La lettre juridique n°504 du 8 novembre 2012 : Propriété intellectuelle

[Chronique] Chronique de droit de la propriété intellectuelle - Novembre 2012

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par Nathalie Martial-Braz, Professeur de droit privé, Université de Franche-Comté

le 08 Novembre 2012

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique en droit de la propriété intellectuelle de Nathalie Martial-Braz, Professeur de droit privé, Université de Franche-Comté. Au sommaire de cette chronique, on retrouvera, tout d'abord, un décision du Conseil constitutionnel du 28 septembre 2012, qui met un terme au contentieux relatif au champ d'application du droit de suite, composante du droit d'exploitation propre aux auteurs d'arts graphiques et plastiques. Nathalie Martial-Braz a choisi, ensuite, de commenter un arrêt de la Cour de cassation en date du 17 octobre 2012, par lequel cette dernière renvoi au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions transitoires de la loi du 20 décembre 2011 relative à la rémunération pour copie privée en question. Enfin, l'auteur de cette chronique nous livre ses observations à la suite d'un arrêt rendu le 17 octobre 2012 par la première chambre civile de la Cour de cassation sur la délicate question des droits moraux de l'architecte sur son oeuvre.
  • Suite et fin pour la détermination du champ d'application du droit de suite ! (Cass. QPC, 11 juillet 2012, n° 12-40.039, FS-D N° Lexbase : A6686IQP et Cons. const., décision n° 2012-276 QPC du 28 septembre 2012 N° Lexbase : A5382ITI)

Après avoir fait passer, avec succès, n'en déplaise à ses détracteurs, les conditions d'attribution post mortem du droit de suite sous les fourches caudines de la Cour de justice de l'Union européenne (1), voici à présent que la constitutionnalité de la disposition l'encadrant est également interrogée en interne.

Le droit de suite est une composante du droit d'exploitation propre aux auteurs d'arts graphiques et plastiques. Prérogative indéniablement exorbitante, elle assure aux auteurs dont les oeuvres ne sont pas susceptibles de multiples exploitations en raison essentiellement de leur matérialité, une part de rémunération sur la cession du support de l'oeuvre. Le nombre restreint d'exemplaires empêche en pratique d'assurer à l'auteur une certaine rentabilité sur son oeuvre. Ainsi, afin de ne pas priver ce dernier d'une part de rémunération légitime lorsque l'oeuvre aura pris de la valeur au cours du temps, le législateur a prévu dès 1920 (2) la faculté pour l'auteur de percevoir un pourcentage sur les reventes intervenant après la première cession. A l'origine, les conditions de transmission du droit de suite avaient été très largement entendues puisque l'article 2 de la loi de 1920 prévoyait que le droit de suite devait bénéficier "aux héritiers, successeurs irréguliers, donataires ou légataires des auteurs". La loi du 11 mars 1957 modifia toutefois singulièrement la physionomie du droit de suite à travers un double mouvement contradictoire. D'une part, elle a étendu cette prérogative à toutes ventes à l'occasion de laquelle intervient à quelque titre que ce soit un "professionnel du marché de l'art" et non plus seulement faite par l'intermédiaire d'un commerçant. D'autre part, le législateur a restreint le champ d'application du droit de suite en réservant son attribution aux seuls héritiers, à l'exclusion des légataires. C'est ainsi entendu que le droit de suite a été codifié dans les articles L. 122-8 (N° Lexbase : L2843HPY) et L. 123-7 (N° Lexbase : L3378ADH) du Code de la propriété intellectuelle. Ce dernier texte dispose en effet que "après le décès de l'auteur, le droit de suite mentionné à l'article L. 122-8 subsiste au profit de ses héritiers et, pour l'usufruit prévu à l'article L. 123-6 (N° Lexbase : L0305HPY), de son conjoint, à l'exclusion de tous légataires et ayant-cause, pendant l'année civile en cours et les soixante-dix années suivantes". Or c'est bien cette disposition qui est au coeur de la discorde. Nombre de légataires contestent cette vision restrictive du droit de suite leur faisant perdre une rémunération, qui peut être conséquente, au titre de la mise en oeuvre de ce droit de suite.

