Lexbase Fiscal n°871 du 1 juillet 2021 : Fiscalité des particuliers

[Jurisprudence] Non déductibilité de la pension alimentaire versée à un enfant mineur en garde alternée : à demi-résidence, demi-avantage fiscal

Réf. : Cons. const., décision n° 2021-907 QPC, du 14 mai 2021 (N° Lexbase : A69844R4)

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par Florent Oliver, Doctorant contractuel - chargé de mission d’enseignement Aix-Marseille, Université, Centre d’Études Fiscales et Financières (UR 891)

le 30 Juin 2021


Mots-clés : impôt sur le revenu • pension alimentaire • garde alternée 

Saisi par le Conseil d’État (CE 9° et 10° ch. réunies, 24 février 2021, n° 447219, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A22504I8), le Conseil constitutionnel a déclaré le deuxième alinéa du 2° du paragraphe II de l’article 156 du Code général des impôts [1] (N° Lexbase : L8643L4U) conforme à la Constitution.


 

 

En l’espèce, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité aux textes suprêmes des règles de déduction des pensions alimentaires versées par un parent à l’autre, dans le cas d’un enfant vivant en résidence alternée. Selon les requérants, une rupture d’égalité devant les charges publiques et devant la loi entache d’inconstitutionnalité l’article 156 du CGI. Deux situations doivent être alors distinguées : la première, correspond à des parents séparés qui ont choisi une résidence principale pour l’enfant chez l’un d’eux. La seconde présente l’option d’une résidence alternée, l’enfant vivant chez ses deux parents pour le même temps [2]. Selon le requérant, la loi rompt l’égalité entre ces deux situations ainsi qu’entre parents ayant opté pour la garde alternée au regard des règles de détermination du revenu imposable à l’impôt sur le revenu [3].

L’article 193 du CGI (N° Lexbase : L3952I7I) dispose que le revenu imposable, constituant l’assiette de l’impôt sur le revenu est déterminé après application d’un quotient familial calculé en fonction de la situation et des charges de famille du contribuable. Lorsque les parents d’un enfant sont séparés et déclarent leurs revenus séparément, chacun bénéficie de la part de l’enfant résidant chez lui et dont il assume la charge [4]. En cas de résidence partagée [5], comme dans le cas d’espèce, la charge assumée par les parents est considérée [6] comme également répartie entre les deux parents. Ces derniers, par ailleurs contribuables, bénéficient alors de la moitié de la majoration du quotient familial. Tel le Roi Salomon, le législateur semble avoir parfaitement réparti l’avantage fiscal au regard de la charge supportée. La détermination du nombre de parts en fonction du rang de l’enfant et de la situation du parent est par ailleurs clairement définie par l’article 194 du CGI (N° Lexbase : L3343LCS). Il dispose en outre, que le bénéfice de la majoration du quotient familial résulte de la charge économique effective découlant de l’entretien et de l’éducation de l’enfant.

L’article 156 du CGI détermine le revenu imposable à l’impôt sur le revenu, l’alinéa contesté ici prévoyant que « le contribuable ne peut opérer aucune déduction pour ses descendants mineurs lorsqu’ils sont pris en compte pour la détermination de son quotient familial » [7]. Pour le parent ayant opté pour une résidence principale de l’enfant, le législateur a, par cette disposition, entendu empêcher le contribuable de bénéficier cumulativement d’une majoration de quotient dans la composition de son foyer fiscal et d’une déduction de la pension alimentaire versée pour « la contribution à son entretien et à son éducation » [8]. Cette situation aurait conduit selon le Conseil à un double avantage fiscal pour le parent versant la pension alimentaire qui la déduirait de son revenu global et qui bénéficierait d’une majoration de son quotient familial [9].

