Le Quotidien du 12 août 2021 : Avocats/Déontologie

[Le point sur...] Le secret professionnel de l’avocat garanti par la confidentialité des correspondances

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par Michèle Bauer, Avocate au barreau de Bordeaux

le 21 Juillet 2021

Mots-clefs : Avocat • déontologie • pratique professionnelle • secret • confidentialité • lettres officielles  

« Je peux apposer la mention officielle comme bon me semble » m’a dit un Confrère lors d’une conversation sur la nature des correspondances entre avocats. Son affirmation est fausse, les correspondances entre avocats sont strictement réglementées et garantissent le secret professionnel. Ce secret est essentiel, il est l’essence de la profession d’avocat, il protège le client mais aussi l’avocat. Le principe est la confidentialité des correspondances échangées entre avocats pour permettre une liberté dans les échanges et une possibilité de négocier en toute sérénité. Ce principe connait des exceptions strictement énoncées et interprétées strictement par les Bâtonniers. Il est possible en effet de qualifier une correspondance « d’officielle » à la condition qu’elle soit un acte de procédure ou encore qu’elle ne fasse pas de référence à des échanges confidentiels. Cette exception, pour certains avocats, certains confrères, est parfois la règle.

On assiste malheureusement à des abus de lettre officielle qui nuisent considérablement à la profession d’avocat. Les lettres officielles doivent être « consommées » avec modération. Cet article revient sur les règles déontologiques applicables aux correspondances entre avocats, il essaie d’expliquer les raisons de l’utilisation abusive par certains des lettres officielles et propose des solutions pour officialiser tout en respectant les règles déontologiques de la profession.


 

 

L’avocat est un confident pour son client, il reçoit les confessions de ce dernier, ce rôle le rapproche du prêtre, l’avocat ne porte-il pas la robe ? Comme le prêtre, l’avocat garde le secret de la confession. Ce secret est un secret professionnel. Il est essentiel et permet un exercice serein et apaisé.

Le rapport « Perben » commandé par Madame la ministre de la Justice durant la grève des avocats aborde la question du secret professionnel et préconise son renforcement notamment par une extension de ce secret au domaine du conseil. Il est proposé dans ce rapport un complément à l’article 226-13 du Code pénal : « Le secret professionnel de l’avocat est défini par l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 » [1]. Les conversations, les lettres, les mails, tous les échanges entre l'avocat et son client sont confidentiels, couverts par le secret professionnel. Ce secret couvre aussi les lettres entre avocats. Cette étendue est peu connue de nos clients qui s'étonnent souvent de ne pouvoir avoir une copie de la lettre de notre Confrère, conseil de « l'adversaire ».

Nos règles déontologiques échappent aux clients qui n'ont pas suivi de formation et ils peuvent être excusés de ne pas « être avocat ». Parfois, elles sont ignorées aussi par certains confrères qui utilisent plus que de raison les lettres officielles lorsqu'ils correspondent avec leurs pairs. Très fréquemment des lettres officielles sont réceptionnées alors qu'elles devraient rester confidentielles.

Ainsi pour exemples :

« OFFICIELLE- À la suite de nos échanges, je vous confirme que Monsieur ne veut pas de résidence en alternance. »

« OFFICIELLE - je vous remercie de bien vouloir intervenir auprès de votre cliente afin qu'elle respecte le jugement et comme elle s'y est engagée auprès de vous qu'elle ramène la petite Morgane avec des vêtements non troués »

« OFFICIELLE - Par lettre du 14 décembre, vous avez indiqué que votre client exécuterait la décision, or je n’ai toujours pas reçu le chèque CARPA conforme aux condamnations inscrites dans le jugement du Conseil de Prud’hommes. »

Parfois les correspondances officielles sont agressives, comminatoires et peu respectueuses de notre serment. Face à ce dévoiement de la possibilité de caractériser des correspondances comme « officielles », certains Bâtonniers publient régulièrement des circulaires pour sensibiliser leurs confrères à la nécessité de respecter scrupuleusement le secret professionnel. Aussi, il est utile de s'intéresser aux échanges entre avocats et à la réglementation de ces échanges. Quelles sont les dispositions qui s'appliquent en la matière ? Pour quelles raisons ces dispositions ont-elles été mises en œuvre ? Pourquoi cet abus des lettres officielles ? N'existe-t-il pas d'autres moyens d'officialiser certains actes ?

