2 sont applicables à l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé et qu'en application du deuxième alinéa de ce dernier texte, les allocations familiales peuvent être partagées. Il en déduit que l'article R. 521-2, pris pour l'application de l'article L. 521-2, qui dispose qu'à défaut d'accord sur la désignation d'un allocataire unique, chacun des deux parents peut se voir reconnaître la qualité d'allocataire s'ils en ont fait la demande conjointe ou lorsque les deux parents n'ont ni désigné un allocataire unique, ni fait une demande conjointe de partage, trouve donc à s'appliquer. Constatant que malgré la résidence alternée de l'enfant au domicile de chacun des parents, ceux-ci n'ont ni désigné un allocataire unique, ni fait une demande conjointe de partage manifestant ainsi leur désaccord, il retient que chacun des deux parents peut se voir reconnaître la qualité d'allocataire.
En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Observations. On laissera aux spécialistes du droit de la Sécurité sociale le soin de décortiquer l’arrêt rendu le 25 novembre 2021 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (cet arrêt a été précédé d’une QPC, laquelle a été rejetée : Cass. QPC, 8 octobre 2020, n° 19-25.456, F-D N° Lexbase : A33753XB). Mais les praticiens du droit de la famille en retiendront l’essentiel : en cas de résidence alternée, pour l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH), il n’est pas possible de reconnaître la qualité d’allocataire à chacun des parents de l’enfant handicapé. C’est donc celui qui perçoit les allocations familiales qui sera considéré comme l’allocataire de l’AEEH. L’autre parent n’aura aucune aide, alors même qu’il a la charge effective de l’enfant la moitié du temps, car même pour demander le partage, il faudra que les parents s’entendent assez pour présenter une demande conjointe de partage. Or, en cas de séparation conflictuelle, cela n’arrive que très rarement. De plus, c’est à l’allocataire de l’AEEH qu’est versée la prestation de compensation du handicap (PCH), ce qui fait que l’un des parents cumule toutes les aides, tandis que l’autre n’a rien. Quant à opter entre la PCH et un complément d’allocation au titre de l’AEEH, la pratique révèle que seul le parent allocataire est consulté. L’autre parent n’a pas voix au chapitre, alors pourtant qu’il a aussi la charge de l’enfant.

On peut le dire clairement : ces règles rendent illusoire la mise en place d’une résidence alternée en cas d’enfant handicapé, sauf à ce que le parent qui n’a pas la qualité d’allocataire ait les moyens d’assumer seul et sans aide son enfant. Ce à quoi on répondra que le plus souvent ce sont les mères qui se retrouvent seules avec l’enfant, et qu’alors la règle de l’unicité d’allocataire les aide vraiment. Mais l’argument est réversible : comment dire aux pères de s’investir dans une résidence alternée s’ils savent qu’ils ne seront pas aidés ? Sauf à ce qu’ils soient assez riches pour s’en moquer, il est évident que cette considération ne les poussera pas à aller vers une résidence alternée. Ce à quoi on peut ajouter que s’ils sont assez riches pour se moquer du partage de l’AEEH, il est fort probable que le JAF les aura déjà bien assaisonnés côté pension alimentaire. En effet, nul ne sait dire dans quelles proportions les allocations compensatrices du handicap sont prises en compte par les juges pour fixer les pensions alimentaires dues par celui qui n’a pas la charge effective. C’est au petit bonheur la chance. En outre, on gardera en mémoire que même en cas de résidence alternée, une pension alimentaire peut être due… De sorte qu’en matière de résidence alternée et d’AEEH, le bilan est sans appel : l’un des parents n’aura aucune aide, et, s’il est le plus riche des deux, nul ne peut garantir que cette règle influera de façon importante sur une éventuelle pension alimentaire, le tout, alors que les charges et les sacrifices du parent non-aidé pour vivre la résidence alternée de façon effective seront importants.