La situation est plus complexe dans la situation de garde partagée de l’enfant. Dans ce cas, la charge de l’enfant est considérée comme étant équitablement répartie entre chaque parent. Chacun bénéficie d’une moitié de majoration de quotient familial alors que dans une situation déséquilibrée, le parent qui a la charge principale de l’enfant déduit une part pleine. La doctrine administrative indique clairement qu’ « aucune déduction n’est possible au titre de versements effectués pour un enfant dont la charge est partagée entre les parents et qui ouvre droit de ce fait à un avantage de quotient familial à chacun des deux parents (CGI, article 156, II-2°) » [10]. Le parent débirentier ne peut alors pas déduire la pension alimentaire versée, à la différence de la première situation, alors que le parent bénéficiaire n’est pas imposé sur cette somme [11]. En l’espèce, le requérant bénéficie comme l’autre parent d’une majoration de 0,25 % de part au titre de l’enfant à charge. Les situations peuvent se résumer ainsi :

 

Parent débirentier

Parent crédirentier

Garde principale

Aucune majoration de quotient + pension versée déductible

= 0 « avantage fiscal » + déduction

Une majoration pleine du quotient + pension imposable

= 1 « avantage fiscal » + imposition

Garde alternée

½ majoration de quotient + pension non déductible

= ½ « avantage fiscal » + imposition

½ majoration de quotient + pension non imposable

= ½ « avantage fiscal » + non-imposition

Se crée alors, selon le requérant, une différence de traitement entre des parents assumant une garde alternée et ceux assumant la charge de l’enfant à titre exclusif, lorsqu’une pension alimentaire est versée par l’un des parents, mais également entre les deux parents d’un même enfant en résidence alternée lorsque l’un verse une pension à l’autre. Sur le fondement cumulatif des principes d’égalité devant les charges publiques [12] et d’égalité devant la loi [13], le requérant conteste cette inégalité entre deux situations fiscales de parents séparés. Le requérant reproche à la disposition du CGI de violer les principes d’égalité au motif qu’elle ne permet pas au parent bénéficiant de la demi-part supplémentaire en raison d’une « demi-résidence » de déduire les pensions versées à l’autre parent. Le Conseil s’est alors interrogé afin de déterminer si une discrimination légale était créée entre des parents dont les enfants sont en résidence alternée ou pas et entre les deux parents d’un même enfant en résidence alternée.

Les juges de la rue Montpensier ont tranché en refusant d’identifier la distinction d’objet entre la pension et le quotient (I) pour finalement ne pas reconnaître de rupture d’égalité entre parents (II).

I. Quotient familial et pension alimentaire : deux notions pour un même objet

Le quotient familial, comme « avantage fiscal » consenti aux parents ayant des enfants à charge est une originalité française [14] correspondant fiscalement à la charge effective de l’enfant, équitablement répartie au regard du législateur, quelle que soit la situation de famille. La majoration reflétant la charge de l’enfant doit permettre une « égale répartition de l’impôt » et une atténuation de la progressivité de l’impôt sur le revenu. En l’espèce, la majoration de part correspond à la charge alternée, reconnue au bénéfice de chaque parent au titre de la période durant laquelle l’enfant est accueilli chez lui. En considérant que la pension alimentaire n’entre pas dans le champ des revenus ou des charges déductibles, seul cet avantage est consenti par le législateur pour un parent séparé ayant alternativement la charge d’un enfant.

La pension alimentaire correspond au versement d’une somme venant compenser un écart économique entre les revenus dont dispose chacun des parents pour assumer les dépenses d’entretien et d’éducation de l’enfant [15]. Le juge aux affaires familiales pourra ainsi, lorsqu’un accord amiable n’est pas trouvé entre les parents, fixer le montant de la pension alimentaire versée, comme il le ferait à propos d’une prestation compensatoire. La pension alimentaire n’a pour fonction que d’équilibrer les conditions de vie matérielle de l’enfant qu’il demeure chez un parent plus aisé ou chez celui moins fortuné. La pension n’est pas considérée pour le Conseil comme une charge, qui elle est symbolisée par le quotient familial, mais comme un rééquilibrage au profit d’un des parents, in fine dans l’intérêt de l’enfant. Le législateur se serait fondé sur des « critères rationnels et objectifs » en considérant que le rééquilibrage des niveaux de vie ne pouvait être considéré comme une charge. Cette neutralisation réalisée par l’article 80 septies du CGI correspond à une marginalisation de ce transfert économique existant dans l’intérêt de l’enfant, il ne semble plus correspondre à un flux financier aux yeux du législateur, il n’est pas une charge pour celui qui la verse, il n’est pas une créance pour celui qui le reçoit… Le Conseil constitutionnel en marginalisant la pension alimentaire, devenue étrangère aux revenus et aux charges, semble qualifier une somme d’argent comme relevant d’une catégorie non-imposable : les frais d’entretien d’un enfant. Le CGI ne prévoit pourtant pas une telle qualification.