Lorsque le législateur européen a consacré un tel droit de suite dans sa Directive CE 2001/84 du 27 septembre 2001 (N° Lexbase : L4714GU7), il a entendu les bénéficiaires du droit de suite très largement puisque sont visés à ce titre à l'article 6 "les ayants droit de l'auteur". Or à l'occasion de la transposition de cette Directive par la loi du 1er août 2006 (loi n° 2006-961, relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information N° Lexbase : L4403HKB), l'article L. 123-7 n'a pas été modifié relativement aux conditions d'attribution du droit de suite. Si bien qu'une première tentative de remise en cause avait été mise en oeuvre pour contester la conformité de l'article L. 123-7 du Code de la propriété intellectuelle à l'article 6 de la Directive 2001/84. La Cour de justice a toutefois jugé cette disposition conforme à la Directive en considérant qu'en vertu du principe de subsidiarité, il appartenait aux Etats de définir les conditions d'attribution d'un tel droit de suite dès lors que la Directive "ne s'oppose pas à une disposition de droit interne, [...], qui réserve le bénéfice du droit de suite aux seuls héritiers légaux de l'artiste, à l'exclusion des légataires testamentaires" (3).

Fort de ne pouvoir obtenir des instances de l'Union la remise en cause de cette disposition bien encombrante, la deuxième attaque des détracteurs du droit de suite, ainsi entendu, est venue en interne et a pris la forme d'une question prioritaire de constitutionnalité. A l'occasion d'un litige opposant la fondation Hans Hartung et Anna Eva Bergman, légataires de ces deux artistes, à la société des Auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP), chargée de collecter les droits et de les répartir pour le compte des auteurs, cette dernière refusant de verser à la fondation le fruit du droit de suite au motif que le droit Français ne permet pas une telle attribution au profit des légataires, la constitutionnalité du droit de suite a été mise en doute. En conséquence, la Cour de cassation, saisie de la question de savoir si "les dispositions de l'article L. 123-7 du Code de la propriété intellectuelle en ce qu'elles excluent du bénéfice du droit de suite les légataires contreviennent [...] au principe d'égalité consacré par la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen", a jugé cette question prioritaire de constitutionnalité sérieuse et l'a donc renvoyé par un arrêt du 11 juillet 2012 (4) au Conseil constitutionnel chargé de s'interroger sur la constitutionnalité du texte litigieux.

Cet arrêt pouvait laisser aux fondations d'auteurs en particulier, et à tout détracteur du droit de suite dans sa version issue de la loi de 1957 en général, un espoir de voir modifier cette interprétation des conditions d'attribution du droit de suite. Las, cet espoir vient d'être déçu par les Sages de la rue de Montpensier qui ont considéré que cette disposition "qui ne méconnaît pas le principe d'égalité, n'est contraire à aucun droit ou liberté que la constitution garantit".

La messe est dite ! Le droit de suite reste donc réservé aux seuls héritiers à l'exclusion des légataires, au grand dam des fondations fort intéressées dans ce conflit. Une telle conclusion résulte d'une analyse du droit de suite à travers le prisme de sa finalité. En effet, le Conseil constitutionnel considère que le droit de suite n'a d'autre finalité que de conforter la protection des auteurs d'oeuvres graphiques et plastiques et d'étendre cette protection à la famille de l'artiste après son décès. Il convient donc de déduire de cette décision, que la notion de famille ici retenue est des plus stricte et des plus classique. Si l'on peut comprendre cette volonté d'exclure les fondations qui ne sont bien évidemment pas susceptibles d'appartenir à la "famille de l'auteur", il convient toutefois de souligner qu'en choisissant de condamner l'interprétation extensive du droit de suite, le Conseil constitutionnel condamne également tous les légataires de l'auteur, au rang desquels peuvent évidemment figurer des membres de la famille, prise dans un sens plus moderne et plus large. Le droit de suite ne suit donc pas les évolutions contemporaines qui sont celles du droit de la famille et des successions. Au surplus, ne peut-on pas être surpris de cette lecture du droit de suite si l'on considère, ce que rappelle le Conseil constitutionnel, que cette prérogative n'a d'autre finalité que d'assurer la protection de l'auteur, qu'elle ne puisse profiter à ceux que l'auteur a entendu volontairement gratifier de ses droits ? N'y a-t-il pas en effet quelque contradiction à refuser d'étendre le droit de suite à ceux que l'auteur lui-même a entendu associer à ses oeuvres ? Le salut de ces légataires éconduits du bénéfice du droit de suite ne pourra donc plus être désormais obtenu que par une très hypothétique intervention du législateur...

