Le Quotidien du 24 novembre 2021 : Propriété intellectuelle

[Brèves] Rémunération pour copie privée : inopposabilité des dispositions de la Directive « droit d’auteur » à la société Copie France

Réf. : Cass. civ. 1, 10 novembre 2021, n° 19-14.438, FS-B (N° Lexbase : A45137BR)

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par Vincent Téchené

le 17 Novembre 2021

► La société Copie France, qui a pour objet principal de percevoir et répartir la rémunération pour copie privée, n’est pas assimilable à un organisme étatique ou para-étatique auquel un particulier pouvait opposer directement une Directive européenne.

Faits et procédure. Une société commercialisant des CD et DVD en France a payé à Copie France les redevances fixées par les décisions de la Commission copie privée. Par arrêt du 11 juillet 2008, le Conseil d’État (CE 9° 10° s-s-r., 11 juillet 2008, n° 298779, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6464D9B) a annulé la décision n° 7 du 20 juillet 2006 de cette commission au motif que la rémunération qui y était prévue compensait des copies de sources illicites, les effets de cette nullité ayant été différés jusqu'au 11 janvier 2009.

À la suite de l'arrêt « Padawan » de la CJUE (CJUE, 21 octobre 2010, aff. C-467/08 N° Lexbase : A2205GCN), le Conseil d’État a, par arrêt du 17 juin 2011 (CE, 9° et 10° s-s-r., 17 juillet 2011, n° 324816, 325439, 325468, 325469, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7590HTB), annulé la décision n° 11 de cette commission au motif que les barèmes arrêtés soumettaient à la rémunération pour copie privée l'ensemble des supports concernés sans possibilité d'exclure ceux à usage professionnel. Il a prévu que l'annulation ne serait effective qu'à compter de l'expiration d'un délai de six mois à compter de sa notification.

La société commercialisant les CD et DVD estimant que le régime français de la rémunération pour copie privée n'était pas conforme à la Directive « droit d’auteur » de 2001 (Directive n° 2001/29/CE du 22 mai 2001 N° Lexbase : L8089AU7), a assigné la société Copie France en remboursement des sommes indûment versées, selon elle, depuis le 22 décembre 2002 et en dommages-intérêts. Copie France a présenté une demande reconventionnelle en paiement des sommes dues depuis le mois de février 2011.

La société a formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt d’appel ayant rejeté ses demandes en remboursement et accueilli les demandes reconventionnelles de Copie France.

Décision. Plusieurs moyens étaient invoqués par la demanderesse au pourvoi.

En premier lieu, il était reproché à la cour d’appel d’avoir jugé que Copie France n’était pas un organisme auquel un particulier peut opposer directement une Directive.

Sur ce point, la Cour de cassation approuve l’arrêt d’appel aux termes d’un raisonnement particulièrement étayé.

Elle rappelle que conformément à la jurisprudence de la CJUE, doivent être assimilées à l’État, aux fins de l'application directe d'une Directive, les personnes morales de droit public faisant partie de l’État au sens large, ou les entités soumises à l’autorité ou au contrôle d’une autorité publique, ou encore celles qui ont été chargées, par une telle autorité, d’exercer une mission d’intérêt public et dotées, à cet effet, de pouvoirs exorbitants par rapport à ceux qui résultent des règles applicables dans les relations entre particuliers (CJUE, 10 octobre 2017, aff. C-413/15, points 34 et 35 N° Lexbase : A2357WUT). En revanche, le principe d’interprétation conforme ne peut pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national et ne permet pas au juge d'écarter une norme nationale contraire (CJUE, 5 octobre 2004, aff. C-397/01 à C-403/01 N° Lexbase : A5431DDI – CJUE, 24 juin 2019, aff. C-573/17 N° Lexbase : A3337ZGP).

La Cour de cassation relève ensuite que, après avoir constaté que Copie France était une société civile soumise au régime de droit commun, la cour d’appel a retenu, d'une part, que celle-ci avait pour objet principal de percevoir et répartir la rémunération pour copie privée au profit des auteurs, des artistes interprètes ainsi que des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et de leurs ayants droit, de sorte qu'elle était en charge d'intérêts certes collectifs, mais qui demeuraient particuliers, d'autre part, que l'affectation de 25 % de cette rémunération à « des actions d'aide à la création à la diffusion du spectacle vivant et à des actions de formation des artistes » s'analysait comme une modalité de compensation de l'exception de copie privée. La cour d’appel a retenu également que les obligations particulières auxquelles étaient soumises les sociétés comme Copie France étaient destinées à garantir la transparence et la légalité de leur fonctionnement sans les placer pour autant sous la tutelle de l'État, celui-ci ne faisant pas partie des associés, n'y étant pas représenté et ne pouvant agir, s'il estimait que des illégalités avaient été commises, que par des actions en justice. Elle a retenu encore que Copie France n'exerçait pas de mission ou de service d'intérêt général, mais agissait pour le compte d'intérêts privés regroupés collectivement, que, dans sa composition comme dans son fonctionnement, elle était autonome de l'État et ne disposait pas de pouvoir significatif exorbitant du droit commun, et que le contrôle auquel cette société était soumise, pas plus que l'existence d'un cadre légal de la rémunération pour copie privée, ne suffisait à la considérer comme un organisme placé sous le contrôle ou l'autorité de l'État.