Le versement d’une pension et le bénéfice d’une majoration du quotient familial sont pour le Conseil constitutionnel, de même objet et ne sauraient constituer deux avantages fiscaux. Pourtant le cumul d’avantages fiscaux [16] semble écarté puisque le bénéfice du quotient familial correspond à la charge de l’enfant lorsqu’il est pris en charge par le parent et que la déductibilité de la pension correspondrait à la somme versée pour soutenir la charge supportée par l’autre parent. Les deux éléments correspondent donc à une charge assumée personnellement, dont le quotient est le reflet fiscal, et la pension une charge externe. Il n’y a donc pas de cumul d’avantages fiscaux identifiable puisque l’objet de chaque avantage est différent. Cette distinction d’objet et ce non-cumul d’avantages fiscaux entrainent de facto une différence de traitement entre des parents bénéficiant d’une garde alternée versant une pension alimentaire à l’image du requérant et des parents dont l’enfant est placé à titre principal chez un des deux parents dont l’un verse une pension à l’autre, mais également entre les deux parents d’un même enfant en résidence alternée dont l’un verse une pension à l’autre.

II. Une rupture d’égalité entre parents non reconnue par le Conseil constitutionnel

En invoquant l’article 80 septies du CGI le Conseil constitutionnel semble neutraliser le problème, vider de sa substance la question posée par les requérants et justifier le respect du principe d’égalité devant la loi et devant les charges publiques [17]. Certes, la pension versée non déductible pour le parent débirentier n’est pas non plus imposable pour le parent crédirentier. L’équilibre global au regard du droit fiscal de la situation des parents peut difficilement satisfaire le parent qui verse une pension, mais qui ne peut pas la déduire, et ne bénéficie que d’une demi-majoration. Or, la requête est plus large en ce qu’elle considère l’inégalité entre parents dont les enfants sont en résidence alternée et ceux étant en résidence principale chez l’un d’eux. Dans ce dernier cas la pension versée est déductible pour le parent qui la verse et imposable pour celui qui la reçoit. L’inégalité demeure, alors qu’en garde alternée le parent est amputé d’un demi-avantage comme si la résidence alternée avait fractionné un seul avantage fiscal en deux parties au bénéfice des deux parents. Il était question de garde à mi-temps, l’avantage semble être lui aussi en demi-tarif. L’inégalité se retrouve aussi lorsqu’on constate que le parent qui reçoit la pension n’est pas imposable sur cette somme et bénéficie d’une demi-majoration alors que celui qui la verse est imposé sur cette somme, alors qu’il n’a pas la jouissance de ce revenu. Or factuellement, le parent qui assume d’une part l’entretien de l’enfant lorsqu’il est sous son toit et participe à cette charge lorsqu’il est chez le deuxième parent participe aux frais d’entretien de l’enfant au sein de ses deux résidences. Retrouvant la position de la jurisprudence « Danthony » [18], le Conseil constitutionnel n’a en l’espèce pas considéré que la pension alimentaire était assimilable à une « charge d’entretien » au profit d’une participation aux charges, sans réelle substance fiscale. Il n’y a pas lieu, selon les Sages, de reconnaître une rupture d’égalité devant les charges publiques [19].

La règle de non-cumul retenue par les juges semble poser une difficulté notamment au regard du critère objectif et rationnel. Déduite et imposée dans une situation déséquilibrée, donc considérée comme une charge et un revenu, la pension perd son caractère pécuniaire au regard du législateur dans le cas d’une garde alternée.