  • La constitutionnalité des dispositions transitoires de la loi du 20 décembre 2011 relative à la rémunération pour copie privée en question (Cass. QPC, 17 octobre 2012, n° 12-40.067, FS-P+B+I N° Lexbase : A4235IUE)

Le système mis en place pour la rémunération pour copie privée se construit pas à pas au gré des évolutions jurisprudentielles, entendues au sens large, et législatives. C'est à nouveau ce système qui est au coeur de la tourmente et dont la constitutionnalité des dispositions transitoires est mise en cause dans l'arrêt du 17 octobre 2012 à l'occasion de la contestation par la Société française du radiotéléphone de la licéité des factures émises par la Société pour la rémunération de la copie privée audiovisuelle et sonore (Copie France). Afin de bien comprendre l'enjeu de la décision de la Cour de cassation, et de la question prioritaire de constitutionnalité qu'elle a jugé suffisamment sérieuse pour être transmise au Conseil constitutionnel, il convient de revenir à l'origine du mal !

Il a été institué un système, régi par les articles L. 311-1 (N° Lexbase : L4189IRL) et suivants du Code de la propriété intellectuelle, afin de compenser le préjudice subi par les auteurs en raison de la mise en oeuvre de l'exception de copie privée. Cette compensation prend la forme d'une redevance pour copie privée qui doit être supportée en définitive par l'utilisateur à l'origine du préjudice. Cette redevance est collectée par une société de gestion collective, Copie France, qui est mise en cause dans le litige à l'occasion duquel la question prioritaire a été posée. La redevance est perçue auprès des fournisseurs de supports d'enregistrement utilisables pour réaliser de telles copies privées, qui ont toutefois la faculté de reporter le prix de cette redevance sur l'utilisateur final en l'intégrant dans le prix de vente desdits supports. Le montant de la redevance est déterminé par une commission ad hoc, la Commission dite de copie privée. Le système de rémunération (5) qui avait été fixé par la Commission (6) avait pour but de tenir compte du fait que certains supports soient susceptibles d'un usage mixte et puissent être utilisés par des professionnels. Dès lors, pour ces supports dits "hybrides", la commission avait rendu une décision (la décision n° 11 du 17 décembre 2008), par laquelle elle fixait le barème mutualisé de la redevance en tenant compte de la catégorie des supports en cause (CD, DVD, clef USB...).

C'est ce système, qui semblait relativement satisfaisant (7), qui est au coeur de la contestation. Ainsi, il a tout d'abord été remis en cause par le Conseil d'Etat (8) qui a subordonné la perception de la rémunération à la licéité de la source de la copie privée, excluant donc les copies illicites de l'assiette de la redevance. Précision qui a depuis été intégrée par la loi du 20 décembre 2011 (loi n° 2011-1898, relative à la rémunération pour copie privée N° Lexbase : L4174IRZ) dans le dispositif légal contenu à l'article L. 311-8 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L4194IRR).

C'est ensuite de la Cour de justice de l'Union européenne, dans son arrêt "Padawan" du 21 octobre 2010 (9), qu'est venue la condamnation du système de rémunération pour copie privée. En effet, la Cour de justice a jugé que ce système n'était pas compatible avec la Directive 2001/29 du 22 mai 2001 (N° Lexbase : L8089AU7), dès lors qu'il n'y a pas lieu, pour parvenir au "juste équilibre" requis, d'assujettir à la redevance, sans aucune distinction, tous types de supports de reproduction numérique, "y compris dans l'hypothèse [...] où ceux-ci sont acquis par des personnes autres que des personnes physiques, à des fins manifestement étrangères à celle de copie privée" (10).

