Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 24 février 2021, n° 429222, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A06024I7)
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par Franck Laffaille, Professeur de droit public, Faculté de droit (CERAP) - Université de Paris XIII (Sorbonne/Paris/Cité), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition fiscale,
le 17 Mars 2021
Mots-clés : crédit d’impôt recherche • CIR • dépenses de recherche éligibles • technicien de recherche
La remise en cause du crédit d’impôt recherche lors des contrôles fiscaux se multiplie. Ce dispositif, régi par l’article 244 quater B du Code général des impôts coûte plusieurs milliards d’euros à l’État chaque année. Il est donc fortement contrôlé.
Le Conseil d’État a rendu une décision en matière de crédit d’impôt recherche, relative à la qualification de techniciens de recherche lorsque les salariés ne disposent pas d’un diplôme dans le domaine scientifique.
La société Nurun demande au juge administratif de prononcer la restitution d’un crédit d’impôt recherche.
Mère d’un groupe fiscal intégré dont est membre la société Nurun France, la société Nurun exerce une activité de conception et de mise au point de sites internet de haut niveau technologique.
Cette société présente une réclamation visant à ce que lui soient restitués des crédits d’impôt au titre des dépenses exposées (en 2008, 2009, 2010) pour la réalisation de deux projets. Intitulés « NuWad » et « Landscape Analytics », ils ont pour finalité respective : de permettre à des personnes de réaliser des applications web sans connaissance informatique, de collecter des données afin de les rendre accessibles au plus grand nombre. Le directeur départemental des finances publiques des Hauts-de-Seine rejette, en 2012 et 2013, ces réclamations ; puis, il prononce, en 2015, la restitution partielle des crédits d’impôt au titre des années visées.
Saisi d’une demande de restitution de la totalité des sommes en litige, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise ne fait pas droit à cette demande. Saisie à son tour, la cour administrative d’appel de Versailles confirme ce jugement (CAA Versailles, 29 janvier 2019, n° 16VE00277 N° Lexbase : A8123YWR).
Le Conseil d’État décide de régler l’affaire au fond, en vertu de l’article L. 821-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3298ALQ) : c’est à tort que les juges du fond ont refusé la demande de la société quant à la restitution du crédit d’impôt.
Quid des faits à l’origine du contentieux et des interprétations différentes retenues par les divers protagonistes ?
Il est tout d’abord question de la qualification juridique des travaux réalisés dans le cadre du projet « Landscape Analytics », travaux visant à intégrer et normaliser des données en lignes ou issues de bases externes. L’objectif : présenter ces données sur une même interface puis les exploiter.
Le Conseil d’État se prononce sur la qualification de tels travaux retenue par la cour administrative d’appel de Versailles. Selon celle-ci, les travaux se bornent à développer et combiner des techniques existantes et cela « sans dissiper aucune incertitude scientifique et technique ». À l’aune d’un tel constat, la CAA en déduit que les travaux n’ont pas « le caractère d’opération de développement expérimental ».
Le Conseil d’État estime que la CAA donne auxdits travaux leur exacte qualification juridique ; la société Nurun ne peut, à bon droit, demander l’annulation de l’arrêt sur ce point. Le Conseil d’État opère stricte interprétation de l’article 49 septies F de l’annexe III du CGI (N° Lexbase : L1286HML).
Sont considérées comme des opérations de recherche scientifique ou technique les activités : ayant un caractère de recherche fondamentale … ayant le caractère de recherche appliquée … ayant le caractère d’opérations de développement expérimental.
C’est sur ce dernier point qu’il convient de s’appesantir. Ces opérations de développement expérimental sont réputées être effectuées au moyen de prototypes ou d’installations pilotes ; le but est d’agréger les informations nécessaires inhérentes aux éléments techniques de décision afin de produire de nouveaux matériaux, dispositifs, produits, procédés, systèmes ou services… « ou en vue de leur amélioration substantielle ». Par cette formule, il faut comprendre des « modifications qui ne découlent pas d’une simple utilisation de l’état des techniques existantes et qui présentent un caractère de nouveauté ».
C’est précisément ici que le Conseil d’État récuse les prétentions de la société : elle ne peut revendiquer l’application, à son profit, de l’article 244 quater B du CGI (N° Lexbase : L7685LU8) (dépenses de recherches ouvrant droit au crédit d’impôt) : ses travaux – développant et combinant seulement des techniques existantes – ne méritent pas le caractère d’opération de développement expérimental.
Second point de notable intérêt : les dépenses de personnel afférentes aux chercheurs et techniciens de recherche. La société Nurun soutient, devant la cour administrative d’appel, que les salariés pour lesquels elle sollicite le bénéfice du crédit d’impôt recherche collaborent étroitement avec les chercheurs œuvrant sur le projet « NuWad ».
