La lettre juridique n°867 du 3 juin 2021 : Propriété intellectuelle

[Jurisprudence] Déclaration d'appel et mentions de l'article R. 411-21 du CPI : revirement de jurisprudence pour atteinte disproportionnée au droit d’accès à un tribunal

Réf. : Cass. com., 12 mai 2021, n° 18-15.153, FS-P (N° Lexbase : A52794RX)

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N7736BY8

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par Fabienne Fajgenbaum et Thibault Lachacinski, Avocats à la Cour, NFALAW – SCP d'avocats

le 02 Juin 2021


Mots clés :  recours contre les décisions du directeur de l’INPI • déclaration d’appel • personnes morales • mentions requises • sanction • revirement • CESDH, art. 6 § 1

Opérant un important revirement de jurisprudence, la Cour de cassation retient, dans un arrêt du 12 mai 2021, que l'irrecevabilité du recours résultant de l'omission d'une des mentions requises par l’article R. 411-21 du Code de la propriété intellectuelle, dans sa version antérieure au 2019-1316 du 9 décembre 2019, dans la déclaration d’appel, peut faire l'objet d'une régularisation en application des dispositions de l'article 126 du Code de procédure civile.


S'il est évidemment possible de régulariser un recours contre une décision d'opposition défavorable, l'article R. 411-21 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3862ADE) – dans sa version applicable au litige [1] – requiert que la déclaration comporte alors un certain nombre d'informations permettant d'identifier la personne du requérant. Lorsqu'il s'agit d'une personne morale, doivent notamment être précisés sa forme sociale ainsi que l'organe qui la représente légalement. À défaut, l'irrecevabilité du recours est prononcée d'office. Telle est la désagréable expérience vécue par la société Sogiphar, à qui la cour d'appel de Douai reprochait de s'être contentée d'avoir renseigné la mention « prise en la personne de ses représentants légaux » dans sa déclaration [2].

Procédant à un spectaculaire revirement de jurisprudence par un arrêt du 12 mai 2021 publié au Bulletin, la Chambre commerciale de la Cour de cassation retient désormais que l'irrecevabilité du recours résultant de l'omission d'une des mentions requises dans la déclaration peut faire l'objet d'une régularisation en application des dispositions de l'article 126 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1423H4H).

Aux termes d'un arrêt du 8 février 2018, la cour d'appel de Douai a déclaré irrecevable le recours formé par la société Sogiphar à l'encontre de la décision du Directeur de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) en date du 21 juin 2017, ayant rejeté son opposition sur le fondement de la marque complexe « LIBEOZ » à l'encontre de la demande d'enregistrement portant sur le signe verbal « LIBZ », les produits en question étant identiques et similaires [3].

La cour a relevé que la seule mention de la forme sociale « société anonyme » ne permet pas de déduire l'organe la représentant légalement, ainsi que le requiert l'article R. 411-21 du Code de la propriété intellectuelle. En effet, si le représentant légal de la société est le directeur général et les éventuels directeurs généraux délégués dans une société anonyme avec conseil d'administration, le président du directoire ou le directeur général unique voire les éventuels directeurs généraux sont exclusivement compétents dans l'hypothèse d'une société anonyme avec directoire et conseil de surveillance.

À l'inverse, dans une autre affaire, la cour d'appel de Bordeaux a eu l'occasion de juger recevable le recours enregistré par une société par actions simplifiée « prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège », dès lors que l'organe qui est le représentant légal de ce type de société est nécessairement son président [4]. Il avait donc été satisfait à l'obligation d'information complète et d'identification sous-tendue par le texte réglementaire.

En l'espèce, les débats devant la Cour de cassation se sont finalement portés vers la possibilité de régulariser une irrégularité de forme, conduisant à l'arrêt de revirement objet du présent commentaire.

I. La possibilité de régularisation devant le juge judiciaire

Les dispositions du Code de procédure civile imposent au demandeur à une action en justice de faire figurer un certain nombre de mentions au sein de son acte d'assignation délivré au(x) défendeur(s). Lorsque le requérant est une personne morale, il s'agit notamment de sa forme et de l'organe qui la représente légalement [5].

De jurisprudence constante, le défaut de désignation de l'organe représentant la personne morale [6] constitue un vice de forme avec les conséquences prévues à l'article 114 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1395H4G). L'indication erronée de l'organe représentant légalement la société encourt d'ailleurs la même sanction [7].

À l'inverse des nullités de fond de l'article 117 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1403H4Q), l'omission / erreur d'une des mentions requises n'est donc susceptible de donner prise à la nullité de l'acte qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public.

S'est ainsi développée une certaine pratique, parmi les plaideurs, de ne pas préciser spécifiquement l'organe représentant la société et de lui préférer la formule devenue de style « prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège ». Il s'agit ainsi d'éviter d'éventuelles controverses lorsque, sans en prévenir son conseil, la société change sa forme sociale / représentant légal alors même qu'une assignation est sur le point d'être délivrée en son nom. À défaut d'un grief, les actes introductifs d'instance correspondants ont été jugés valides par les juridictions françaises [8].