C'est pour tenir compte de cette décision, et mettre ainsi en conformité le droit français avec le droit de l'Union européenne que le Conseil d'Etat, par un arrêt du 17 juin 2011 (11), a annulé la décision n° 11 de la Commission de copie privée. Toutefois, afin d'éviter les effets d'aubaine liés à la rétroactivité de la nullité de la décision n°11 qui aurait eu une incidence sur la perception réalisée depuis 2008, le Conseil d'Etat a préféré moduler les effets de son revirement pour l'avenir. Dès lors, il a été décidé, en raison d'une "nécessité impérieuse", que la nullité ne prendrait effet qu'à l'issue d'une période de six mois à compter de son arrêt afin de respecter "le principe de sécurité juridique".

Afin de procéder à la réforme du système et respecter ainsi les prescriptions du droit de l'Union européenne tel qu'interprété par la Cour de justice, le législateur est intervenu par la loi du 20 décembre 2011. Le système de perception de la redevance pour copie privée a donc été modifié au fond en intégrant des distinctions selon le type de supports, leur durée et leur capacité, mais également en élargissant les personnes éligibles au remboursement lorsqu'elles acquièrent des supports "dont les conditions d'utilisation ne permettent pas de présumer un usage à des fins de copie privée" (12).

Il convenait, par ailleurs, de prévoir des dispositions transitoires afin d'éviter la remise en cause des perceptions réalisées à bon escient, mais en vertu d'une décision annulée, depuis 2008 et tenir compte des litiges en cours. Ces dispositions transitoires ont été posées à l'article 6 qui dans un premier temps (art. 6, I) valide, temporairement et rétroactivement, le système de perception de la décision n° 11 annulée. Validation qui est, toutefois, exclusivement circonscrite dans les termes de l'article L. 311-8 du Code de la propriété intellectuelle dans son ultime rédaction. Sont donc seuls concernés les supports autres que ceux acquis notamment à des fins professionnelles dont les conditions d'utilisation ne permettent pas de présumer un usage à des fins de copies privées.

Dans un second temps, l'article 6, II prévoit des dispositions transitoires afin de déterminer les règles applicables aux litiges en cours. Il est en effet prévu que "les rémunérations perçues ou réclamées en application de la décision n° 11 du 17 décembre 2008 de la commission prévue à l'article L. 311-5 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L4193IRQ) au titre des supports autres que ceux acquis notamment à des fins professionnelles dont les conditions d'utilisation ne permettent pas de présumer un usage à des fins de copie privée, qui ont fait l'objet d'une action contentieuse introduite avant le 18 juin 2011 et n'ont pas donné lieu, à la date de promulgation de la présente loi, à une décision de justice passée en force de chose jugée sont validées en tant qu'elles seraient contestées par les moyens par lesquels le Conseil d'Etat a, par sa décision du 17 juin 2011, annulé cette décision de la commission ou par des moyens tirés de ce que ces rémunérations seraient privées de base légale par suite de cette annulation".

Ce sont précisément ces dispositions transitoires qui ont fait l'objet des deux questions prioritaires de constitutionnalité soumise à la Cour de cassation dans son arrêt du 17 octobre 2012.

La première reprochait à l'article 6 de faire revivre des dispositions annulées et la seconde reprochait à cette disposition de remettre en cause les actions contentieuses exercées avant la décision d'annulation que celle-ci avait pris le soin de ménager, l'ensemble au mépris "du principe de la séparation des pouvoirs et au droit à un recours effectif, qui découlent de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1363A9D), ainsi qu'au droit de propriété et à la sécurité juridique des sociétés assujetties".

L'irrecevabilité de la première question n'est nullement surprenante, dès lors que le Conseil constitutionnel en avait déjà été saisi le 16 mai 2012 par le Conseil d'Etat (13). Les Sages avaient alors jugé que l'article 6, I était conforme à la constitution dès lors qu'il poursuivait un motif d'intérêt général suffisant, que la portée de la validation contenue dans cette disposition était strictement définie si bien qu'elle ne contredisait pas les décisions de justice ayant force de chose jugée.

En revanche la seconde question, inédite, a été jugée suffisamment sérieuse pour justifier un renvoi auprès du Conseil constitutionnel. Une telle question a-t-elle des chances de prospérer ?

