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par Adélaïde Léon
le 11 Décembre 2020
► « Cette affaire a été pour moi un chemin de croix... mais si c'était le prix à payer pour que la vérité chemine, je suis prêt à l'accepter. J'ai encore confiance dans la justice de ce pays ». Tels ont été les mots prononcés par Nicolas Sarkozy à l’issue de cette dernière journée d’audience qui a vu se succéder Me Dominique Allegrini, le Bâtonnier Paul-Albert Iweins et Me Hervé Témime.
C’est Me Allegrini, avocat de Gilbert Azibert qui prend en premier la parole. Il débute sa plaidoirie par un hommage au travail de « bénédictins » accompli par les cabinets de la défense et notamment par le jeune barreau.
Après avoir souligné le caractère extraordinaire de cette procédure « cet ovni judiciaire […] un appareil curieux », Me Allegrini annonce qu’il entame une « critique absolue, sans réserve, même si exprimée avec respect, de ce dossier qui est la parfaite illustration de tout ce qu’il ne faut pas faire dans une procédure pénale ». Il évoque rapidement l’intervention de Jean-François Bohnert, Procureur national financier, jugeant qu’il n’est pas certain que celle-ci « aura rendu les services attendus ». L’avocat s’appliquera ensuite à relever et dénoncer « une accumulation de bizarreries procédurales » qu’il n’avait jamais rencontrée. Il s’attaque notamment à l’enquête préliminaire menée dans ce dossier.
« La justice frappe du glaive au lieu d’utiliser le scalpel et après on s’étonne qu’il y ait des hémorragies. »
Après avoir évoqués les dysfonctionnements des investigations menées, Me Allegrini aborde le fond et débute par une phrase qui résume fidèlement l’esprit de sa plaidoirie : « Je n’ai pas compris l’enfermement dont on a fait preuve tout au long de cette procédure. À considérer que lorsqu’on ne prouve rien c’est la manifestation qu’il y a quelque chose. Quand on a des doutes… c’est qu’on a des certitudes ».
Il énumère et déconstruit les accusations formulées à l’adresse de son client. Cohérent avec l’ensemble de la défense, il explique qu’on a voulu voir dans des actes anodins l’accomplissement d’infractions réalisées en connaissance de cause, à l’exemple de la prétendue infiltration de Gilbert Azibert à la Cour de cassation : « ce dossier a révélé une chose. Nicolas Sarkozy est client. Thierry Herzog l’aide. Thierry Herzog est lui-même confronté au langage particulier de la Cour de cassation et il a besoin d’un traducteur en la personne de Gilbert Azibert. Et au travers de cette contamination auriculaire, on a vu là dedans des délinquants chevronnés ».
Comme Me Laffont la veille, Me Allegrini souligne, à maintes reprises, l’absence de preuve de l’accusation : « je n’ai pas compris l’arithmétique des réquisitions. Un doute plus un doute plus un doute, ça fait un faisceau d’indices … Entre ça et les bateaux mouches, je suis content d’être venu à Paris ! ».
Pour conclure, il ne se contente pas de demander la relaxe de son client, il exhorte le tribunal à fustiger les comportements ahurissants constatés dans ce dossier.
Après une suspension qui laissera place à des compliments entre confrères à l’endroit de Me Allegrini, l’audience reprend avec la plaidoirie de Me Iweins pour la défense de Thierry Herzog.
Il débute en abordant la question des écoutes et des perquisitions chez les avocats « Le secret n’est pas fait pour cacher des turpitudes ni permettre aux avocats d’avoir un sanctuaire. Nous approuvons la jurisprudence qui lève ce secret, dans des hypothèses bien précises : lorsque le contenu intrinsèque de l’écoute permet de relever la participation de l’avocat à une infraction ».
Il interpelle le tribunal « vous n’avez pas pu ne pas ressentir un malaise lorsque les écoutes étaient projetées […] Le malaise vient de ce que sont des brèves d’écoutes, des extraits sur lesquels on a bâti un soupçon qui sera une accusation, puis des réquisitions dont nous avons considéré qu’elles n’apportaient aucune démonstration ».
Il dénonce ensuite, un par un, les postulats de l’accusation, « des fantasmes vides de preuves ».