Il est d'ailleurs intéressant de constater que l'arrêt rendu le 8 février 2018 par la cour d'appel de Douai précise que la société Biogaran [9] (qui a notamment soulevé l'irrecevabilité du recours formé par la société Sogiphar au motif de l'absence de mention de l'organe représentant légalement cette dernière société)… est « prise en la personne de son représentant légal » sans autre précision ! 

Quoi qu'il en soit, l'article 126 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1423H4H) dispose en son 1er alinéa que « dans le cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d'être régularisée, l'irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue ». Il est ainsi loisible au demandeur de purger la cause de nullité en indiquant la mention omise.

II. Le régime procédural distinct de l'article R. 411-21 (ancienne version) du Code de la propriété intellectuelle    

L'article R. 411-21 du Code de la propriété intellectuelle, dans sa version applicable au litige, prévoyait que le recours devait être formé par une déclaration écrite adressée ou remise en double exemplaire au greffe de la cour et que, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office, la déclaration devait notamment comporter la mention de la forme, de la dénomination, du siège social et de l'organe qui représente légalement la personne morale.

Eu égard au parallélisme rédactionnel évident avec les dispositions de l'article 648 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6811H7E), l'on aurait pu s'attendre à ce que le régime procédural de la déclaration de recours soit calqué sur celui de l'assignation. Il aurait ainsi ouvert la voie à une possibilité de régularisation conformément aux dispositions de l'article 126 précité.

D'ailleurs, le Règlement délégué (UE) n° 2018/625 du 5 mars 2018, complétant le Règlement (UE) n° 2017/1001 sur la marque de l'Union européenne (N° Lexbase : L0431LK8), prévoit expressément la possibilité de régulariser l'acte de recours lorsque les renseignements relatifs à la personne du requérant ont été omis (article 23.1).

Pourtant, telle n'a pas été l'option retenue par la Cour de cassation – dans un premier temps tout du moins – et par les juges du fond [10]. En effet, pour écarter la possibilité d'une régularisation ultérieure à défaut de mention, la Haute Cour a tout d'abord jugé que les dispositions de l’article R. 411-21 du Code de la propriété intellectuelle sont spécifiques et qu’elles excluent donc l’application de l’article 126 du Code de procédure civile [11].

La sanction de l'irrecevabilité édictée par voie réglementaire n'apparaissait pas disproportionnée dès lors que la disposition critiquée a manifestement pour but de s'assurer de l'identité exacte de l'auteur du recours. L'intéressé n'étant pas privé de l'accès à un juge, les dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales n'étaient pas en cause (N° Lexbase : L7558AIR) [12].

Reprenant apparemment les enseignements de la jurisprudence de la Cour de cassation [13] relative à l'article R. 411-25 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L0384ITE) [14], la cour d'appel de Versailles avait par ailleurs jugé que « la déclaration de recours étant un acte unilatéral destiné à saisir la cour d'appel », il ne saurait être prétendu que l'application de l'article R. 411-21 serait contraire à la Convention européenne des droits de l'Homme et des libertés fondamentales [15].

III. Le revirement de jurisprudence opéré par l'arrêt du 12 mai 2021

Dans ce contexte, le revirement de jurisprudence opéré par la Cour de cassation le 12 mai 2021 est d'autant plus notable qu'il est particulièrement motivé et que la formule retenue par la Chambre commerciale (point 14) est dénuée d'ambiguïté : « Il apparaît donc nécessaire d’abandonner la jurisprudence précitée et d’interpréter désormais l’article R. 411-21 du Code de la propriété intellectuelle en ce sens que ses dispositions ne sont pas exclusives de l’application de l’article 126 du Code de procédure civile et que, dès lors, l’irrecevabilité du recours formé contre les décisions du directeur de l’INPI résultant de l’omission, dans la déclaration de recours, d’une des mentions requises, sera écartée si, avant que le juge statue, la partie requérante communique les indications manquantes ».

La Cour de cassation rappelle tout d'abord que, si le droit d'accès à un tribunal n'est pas absolu et se prête à des limitations notamment quant aux conditions de recevabilité d'un recours, ces dernières ne sauraient « restreindre l'accès ouvert à un justifiable de manière ou à un point tel que son droit à un tribunal s'en trouve atteint dans sa substance même ». De telles atteintes ne peuvent se concilier à l'article 6 §1 de la CESDH que si elles tendent à un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé [16].

En l'espèce, les exigences de forme posées par le texte réglementaire visent à assurer une bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique. L'exigence de précision de la forme, de la dénomination, du siège social et de l'organe qui représente légalement une personne morale requérante apparaît donc légitime afin d'assurer le respect du principe de sécurité juridique et permettre ainsi au juge et à la partie défenderesse de s'assurer que le recours formé par un organe habilité à engager et représenter la personne morale.

Pour autant, la Chambre commerciale juge que la possibilité de régularisation – jusqu'alors déniée au requérant dans le cadre d'un recours – n’empêcherait pas le contrôle du juge et ne porterait aucune atteinte aux intérêts légitimes de la partie défenderesse. Par ailleurs, les objectifs de sécurité juridique et de bonne administration de la justice ne seraient pas affectés par l’ouverture d’une telle possibilité de régularisation.