Si la question avait pu se poser à l'égard du I de l'article 6, il ne fait aucun doute en revanche que le paragraphe II constitue bien une validation législative dès lors qu'elle précise l'effet dans le temps de la validation de la décision n° 11 de la Commission sur les décisions en cours. Or la jurisprudence du Conseil constitutionnel (14) prévoit que la constitutionnalité des lois de validation est soumise au respect de certaines conditions. La validation doit tout d'abord poursuivre un but d'intérêt général suffisant, elle doit ensuite respecter les décisions de justice ayant force de chose jugée, elle doit encore respecter le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions, il convient également que l'acte validé ne méconnaisse aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le but d'intérêt général visé par la validation soit lui-même de valeur constitutionnelle, et il est enfin nécessaire que la validation soit strictement définie.

Il a été jugé que ces conditions étaient suffisamment remplies à l'égard de l'article 6, I ; en ira-t-il de même pour le second paragraphe de cette disposition ? A l'aune de ce qui a justifié la décision du Conseil constitutionnel, il y a fort à parier que la solution sera identique. La disposition en cause n'a d'autre but que de permettre l'adoption de nouvelles règles de perception conformément au but recherché par le Conseil d'Etat lorsqu'il a modulé dans le temps les effets de l'annulation prononcée le 17 juin 2011. Or c'est précisément par un tel fondement qu'a été justifié l'intérêt général jugé suffisant à l'égard de l'article 6, I. Par ailleurs, la disposition a vocation à régler le sort des instances en cours, elle ne porte donc nullement atteinte à l'autorité de chose jugée. Enfin, si la Cour européenne des droits de l'Homme, imitée en cela par la Cour de cassation (15), défend le droit au recours effectif en affirmant que "le principe de la prééminence du droit et la notion de procès équitable consacrés par l'article 6 [de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme N° Lexbase : L7558AIR), s'opposent, sauf pour d'impérieux motifs d'intérêt général, à l'ingérence du pouvoir législatif dans l'administration de la justice dans le but d'influer sur le dénouement judiciaire du litige (16)", certains (17) jugent qu'un tel motif ne semblent toutefois pas douteux. L'intérêt général serait en effet indéniablement caractérisé dès lors, d'une part, que l'équilibre du système que cherche à préserver la loi du 20 décembre 2011 ne devrait pas être bouleversé au seul profit de quelques uns qui ne recherchent que l'effet d'aubaine provoqué par la décision du Conseil d'Etat. D'autre part, la Cour de justice ayant jugé que le paiement de la compensation équitable, contrepartie du préjudice des auteurs, constituait une obligation de résultat à la charge des Etats membres (18), il semble bien que le système prévu par la loi du 20 décembre 2011, qui permet de maintenir un système de perception en dépit de l'annulation de la décision n° 11 par le Conseil d'état, et ce en attendant une nouvelle décision, constitue le moyen pour l'Etat français de respecter cette obligation de résultat, et partant caractérise là encore cet impératif d'intérêt général nécessaire à l'interventionnisme législatif dans l'administration de la justice.

  • Aux frontières du droit d'auteur de l'architecte (Cass. civ. 1, 17 octobre 2012, n° 11-18-638, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4810IUP)

La question des droits, notamment moraux, de l'architecte sur son oeuvre est une question particulièrement délicate dès lors qu'il convient de tenir compte de la singularité de l'oeuvre créée. D'une part, il y a lieu de tenir compte de certains impératifs techniques qui peuvent amener à modifier l'oeuvre et ce au mépris des droits de l'architecte, son auteur. D'autre part, l'oeuvre créée vit et à ce titre, les droits des occupants, et notamment leur droit de propriété, peuvent venir en concurrence avec ceux de l'auteur de l'oeuvre architecturale. En l'espèce, la Cour de cassation a été exposée à une situation plus originale qui la mettait aux prises avec la question de l'existence même du droit de l'architecte lorsque l'oeuvre, inachevée, laisse la place à une autre création, mitoyenne de la première, sur les cendres du projet initial.