La logique voudrait ainsi que la pension soit considérée de façon harmonisée : elle constitue un transfert économique, une charge pour celui qui la verse et un revenu destiné à couvrir les besoins de l’enfant pour celui qui la reçoit quelle que soit la situation familiale. Les Sages n’ont pas entendu considérer de la même façon la pension alimentaire et ont rappelé que « le Conseil constitutionnel n’a pas un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement. Il ne saurait rechercher si les objectifs que s’est assignés le législateur auraient pu être atteints par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l’objectif visé » [20]. La formule permet ainsi de dire que la pension alimentaire en fonction de la situation familiale n’a pas à entrer dans le calcul de l’impôt sur le revenu. Pour des parents bénéficiant d’une garde alternée elle est fiscalement neutralisée et ne peut constituer de rupture d’égalité devant la loi et devant les charges. La demi-résidence a ainsi produit une demi-inégalité, le Conseil constitutionnel refusant de reconnaître un régime unique à la pension alimentaire quel que soit la situation familiale.

 

[1] Le deuxième alinéa du 2 ° du paragraphe II de l'article 156 du Code général des impôts, dans ses rédactions résultant du décret n° 2011-645, du 9 juin 2011, portant incorporation au Code général des impôts de divers textes modifiant et complétant certaines dispositions de ce Code (N° Lexbase : L4337IQP), du décret n° 2012-653, du 4 mai 2012, portant incorporation au Code général des impôts de divers textes modifiant et complétant certaines dispositions de ce Code (N° Lexbase : L0192ITB), du décret n° 2014-549, du 26 mai 2014, portant incorporation au Code général des impôts de divers textes modifiant et complétant certaines dispositions de ce Code (N° Lexbase : L3202I3Y) et du décret n° 2015-608 du 3 juin 2015 portant incorporation au Code général des impôts de divers textes modifiant et complétant certaines dispositions de ce Code (N° Lexbase : L7519I8Y).

[2] 12 % des enfants ayant des parents séparés vivent en résidence alternée, soit 480 000 enfants en 2020. Source : INSEE, [en ligne].

[3] La loi n° 2002-305, du 4 mars 2002, relative à l’autorité́ parentale (N° Lexbase : L4320A4R) a offert la possibilité d’une résidence alternée de l’enfant au domicile des deux parents en cas de divorce.

[4] CGI, art. 194 I.

[5] L’article 5 de la loi du 4 mars 2002, n° 2002-305 avait introduit à l’article 373-2-9 du Code civil (N° Lexbase : L0239K7Y) la possibilité d’une résidence alternée au bénéfice d’enfants de parents séparés, divorcés ou en instance de divorce.

[6] Il s’agit d’une présomption simple.

[7] Ce principe ancien a été reconnu par la jurisprudence du Conseil d’État : CE 8° et 9° ssr., 18 décembre 1974, n° 92083 (N° Lexbase : A2626B8R) ; RJF 2/75 p. 60, CE Section, 11 mars 1977 n° 3797 (N° Lexbase : A4252AXR), RJF 1977, n° 191.

[8] C. civ., art. 373-2-2 (N° Lexbase : L1545LZA).

[9] PLFR n° 382 pour 2002, du 20 novembre 2002, article 23.

[10] BOI-IR-BASE-20-30-20-30 (N° Lexbase : X8823AMQ).

[11] CGI, art. 80 septies (N° Lexbase : L1789HLT).

[14] Instauré par la loi du 31 décembre 1945.

[15] C. civ., art. 371-2 (N° Lexbase : L2989LUA).

[16]  Les Sages rappellent au § 9 que : « le législateur a entendu éviter un cumul d'avantages fiscaux ayant le même objet ».

[17] § 19 de la décision.

[18] CE 3° et 8° ch.-r., 28 décembre 2016, n° 393214, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3672SYN), RDF, 2017, n° 12, comm. 211, RJF 3/17, n° 211, concl. E. Cortot-Boucher p. 382.

[19] § 9 de la décision.

[20] § 8 de la décision.

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