Or, la CAA retient que la société ne soutient pas une telle assertion… ce qui signifie que le juge d’appel s’est mépris sur la portée des écritures de la requérante. La CAA écrit en effet que la société ne soutient pas qu’il existe un lien de collaboration entre chacun des salariés dont elle demande la reconnaissance de la qualification de technicien et un chercheur (cf. le soutien technique nécessaire aux travaux de recherche). En l’absence d’une relation avec des travaux de chercheurs, la qualification de personnel éligible au projet de recherche ne peut pas être reconnue – estime à tort la CAA – aux techniciens participant au projet « NuWad ». La société est fondée à demander l’annulation de l’arrêt qui est alors cassé par le Conseil d’Etat.
Reste à régler l’affaire au fond, ce que réalise le Conseil d’État.
Il fait lecture du b) du II de l’article 244 quater B du CGI en vertu duquel les dépenses de personnel afférentes aux chercheurs et techniciens de recherche font partie des dépenses de recherche qui ouvrent droit au crédit d’impôt.
L’article 49 septies G de l’annexe III du CGI (N° Lexbase : L1287HMM) qualifie de personnel de recherches les personnes suivantes : les chercheurs, à savoir les scientifiques ou ingénieurs qui travaillent à la conception ou à la création des connaissances, de produits, de procédés, de méthodes ou de systèmes nouveaux … les techniciens travaillant en « étroite collaboration avec les chercheurs » et qui assurent un « soutien technique indispensable aux travaux de recherche et de développement expérimental ».
Il leur revient de préparer les matériaux et appareils de diverses natures en vue de la réalisation des expériences ; ils apportent leur soutien aux chercheurs lors des expériences, voire effectuent des expériences sous le contrôle des chercheurs. Revient à ces techniciens la charge de l’entretien et du bon fonctionnement des appareils et des équipements indispensables pour les travaux de recherche et de développement expérimental.
Des salariés peuvent être qualifiés de techniciens de recherche – rappelle le Conseil d’État – alors même qu’ils ne disposent pas d’un diplôme ou d’une qualification professionnelle dans le domaine scientifique. Il suffit qu’ils réalisent les opérations nécessaires aux travaux de recherche ou de développement expérimental sous la conduite d’un chercheur.
Une fois précisée ceci, rappelons la requête de la société requérante : elle demande que soient prises en compte, au titre des dépenses du projet « NuWad », des rémunérations versées à six salariés. Le caractère éligible au crédit d’impôt recherche du projet « NuWad » n’est pas contesté par l’administration.
Le Conseil d’État constate que les salariés visés ont été placés sous l’autorité du directeur technique responsable des travaux de recherche. Ce faisant, ils ont « contribué à définir les besoins fonctionnels auxquels devait répondre le projet ». Par leur présence et action, ces salariés ont contribué à « élaborer, dans les langages informatiques adéquats, les applications à construire dans le cadre de ce projet ». Les salariés ont réalisé divers « tests fonctionnels » ainsi que des analyses.
Ayant réalisé des opérations regardées « nécessaires » aux travaux de recherche du projet « NuWad », les salariés méritent la qualification de techniciens de recherche au sens du b) du II de l’article 244 quater B du CGI.
C’est à mauvais droit que le TA de Cergy-Pontoise a rejeté la demande de restitution de crédit d’impôt émanant de la société Nurun, demande relative à la prise en considération des dépenses de personnel relatives aux six salariés visés en amont.
On ne peut que louer cette décision du Conseil en ce qu’il décide de trancher l’affaire au fond. Il opère une lecture fonctionnelle des dispositions du CGI relatives au crédit d’impôt recherche, lecture centrée sur la notion de participation effective et dynamique aux processus d’élaboration dans le cadre du projet de recherche.
Il est de notable intérêt que le Conseil d’État reprenne ce principe établi : l’absence d’un diplôme ou d’une qualification professionnelle dans le domaine scientifique ne saurait être un argument pertinent au profit de la thèse défendue par l’administration.
À plusieurs reprises dans le passé, le juge administratif statue en ce sens. Citons à titre d’exemple révélateur l’arrêt de la CAA de Paris (CAA Paris, 13 mars 2014, n° 13PA01783 N° Lexbase : A0632MP4) : l’administration ne peut « valablement invoquer l’absence de diplôme ou qualification professionnelle (des) salariées dans un domaine scientifique dès lors que leur soutien était indispensable aux travaux de recherche et de développement en cause ».
Bref, peu importe des éléments de nature formelle (diplôme, qualification professionnelle) dès lors qu’il appert que les personnes concernées ont – effectivement, matériellement, concrètement – réalisé des tests, des analyses, des opérations nécessaires aux travaux de recherche. L’absence de diplôme ou de qualification professionnelle n’est pas un motif suffisant pour exclure leurs rémunérations des dépenses ouvrant droit au crédit d’impôt au sens de l’article 244 quater B du CGI. Il suffit que les salariés soient placés sous l’autorité du directeur technique responsable des travaux de recherche. C’est là, semble-t-il, un raisonnement logique au regard de ce que prétend être le crédit d’impôt recherche.
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