En effet, à la suite de difficultés financières, le projet initial d'immeuble à usage de bureaux conçu par l'architecte n'a pu être entièrement réalisé. Par la suite, les parcelles sur lesquelles devait être érigée la seconde partie de l'oeuvre initiale a été vendue, et un immeuble à usage de bureaux a été construit, mitoyen de celui réalisé par le premier architecte. Ce faisant, ce dernier estimant que cette seconde oeuvre portait atteinte au droit moral dont il est titulaire sur l'oeuvre première, il a demandé la démolition du second immeuble.

La cour d'appel, infirmant en cela la solution des premiers juges, a refusé de faire droit à sa demande, ce que contestait l'architecte dans son pourvoi. Au soutien de celui-ci, il avançait l'idée que n'ayant pas renoncé à son droit moral, bien établi en dépit du caractère inachevé de l'oeuvre, les nouveaux propriétaires ne pouvaient s'affranchir des plans initiaux par lui conçus.

Mais la Cour de cassation a rejeté très nettement ces arguments en se plaçant sur un terrain différent de celui vers lequel le pourvoi tentait de l'attraire. En effet, elle souligne que la question n'était pas celle de la renonciation au droit moral de l'auteur, ce qu'avaient souligné les juges du fond (19), qui n'avaient pas déduit de la situation une telle renonciation à son droit moral, mais qui ont jugé "à bon droit que celui-ci ne faisait pas obstacle à l'édification d'un bâtiment mitoyen dont l'architecture s'affranchissait du projet initial". En d'autres termes, il n'est pas question de renonciation au droit moral, mais bien d'inexistence d'un tel droit à l'endroit du vide laissé par l'inachèvement de l'oeuvre initiale. Que penser de cette solution ?

Elle est indéniablement opportune à l'heure de la crise où nombre de projets architecturaux sont susceptibles, faute de financement, d'être interrompus avant leur complet achèvement. En effet retenir une solution inverse reviendrait à "geler" le terrain sur lequel devait prendre place l'oeuvre initiale dans sa globalité sauf à imposer une contrainte au nouveau propriétaire en l'obligeant, s'il souhaite construire, à achever l'oeuvre initiale, contrainte qui risque fort de peser sur la cession du terrain et de décourager, peut-être, certaines transactions.

Juridiquement, on ne peut manquer de penser que l'oeuvre dessinée par l'architecte peut souffrir de cette construction mitoyenne, et partant porter une atteinte réelle au droit à l'intégrité de son oeuvre, prérogative du droit moral de l'architecte. Toutefois, la solution de la Cour de cassation semble s'inscrire dans la politique de compromis (20) entreprise par le juge dans son appréciation du droit moral de l'auteur. L'équilibre n'est pas chose évidente à trouver, mais c'est certainement celui-ci qui est recherché dans notre espèce, à l'instar de celui obtenu par les juges lorsqu'ils reconnaissent à l'architecte le droit de s'opposer à la destruction de son oeuvre, même inachevée (21), alors que dans le même temps, ils lui interdisent de prétendre à l'intangibilité de son oeuvre qui s'opposerait, par exemple, à des modifications liés au caractère utilitaire de l'oeuvre (22). Il en va ici de la même logique que là... point de droit à l'intangibilité sur une oeuvre inachevée qui s'opposerait à la construction d'une autre oeuvre mitoyenne, au lieu et place d'éléments de l'oeuvre initiale telle qu'imaginée mais nullement réalisée. Le droit de l'auteur ne saurait donc s'étendre au vide laissé par l'inachèvement de l'oeuvre initiale.


