Le Quotidien du 1 juin 2021 : Actualité judiciaire

[Chronique] Affaire Bygmalion : Le jour où Jérôme Lavrilleux a dit : « On a un problème... »

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par Vincent Vantighem, Grand Reporter à 20 Minutes

le 31 Mai 2021

L’audition avait démarré la veille. Et durait depuis un bon moment quand Franck Attal a fini par laisser poindre sa colère. « Mais tout le monde savait à l’UMP ! De Sarkozy en passant par la fille de l’accueil ! » Prévu pour durer quasiment cinq semaines, le procès de l’affaire dite « Bygmalion » n’a finalement pas dû patienter longtemps pour entendre une première bombe à fragmentation éclater à la barre de la 11e chambre du tribunal judiciaire de Paris.

Après deux jours consacrés aux traditionnels problèmes de procédures et autres exceptions de nullité et un rappel de l’affaire de près de quatre heures, c’est donc Franck Attal qui, mercredi 26 mai, a allumé la première mèche. Pas vraiment une surprise… Directeur adjoint de Event & Cie, la filiale événementielle de Bygmalion, cet homme aujourd’hui âgé de 50 ans est celui qui a organisé tous les meetings du candidat Sarkozy lors de la campagne présidentielle de 2012. Celui qui a donc assisté au dérapage des dépenses. Et celui qui a eu vent de la mise en place du système de fausses factures destiné à dissimuler la fraude électorale, donc.

« Autour de la mi-mars », répond-il d’ailleurs quand la présidente, Caroline Viguier, lui demande à quel moment tout a basculé. Costume cintré sur chemise blanche, Franck Attal raconte alors ce jour où Jérôme Lavrilleux, alors directeur adjoint de la campagne de Nicolas Sarkozy, lui a dit : « On a un problème... »

« Il fallait mettre le paquet  » sur les meetings

L’histoire est désormais connue. Prévue à l’origine avec quatre ou cinq grands meetings, la campagne présidentielle du candidat Sarkozy avait finalement été déclinée autour de 44 réunions publiques à travers la France. Écrans géants, caméras sur des filins, militants amenés par centaines en car et en train : « il fallait que ça pète ! Il fallait mettre le paquet ! », raconte celui qui avait monté le programme. Sauf que tout cela a un coût. Et que très rapidement, le plafond des dépenses autorisé par la loi a été dépassé.

« Faux et usage de faux », « escroquerie », « abus de confiance »… C’est pour cela qu’ils sont donc treize à comparaître et qu’ils encourent une peine de cinq ans de prison. Auxquels il faut ajouter Nicolas Sarkozy qui, absent pour le moment dans le prétoire, est renvoyé pour le seul délit de « financement illégal de campagne électorale » et encourt une peine d’un an de prison et 3 750 euros d’amende. Car, selon l’accusation, sa campagne a donc atteint le budget de 42,8 millions d’euros au lieu de rester sous la barre légale du plafond de 22,5 millions. Pour le dissimuler, un système de fausses factures – « de ventilation », selon l’expression du juge Serge Tournaire – a donc été mis en place.

C’est Jérôme Lavrilleux, le directeur adjoint de la campagne, qui a confessé la manœuvre, en pleurs, sur le plateau de BFM TV, en 2014. Mais depuis, à part lui, rares sont les prévenus à reconnaître avoir été mis au courant, à reconnaître leurs responsabilités. Franck Attal assure en faire partie. « Moi j’assume, dit-il. Je vais dire les choses... » Et le voilà qui indique à la barre avoir organisé une réunion « dans le bureau de Bastien Millot », le fondateur de Bygmalion. De lui avoir expliqué qu’il avait bien détruit toutes les preuves de la double comptabilité mais qu’il en avait conservé une trace sur une clef USB, qui constitue la pièce maîtresse de l’accusation aujourd’hui.

