Réf. : Cass. crim., 13 avril 2021, n° 21-80.728, F-D (N° Lexbase : A80084PB)
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par Adélaïde Léon
le 20 Mai 2021
► L’absence d’information donnée à la personne qui comparaît devant la chambre de l’instruction saisie du contentieux d’une mesure de sûreté de son droit de faire des déclarations, de répondre aux questions ou de se taire est sans incidence sur la régularité de la décision ; cette carence a pour seule conséquence que les déclarations ainsi faites ne pourront être utilisées à l’encontre de l’intéressé par les juridictions amenées à prononcer un renvoi devant une juridiction de jugement ou une déclaration de culpabilité ;
La chambre de l’instruction, qui s’est suffisamment assurée de l’existence de conditions légales de détention et de l’absence d’élément nouveau, peut valablement fonder son rejet d’une demande de mise en liberté en faisant référence à son arrêt de mise en accusation ;
Ne méconnait aucun texte la chambre de l’instruction qui répond à une demande de mise en liberté au-delà du délai de vingt jours, prévu à l’article 148-2 du Code de procédure pénale, après avoir ordonné, par un arrêt avant dire droit intervenu dans ledit délai, des vérifications sur les conditions de détention, à la demande de la personne détenue ;
Peut valablement rejeter une demande de mise en liberté la chambre de l’instruction qui, ayant appliqué les principes et normes définis par la CEDH, a exactement déduit que les conditions de détention de l’intéressé ne caractérisaient pas un traitement inhumain ou dégradant.
Rappel de la procédure. Un individu a été mis en examen du chef de viol et placé en détention provisoire. Par la suite, la Chambre de l’instruction a ordonné sa mise en accusation devant la cour d’assises du chef susvisé.
Le 23 décembre 2020, l’intéressé a saisi la chambre de l’instruction d’une demande de mise en liberté et, par mémoire écrit, a fait état, notamment, de conditions indignes de détention. La chambre de l’instruction a déclaré cette demande recevable, sursis à statuer et ordonné des vérifications sur les conditions de détention de l’intéressé.
Décision de la chambre de l’instruction. Une fois les informations sollicitées transmises à la chambre de l’instruction, l’affaire a été évoquée à nouveau. Par une décision du 22 janvier 2021 la juridiction a rejeté la demande de mise en liberté en faisant référence à une précédente décision dans laquelle elle avait estimé qu’il existait des charges suffisantes à l’encontre de l’intéressé d’avoir commis le crime susvisé.
S’agissant des conditions de détention de l’accusé, la chambre de l’instruction estimait que, compte tenu du rapport transmis par le chef d’établissement, celles-ci ne pouvaient être considérées comme indignes de telle sorte qu’elles justifieraient la mise en liberté de l’intéressé.
Ce dernier a formé un pourvoi et a, à cette occasion, formulé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la constitutionnalité de l’article 148-2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5550DY9), lequel ne prévoit pas que la personne qui comparaît devant une juridiction appelée à statuer, en application des articles 141-1 (N° Lexbase : L2968IZX) et 148-1 (N° Lexbase : L1744IPB), sur une demande de mainlevée totale ou partielle du contrôle judiciaire ou sur une demande de mise en liberté, soit informée de son droit, au cours de débats, de se taire.
Moyens du pourvoi. Il était reproché à la chambre de l’instruction d’avoir méconnu les articles 148-2 du Code de procédure pénale et 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (N° Lexbase : L7558AIR) (CESDH) en se prononçant sur la demande de mise en liberté sans informer l’intéressé de son droit de se taire, faisant ainsi nécessairement grief au détenu.
Il était également reproché à la chambre de l’instruction de s’être bornée à faire référence aux charges suffisantes constatées dans son arrêt de mise en accusation, sans s’assurer de l’existence de telles charges au moment où elle statuait sur la demande de mise en liberté.
Il était grief à la chambre de l’instruction de s’être prononcée au-delà du délai de vingt jours, prévu par l’article 148-2 du Code de procédure pénale.
Enfin, l’accusé reprochait à la chambre de l’instruction de n’avoir pas reconnu le caractère indigne de ses conditions de détention en ne tirant pas les conclusions qu’imposaient ses propres constatations et en ne répondant pas à son mémoire.
