La lettre juridique n°506 du 22 novembre 2012 : Procédure

[Le point sur...] Deuxième édition des entretiens du barreau de Versailles - "L'expertise, main basse sur le juge ?"

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[Le point sur...] Deuxième édition des entretiens du barreau de Versailles - "L'expertise, main basse sur le juge ?". Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/7104977-le-point-sur-deuxieme-edition-des-entretiens-du-barreau-de-versailles-lexpertise-main-basse-sur-le-j
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par La Rédaction

le 22 Novembre 2012

Le 19 octobre 2012 s'est déroulée au Palais de justice de Versailles, la deuxième édition des entretiens du barreau de Versailles (pour la première édition lire N° Lexbase : N3332BTL et N° Lexbase : N2601BTI) sur le thème de l'expertise. Pour le Bâtonnier Olivier Fontibus, "Il est des thèmes qui, de convention en colloque s'imposent d'eux-mêmes. Parce qu'ils constituent une interrogation du moment, parce qu'ils sont portés par de véritables inquiétudes, parce qu'ils s'annoncent comme incontournables, ces questions sont abordées sous différents angles par différentes personnes aux mêmes moments". Animé par Jean-Christophe Caron, ancien Bâtonnier du barreau de Versailles, ce colloque a mis en exergue les différences entre la procédure en France et la procédure au Québec. Les éditions juridiques Lexbase présentes à ces entretiens vous proposent de revenir sur les échanges entre les intervenants. Guy Leblanc, ancien Bâtonnier du barreau de Québec a d'emblée annoncé que la procédure civile québécoise allait faire, sous peu, l'objet d'une réforme en profondeur. Un projet de loi a été déposé, il y a plusieurs mois, dans ce sens. Il a suscité de nombreuses réactions et une commission parlementaire a été instaurée afin d'entendre tous ceux qui avaient leur mot à dire sur ce texte, et le barreau dans son ensemble s'est également prononcé. Mais, dans l'intervalle, le Gouvernement a changé et, partant, le ministre de la Justice ; le projet est donc en attente pour le moment.

Actuellement, l'expertise constitue un moyen de preuve et il appartient aux parties de choisir leur propre expert, ou leurs propres experts, sur les questions en litige. Le nombre des experts n'est pas réglementé et le Code de procédure encadre le processus expertal avec pour objectif qu'un maximum d'informations soit divulgué, le plus rapidement possible, afin de permettre aux parties de réagir et de faire une évaluation au plus juste du dossier. Ainsi, le code prévoit que des avis soient émis et y figure également l'obligation de faire entendre un expert au procès, sous réserve du dépôt d'un rapport écrit, communiqué dans des délais stricts pour faire en sorte que les parties sachent à quoi s'en tenir rapidement. Une fois les expertises produites, le code donne au juge la possibilité d'ordonner une rencontre des experts pour concilier leurs opinions, avec ou sans la participation des avocats. Les coûts de l'expertise font partie des dépens. Pour Guy Leblanc, il y a plusieurs difficultés identifiées : la justice est onéreuse, la justice est lente, la justice est complexe. Par conséquent, l'accessibilité à la justice en souffre. En matière d'expertises, le coût élevé de celles-ci est un problème majeur. Souvent ces coûts ne sont pas nécessairement proportionnels aux enjeux financiers des dossiers. Un autre problème réside dans les délais de confection des rapports d'expertise et cela entraîne un retard dans l'avancement du dossier qui oblige, le plus souvent, à demander des prolongations. En effet, au Québec, entre le moment où une action est introduite et le moment où elle est prête à être entendue il y a un délai de 180 jours maximum qui doit s'être écoulé. Une fois le dossier complet, il faut "fixer sa cause" et là encore pour le Bâtonnier Leblanc, il est possible de "subir un peu la dictature des experts puisque leur disponibilité est évidemment une condition requise de la fixation des procès".

En France, et comme le souligne Vincent Vigneau, premier vice président du TGI de Nanterre, "il y a le droit et il y a l'application du droit". En droit, la procédure civile est plutôt du type accusatoire, c'est le principe dispositif. Le procès est la chose des parties et l'article 4 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1113H4Y) énonce que : "L'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties". Et, dans la continuité de cet article, l'article 9 dispose que : "Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention". Enfin, l'article 146 (N° Lexbase : L1499H4B) vient préciser que "les mesures d'instruction que le juge peut ordonner ne sont pas destinées à suppléer la carence des parties dans l'administration de la preuve".