« La fraude d’un pouvoir politique ! La fraude d’un pouvoir en place ! »

Franck Attal a-t-il donné le ton ? Impossible de le savoir. Mais le lendemain, à la barre, Sébastien Borivent enchaîne et précise les révélations. À l’époque des faits, lui était directeur général adjoint de Bygmalion. Chargé essentiellement des finances. Très serein à la barre, il sait évidemment qu’il est trop tard pour mentir sur le dispositif. Comme s’il était possible de planquer un éléphant dans un vestibule… Le voilà donc à fixer, quant à lui, à « fin mars, début avril » 2012, le moment où le dispositif a été « proposé » à Bygmalion par l’UMP. Il ne se souvient plus de la date exacte. Mais il revoit très bien la scène. « On était dans mon bureau. C’était l’après-midi. » Et il se souvient évidemment de sa réaction. « J’étais très surpris. L’idée, c’était de contourner le truc... » Le « truc » ? Le terme de « loi » serait plus juste. « On n’est pas sur la fraude à la TVA d’un comptable… On est sur la fraude d’un pouvoir politique ! La fraude d’un pouvoir politique en place ! »

Comme son « ami » Franck Attal la veille, Sébastien Borivent semble au clair avec sa conscience désormais. Il assume les choses. Et ne se fait pas prier pour détailler le dispositif. En bon directeur financier qu’il était, il explique assez vite comment les choses se sont déroulées et son obsession, à l’époque, pour conserver une trace de tout cela dans un coin. Sur une clef USB très exactement. Sur laquelle figurent des tableaux qui servent encore aujourd’hui de socle à l’accusation. « Ma crainte, c’était que ce schéma sorte deux ans, trois ans, cinq après…, justifie-t-il. À l’époque, je me dis qu’il faut ménager des preuves. Mon inquiétude première, c’est de ménager des preuves... »

Sans ce client important, Bygmalion aurait mis la clef sous la porte

À écouter les deux premiers prévenus, une étrange sensation envahit le prétoire. Comme si, à l’époque des faits, personne n’avait pensé à s’opposer à l’idée illégale. Comme s’il n’en avait même pas été question. Dans un plan impeccablement huilé, Caroline Viguier demande alors à Guy Alvès, le directeur de Bygmalion, de se lever et de s’approcher de la barre.

Et l’on comprend immédiatement pourquoi personne n’a rechigné à mettre en place le fameux système de fausses factures. Lui aussi apaisé, Guy Alvès explique avoir « accepté » le dispositif qu’on lui a proposé. Pour une raison simple : « Si je dis "non", il y a deux ou trois effets, raconte-t-il alors. Le premier, c’est que ma boîte est morte. J’ai des créances que je ne pourrais pas honorer. Je mets alors au tapis 40 collaborateurs. Et je ne suis pas à l’abri d’embarquer avec moi quelques sous-traitants... »

À ce moment-là, reviennent en tête les chiffres égrainés par la présidente Viguier quelques heures plus tôt… 13,8 millions de chiffre d’affaires en 2011, 26,9 en 2012, 5,5 en 2013… Il ne faut pas avoir fait des études poussées en économie pour comprendre que Bygmalion, exsangue, ne pouvait se passer d’un client aussi rémunérateur que l’UMP. De fait, elle mettra d’ailleurs la clef sous la porte en 2014, quand le scandale éclatera.

Au tour des responsables de l’UMP de passer à la barre

À la contrainte financière, Guy Alvès ajoute aussi une contrainte presque morale ou philosophique. Simplement de bonne foi, il précise ainsi qu’il ne trouve pas « complètement fou » que l’UMP paye pour les meetings de campagne de son candidat, s’interroge sur l’existence d’un plafond de dépenses autorisé, là où dans d’autres pays comme les États-Unis, il n’y en a pas. Et sur les conséquences qu’aurait eues sur la vie politique française un refus de sa part. « On parle de la campagne du président-candidat [Nicolas Sarkozy] à l’époque, explique-t-il. Si je dis "non", sa campagne s’arrête immédiatement. Il ne peut plus faire de meetings... ».

Assis cinq mètres derrière lui sur des petites chaises rembourrées en tissu rouge, les anciens responsables de la campagne le savent pertinemment. Tout comme ils ont compris que l’étau commençait déjà à se resserrer autour d’eux. À l’exception de Bastien Millot qui a nié l’évidence jusqu’à l’inconscience, tous les dirigeants de Bygmalion ont en effet déjà reconnu les faits après une petite semaine de procès.

Et surtout, ils ont indiqué qu’ils n’avaient fait que répondre à une demande émanant de l’UMP. De Jérôme Lavrilleux même, pour être précis. Dans son ballet parfaitement huilé, Caroline Viguier a d’ailleurs prévu de basculer la focale sur l’UMP à partir de lundi 31 mai. Avec en point d’orgue de cette nouvelle semaine de procès, l’audition de Jérôme Lavrilleux. Elle doit avoir lieu jeudi 3 juin.

 

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