Décision. La Chambre criminelle renvoie la question au Conseil constitutionnel (N° Lexbase : A04504R4). La Cour estime en effet que cette question présente un caractère sérieux en ce que, pour statuer en application des articles 141-1 et 148-1 du Code de procédure pénale, sur une demande de mainlevée totale ou partielle du contrôle judiciaire ou une demande de mise en liberté, la juridiction saisie doit vérifier si les faits retenus à titre de charges dans la décision de renvoi justifient le maintien de la mesure de sûreté. Dès lors, les observations éventuelles du prévenu ou de l’accusé comparant sont de nature à influer sur la décision des juges saisis au fond. Rappelons ici qu’au mois d’avril, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution des dispositions de l’article 199 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4955K8Z) ne prévoyant pas que la personne mise en examen comparaissant devant la chambre de l’instruction soit informée de son droit de se taire (Cons. const., décision n° 2021-895/901/902/903 QPC, du 9 avril 2021 N° Lexbase : Z443721E).
La Cour rejette en revanche le pourvoi au visa des articles 148-2 du Code de procédure pénale, 3 (N° Lexbase : L4764AQI) et 13 (N° Lexbase : L4746AQT) de la CESDH et en se fondant sur sa propre jurisprudence.
Elle souligne ainsi que selon sa jurisprudence (Cass. crim., 24 février 2021, n° 20-86.537, F-D N° Lexbase : A61264HD) l’absence d’information donnée à la personne qui comparaît devant la chambre de l’instruction saisie du contentieux d’une mesure de sûreté de son droit de faire des déclarations, de répondre aux questions ou de se taire est sans incidence sur la régularité de la décision. Cette carence a pour seule conséquence que les déclarations ainsi faites ne pourront être utilisées à l’encontre de l’intéressé par les juridictions amenées à prononcer un renvoi devant une juridiction de jugement ou une déclaration de culpabilité. La Haute juridiction avait statué dans le même sens en février dernier (Cass. crim., 24 février 2021, n° 20-86.537, FS-P+I N° Lexbase : A95344HL).
La Cour précise que la chambre de l’instruction, qui s’était suffisamment assurée de l’existence de conditions légales de détention et de l’absence d’élément nouveau, pouvait valablement fonder son rejet de la demande de mise en liberté en faisant référence à son arrêt de mise en accusation.
La Chambre criminelle affirme par ailleurs que la chambre de l’instruction n’a méconnu aucun texte en répondant à une demande de mise en liberté au-delà du délai de vingt jours, prévu à l’article 148-2 du Code de procédure pénale, après avoir ordonné, par un arrêt avant dire droit intervenu dans ledit délai, des vérifications, à la demande de la personne détenue. L’obligation de faire procéder à ces vérifications découlait des articles 3 et 13 de la CESDH, tels qu’interprétés par la Cour européenne des droits de l’Homme et la Chambre criminelle elle-même, et conduit, en l’absence de tout mécanisme mis en place par la loi dans le délai imparti par le Conseil constitutionnel (Cons. const. décision n° 2020-858/859 QPC, du 2 octobre 2020 N° Lexbase : A49423WX), à admettre que le délai puisse être dépassé, la juridiction demeurant toutefois tenue de statuer sur la demande de mise en liberté dans un délai raisonnable.
Précisons ici que, par une loi n° 2021-403, du 8 avril 2021, tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention (N° Lexbase : L9830L3H), intervenue notamment en réaction à la décision du Conseil constitutionnel précitée, le législateur est venu créer un article 803-8 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0665L4E) instituant une procédure visant à faire reconnaitre et cesser l’existence de conditions indignes de détention affectant tant les détenus provisoires que les personnes condamnées.
Enfin, s’agissant des conditions de détention, la Cour rappelle sa propre jurisprudence au terme de laquelle, lorsque la description faite par le demandeur de ses conditions personnelles de détention est suffisamment crédible, précise et actuelle, de sorte qu’elle constitue un commencement de preuve de leur caractère indigne, la juridiction est tenue de faire procéder à des vérifications complémentaires afin d’en apprécier la réalité (Cass. crim., 8 juillet 2020, n° 20-81.739, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A71573Q7). Estimant qu’en l’espèce, la chambre de l’instruction avait appliqué les principes et normes définis par la CEDH et exactement déduit que les conditions de détention de l’intéressé ne caractérisaient pas un traitement inhumain ou dégradant. La Cour relève que les griefs tirés du caractère ponctuel et non contradictoire du relevé de température réalisé dans la cellule et de l’inondation que provoquerait la pluie dont il n’est pas allégué qu’elle ait été signalée à l’administration, n’étaient pas de nature à remettre en cause l’appréciation des conditions de détention de l’intéressé dans sa globalité.
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