(1) CJUE 15 avril 2010, n° C-518/08 (N° Lexbase : A9184EUP), D., 2010, AJ. 1073, obs. J. Daleau ; CCE, 2010, n° 72, comm. Ch. Caron ; Légipresse, 2010, n° 278, p. 446, obs. C. Alleaume ; LEPI, juin 2010, p. 2, obs. C. Bernault ; Propr. Intell., 2010, n° 37, p. 865, obs. V.-L. Benabou ; nos obs in Chronique de droit de la propriété intellectuelle - Juin 2010 (2ème comm.), Lexbase Hebdo n° 400 du 24 juin 2010 - édition privée (N° Lexbase : N4276BP3).
(2) Depuis la loi du 20 mai 1920, le droit de suite a fait l'objet de nombreuses refontes et modifications notamment à l'occasion des lois n° 57-298 du 11 mars 1957 et n° 2006-961 du 1er aout 2006 (N° Lexbase : L4403HKB), transposant la Directive européenne 2001/84 du 27 septembre 2001, relative au droit de suite au profit de l'auteur d'une oeuvre originale (N° Lexbase : L4714GU7).
(3) CJUE, 15 avril 2010, aff. C-518/08, précité.
(4) Cf. Ch. Caron,, CCE, oct. 2012, comm. 107.
(5) Le système de mutualisation distinguait à l'origine entre les supports "manifestement réservés à un usage professionnel (support entièrement exclus de l'assiette de la redevance) ou à l'inverse, à un usage privé (entièrement soumis alors à la redevance) ou encore qu'ils faisaient l'objet de deux sortes d'usages (support hybrides) : F. Pollaud-Dulian, RTDCom., 2012, p. 124.
(6) La Commission de copie privée rend des décisions afin de déterminer les barèmes de rémunération et afin de tenir compte des évolutions techniques.
(7) F. Pollaud-Dulian, RTDCom., 2012, p. 124, préc..
(8) CE 9° et 10° s-s-r., 11 juillet 2008, n° 298779 (N° Lexbase : A6464D9B).
(9) CJUE, 21 octobre 2010, aff. C-467/08 (N° Lexbase : A2205GCN), D., 2010. 2646, obs. J. Daleau
(10) CJUE, 21 octobre 2010, aff. C-467/08, préc., point. 52.
(11) CE 9° et 10° s-s-r., 17 juin 2011, n° 324816, publié au Recueil Lebon (N° Lexbase : A7590HTB) ; RTD eur., 2012, 888, obs. D. Ritleng ; D., 2011, 1678.
(12) C. prop. intell., art. L. 311-8.
(13) Cons. const., décision n° 2012-263 QPC, du 20 juillet 2012 (N° Lexbase : A9425IQ7) sur renvoi de CE Contentieux, 16 mai 2012, n° 347934 (N° Lexbase : A5089IL3).
(14) Cons. const., décision n° 80-119 DC du 22 juillet 1980 (N° Lexbase : A8015ACT).
(15) Ass. Plén. 23 janvier 2004, n° 03-13.617, publié (N° Lexbase : A8595DAL), D., 2004. 1108, note P.-Y. Gautier ; RTDCiv., 2004, 341, obs. Ph. Théry ; ibid., 371, obs. J. Raynard ; ibid., 598, obs. P. Deumier.
(16) CEDH, 28 octobre 1999, Req. n° 24846/94 (N° Lexbase : A7567AW8), AJDA, 2000, 526, chron. J.-F. Flauss, D., 2000, obs. N. Fricero ; RFDA, 2000, 289, note B. Mathieu ; RFDA, 2000, 1254, note S. Bolle ; RTDCiv., 2000, 436, obs. J.-P. Margénaud.
(17) F. Pollaud-Dulian, RTDCom., 2012. 124, préc..
(18) CJUE 16 juin 2011, aff. C-462/09 (N° Lexbase : A6408HTI), D., 2011, 1816 ; RTDCom., 2011, 551, obs. F. Pollaud-Dulian.
(19) CA Rennes, 8 mars 2011, n° 09/01222 (N° Lexbase : A7968HM3).
(20) M. Vivant et J.-M. Bruguière, Droit d'auteur, Précis Dalloz, 2009, 1ère éd., n° 544.
(21) CA Versailles, 8 juillet, 1981, D., 1982, IR. 45, obs. Colombet, et sur pourvoi, Cass. civ. 1, 16 mars 1983, n° 81-14454, publié au bulletin (N° Lexbase : A6923CHU), Bull. civ. I, n° 101, RIDA, 1983, n° 117, 80.
(22) CA Paris, 11 juillet 1990, D., 1992, Somm. 17, obs. Colombet ; Cass. civ. 1, 7 janvier 1992, n° 90-17.534, publié (N° Lexbase : A5466AHW), Bull. civ. I, n° 7, D., 1993, 522, note B. Edelman, D., 1993, 88, obs. Colombet.

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