Me Iweins est grave mais il n’hésitera pas à hausser le ton lorsqu’il évoque une erreur de date dans l’une des diapositives projetées par le ministère public au cours de l’audience. Face à la réaction du procureur, l’avocat rétorque, mi-moqueur, mi-agacé : « ne faites pas cette tête je vous ai demandé les slides vous avez refusé. Si vous doutez de ce que je dis, je demande à ce qu’on repasse les slides » [rires dans la salle].
L’avocat conclut « je souhaite que cette audience ait permis, aux uns et aux autres, de voir que le fait de se rétrécir dans un raisonnement n’est pas une bonne chose » et demande la relaxe de son client : « vous permettrez à Thierry Herzog de continuer à appartenir à ce barreau, à la profession d’avocat à laquelle il a consacré sa vie. Vous lui rendrez sa vie, sa liberté et son honneur ».
Nouvelle suspension d’audience puis c’est au tour de Me Hervé Témime, toujours pour la défense de Thierry Herzog, de prendre la parole.
Le ton est donné dès le début de la plaidoirie « le parquet s’est livré à un réquisitoire impitoyable, faussement rigoureux. Un réquisitoire totalement déconnecté de l’audience, de la réalité, de la vie et profondément injuste. Ce n’est, bien sûr [silence] qu’un réquisitoire. ».
Il mentionne lui aussi la visite « surprise » du procureur national financier dont il estime « qu’elle a affaibli l’accusation ». Il rappelle les adjectifs par lesquels celui-ci a qualifié son parquet : « sincérité, rigueur, prudence et délicatesse » et lance à l’adresse des deux procureurs présents « C’est sans doute la raison pour laquelle vous n’avez pas une seule fois en 5 heures de réquisitoire, prononcé le mot preuve. […] Pour rester fidèle à cette haute exigence ! Alors que c’est le seul qui aurait dû guider votre démonstration. C’est aussi pourquoi vous avez été si mesurés dans vos propos et dans vos demandes ».
Il rappelle au tribunal qu’il le sait indépendant et impartial : « il n’a de service, ni de compte à rendre à personne. Ni au parquet, ni au juge d’instruction, ni aux enquêteurs, ni aux avocats, ni aux prévenus, ni à l’opinion ».
Par la suite, Me Témime aborde les « dérives de l’accusation » « qui a manqué de modération, de recul, de capacité d’autocritique ». Il développe en détail sa demande d’écarter les moyens de preuve dont le tribunal dispose et donne sa vision de ce qu’est le rapport entre un avocat et son client « a fortiori quand le client est un ami ».
L’avocat de Thierry Herzog dit sa consternation sur la manière dont se sont déroulées les investigations et notamment les écoutes des conversations entre Thierry Herzog et Nicolas Sarkozy, un avocat et son client et, plus encore, deux avocats. Il témoigne de son attachement au secret professionnel lié à sa fonction, dont il affirme qu’il n’assure pour autant d’impunité à personne. Mais il n’y a, selon lui, « pas de vraie justice sans vraie défense, sans défense forte pouvant exercer ses droits. Il n’y a pas de défense sans secret professionnel ».
En raillant les indices prétendus de l’accusation avec une ironie non dissimulée, il démonte les écoutes et les perquisitions sur lesquelles se fonde l’accusation et fustige, lui aussi la « débauche d’investigations » évoquée par Me Laffont la veille.
Tout au long de sa plaidoirie, Me Témime s’appliquera à démontrer que, malgré une enquête préliminaire et une instruction, aussi longues que fournies, l’accusation n’a, en réalité, pas le moindre commencement de preuve.
« Vous n’avez pas un post-it, une annotation, un témoignage, pas la moindre preuve. Et voilà pourtant ce qu’on a fait. C’est d’arriver à rien. Non pas zéro mais un chiffre négatif. »
Me Témime conclut : « si vous maniez simplement, naturellement, les règles de droit et d’une bonne justice vous relaxerez Thierry Herzog sans aucune hésitation et ce sera juste ».
La présidente donne ensuite la parole aux prévenus. Gilbert Azibert déclare n’avoir rien à ajouter, Thierry Herzog remercie les avocats et Nicolas Sarkozy, quant à lui, déclare : « cette affaire a été pour moi un chemin de croix mais si c’était le prix à payer pour que la vérité chemine je suis prêt à l’accepter. Je vous ai dit la vérité pendant ces trois semaines. Comme je l’ai dit en garde à vue. Comme je l’ai dit tout au long de l’instruction. J’ai encore confiance en la justice de mon pays ».
Délibéré le lundi 1er mars 2021 à 13 heures 30.
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