I - Les dispositions qui réglementent les échanges entre avocats et les raisons du secret

Le secret des correspondances entre avocats ne date pas d’hier, en décembre 2021, cela fera 50 ans que ce secret est inscrit dans la loi.

Il est intégré à l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 : « En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention " officielle ", les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel. (...) »

L'article 3-1 du RIN reprend ce texte : « Principes :
Tous échanges entre avocats, verbaux ou écrits quel qu'en soit le support (papier, télécopie, voie électronique...), sont par nature confidentiels.
Les correspondances entre avocats, quel qu'en soit le support, ne peuvent en aucun cas être produites en justice ni faire l'objet d'une levée de confidentialité. »

Le principe est par conséquent la confidentialité de toutes les correspondances entre avocats.

Il est inutile de mentionner « CONFIDENTIELLE » sur la correspondance que l’on souhaite qualifier ainsi. Il existe une présomption de confidentialité dans les échanges entre avocats français. La règle est différente lorsque l’avocat correspond avec un avocat européen (Code de déontologie des avocats européens, art. 21.5.3) [2], il devra mentionner le caractère confidentiel. Les correspondances sont confidentielles par principe avec tous les documents qui y sont annexés [3]. La confidentialité des correspondances entre avocats protège le client et l’avocat.

Elle protège le client qui peut par l’intermédiaire de son conseil, négocier librement. Les lettres entre son avocat et le confrère, conseil de l’adversaire, ne pourront pas être produites en justice. Il ne pourra jamais être reproché au client d’avoir refusé un montant d’indemnité transactionnelle conséquent.

Elle protège également l’avocat qui sera plus libre à l’égard de son Confrère. Souvent, sous le sceau du secret, certains éléments qui ont une importance pour la procédure peuvent être dévoilés. Le secret des correspondances permet aussi à l’avocat de se préserver contre toute action visant à engager sa responsabilité professionnelle. Les lettres confidentielles entre avocats ne peuvent être produites dans le cadre d’un procès visant à engager cette responsabilité. Il n’y a pas lieu de communiquer la copie de la correspondance confidentielle à son client qui pourrait l’utiliser par la suite. Il est également déconseillé de recopier intégralement la correspondance de son Confrère dans une correspondance à son client en mentionnant le confrère, cette pratique est malheureusement courante.

👉 Conseil pratique : il est vivement recommandé de lire la lettre confidentielle à son client ou de lui la faire lire lors d’un rendez-vous au cabinet.

L’avocat qui communiquerait une lettre confidentielle d’un de ses confrères à son client, en justice ou à un tiers commettrait une infraction, le délit de violation du secret professionnel [4]. Il risque une peine pénale et ceci même si le contenu de la lettre peut être considéré comme officielle. La confidentialité des correspondances entre avocats, ne permet pas « tout » et ne dispense pas l’avocat d’être loyal. L’avocat ne pourra pas :

- revenir sur un accord et sur la parole donnée dans le cadre d’un acte de procédure ;

- écrire dans ses conclusions le contraire de ce qu’il avait indiqué dans le cadre d’une lettre confidentielle.

Cette exigence de loyauté est une règle déontologique qui n’est pas sanctionnée par la loi. En cas de non-respect, l’avocat déloyal pourra être sanctionné disciplinairement.

