Le Quotidien du 30 mars 2021 : Droit pénal des mineurs

[Brèves] Jugement des mineurs : extension de l’inconstitutionnalité liée au cumul des fonctions du juge des enfants

Réf. : Cons. const., décision n° 2021-893 QPC, du 26 mars 2021 (N° Lexbase : A40334MC)

Lecture: 8 min

N6981BY9

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Brèves] Jugement des mineurs : extension de l’inconstitutionnalité liée au cumul des fonctions du juge des enfants. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/66180726-breves-jugement-des-mineurs-extension-de-linconstitutionnalite-liee-au-cumul-des-fonctions-du-juge-d
Copier

par Adélaïde Léon

le 28 Avril 2021

► Sont contraires au principe d’impartialité, garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, les dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 251-3 du Code de l’organisation judiciaire en ce qu’elles ne font pas interdiction au juge des enfants qui a instruit une affaire de présider le tribunal pour enfants devant lequel elle est renvoyée ;

Jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi, et au plus tard jusqu’au 31 décembre 2022, dans les instances où le mineur a fait l’objet d’une ordonnance de renvoi postérieure à la présente décision, le juge des enfants qui a instruit l’affaire ne peut présider le tribunal pour enfants.

Rappel de la procédure. Le 15 janvier 2021, la Cour de cassation a saisi le Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du deuxième alinéa de l’article L. 251-3 du Code de l’organisation judiciaire (N° Lexbase : L7753LPT) relatif à la composition du tribunal pour enfants (Cass. crim., 13 janvier 2021, n° 20-90.029, F-D N° Lexbase : A73094CP).

Motifs de la QPC. Les dispositions litigieuses prévoient que « le juge des enfants qui a renvoyé l’affaire devant le tribunal pour enfants ne peut présider cette juridiction ». Selon le requérant, l’absence d’extension de cette interdiction au magistrat qui a instruit l’affaire engendrerait une méconnaissance du principe d’impartialité des juridictions (DDHC, art. 16 N° Lexbase : L1363A9D) ainsi que du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs, duquel découle « la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées ». Plus largement, le requérant estime que ces dispositions méconnaîtraient le principe d’égalité devant la procédure pénale. En effet, lorsqu’il s’agit d’une personne majeure, le juge d’instruction qui a connu d’une affaire ne peut, à peine de nullité, participer au jugement de celle-ci.

Décision. Le Conseil prononce l’inconstitutionnalité de l’alinéa 2 de l’article L. 251-3 du Code de l’organisation judiciaire, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la Justice (N° Lexbase : L6740LPC).

Le Conseil rappelle qu’en cas de délit ou de contravention de la cinquième classe, le procureur de la République peut saisir le juge des enfants afin qu’il effectue les diligences et investigations utiles à la manifestation de la vérité, à la connaissance de la personnalité du mineur ainsi que des moyens appropriés à sa rééducation. À cette fin, le juge des enfants peut procéder par voie officieuse ou par les formes prévues pour les juridictions d’instruction par le Code de procédure pénale. La Haute juridiction indique qu’à l’issue de ses investigations, le magistrat peut déclarer s’il y a lieu de poursuivre, de prononcer des mesures d’assistance, de surveillance ou d’éducation, ou de renvoyer le mineur devant le tribunal pour enfants. Le Conseil constate que, si les dispositions litigieuses font interdiction au juge pour enfant qui a renvoyé une affaire de présider le tribunal devant lequel celle-ci est renvoyée, elles n’appliquent pas cette interdiction au magistrat qui, sans ordonner lui-même le renvoi, aurait instruit l’affaire.

Selon le Conseil, le principe d’impartialité s’oppose à ce que le juge des enfants qui a accompli les diligences utiles à la manifestation de la vérité préside une juridiction de jugement habilitée à prononcer des peines.

La Haute juridiction précise qu’en revanche, ce principe ne s’oppose pas à ce que le magistrat qui a instruit la procédure puisse, à l’issue de l’instruction, prononcer des mesures d’assistance, de surveillance ou d’éducation.

Effets de la déclaration d’inconstitutionnalité. Estimant que l’abrogation immédiate des dispositions contestées aurait des conséquences manifestement excessives, le Conseil la reporte au 31 décembre 2022 mais décide que jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi, et au plus tard jusqu’à la date d’abrogation prononcée, dans les instances où le mineur a fait l’objet d’une ordonnance de renvoi postérieure à la présente décision, le juge des enfants qui a instruit l’affaire ne peut présider le tribunal pour enfants.

Contexte. Cette décision constitue la continuité d’une évolution jurisprudentielle et législative débutée en 1993 en matière de cumul des fonctions au sein de la justice des mineurs.