Pour le Président Vigneau, on pourrait croire que, comme dans un pays de common law, c'est finalement sur les parties que repose la charge de la preuve et que le juge n'est qu'un acteur passif dans le cours du procès et se borne à trancher en faveur de la meilleure thèse. D'ailleurs, il rappelle que le juge n'est pas là pour dire la vérité, il est là pour trancher un litige. Donc il tranche le litige en fonction des éléments qui sont apportés.

Or, en réalité, les parties ne sont pas égales, notamment dans les capacités d'investigation et de recherche de la preuve. Et, Vincent Vigneau estime qu'on ne peut pas se satisfaire d'un système où finalement l'administration de la preuve sera abandonnée à l'initiative et aussi aux capacités à la fois techniques et financières des parties.

Selon lui, il existe un autre élément perturbateur dans ce système : l'article 145 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1497H49). Ce texte est une innovation du Code de procédure civile de 1973 qui a rompu avec un principe général selon lequel la justice ne pouvait pas être saisie à des fins préventives. L'article 145 confère aux parties la possibilité de demander à un juge d'obtenir, soit sur requête, soit en référé, une mesure d'instruction avant tout procès. Et, la Cour de cassation a considéré qu'il s'agissait d'une mesure destinée justement à permettre à une partie d'obtenir un moyen de preuve et donc que le principe selon lequel il n'appartenait pas au juge de soutenir la carence des parties dans l'administration de la preuve (article 146) ne s'appliquait pas à l'article 145.

Ainsi, pour le président Vigneau, la réalité est tout autre que celle qui résulte des principes fondateurs du Code de procédure civile. L'expertise est devenue une réalité banale du procès civil en France. La jurisprudence a ainsi considéré que les principes directeurs du procès, qui s'appliquent devant le juge, devaient aussi s'appliquer à l'extérieur puisque, très souvent, c'est un petit procès qui se déroule devant l'expert. Et le principe de l'impartialité s'est trouvé étendu à l'expert, c'est-à-dire que l'expert est soumis aux mêmes causes d'impartialité que le juge et le principe de la contradiction doit se dérouler finalement devant l'expert de la même façon qu'il doit se dérouler devant le juge.

La question se pose alors de savoir si finalement un rapport d'expertise ne dépossède pas le juge de ses pouvoirs ?

Souvent l'expert est le mieux à même de donner un éclairage au juge pour trancher sur une question technique et c'est la raison pour laquelle il appartient aux parties d'apporter des éléments qui viennent contrecarrer ce premier avis. C'est pourquoi la jurisprudence considère que l'expertise doit donner lieu à un débat contradictoire devant l'expert. L'expertise est donc elle aussi conçue aussi comme un lieu de débat. Partant, l'expert a cette obligation de respecter le principe du contradictoire.

Des interventions précédentes, Georges Mouchnino, président de la compagnie des experts près la cour d'appel de Versailles (CECAV), a retenu qu'au Québec les parties avaient chacune leur expert et d'emblée il y voit une difficulté en ce sens que, parmi les justiciables, il en est certains qui n'ont sans doute pas les moyens de se payer un expert, sans parler du meilleur des experts, et donc là il s'agit d'une iniquité extrêmement préjudiciable. Il a également observé que, dans les dernières dispositions que le législateur français a mis à la disposition des plaideurs (la procédure participative), celui-ci maintient l'idée de l'expert unique. En effet, les avocats "tentés par l'aventure de cette procédure participative" peuvent faire appel à un expert unique et non faire appel chacun à leur expert. Là, réside donc une différence fondamentale entre le système québécois et le système français.

Sur les délais, en revanche, des similitudes entre les deux systèmes existent. Georges Mouchnino suppose que la lenteur du système est sans doute liée et à la disponibilité de certains professionnels , et à la nécessité de faire en sorte que le contradictoire doit présider à toutes les actions.

Au final, en France, c'est le juge qui fixe le contenu de la mission de l'expert ; et, au Québec, la mission de ce dernier est déterminée par les parties

Pour conclure ces échanges, le Bâtonnier Fontibus a rappelé l'importance et la pertinence du jumelage entre le barreau de Versailles et le barreau de Québec et que ces regards croisés permettent, quel que soit le sujet abordé, de mieux comprendre encore les systèmes de chaque barreau.

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