Pour finir, il est important de mettre fin à une légende : le Bâtonnier n’a pas le pouvoir de « déconfidentialiser » des lettres confidentielles entre avocats. Le Bâtonnier a le pouvoir de régler les litiges entre avocats mais pas celui de décider des pièces pouvant être produites devant une juridiction (Cass. civ. 1, 15 décembre 2011, n° 10-25.437, FS-P+B+I N° Lexbase : A2909H8A).

II - Le caractère exceptionnel des correspondances officielles

L’article 3-2 du RIN (N° Lexbase : L4063IP8) prévoit des exceptions à la confidentialité des échanges entre avocats. Elle donne des précisions par rapport à la loi de 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) qui laissait penser que les lettres étaient confidentielles et qu’il suffisait de mentionner « officielle » pour qu’elles ne le soient plus. Les exceptions sont strictement énoncées : « Peuvent porter la mention officielle et ne sont pas couverts par le secret professionnel, au sens de l’article 66.5 de la loi du 31 décembre 1971 :

  • une correspondance équivalant à un acte de procédure ;
  • une correspondance ne faisant référence à aucun écrit, propos ou éléments antérieurs confidentiels.

Ces correspondances doivent respecter les principes essentiels de la profession définis par l’article 1 er du présent règlement. »

Tout d’abord, les correspondances équivalentes à des actes de procédure peuvent revêtir le caractère officiel. Il s’agit, par exemple, de sommations de communiquer, de communication de conclusions, de bordereau de pièces, de pièces, de demandes de communication ou notification des voies de recours. Puis, peuvent être qualifiées d’officielles les correspondances ne faisant référence à aucun écrit, propos ou éléments antérieurs confidentiels.

Cette disposition interroge car elle remet presque en cause le principe de confidentialité des correspondances. C’est pourquoi, il convient d’interpréter cette disposition strictement et de considérer qu’une simple allusion à des échanges confidentiels ultérieurs ne permet pas de considérer la correspondance comme officielle. Cette disposition a été intégrée pour faciliter les « transactions officielles » et les échanges entre avocats dans ce cadre. Elle est, souvent, mise en avant par les avocats auxquels il est reproché d’abuser de la mention officielle dans les échanges avec leurs Confrères.

Il arrive, en effet, que l’usage à l’envie de ces correspondances officielles se retourne contre le Confrère qui en a abusé. Comme les correspondances officielles peuvent être produites en justice, un avocat stratège pourrait les utiliser, le proverbe adapté à cette stratégie est sans nul doute « Tel est pris qui croyait prendre ». Ceci d’autant plus que les lettres qualifiées d’officielles ne pourront pas être rendue confidentielles par la suite.

Toutefois, l’avocat stratège se devra d’être loyal, s’il a répondu par des lettres confidentielles le contraire de ce qu’il expose devant le tribunal en utilisant les correspondances officielles de l’adversaire, il pourrait faire l’objet de poursuites disciplinaires.

Il faut insister sur le contenu de ces correspondances officielles qui devront respecter les principes essentiels de la profession inscrits à l’article 1 du Règlement Intérieur des Avocats :

« Les principes essentiels de la profession guident le comportement de l’avocat en toutes circonstances.

L’avocat exerce ses fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité, dans le respect des termes de son serment.

Il respecte en outre, dans cet exercice, les principes d’honneur, de loyauté, d'égalité* et de non-discrimination*, de désintéressement, de confraternité, de délicatesse, de modération et de courtoisie.

Il fait preuve, à l’égard de ses clients, de compétence, de dévouement, de diligence et de prudence. »

Il est fréquent de constater que ces correspondances sont parfois des « défouloirs » et comportent des jugements sur l’adversaire ou son conseil, ce qui est à proscrire bien entendu car contraire à la délicatesse, la modération ainsi que la courtoisie.

👉 Conseil pratique : Il convient de se contenter de décrire d’une manière objective et détachée les faits ou des demandes du client. 