Le 24 août 1993, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) se fondait sur la portée et la nature des mesures prises par un magistrat instructeur avant le procès (portant sur la détention provisoire et un examen psychiatrique) pour déterminer qu’il n’existait pas de raison objective que celui-ci manqua d’impartialité pour juger de la même affaire (CEDH, 24 août 1993, Req. 13924/88, Nortier c/ Pays Bas N° Lexbase : A6581AWN). Le 2 mars 2010, la même CEDH rappelait que « le simple fait, pour un juge, d'avoir pris des décisions avant le procès ne peut justifier en soi des appréhensions relativement à son impartialité. Ce qui compte, c'est l'étendue des mesures adoptées par le juge avant le procès. » En l’espèce, contrairement à l’affaire « Nortier » le juge était intervenu de manière très étendue sur des étapes impliquant des appréciations de la responsabilité du mis en cause puisqu’il avait décidé d’office de l’ouverture de la procédure, avait lui-même conduit la procédure de rassemblement des preuves et, à l’issue de celle-ci, avait décidé du renvoi de l’intéressé en jugement. La CEDH avait ici conclu à une violation de l’exigence d’un tribunal impartial (CEDH, 2 mars 2010, Req. 54729/00, Adamkiewicz c/ Pologne N° Lexbase : A9713ESK).

Pendant ce temps, en France, la Cour de cassation estimait que le droit à un procès juste et équitable ne faisait pas obstacle à ce qu’un même magistrat spécialisé, « prenant en compte l’âge du prévenu et l’intérêt de sa rééducation », puisse intervenir à différents stades de la procédure. À l’argument du risque d’impartialité du juge qui, après avoir instruit le dossier décide, non de prononcer lui-même une mesure éducative mais de saisir le tribunal pour enfants, la Cour répondait également qu’il était compensé par la présence de deux assesseurs délibérants collégialement et la possibilité d’un appel, déféré à une juridiction autrement composée (Cass. crim., 7 avril 1993, n° 92-84725 N° Lexbase : A4150ACP et Cass. crim., 8 novembre 2000, n° 00-80377 N° Lexbase : A9761CP9).

Jusqu’en 2011 et l’intervention du Conseil constitutionnel, c’est donc la spécificité de la matière et la collégialité qui, en France, permettait de justifier le cumul des fonctions.

En juillet 2011, le Conseil constitutionnel prononce l’inconstitutionnalité de l’article L. 251-3 du Code de l’organisation judiciaire, lequel permettait alors à un juge des enfants ayant instruit puis renvoyé une affaire devant le tribunal pour enfants, de présider cette juridiction de jugement habilitée à prononcer des peines (Cons. const., décision n° 2011-147 QPC, du 8 juillet 2011 N° Lexbase : A9354HUY).

Quelques jours plus tard, dans une décision du 4 août 2011, relative à la loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la Justice pénale et le jugement des mineurs, par un raisonnement similaire le Conseil déclarait inconstitutionnelle la présidence par le juge des enfants du tribunal correctionnel pour mineurs créé par la loi précitée (Cons. const., décision n° 2011-635 DC, du 4 août 2011 N° Lexbase : A9170HWK).

Contrairement à la CEDH, le Conseil constitutionnel ne s’interrogeait donc pas sur la portée et la nature des décisions prises par le magistrat chargé de l’instruction. Il jugeait inconstitutionnelle la seule présidence du tribunal pour enfants par un juge intervenu auparavant dans la procédure.

Par une loi n° 2011-1940 du 26 décembre 2011, visant à instaurer un service citoyen pour les mineurs délinquants (N° Lexbase : L4990IRA), le législateur était venu modifier l’article L. 251-3 du Code de l’organisation judiciaire en y ajoutant notamment l’interdiction faite au juge des enfants qui a renvoyé l’affaire devant le tribunal pour enfants de présider cette juridiction. Le législateur créait alors qui a lui-même créé une distinction entre le magistrat ayant instruit l’affaire sans la renvoyer et le juge qui ayant assuré le renvoi.

Dans sa décision du 26 mars 2021 tout comme il y a dix ans, la Haute juridiction n’a pas manqué de préciser que le principe d’impartialité ne s’oppose en revanche pas à ce que le magistrat qui a instruit la procédure puisse, à l’issue de l’instruction, prononcer des mesures d’assistance, de surveillance ou d’éducation.

Par cette dernière décision, le conseil semble rétablir l’objectif initial de ses décisions de 2011 en interdisant à tout juge des enfants de présider un tribunal habilité à prononcer des peines dès lors qu’il a instruit l’affaire jugée ou qu’il a lui-même renvoyé le mineur devant cette juridiction.

On notera que la récente réforme de la justice pénale des mineurs ne semble pas avoir d’elle-même corrigé ce point...

newsid:476981

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.