Ainsi, pour la Haute juridiction, la cour d'appel en a déduit, à bon droit, que la société Copie France n'était pas assimilable à un organisme étatique ou para-étatique auquel un particulier pouvait opposer directement une Directive européenne.

En deuxième lieu, la Cour de cassation énonce que la cour d'appel a retenu à bon droit et sans méconnaître son office que, dès lors qu'une Directive ne crée pas directement d'obligations à l’égard de particuliers, qu'ils soient personnes physiques ou morales, le principe de primauté du droit de l’Union ne permet pas au juge national d'écarter, dans un litige entre ces particuliers, une norme nationale au motif qu'elle serait contraire à celle-ci.

En troisième lieu, la demanderesse au pourvoi reprochait à l’arrêt de rejeter ses demandes en remboursement des sommes qu'elle avait acquittées et d’accueillir les demandes reconventionnelles de la société Copie France en application de ces décisions.

Sur ce point, la Cour de cassation rappelle que les dispositions d'une Directive, même claires et précises, ne permettent pas, dans un litige entre particuliers, d'écarter une norme nationale contraire.

Il en résulte, selon elle, que, lorsque le juge administratif a annulé un acte administratif en différant les effets de cette annulation, le juge judiciaire n’a pas le pouvoir, dans un litige entre particuliers, d’écarter l'application de cet acte au motif qu'il serait contraire à une directive.

Ainsi, la cour d’appel ayant relevé que les décisions n° 7 et 11 de la Commission copie privée étaient contraires à la Directive n° 2001/29/CE et retenu que la société Copie France n’était pas assimilable à un organisme étatique ou para-étatique auquel un particulier pouvait opposer directement une Directive européenne, elle n’avait pas le pouvoir d’écarter les décisions précitées pendant la période au cours de laquelle elles demeuraient applicables.

Enfin, en quatrième et dernier lieu, la société reprochait à l’arrêt d’appel d’avoir rejeté sa demande en dommages-intérêt, estimant que Copie France n’avait pas commis de faute.

La Cour de cassation approuve également la cour d’appel.

Elle constate que cette dernière a relevé que, elle-même, par un arrêt du 22 mars 2007 (CA Paris, 5ème ch., sect. B, 22 mars 2007, n° 05/20609 N° Lexbase : A8205DUG), puis la Cour de cassation, par un arrêt du 27 novembre 2008 (Cass. civ. 1, 27 novembre 2008, n° 07-15.066, FS-P+B N° Lexbase : A4580EBA), avaient considéré que, dans l'hypothèse de l'acquisition d'un support assujetti à la rémunération pour copie privée par un consommateur français auprès d'un cybercommerçant établi légitimement à l'étranger, seul le premier pouvait être considéré comme importateur au sens de l'article L. 311-4 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L2491K97), de sorte qu'aucune action ne pouvait être légalement et utilement introduite contre le second, que, néanmoins, la société Copie France justifiait avoir engagé neuf procédures contre des sites localisés artificiellement à l'étranger afin d'échapper au paiement de la rémunération pour copie privée, ayant abouti notamment à la condamnation d'un cybercommerçant au paiement d'une somme de 1 538 026,50 euros, et que, sur son site internet, cette société, à compter du 20 septembre 2007 avait informé les particuliers qui achetaient des supports sur un site internet étranger qu'ils étaient redevables de la rémunération et devaient établir un bulletin de déclaration afin de permettre l'établissement d'une facture.

Elle a ajouté que, à compter de l'arrêt de la CJUE « Stichting de Thuiskopie » (CJUE, 16 juin 2011, aff. C-462/09 N° Lexbase : A6408HTI), qui a dit pour droit que la seule circonstance que le vendeur professionnel d'équipements, d'appareils ou de supports de reproduction est établi dans un État membre autre que celui dans lequel résident les acheteurs demeurait sans incidence sur l'obligation de résultat incombant à l'État membre de garantir aux auteurs de recevoir effectivement la compensation équitable destinée à les indemniser, la société Copie France justifiait avoir engagé de nombreuses actions auprès de cybercommerçants installés à l'étranger pour obtenir le versement par ceux-ci de la rémunération pour copie privée due à raison de ventes effectuées auprès de consommateurs situés en France, consistant en des lettres de mise en demeure dès le mois d'août 2011, puis en 2013, 2014 et 2016, ainsi qu'en des actions en référé, notamment à l'égard de la société Amazon, dont la société demanderesse au pourvoi contestait inutilement l'efficacité.

Ainsi, selon la Haute juridiction, la cour d'appel a pu écarter l’existence d’une faute de la société Copie France. Le moyen n’est donc pas fondé.

En conséquence, la Cour de cassation rejette le pourvoi.

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