Souvent, l'abus des lettres officielles peut s'expliquer par un désir de l'avocat de satisfaire son client, de lui montrer qu'il travaille, qu’il le défend avec force et conviction. Peut-être aussi, officieusement, ces lettres officielles permettent de justifier (pour certains) auprès de son client du montant de ses honoraires. Cet abus est « condamnable » car il nuit à la profession tout entière et affaiblit notre secret professionnel auquel nous sommes si attachés. C'est pourquoi, si le but est de satisfaire le client, il convient d'utiliser d'autres moyens que les lettres officielles.III - Les autres moyens permettant d'officialiser une situation ou un acte.

Il faut rappeler que ne pas respecter le caractère confidentiel des correspondances entre avocats constitue un manquement à la confraternité. Même si le client exige une lettre officielle, l’avocat ne doit pas céder, l’ordre du client ne peut être invoqué pour justifier un manquement à la déontologie et à la loi [5]. Les huissiers de justice peuvent aider à délivrer des actes tels que des sommations interpellatives même si leur valeur contraignante est inexistante ou encore des constats peuvent être dressés. Dans le cadre de la vie du dossier devant le tribunal, des sommations de communiquer peuvent être délivrées et des incidents diligentés.

Si l'avocat cherche à se préconstituer des preuves, il ne devra pas utiliser la lettre officielle. Il pourra demander à son client d'écrire directement à l'adversaire en personne, tout en prévenant son Confrère de l'envoi de cette correspondance. Le principe du contradictoire, la confraternité et la loyauté des débats seront ainsi respectés. Cette pratique n’est pas appréciée du client qui ne comprend pas devoir écrire une lettre à l’adversaire alors « qu’il paie un avocat » pour le défendre. Il conviendra de faire preuve de patience et ne pas craindre d’expliquer.

👉 Conseil pratique : Dans le cadre d’un procès, personne n’est dupe de cette stratégie, il est donc conseillé d’y avoir recours avec modération.

Conclusion

Notre secret professionnel est notre force, il nous est envié par les juristes d’entreprises qui rêvent de pouvoir bénéficier d’un statut d’avocat en entreprise, qui n’existe pas encore, pour en user (et en abuser ?). Aussi, il est important de le préserver et de le chouchouter.  L’avocat est un entrepreneur pas comme les autres, il fait partie d’une profession réglementée, il travaille avec des Confrères et non des concurrents. L’exercice de la profession d’avocat est parfois difficile, les combats judiciaires peuvent être éprouvants. Nos principes essentiels permettent d’adoucir les rapports avec « les adversaires », nos Confrères.

Si satisfaire son client est légitime, respecter nos règles déontologiques et de confraternité doit guider notre exercice au détriment parfois de la pleine satisfaction de certains de nos clients. Faut-il rappeler que nous accompagnerons pour un court chemin nos clients alors que nous exercerons avec nos Confrères pendant une longue route menant à notre retraite ? Rassurons-nous tout de même, la plupart de nos clients comprennent notre déontologie si nous leur expliquons d’une manière pédagogique nos règles dont le respect est de leur intérêt. Il est dans l’intérêt de tous les avocats de préserver notre secret, le préserver c’est préserver l’essence même de notre profession et notre raison d’être.

En l’absence de secret, nous deviendrons de vulgaires marchands de droit sans âme.

 

[1] Rapport « Perben » 2020 sur l’avenir de la profession d’avocat.

[2] L’avocat qui entend adresser à un Confrère d’un autre État membre des communications dont il souhaite qu’elles aient un caractère confidentiel ou « without prejudice » doit clairement exprimer cette volonté avant l’envoi de la première de ses communications.

[3] Cass. civ. 1, 2 octobre 2007, n° 04-18.726, F-P+B (N° Lexbase : A6500DYE).

[4] C. Pén., art. 226-13 (N° Lexbase : L5524AIG).

[5] H. Ader, S. Bortoluzzi, A.Damien, D. Piau, Chapitre 422 : Confidentialité des correspondances entre avocats, Règles de la profession d’avocat, Dalloz.

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