Par conséquent, l’article R. 411-21 du Code de la propriété intellectuelle, tel qu’il avait été jusqu'alors interprété, n’assurait pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé, et portait une atteinte excessive au droit d’accès au juge. Le revirement de jurisprudence s'imposait.

***

La Chambre commerciale de la Cour de cassation renvoie finalement l'affaire devant la cour d'appel de Douai autrement composée. Elle considère en effet que la société Sogiphar n'avait pas été mise en mesure de régulariser son recours dès lors que la jurisprudence antérieure excluait cette possibilité. Reste à savoir si, à l'inverse du directeur de l'INPI, la cour d'appel retiendra l'existence d'un risque de confusion entre les signes « LIBEOZ et « LIB » en cause.

Quoi qu'il en soit, entre-temps, l'article R. 411-21 du Code de la propriété intellectuelle a été modifié selon décret n° 2019-1316 du 9 décembre 2019 (N° Lexbase : L8139LTM) dans le cadre de la transposition en droit interne du « Paquet Marques » [17]. Les exigences formelles de la déclaration de recours sont désormais précisées à l'article R. 411-25 (N° Lexbase : L9100LT9)… lequel renvoie expressément à l'article 54 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L8645LYT). Ce changement réglementaire pourrait expliquer en partie l'évolution de la position de la Cour de cassation.


[1] Modifiées selon décret n° 2019-1316 du 9 décembre 2019 (N° Lexbase : L8139LTM) ; les dispositions relatives aux mentions requises sont désormais codifiées à l'article R.411-25 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L9100LT9), lequel renvoie expressément à l'article 54, 3° du Code de procédure civile (N° Lexbase : L8645LYT).

[2] CA Douai, 8 février 2018, n° 17/04577 (N° Lexbase : A9290XC3).

[3] Dont produits pharmaceutiques.

[4] En vertu des dispositions de l'article L. 227-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L6161AIZ) : CA Bordeaux, 18 août 2016, n° 15/04986 (N° Lexbase : A5751RYN) ; dans le même sens : CA Lyon, 14 mai 2020, n° 19/06291 (N° Lexbase : A36573NR).

[5] CPC, art. 54 (N° Lexbase : L8645LYT) et s. et art. 648 (N° Lexbase : L6811H7E).

[6] Cass. mixte, 22 février 2002, n° 00-19.639, publié (N° Lexbase : A0661AY7) ; Cass. civ. 2, 18 septembre 2003, n° 01-15.608, F-P+B (N° Lexbase : A5351C93).

[7] De même, l'indication erronée de l'organe représentant légalement la société constitue une nullité de forme : Cass. civ. 1, 12 décembre 2018, n° 17-17.622, F-D (N° Lexbase : A6909YQX) ; Cass. civ. 1, 21 novembre 2012, n° 10-23.985, F-D (N° Lexbase : A5157IXB).

[8] Cass. civ. 2, 18 septembre 2003, n° 01-15.608, F-P+B (N° Lexbase : A5351C93).

[9] À l'origine du dépôt de la demande de marque « LIBZ » objet de l'opposition.

[10] CA Bordeaux 26 janvier 2021, n° 19/06632 (N° Lexbase : A63844DS) – CA Aix-en-Provence, 25 janvier 2018, n° 17/08985 (N° Lexbase : A5163XBT) – CA Paris, 13 février 2013, n° 11/19562 (N° Lexbase : A8068I7X).

[11] Cass. com., 7 janvier 2004, n° 02-14.115, F-D (N° Lexbase : A6955DAT) – Cass. com., 17 juin 2003, n° 01-15.747, FS-P (N° Lexbase : A8564C8P).

[12] CA Nancy, 26 juin 2007, n° 05/02297 (N° Lexbase : A6234G3B).

[13] Cass. com., 17 mars 2004, n° 02-12.691, FS-P+B (N° Lexbase : A6318DBM).

[14] « Le déclarant peut, devant la cour d'appel, se faire assister ou représenter par un avocat », modifié par le décret n° 2019-1316, préc..

[15] CA Versailles, 18 février 2014, n° 13/07442 (N° Lexbase : A4624MEY) – CA Versailles, 16 décembre 2010, n° 10/60072.

[16] CEDH, 28 octobre 1998, req. 116/1997/900/1112, § 44 (N° Lexbase : A7537AW3) – CEDH, 26 janvier 2017, req. n° 797/14, § 42 (N° Lexbase : A5893TAI) – CEDH, 13 mars 2018, req. n° 56354/09, § 40 (N° Lexbase : A9077XGB).

[17] Cf. Numéro spécial sur la Transposition de la Directive « Marques » par l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 et le décret n° 2019-1316 du 9 décembre 2019, Lexbase Affaires, janvier 2020, n° 620 (N° Lexbase : N1904BY8) et not., sur les questions procédurales, F. Fajgenbaum et Th. Lachacinski, Transposition de la Directive « Marques » : les (r)évolutions procédurales en questions, Lexbase Affaires, janvier 2020, n° 620 (N° Lexbase : N1875BY4).

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