Nous savons parfaitement qu’en matière de prise en charge du handicap, les pères sont souvent plus démissionnaires encore qu’ils ne le sont dans le droit commun de l’autorité parentale, et que, considérée sous cet angle, la présente décision renforcera et stabilisera la situation de nombre de mères. Mais nul ne peut nier qu’il existe aussi des pères investis, et que l’intérêt de l’enfant handicapé est d’avoir deux parents pleinement engagés à ses côtés. Or, ce sont ces bonnes volontés que la situation actuelle décourage, et il n’est pas normal que le droit ne soit pas souple et adaptable à la réalité de chacun. Après tout, les CAF ont bien été chargées du recouvrement de certaines pensions alimentaires… Pourquoi ne pas faire du partage de l’AEEH la norme (avec deux allocataires désignés) en cas de résidence alternée, quitte à ce que la CAF puisse déchoir un parent de sa qualité d’allocataire s’il se révèle peu investi dans cette résidence alternée ? De plus, il serait sans doute bon que les JAF aient une claire conscience de ces questions, ce qui est loin d’être toujours le cas lorsqu’ils fixent la résidence de l’enfant handicapé, et tranchent le montant de la pension alimentaire. Le plus souvent, on a le sentiment qu’ils jugent en droit civil pur, et que l’aspect « aide sociale » n’est pas, ou peu, pris en compte, un peu à l’image du « monde du handicap », qui est trop souvent un monde parallèle pour par rapport au « monde des valides ».

Enfin, on notera la lâcheté politique sur le sujet… La question ici tranchée a fait l’objet d’une question écrite au Gouvernement, fort pertinente (Question orale n° 1449S de M. Serge Babary, JO Sénat du 14 janvier 2021, p. 114). Il lui fut répondu le 10 mars 2021 (JO Sénat 10 mars 2021, p. 1548), par le Secrétariat d’État auprès du Premier ministre, chargé des personnes handicapées, notamment ceci : « Les questions de partage de l'AEEH pour les parents séparés nécessitent ainsi de réaliser des choix peu évidents, notamment entre simplicité pour l'allocataire, gestion et équité. Ce chantier nécessite donc une analyse approfondie, incluant les autres prestations familiales, afin d'assurer une cohérence d'ensemble des modalités de partage qui seront définies. Un tel partage constituera également un chantier informatique majeur pour les caisses d'allocations familiales et de mutualité sociale agricole. Des travaux sont engagés afin de dégager une solution lisible et équitable entre toutes les familles, quels que soient leur situation matrimoniale ou le mode de résidence choisi pour l'enfant après la séparation, pour la bonne mise en œuvre d'une telle extension ». Force est de constater que près d’un an plus tard, c’est la Cour de cassation qui a dû faire des choix, avec des textes non révisés car rien n’a changé depuis mars 2021. Nul ne sait où en sont les « travaux » engagés par le ministère (et qu’il vise dans sa réponse), et on a bien compris aussi que c’est compliqué côté informatique, un obstacle pire encore que la législation apparemment… Mieux vaut en rire ! Bref, le discours officiel cache mal la réalité : rien ne changera dans un avenir proche, et la Cour de cassation a donc été laissée seule à trancher la difficulté, en l’état de textes qui ne lui donnaient pas beaucoup d’autres possibilités que de juger comme elle l’a fait. Mais sur un tel sujet, c’est au politique de faire bouger les choses, pas à nos Hauts-magistrats, nul reproche ne peut donc être adressé à ces derniers. Mais l'arrêt commenté est promis au Rapport annuel de la Cour, preuve qu'en l'état des textes actuels, la situation est tranchée pour un bon moment. Si cela doit changer (et il faut l'espérer), ce sera au pouvoir politique de prendre ses responsabilités.

En attendant, la résidence alternée d’un enfant handicapé demeurera une rareté, et les parents qui voudraient s’y investir devront se montrer compréhensifs, puisque leurs sacrifices personnels, ceux de leur enfant, pèsent manifestement moins lourd, aux yeux du Ministère, que les contraintes informatiques à vaincre pour que cela change... Triste, mais pas surprenant. Courteline, au secours !

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